Israël et L'Humanité - La préadamisme et la question de l'identité de nature

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III.

Le Préadamisme et la question de l'identité de nature.

Nous ne pouvons parler de l'unité de l'origine humaine d'après le Pentateuque sans dire ici un mot d'un système appelé le préadamisme, dont on prétend trouver des traces dans le livre de la Genèse et d'après lequel il aurait existé, avant et en dehors d'Adam et d'Eve, d'autres hommes sur la terre. Cette assertion peut-elle s'appuyer sur la Bible? La réponse à cette question dépend de la manière d'interpréter les premiers chapitres de la Genèse, selon que l'on veut y voir une histoire réelle ou fictive. Pour nous, ces premières pages des Ecritures contiennent une donnée historique qui a servi de base à des développements mythiques dont elle se trouve enveloppée et pénétrée complètement. Si donc il y a dans la narration biblique un élément mythique, il est naturel qu'on rencontre dans le cours du récit des circonstances qui laissent entrevoir l'existence d'une humanité en dehors de l'Adam mythique et qui ne sont en réalité que la partie historique pure, celle-ci n'ayant pu être entièrement fondue avec la légende en un seul récit homogène.

Or c'est sur ces faits concomitants que se fonde le préadamisme pour montrer qu'Adam n'a été ni le premier ni le seul être humain. Cette supposition est vraie pour l'Adam mythique et fausse en ce qui concerne l'Adam historique. Cette autre humanité que l'on prétend voir en dehors du personnage de l'Eden, c'est l'Adam historique lui-même . Ainsi les ennemis dont Caïn redoute la poursuite, la ville qui se construit alors que l'humanité ne se composait encore que de quatre personnes, tout cela n'est que l'effet de la contradiction entre le double élément mythique et historique que le narrateur sacré n'a pas toujours pu éviter.

On nous demandera peut-être si l'unité d'origine ne se trouve pas également compromise, soit que l'on admette le préadamisme, soit que l'on voie dans la Genèse l'Adam historico- mythique que nous proposons. il n'en est rien, car l'unité d'origine constitue évidemment un des éléments historiques du récit biblique. Nous [1]entendons par historique tout ce que l'écrivain a cru tel, indépendamment de la réalité objective de sa narration. Or, quand une religion parvient à s'élever à la conception de l'unité d'origine de l'espèce humaine, elle n'abandonnera pas cette idée pour en faire un mythe au risque de la compromettre; elle lui donnera plutôt un fondement historique afin de l'affermir et de l'accréditer.

Mais cette unité d'origine a-t-elle vraiment l'importance que nous lui attribuons comme indice des aspirations universalistes du judaïsme et les autres systèmes anciens on modernes qui, sans admettre l'unité d'origine, reconnaissent l'identité ou unité de nature, ne sont-ils pas tout aussi concluants? De graves auteurs ont soutenu que l'unité de nature seule nous intéresse et que l'autre n'est qu'accessoire: « L'identité, essentielle dans l'idée de l'humanité et de la langue, nous disent-ils, consiste dans le principe intellectuel, non dans le point de départ naturel. C'est en vertu de la raison humaine que tous les hommes sont frères et intimement unis. Celle-ci est une base bien plus profonde et essentielle d'affinité que la dérivation physique ». Nous ne pensons pas que, peur s'entraimer, les hommes aient besoin de s'apercevoir préalablement de leur affinité intellectuelle et un simple fait attesté d'une manière digne de foi nous paraît être sans comparaison un moyen plus sûr et d'un effet plus général que le meilleur des raisonnements. Les différences entre les hommes sont-elles d'ailleurs plus grandes au physique qu'au moral, pour que l'on puisse plus solidement fonder l'unité humaine sur les dispositions morales que sur la constitution physique ? Nous ne le croyons pas. Il y a des nègres ou des Samoïédes qui sont bien plus près du singe que de l'Européen et même chez les races civilisées l'ethnologie moderne signale des instincts, des tendances, des facultés si caractérisées, si différentes, qu'elles autoriseraient les doutes les plus sérieux sur l'identité de nature. Comment celle-ci pourrait elle s'établir victorieusement, puisqu'on a pris prétexte des différences des génies religieux si marquées qui séparent aryens et sémites pour formuler une objection contre l'unité d'origine? Alors même que ces divergences ne seraient point visibles, un pourrait toujours se demander si les germes n'en subsistent pas à l'état latent dans les profondeurs de la nature humaine, car nous sommes loin de l'avoir sondée au point de pouvoir dire qu'elle ne renferme plus pour nous de secrets. Un critérium fondé sur l'identité de nature intellectuelle nous paraît donc insuffisant. [2]Si d'ailleurs, aux yeux des savants, l'identité était aussi apparente au moral qu'au physique, on n'en pourrait dire autant pour le commun des hommes; il n'est pas douteux que, pour la découvrir, il ne faille beaucoup plus d'efforts et de pénétration. En outre, l'économie proverbiale de la nature, la fécondité indéfinie dont elle a doté chaque individu ne permettent pas de concilier une parfaite identité morale avec la diversité d'origine. La communauté d'origine admise au contraire, l'identité de nature en résulte par une rigoureuse conséquence. Les différences physiques, si frappantes qu'elles nous font parfois douter de notre parenté avec un Peau-Rouge ou un Hottentot, trouvent un correctif victorieux dans cette croyance à une origine commune et l'on est alors porté à ne voir dans les races les plus dégradées que des frères difformes ou infirmes.

En examinant enfin cette identité de nature à la lumière de la philosophie dominante, nous la voyons réduite à néant. Elle n'offre certes pas en effet des traits plus saillants et plus convaincants que celle des types, genres et espèces de l'ordre végétal ou animal. Or on sait ce que nos naturalistes philosophes pensent de ces ressemblances qui ne sont pour eux que des créations de l'esprit humain, un produit du travail d'abstraction que la pensée opère sur les matériaux offerts par la nature, sur les seules choses réellement existantes, les individus. Nous ne voyons pas bien les hommes s'éprendre d'une abstraction au point d'aimer fraternellement tous ceux qui admettant cette idée générale que nous sommes frères, non pas en Adam, père commun de l'humanité, mais dans la simple conception d'un Adam logique imaginaire.

Mais si nous reconnaissons au contraire la réalité de l'espèce humaine comme type, modèle et cause efficiente et formelle de tous les individus, nous avons, à défaut d'un Adam terrestre, un Adam céleste, celui que la Kabbale appelle Adam Kadmon, fils du Logos et de Psyché, de l'idéal et du réel, de l'esprit et de la matière. Ce dernier Adam est le type le plus proche du personnage de la Genèse, et le livre sacré lui-même en nous racontant que deux chérubins vinrent remplacer Adam et Eve chassés du Paradis semble nous ménager le passage à un ordre d'idées plus élevé.

L'identité de nature sans la communauté d'origine ne nous parait guère admissible pour d'autres raisons encore. On la fonde nécessairement sur l'hypothèse de plusieurs centres de transformation d'une espèce inférieure à l'homme ou, pour nous exprimer [3]en dehors de tout système évolutionniste, sur le travail séparé, mais pourtant identique, des forces physiques, chimiques et même biologiques, aboutissant à des productions aussi semblables que celles qui ont une origine commune. Il n'est point vraisemblable qu'en des temps et des lieux si différents, avec des ambiances si diverses, les mêmes forces et, dans les mêmes forces, les mêmes agents se soient rencontrés et aient agi dans des circonstances tellement pareilles et d'une manière si uniforme qu'ils aient pu produire des êtres identiques malgré leur complexité.

Lorsque l'on considère les différences considérables qui séparent les individus, les générations, les peuples, on se sent plutôt porté à nier qu'à admettre l'identité de nature morale et intellectuelle, on si on l'admet, c'est par une sorte d'acte de foi. Aussi est-ce folie de chercher la preuve de l'identité de nature dans un domaine où tout semble plutôt la contredire, à moins que l'on n'adopte d'abord cette doctrine biblique si merveilleuse et si féconde de l'unité d'origine. Nous ne croyons pas qu'on ait jamais assez remarqué combien il est étonnant que cette doctrine ait été reçue dans un monde où elle devait forcément paraître aussi scandaleuse qu'insensé: scandaleuse, parce qu'elle mettait sur un pied de parfaite égalité les grands et les petits, les maîtres et les esclaves, les civilisés et les barbares; insensée, parce que tout ce qui avait une influence dans la société païenne, la religion, la science, la tradition, l'autorité, lui était hostile. Il a donc dû nécessairement en coûter beaucoup à la vanité nationale israélite pour proclamer cette unité si choquante, pour reconnaître des frères dans des races physiquement et moralement inférieures ou tout au moins ennemies des Juifs et du judaïsme et qui, par l'organe de tout ce qu'elles avaient de plus autorisé, niaient ce principe de fraternité humaine. Le dogme de l'unité d'origine n'a pu être un produit de l'esprit israélite; les Juifs ont dû, non l'inventer, mais le subir et l'on ne saurait y voir davantage le produit de l'esprit humain, nous voulons dire une conception de tel ou tel autre peuple de l'antiquité, car il n'en est aucun qui se soit trouve dans des conditions psychologiques, morales ou sociales, ou il eût été capable d'imaginer un tel principe et de l'adopter. Si quelque philosophe solitaire s'était élevé jusqu'à cette idée-là, il ne serait jamais parvenu à l'introduire dans les croyances religieuses de la masse.

Certes, nous croyons que l'esprit humain a eu l'intuition de l'unité d'origine de notre espèce, mais nous entendons par là quelque [4]chose de supérieur à l'esprit de chacun; c'est l'esprit humain dans son état de spontanéité qui se confond avec celui que les religions appellent Révélation [5] et c'est ainsi que nous nous expliquons que cette croyance inaccessible au monde païen ait existé, nous ne disons pas chez les Juifs considérés comme peuple, à plusieurs égards semblable aux autres, mais dans le Judaïsme. Et non seulement la religion juive professait cette doctrine éminemment universaliste, mais Israël allait jusqu'à l'attribuer généreusement aux païens eux-mêmes. Il en voyait une vague réminiscence dans les récits et les personnages de la mythologie. Saturne pour lui était Adam et les Saturnales étaient un souvenir de son histoire[6]. L'image d'Isis tenant Horus dans ses bras représentait Eve allaitant son enfant, comme Sérapis n'était autre que Joseph adoré par les Egyptiens à cause de ses bienfaits [7]

Quoi qu'il en soit, si l'idée consciente ou non de l'identité de nature et d'origine a existé chez les païens, il est certain qu'ils n'en ont point éprouvé les effets moraux, c'est-à-dire le sentiment d'une fraternité universelle et qu'ils ont même nié par principe que ce sentiment fût possible. « Les qualités humaines, dit Maxime de Tyr, sont d'une façon générale bien inférieures aux perfections divines; elles le sont encore particulièrement au point de vue du caractère de bienveillance universelle qui leur fait défaut et qui est l'apanage de la Divinité. Aucun homme ne peut embrasser dans un sentiment d'amour toute son espèce.» Tel que l'animal qui vit par troupes, l'homme ne s'attache guère qu'à ses concitoyens; encore est-ce merveille, s'il parvient à les aimer tous sans distinction. Aussi Platon fait-il dire à Climas: «Ce que le commun des hommes nomment la paix n'est qu'un vain mot, en réalité tous les Etats sont par la nature même des choses dans une situation de guerre continuelle les uns contre les autres ». [8]Il était réservé au peuple de la Bible de répandre la croyance à l'identité de nature et d'origine du genre humain et avec elle le principe d'universelle fraternité qui en découle.


References

  1. Page 284
  2. Page 285
  3. Page 286
  4. Page 287
  5. V. BENAMOZEH. Teologica dogmatica, p.268 et suiv. L'auteur définit la Révélation , une manifestation anticipée de l'intuition de l'espèce, une révélation de la conscience potentielle à la conscience actuelle, de l'espèce à l'individu.
  6. V. Aboda Zara, Ch. I.
  7. La facilité avec laquelle les Juifs s'abandonnèrent de préférence à l'adoration du bœuf Apis, symbole d'Osiris, provenait peut-être de la conviction où ils étaient qu'ils adoraient un de leurs ancêtres divinisé par les Egyptiens. Aux yeux des Kabbalistes, cette divinité était, chez ces derniers, le symbole historique d'un des Eons ou émanation et précisément la force théocosmique, l'organe de génération universelle.
  8. Page 288