Israël et L'Humanité - L'unité d'origine d'après la Bible et les Rabbins

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DEUXIÈME PARTIE

L'HOMME [1]

CHAPITRE PREMIER

L'IDÉE DE L'HOMME DANS L'HÉBRAÏSME

ORIGINE DE L'HUMANITÉ

I.

L'unité d'origine d'après la Bible et les Rabbins.

Nous devons rechercher maintenant si l'idée que l'hébraïsme s'est faite de l'homme présente caractère d'universalisme que nous venons de retrouver dans l'idée de Dieu.

La première pensée qui vient naturellement à l'esprit, c'est que seule dans toute l'antiquité la religion israélite s'est occupée des origines de l'humanité. Indépendamment de la manière aussi peu particulariste que possible dont ses traditions les racontent, ce fait constitue déjà à lui seul une preuve en faveur de ses aspirations universelles, comme l'ont reconnu les écrivains les plus impartiaux. Toutes les races, poussées par l'ignorance aussi bien que par l'orgueil, ont cherché à faire remonter leur généalogie jusqu'à nos premiers parents en excluant les autres peuples de ce privilège d'origine. C'est tout au plus si l'histoire de ces races est mentionnée parfois sous forme d'appendice à l'histoire de la race principale. L'étranger, le barbare apparaît ainsi comme un être inférieur dont la nature reste grossière et le développement incomplet; en lui refusant l'honneur de la communauté d'origine on s'autorise à le combattre, à le dépouiller, à le tuer même le jour où l'intérêt l'exige. Il en était ainsi dans les temps anciens; il en est encore de même de nos jours chez des peuples qui se piquent pourtant de civilisation.[2]L'ethnologie des Juifs, comme on l'a fort justement remarqué, reposait sur des notions plus vastes, et leurs livres sacrés, dans leurs récits sur les origines, s'intéressent aussi bien aux autres races qu'aux ancêtres d'Israël. Assurément, à partir d'une certaine période de l'histoire de l'humanité, la Bible, qui est spécialement destinée aux Juifs, néglige les autres peuples pour s'occuper d'Israël particulièrement, mais il n'en est pas moins vrai que dans ses premiers chapitres elle trace, soit avant, soit même après le déluge, un cadre si général qu'il embrasse avec une parfaite égalité tous les peuples de la terre. Dans ses différentes parties consacrées aux annales israélites, il n'est même pas rare de rencontrer de petites digressions, dans lesquelles il s'agit non plus des Hébreux, mais de quelque nation païenne, ce qui prouve évidemment qu'aux yeux des écrivains bibliques les étrangers n'étaient nullement des êtres d'origine méprisable. Nous ne faisons aucune difficulté de reconnaître que l'orgueil national a toujours poussé chaque peuple à se croire bien supérieur à tous les autres, Il en a certainement été ainsi jadis à Jérusalem comme à Athènes; il en est encore de même de nos jours à Rome, à Berlin comme à Paris. Mais l'histoire dira si la race qui a eu constamment et plus distinctement qu'aucune autre l'idée de l'égalité essentielle, fondamentale, de tous les hommes, ce qui implique l'absence de toute prétention à un privilège inné quelconque, n'est pas celle qui est le mieux fondée à aspirer à la direction religieuse de l'humanité. C'est d'ailleurs là le seul domaine dans lequel le judaïsme revendique une place à part et Israël est si loin d'avoir négligé l'origine des Gentils et leur développement historique, qu'on peut dire de lui, avec beaucoup plus de raison encore que Florus ne le disait des Romains, qu'en lisant ses annales ce n'est pas l'histoire d'un seul peuple que l'on apprend, mais celle de l'espèce humaine tout entière.

C'est déjà beaucoup assurément que le judaïsme ait été la seule religion de l'antiquité qui se soit occupée des origines de l'humanité, mais la manière dont il a résolu le problème en proclamant l'unité primitive du genre humain constitue l'un de ses plus beaux titres de gloire. L'hébraïsme s'est élevé, dans sa conception de l'homme, à une incomparable hauteur. Il l'a mis sur le trône même de Dieu et c'est là qu'un jour le christianisme est allé le chercher pour le faire descendre et régner sur la terre, transformant en un véritable avatar l'apothéose juive. Il l'a placé à l'aurore de la création sur le chaos encore informe comme une force fécondante [3] et organisatrice, quand il a fait de l'Esprit de Dieu ou du vent impétueux qui soufflait sur les eaux l'âme du premier homme et de l'âme de l'homme, l'âme de la terre.

Pour certains savants de nos jours l'homme n'est que le descendant perfectionné d'un quadrumane; pour l'hébraïsme rabbinique au contraire le singe est un homme dégénéré. Cette doctrine d'ailleurs n'est pas entièrement étrangère à la science contemporaine, puisque des naturalistes ont avancé que les bimanes et les quadrumanes pourraient bien descendre d'une souche commune, d'un placentaire supérieur, d'un primate qui, ayant joué le rôle d'espèce originaire, aurait donné naissance, par loi de divergence, aux deux ordres mentionnés. Ainsi l'hébraïsme se trouve d'accord avec la science quand il proclame l'affinité de l'homme avec tous les êtres organisés. Peut-être faut-il voir un écho de cette tradition dans le mot de St. François d'Assise appelant, comme l'avait fait le Bouddha, tous les animaux ses frères cadets. La théorie rabbinique fait de l'homme la force organisatrice de la terre et par suite le germe de tout ce qui a vie. Tel est le sens de cette haggada qui décrit un Adam dont la taille s'élève de la terre au ciel et dont la largeur s'étend d'un bout à l'autre du monde [4]. Une autre légende talmudique atteste la parenté du premier homme avec toutes les formes organiques, quand elle nous montre Adam essayant de s'unir à tous les animaux de la terre avant de trouver sa compagne. C'est toujours l'identification d'Adam avec cette forme primordiale protozoaire d'où se sont ramifiées toutes les formes organiques. Et sous un autre aspect c'est encore la doctrine de la Kabbale qui voit dans Adam le principe mâle du monde et dans Eve, le principe féminin, l'un et l'autre étant figurés plus tard par les deux chérubins du sanctuaire, eux aussi mâle et femelle, nés du Logos (tipheret) et du cosmos (malkout).

Quelle hardiesse et quelle largeur de vue! L'universalisme juif, dans ses aperçus sur l'unité d'origine du genre humain, atteint des proportions presque invraisemblables. Et cependant il est si peu une interprétation fantaisiste des Rabbins, il est si authentiquement biblique que sans loi le récit des premiers chapitres de la Genèse n'a que mystères et puérilités à nous offrir. Si dans ce récit on se refuse à voir un mythe, nous défions qu'on y puisse trouver quelque chose digne de retenir un instant l'attention. [5] Ecoutons la science nous donner la conclusion du système darwinien: « En partant du principe d'élection naturelle avec la divergence des caractères, il ne semble pas incroyable que les animaux et les plantes se soient formés de quelque forme inférieure intermédiaire. Si nous admettons ce point de départ, il nous faut admettre aussi que tous les êtres organisés qui ont jamais vécu peuvent descendre d'une forme primordiale unique » [6]. Adam serait donc ainsi le père non seulement de toute l'espèce humaine, mais de tout ce qui a vie et le monde ne formerait qu'une seule famille, quoique infiniment variée dans ses membres. Nous ne prétendons nullement soutenir que ce soit là le seul sens acceptable des premiers chapitres de la Genèse, ni qu'en dehors de cette conception presque cosmogonique, les Rabbins ne reconnaissent pas un Adam historique plus près de nous et créé à notre image. Nous affirmons seulement qu'il suffit de lire la narration biblique pour y découvrir autre chose que la signification littérale. Si un Adam historique a existé, une foule de notions mythiques est venue s'ajouter à ce que la tradition a pu savoir de lui, au point de le rendre méconnaissable. Quoi qu'il en soit, scripturaire ou non, cette grandiose conception adamitique est incontestablement une notion hébraïque et rabbinique; elle doit par conséquent entrer en ligne de compte quand il s'agit d'étudier les croyances universalistes de l'hébraïsme.

Nous estimons qu'il ne sera plus permis après cela de parler de vues étroites, d'horizons rétrécis, d'égoïsme national à propos d'une religion qui, en racontant ses origines, comprend dans un universel embrassement les hommes, les animaux, les plantes et la création tout entière. Peut-être n'a-t-on jamais remarqué comme il convient la beauté de cette légende rabbinique, d'après laquelle, pour former le corps d'Adam, Dieu prit la terre sous l'emplacement de l'autel de Jérusalem, ou comme disent textuellement les Docteurs, du lieu de son pardon [7]. L'amour miséricordieux du Créateur, l'éminente dignité d'Adam, père de l'humanité, dont le corps est façonné à l'autel même de Dieu, et le trait lumineux d'universalisme religieux qui éclaire ce culte juif réputé si jalousement particulariste et ce Temple qu'on disait être la citadelle du plus étroit égoïsme national, tout n'est-il pas ici admirable? Nous y entrevoyons aussi le lien qui rattache, dans la pensée des Rabbins, [8]l'unité humaine à l'unité divine. Celle-ci étant admise, n'est-il pas naturel que l'espèce humaine ait été créée par un seul acte de cette Puissance unique et souveraine ? Des dieux nationaux auraient pu créer chacun le peuple qu'il voulait gouverner, mais un Dieu universel ne pouvait procéder à autant de créations spéciales, comme si, mécontent des premières, Il en essayait de nouvelles. Ainsi cette croyance à l'unité d'origine de l'humanité fournit un nouvel argument en faveur de l'existence du monothéisme chez les anciens Hébreux, car on ne la trouverait certainement pas établie à une époque si reculée, si les hommes n'avaient déjà cru alors à l'unité du pouvoir créateur.

« Dans le polythéisme, dit un auteur distingué, la division des nations est originaire et perpétuelle, car elle dérive de la pluralité des dieux dont chacun est l'emblème d'un peuple distinct. Aussi, malgré le progrès de la philosophie, les penseurs de la Grèce et de Rome eurent plutôt le soupçon que la conviction de la fraternité. Cet obstacle à la conception de la fraternité n'existe pas dans le mosaïsme . Un seul Dieu crée le genre humain et pour témoigner que tous sont un en essence, le Créateur les fait naître d'un seul homme. Il veut même que la femme qu'il a donnée au premier homme soit tirée de lui, afin que tout soit un dans le genre humain. Ainsi, l'élection spéciale dont se glorifient les Hébreux était dominée par un dogme supérieur et fondamental, l'unité de Dieu et de la création » [9]. Le paganisme avait si bien l'instinct du lien rattachant le monothéisme à l'unité humaine que, par l'organe de son dernier apologiste, l'empereur Julien, nous le voyons nier cette unité en alléguant l'existence des différents dieux qui inspirent diversement chaque peuple de la terre [10]. Nous avons dit que les variétés de races, attribuées par Julien à la pluralité des dieux, constituent pour nous un fait qui trouve son explication théologique dans les aptitudes particulières à concevoir le divin, autrement dit à considérer spécialement une des faces de la nature de Dieu, un de ses attributs devenu, une fois personnifié dans l'idéal d'un peuple, le sarde ce peuple lui-même . Nous savons enfin que tout cela se concilie parfaitement avec le monothéisme, à la condition toutefois que chaque nation reconnaisse qu'elle ne possède qu'un côté de la synthèse unitaire et qu'aucune des idées divines ne doit être exclusive.[11]La fraternité entre tous les peuples et la communion de tous avec Israël , qui est le centre vers lequel doivent tendre, pour se réunir, toutes les conceptions religieuses, telle est la conséquence dernière de l'unité d'origine de l'humanité si hautement proclamée par l'hébraïsme.


References

  1. Page 275
  2. Page 277
  3. Page 278
  4. Haghigà 12, Sanhedrin 38.
  5. Page 279
  6. Revue Scientifique du 24 août 1875
  7. אדם ממקום כפרתו נברא Jalkut Schimeoni, 20
  8. Page 280
  9. LAURENT, Histoire du droit des gens, vol I, p.408.
  10. CYRILLE, adv. Jul., lib. IV.
  11. Page 281