Israël et L'Humanité - La justice de Dieu dans la notion de Providence

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III.

La justice de Dieu dans la notion de providence.

On peut dire que la justice de Dieu est le commencement de l'histoire. Nous la voyons à l'œuvre dans tout ce que la Bible nous raconte d'Adam et d'Eve, de Caïn et d'Abel, dans le jugement général au moment du déluge, dans le jugement partiel des cités de la Pentapole. Dieu apparaît en songe à Abimélech pour venger l'honneur de Sara et Abimélech laisse échapper un cri, confession éloquente de la notion qu'il a de cette justice: « Seigneur! Ferais- tu périr même une nation juste? [1]

L'expulsion des habitants de Canaan par les Hébreux a toujours soulevé chez les adversaires de l'inspiration biblique des protestations indignées, car ils la présentent comme un massacre, aveuglement décrété par le bon plaisir de Dieu en faveur de son peuple privilégié. Or, Il y a là au contraire un exemple d'impartiale justice. Si Dieu chasse les Cananéens, qu'on ne s'y trompe pas, c'est, dit Moïse, à cause de leurs péchés: « C'est par toutes ces choses que se sont souillées les nations que je vais chasser devant vous. Le pays en a été souillé; je punirais son iniquité et le pays vomira ses habitants [2] La loi morale s'impose si également à tous qu'Israël ne sera pas épargné davantage s'il vient à imiter ces populations corrompues: « Prenez garde que le pays ne vous vomisse, si vous le souillez, comme il aura vomi les nations qui y étaient avant vous [3] Et ailleurs: « Il arrivera que je vous traiterai vous-mêmes comme j'ai résolu de les traiter [4]». « Si tu oublies l'Eternel,[5] ton Dieu, et que tu ailles après d'autres dieux, si tu les sers et te prosternes devant eux, je vous déclare formellement aujourd'hui que vous périrez. Vous périrez comme les nations que l'Eternel fait périr devant vous [6]

Toutes ces déclarations sont d'une importance capitale et pleines de précieux enseignements. Israël est soumis comme toute l'humanité à une même loi divine. Les iniquités des hommes rompant l'harmonie universelle entraînent pour eux de fatales conséquences, ou la loi providentielle de la cause et des effets doit, pour le maintien de l'ordre général, recevoir constamment son application et son inflexible rigueur n'est que souveraine sagesse.

Non seulement les écrivains sacrés assimilent avec insistance Israël à la gentilité au regard de la justice de Dieu, mais ils mettent un soin tout particulier à proscrire l'idée que le peuple juif aurait été élu par un privilège arbitraire ou même parce que son mérite se serait trouvé plus grand que celui de ses ennemis: « Ne dis pas en ton cœur: C'est à cause de ma justice que l'Eternel me fait entrer en possession de ce pays. Car c'est à cause de la méchanceté de ces nations que l'Eternel les chasse devant toi. Non, ce n'est point à cause de ta justice et de la droiture de ton cœur que tu entres en possession de leur pays; mais c'est à cause de la méchanceté de ces nations que l'Eternel, ton Dieu, les chasse devant toi [7] Ailleurs, comme pour écarter toute velléité d'orgueil, Moïse appelle Israël « le plus petit des peuples » : « Ce n'est point parce que vous surpassez en nombre tous les peuples, que l'Eternel s'est attaché à vous et qu'il vous a choisis, car vous êtes le moindre de tous les peuples [8] ». Le grand législateur donne comme motif de l'élection d'Israël l'amour de Dieu pour lui et sa volonté de tenir le serment qu'il avait fait à ses pères. Et il ne faudrait pas croire qu'il y a là une contradiction avec les déclarations du Lévitique précédemment citées, car tout nous montre que cet amour particulier de Dieu n'est au fond que la consécration des aptitudes ethniques spéciales d'Israël à devenir le gardien et le propagateur de la loi divine dans le monde.

L'exactitude historique des déclarations de la Bible sur la corruption des peuples cananéens, que certains critiques ont voulu [9] contester, n'ajoute rien d'ailleurs à la valeur religieuse et morale des textes. L'essentiel est qu'on ait cru à cette dépravation et que Moïse en ait su tirer, au profit des Israélites, une leçon de justice divine égale pour tous. Mais voici quelque chose de plus remarquable encore et qui met un dernier trait au portrait de la juste et universelle providence tracé par le législateur hébreu. Nous entendons celui-ci déclarer à son peuple que les malheurs qui fondront sur Israël survirent à la moralisation des gentils, de même que les épreuves de ces derniers ont servi de leçon aux Israélites: « Les générations à venir, vos enfants qui naîtront après vous et, l'étranger qui viendra d'une terre lointaine, à la rue des plaies et des maladies dont l'Eternel aura frappé ce pays.... toutes les nations diront: Pourquoi l'Eternel a-t-il ainsi traité ce pays? pourquoi cette ardente, cette grande colère? Et l'on répondra: C'est parce qu'ils ont abandonné l'alliance contractée avec eux par l'Eternel, le Dieu de leurs pères, lorsqu'il les fit sortir du pays d'Egypte; c'est parce qu'ils sont allés servir d'autres dieux et se prosterner devant eux... Alors la colère de l'Eternel s'est enflammée contre cette contrée... L'Eternel les a arrachés de leur pays avec colère, avec fureur, avec une grande indignation...[10] ». Et ne peut-on pas voir dans le verset suivant une parole de repentir et de conversion des Gentils à la vue de cette justice que Dieu exerce même sur ceux qui lui sont le plus chers, afin que l'exemple sait plus profitable à tous? « Les choses cachées sont à l'Eternel, notre Dieu; les choses révélées sont à nous et à nos enfants, à perpétuité, afin que nous mettions en pratique toutes les paroles de cette loi ».

Quoi qu'il en soit, ce texte se passe de commentaire. On ne saurait souhaiter une notion plus explicite de justice impartiale et de sage providence. Aussi nous autorise-t-il à considérer tout ce que nous trouvons d'analogue soit dans Philon, soit dans Josèphe, non comme une marque de condescendance à l'égard des païens pour s'attirer leur bienveillance, mais au contraire comme un écho fidèle des idées bibliques elles-mêmes. Philon a déclaré avant Paul qu'il ne suffit pas d'appartenir à Israël par la naissance pour avoir le droit de se dire un digne fils d'Abraham et il n'a eu pour cela qu'à se rappeler les paroles énergiques de Moïse: « Si tu n'obéis point à la voix de l'Eternel ton Dieu... le prosélyte qui sera au [11] milieu de toi [12] s'élèvera au dessus de toi de plus en plus que toi, tu descendras toujours plus bas [13]»

Comment douterions-nous d'ailleurs du sens à donner aux paroles de ces auteurs israélites, lorsque nous voyons s'exprimer de la même manière une école foncièrement juive, qui méprisait en apparence le monde païen autant qu'elle en était méprisée et dont les prescriptions rigoureuses tendaient sans cesse à séparer autant que possible Israël de la Gentilité? Nous voulons parler des Pharisiens. On peut être assuré que ce qu'ils enseignent est l'exposé fidèle de la foi juive et non point une concession faite aux païens qui les entouraient. Or ces Docteurs ont dit, entre autres choses, que tandis que le gentil converti au judaïsme est assimilé à l'israélite de naissance au point de pouvoir manger l'agneau pascal, l'israélite apostat devient un véritable étranger [14], car ses œuvres le rendent méconnaissable, à son Père qui est dans les cieux [15]. A leurs yeux Abraham est le père de tous les hommes qui observent la loi divine soit israélite, soit noachide, ils ont le droit de lui donner ce nom et quiconque abandonnant l'idolâtrie fait profession du pur monothéisme peut être qualifié de juif, yehoudi, à quelque race qu'il appartienne [16]. N'est-ce pas l'écho de ces doctrines pharisiennes que nous entendons dans la bouche de Justin Martyr quand il déclare que ceux qui ont vécu selon le Logos, comme Socrate, Héraclite et ceux qui leur ressemblent, ont été chrétiens avant la prédication de l'Evangile [17]

Ces mêmes Docteurs ont enseigné qu'au-dessous des commandements de la loi mosaïque qu'on écrivait à l'usage des Gentils, on ajoutait ces paroles: « afin que vous ne soyez pas entrainés à agir selon leurs abominations »[18], dans le but de montrer aux païens que les lois rigoureuses édictées pour séparer d'eux Israël, étaient destinées à préserver les Juifs de leur contact moral, mais, que ceux-ci ne les en auraient pas moins considérés comme des[19]frères si seulement ils avaient observé la loi naturelle des noachides. Est-il besoin de rappeler encore ici cette doctrine des Pharisiens si souvent citée et d'après laquelle tous les justes, à quelque race qu'ils appartiennent, ont part au salut éternel? [20] De telles maximes que la religion seule inspirait aux rabbins sont conformes d'ailleurs à celles que la saine philosophie de la gentilité suggérait à ses adeptes, témoin le second Platon, Eratosthène d'Alexandrie, qui deux siècles avant l'ère chrétienne professait déjà qu'on devait, non pas diviser les hommes en grecs et en barbares, mais distinguer ceux qui font le bien de ceux qui commettent le mal.

Nous trouvons dans le Talmud un passage qui rappelle singulièrement, dans ce qu'elle a de raisonnable, la doctrine de Paul sur la rejection d'Israël. Il n'est peut-être pas inutile de le rap- procher des textes bibliques que nous avons rapportés plus haut, afin de montrer la continuité d'esprit du judaïsme sur la question de la justice et de la providence de Dieu. « Le saint, béni soit-il, dit: Ceux-ci sont mes créatures et ceux là sont l'ouvrage des mes mains. Comment donc pourrais-je sacrifier les uns aux autres? C'est ce que dit un proverbe populaire: le taureau s'est mis à courir et comme il est tombé, le maître l'a remplacé par un cheval qu'il a mis dans son écurie ». Raschi ajoute: «C'est ce que le maître n'aurait jamais voulu faire avant la chute du taureau, car il aimait beaucoup son taureau. Et quand ensuite le taureau vient à se rétablir de sa chute, le maître éprouve de la peine à faire sortir son cheval de l'écurie après l'y avoir placé. De même, lorsque le Saint béni soit-il, a vu la chute d'Israël, il a conféré la grandeur aux peuples de la terre et quand Israël converti à Dieu en obtiendra miséricorde, Dieu aura de la peine à repousser les peuples de la terre à cause d'Israël » [21]

Lors que nous lisons dans les Evangiles que Dieu peut, même des pierres, faire surgir des enfants à Abraham, il n'y a donc là rien de plus fort que ce que nous trouvons chez les rabbins eux-mêmes. On conçoit parfaitement que l'opposition sectaire, qu'ils faisaient au judaïsme ait pu inspirer de telles déclarations aux rédacteurs des Evangiles trop disposés à sacrifier à leur idéal messianique l'amour de la patrie juive, mais que les rabbins, tout en [22]restant des juifs fidèles et de zélés patriotes, aient du prononcer de semblables paroles, quelle preuve convaincante en faveur de la haute idée qu'ils avaient de la justice souveraine et universelle de Dieu!

References

  1. Genèse, XX, 4.
  2. Lévitique, XVIII, 27.
  3. Ibid., XVIII, 28.
  4. Nombres, XXXIII, 56.
  5. Page 139
  6. Deutéronome, VIII, 19.
  7. Deutéronome, IX, 4.
  8. Ibid., VII, 7.
  9. Page 140
  10. Deutéronome, XXXIX, 22 et suiv.
  11. Page 141
  12. הגר אשר בקרבך
  13. Deutéronome, XXVIII, 43
  14. בן נכר
  15. Littéralement: ses œuvres étant devenues étrangères pour son Père céleste שנתנכרו מעשיו לאביו שבשמים Raschi, in Exode XII, 43.
  16. כל כופר בע"ז נקרא יהודי V. R. Nissim, in Abodà-Zara 357
  17. Et qui μςτά λόγον NOT CLEAR (cum Ratione) vixerunt Christiani NOT CLEAR??? quales apud Græcos fuerunt Socrates et Heraclitus atque iis similes. (Apolog. I, 46).
  18. T. B. Solà, cap. VII.
  19. Page 142
  20. T. Babli, Sanhédrin. XI. Maimonides Ilchot Teshubah , III, I. Melachim IX.
  21. Sanhédrin, f. o 98.
  22. Page 143