Israël et L'Humanité - Droits civils et religieux des non juifs en Terre Sainte

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V.

Les païens en Palestine.

§ 1.

DROITS CIVILS ET RELIGIEUX DES NON JUIFS EN TERRE SAINTE.

Nous n'avons jusqu'à présent considéré le Gentil que sous l'aspect de prosélyte, c'est-à-dire comme converti plus ou moins complètement à la religion d'Israël. Ce n'est point nous écarter de notre sujet que de l'étudier aussi sous sa forme primitive, celle de païen pur et simple, et d'examiner quelle est en cet état la position que la loi israélite lui a ménagée en Palestine.

Nous avons vu que les sacrifices des Gentils étaient reçus dans le temple de Jérusalem, sans que l'on cherchât à s'enquérir des sentiments et des croyances de ceux qui les offraient. Pourquoi l'eût-on fait d'ailleurs s'il est vrai, comme le professent généralement les Docteurs, que les non juifs (goïm) ne commettent point de péché en assassinant un être quelconque au vrai Dieu dans leur culte? Cette acceptation, sans aucune condition, des sacrifices des païens est peut-être, nous l'avons dit, dans l'ancienne tradition, une trace de l'application de ce principe. Toujours est-il que cette situation religieuse du païen en Palestine nous fait présager des dispositions relatives à sa position civile, soit parce que les lois civiles et religieuses ne formant en Israël qu'une seule et même loi – l'esprit du moins en est un – elles ne sauraient se contredire, soit parce que la religion étant chez les Juifs ce qu'il y a de plus sacré, il n'est pas à présumer que la loi civile se montre moins libérale qu'elle. Les faits, si peu nombreux qu'ils soient, ont une importance décisive. Le païen par exemple, chose incroyable, avait le droit d'acheter en Palestine, sous l'empire et la protection de la loi israélite, un Juif à titre d'esclave. Le texte du Lévitique [1]qui sanctionne ce droit ne laisse pas de doute à cet égard et d'ailleurs la Tradition qui, pour nous, est inséparable de l'Ecriture est absolument formelle. Une pareille disposition est incontestablement remarquable soit que l'on admette, soit que l'on nie la révélation. Dans la première hypothèse la vérité divine de la Tradition se trouve confirmée, lorsque nous la voyons s'élever si haut et si loin des idées et des passions de l'époque; et dans la seconde, quel plus admirable spectacle que celui qui nous est offert, par ces Pharisiens si décriés, lorsque dans des moments de luttes acharnées, ils font taire leurs ressentiments les plus légitimes et proclament de semblables lois! On a prétendu que Josèphe et Philon, en apologistes avisés, ne présentaient au monde gréco-romain que les beaux côtés du judaïsme dont ils rehaussaient même intentionnellement la valeur. Mais les Pharisiens qui parlaient et enseignaient dans le secret de l'école et se souciaient peu de divulguer leurs doctrines sont à l'abri de tout soupçon de ce genre.

Si le Gentil en Palestine pouvait acheter un Israélite, en devenir le maître et l'assujettir à tous les travaux de l'esclave, pourvu, dit le texte mosaïque, sublime dans cette simple restriction, qu'il ne l'opprimât pas durement sous les yeux de ses frères [2], à plus forte raison devait-il pouvoir acquérir des immeubles. Si l'on songe à ce qu'était l'étranger pour les peuples anciens, aux difficultés qui existaient naguère et qui se rencontrent encore aujourd'hui dans certains Etats modernes pour l'obtention des droits civils et, en outre, à l'abîme plus profond encore que la profession du strict monothéisme devait nécessairement creuser entre les Juifs et les païens idolâtres, on ne peut qu'être frappé de la facilité avec laquelle la loi israélite accordait aux Gentils le droit de propriété, chose qui semblait si naturelle qu'elle n'avait même pas besoin d'être expressément mentionnée.

On trouve, il est vrai, dans le Talmud, une discussion entre Baba et R. Eléazar au sujet de la faculté qui doit être concédée ou refusée au Gentil (goï) d'acquérir des biens en Terre Sainte [3]. D'après Raschi, il ne s'agit pas, dans cette dispute, de savoir si la terre qu'un israélite achèterait à son tour d'un Gentil doit être considérée comme terre sainte soumise par conséquent aux préceptes qui s'y rattachent; sur ce point l'accord entre les Docteurs est [4]complet: le sol en question recouvre par le fait même sa sainteté première. La question est de décider si l'achat fait par le goï a pour effet d'exonérer la terre, pendant le temps qu'elle demeure en sa possession, de l'obligation des dîmes et de tout prélèvement sur ses produits. Selon Maïmonide [5] au contraire les Rabbins s'accorderaient à dire que la terre entre les mains du Gentil se trouve déchargée des dispositions de la Loi relatives aux récoltes et la controverse roulerait uniquement sur la question de savoir si, revenant en la possession d'un Israélite, cette terre, toute palestinienne qu'elle est en réalité, doit être considérée comme appartenant originairement au Gentil et par la affranchie de toute charge religieuse [6]« C'est l'opinion de R. Méir, ajoute Maïmonide, que le goï n'a point de droit de possession en Terre Sainte, mais ce n'est pas la doctrine à suivre (alacha); on doit plutôt professerque le Gentil a le droit d'acheter des biens en Terre Sainte et que ceux ci sont exempts des dîmes [7]». Le Talmud de Jérusalem [8] Le Caphtor vafarah commente ainsi ces paroles: « Il faut conclure de cela qu'il n'est point permis de retenir illégitimement ni de s'emparer des terrains du goï comme on peut le faire de ceux du gher quand il ne laisse pas d'héritiers; son droit de propriété sur les immeubles est absolu ».

Ainsi pour Maïmonide l'achat fait par le Gentil d'un terrain en Palestine a pour effet d'enlever au sol à perpétuité son caractère Israélite et selon Raschi l'acquisition confère du moins au non juif un droit absolu de propriété. Enfin, selon l'autre opinion, elle exonère la terre, aussi longtemps qu'elle demeure en la possession du goï, de toutes les charges qui pèsent sur les biens immobiliers de l'Israélite. Mais ce n'est pas tout; ce respect des droits de l'étranger est poussé si loin qu'il aboutit à des conséquences qui paraissent invraisemblables quand on les rapproche de certaines autres dispositions légales non moins bien établies. Que dira-t-on[9]en effet si nous affirmons que le culte polythéiste lui-même était protégé en Palestine, en ce sens que les temples païens jouissaient des droits civils au point de pouvoir acheter un Israélite comme esclave? Cela présente une telle contradiction avec d'autres instructions bibliques et rabbiniques prescrivant de poursuivre sans trêve toute trace d'idolâtrie que l'on demeure confondu. C'est pourtant ce qui ressort du texte du Lévitique relatif au droit de l'étranger d'acquérir des esclaves: « Si un étranger, si celui qui demeure chez toi devient riche, et que ton frère devienne pauvre près de lui et se vende à l'étranger qui demeure chez toi ou à quelqu'un de la famille de l'étranger [10]». Le mot gher employé en cette circonstance et que nous traduisons par quelqu'un, est en effet appliqué par la Tradition au culte païen. On prévoyait le cas où un Israélite se vendrait comme esclave à un temple païen, non pas toutefois à titre de fidèle, mais uniquement en qualité de serviteur, par exemple, disent les anciens Rabbins [11],pour couper le bois ou puiser l'eau. Dans ce cas là comme dans tous les autres, les règles édictées par le Législateur doivent être observées. Non seulement l'acquisition était réputée valable, mais pour que l'esclave pût reconquérir sa liberté, il fallait que l'un de ses parents le rachetât et que le prix du rachat fût exactement calculé selon le nombre d'années restant à courir avant le Jubilé. La phrase qui recommande cette exactitude dans le calcul rappelle également que la Loi défend de voler ou de tromper le Gentil, ce qui ne donne que plus de valeur aux dispositions que nous venons de citer.

La Loi cependant n'oublie pas de protéger l'esclave Israélite contre les abus possibles de ses maîtres païens, fussent-ils prêtres polythéistes. Elle prévoit comme cause de cette vente la pauvreté et elle fait aux parents un devoir de le racheter. Enfin elle prescript [12] au non juif de le traiter tomme un simple mercenaire, sans dureté ni sévices, et l'expression du texte mosaïque: «Il (le goï) ne le traitera point avec dureté sous tes yeux » semble vouloir dire aux Israélites qu'ils ne doivent pas permettre que le païen protégé par leurs lois, dans leur propre patrie, non content de devenir le maître de l'un de leurs frères, n'en fasse le tyran comme ses mœurs peu policées et ses haines religieuses pourraient l'y pousser.[13] Malgré cela la condition légale de l'israélite esclave du païen en Terre Sainte sous le gouvernement juif est beaucoup plus dure que celle qui lui est faite dans les mêmes conditions chez un autre Israélite. Sur ces mots du Lévitique [14]: « S'il n'est racheté d'aucunes de ces manières, il sortira l'année du jubilé, lui et ses enfants avec lui », les Rabbins font ce commentaire: « Le rachat lui fait recouvrer sa liberté, mais non point au terme de six ans [15](comme c'est le cas pour l'esclave de l'Israélite qui sort libre après six ans de servitude sans attendre le jubilé) ». S'il fallait voir là une simple exagération rabbinique, la doctrine du Talmud renchérissant sur la Thora n'en serait que plus remarquable. Mais il n'en est rien « Celui qui s'est vendu au païen, dit Luzzatto, ne sort pas libre après six ans de service, car la Loi a permis à chacun de se vendre pour plus de six ans. Mais au Jubilé lui aussi devient libre ».

C'est ici le lieu de constater, ainsi qu'il résulte des lois que nous étudions présentement, que la propriété des Gentils était inviolable, aux yeux de la Thora israélite, tant qu'il n'y avait pas de guerre, ce qui revient à dire que l'état normal des rapports internationaux, tel que le judaïsme le concevait, était un état de paix et de justice. Comment en douter, lorsque nous voyons la loi juive protéger les droits du païen en Palestine sur le sol et même sur les personnes israélites! Le texte mosaïque [16] avait dit: « Tu détruiras tous les peuples que l'Eternel ton Dieu, te livrera » Il est défendu de voler le Gentil, disent les Docteurs; il est permis de profiter de ce qu'il a égaré. Où voyons-nous l'interdiction du vol? Dans ces paroles: « Tu détruiras tous les peuples que l'Eternel, ton Dieu, te livrera » c'est-à-dire quand Dieu te donnera la domination sur eux ?[17], précisément comme il arriva lors de la conquête de Canaan qui dut être commandée par Dieu, autrement elle n'aurait pas été permise, ce qui revient à dire que, sans une disposition spéciale du Maître du monde, il n'est point licite de toucher à la propriété des païens.

Ainsi, nous le répétons, d'après la conception hébraïque, la paix est l'état normal entre les peuples; la guerre n'est qu'une exception. C'est exactement la théorie opposée à celle que professaient [18] les Romains. « Les peuples, dit le jurisconsulte Pomponius, avec lesquels nous n'entretenons pas des rapports d'amitié, d'hospitalité ou d'alliance ne sont pas nos ennemis. Néanmoins si une chose nous appartenant tombe en leur pouvoir, ils en deviennent les propriétaires, s'il s'agit d'hommes libres, ils deviennent des esclaves et les autres nations sont dans les mêmes conditions par rapport à nous [19]».


References

  1. Chap XXV, 47.
  2. Lévitique, XXV, 53.
  3. Ghittin, 47 a. </span> </li>
  4. Page 600
  5. <i> Teroumot</i>, I, 10, 11; <i> Biccourim</i>, II, 15.
  6. Caphtor vafarah, 5.
  7. Sur Demaï; Ch. V, 9.
  8. <i> Ghittin </i>donne d'ailleurs de l'opinion de R. Méir une autre interprétation: « Si R. Méir, lisons-nous, dit que le Gentil ne jouit pas du droit de propriété en Terre Sainte, ce n'est que relativement à l'effet d'affranchir la terre de la dîme, mais quant au droit de propriété en lui-même, R. Méir est d'accord avec les autres Docteurs pour le concéder au Gentil ».
  9. Page 601
  10. Lévitique, XXV, 47.
  11. Voir le commentaire de Raschi, dans le passage cité
  12. Ibid V 53.
  13. Page 602
  14. V. 54
  15. Raschi.
  16. Deutér. VII, 16.
  17. <i> Baba Kama , 113 b </i>
  18. Page 603
  19. Leg. V. § 2, de Captivitate.
  20. </ol>