Israël et L'Humanité - Attitude de, Juifs à l'égard des Gentils

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IV.

Attitude des Juifs à l'égard des Gentils.

§ 1.

Quelles sont tout d'abord les règles prescrites aux armées israélites quand elles triomphent des peuples païens? C'est certainement le moment ou jamais de voir de quelle façon se comportent [1]les Juifs à l'égard de la conversion des Gentils et comment ils la comprennent. Tout nous fait supposer qu'il faut chercher dans ces circonstances-là l'expression de leurs véritables sentiments; les rapports habituels de vainqueurs à vaincus, l'exemple d'autres peuples sémites et profondément monothéistes comme les Arabes, qui ont porté partout le Coran au bout de leur épée, leur donnent une importance décisive. Le Deutéronome nous instruit à ce sujet; il règle en effet la destinée des peuples vaincus et la ligne de conduite imposée vis-à-vis d'eux à Israël. Chose étrange! On croirait entendre les instructions d'un législateur de notre Europe moderne, tellement la question religieuse est passée sous silence. Si le peuple vaincu se rend et se déclare tributaire, on le laissera vivre en paix; s'il ne se soumet point et qu'il continue une guerre à outrance, alors, dit le texte: « tu en feras passer tous les mâles au fil de l'épée [2] » quand il s'agit d'autres peuples que des Cananéens, car pour ceux-ci, c'est l'extermination générale, qui est décrétée.

La loi mosaïque, on le voit, ne s'occupe donc nullement de la religion des vaincus; elle n'entend pas régler autre chose que la question politique. comment ce silence doit-il être interprété? Est-ce indifférence, tolérance, ou simplement oubli? Aucune de ces hypothèses ne parait admissible. Celle qui nous fait voir un sentiment de tolérance dans cette attitude est vraie en partie, mais ne saurait être admise d'une manière absolue. Une religion monothéiste et si hautement morale, qui place son point de départ en Adam, père de l'humanité, et qui enseigne une Providence égale pour tous, une pareille religion, disons-nous, mise en présence de cultes païens aussi impies qu'immoraux, n'aurait jamais pu pousser la tolérance jusqu'à sanctionner par la protection accordée aux peuples vaincus les excès révoltants auxquels ils se livraient. Les lois même les plus libérales des nations modernes, malgré le principe fondamental de la liberté des cultes et des consciences, ne pourraient jamais autoriser des pratiques religieuses qui seraient, comme la plupart de ces cultes polythéistes, un impudent défi aux bonnes mœurs, à la sécurité publique, à la justice et à la charité. Si peu préoccupés que soient nos Etats contemporains de la valeur des dogmes religieux, l'ordre public, l'instinct de la conservation, les obligent à imposer des restrictions à la liberté religieuse. N'est-ce pas là une preuve, s'il en était besoin, que la société civile ne pourra jamais [3]se désintéresser complètement de la question religieuse, parce qu'il n'y aura jamais de religion qui n'exerce plus ou moins une influence bonne on mauvaise sur la vie sociale?

Si donc le Pentateuque est muet sur le sujet qui nous occupe, il ne faut pas se hâter d'en conclure, ce qui est inadmissible encore une fois, que le judaïsme n'enseigne rien à cet égard, mais simplement que la Bible, la Loi écrite ne dit rien là-dessus, parce que son rôle consiste presque exclusivement à régler les rapports extérieurs, civils et politiques, des peuples et des individus. Sur tout le reste, c'est la Tradition qui nous renseigne. Nous dirons même que le silence de la Bible, dans une question d'une si grande importance, prouve à lui seul qu'il existe dans le judaïsme une autre source de doctrine que les Ecritures. A cette source, nous n'avons qu'à puiser sur ce point comme sur tous les autres. La Tradition examine en effet le problème de la destinée religieuse réservée aux peuples vaincus. Quelle conduite Israël devra-t-il observer à l'égard de la religion des Gentils, quand, après la victoire, il aura le pouvoir de lui imposer ses volontés? Voilà, nous le répétons, un moment capital de la vie religieuse des Juifs.

Le rabbin Elie Mizrahi,[4] dans son commentaire sur Raschi, fait de cette question un long et minutieux examen. Il tient compte de toutes les données scripturales et rabbiniques et la conclusion à laquelle il aboutit est celle-ci. Il faut, dit il, distinguer entre les peuples cananéens et les autres, entre les guerres obligatoires et celles qui sont facultatives. Dans ces dernières, la soumission est tout ce qu'Israël a le droit d'exiger des vaincus; leur religion fût-elle le plus grossier des polythéismes, il doit la respecter tout idolâtrique qu'elle est, sans les obliger à quoi que ce soit. Quant aux guerres commandées, c'est à dire celles qu'Israël devait faire aux Cananéens, la question religieuse n'y était point négligée il est vrai, les vainqueurs devaient s'en préoccuper et en faire l'objet de stipulations précises, si les vaincus désiraient la paix. Mais combien les conditions imposées alors étaient nobles et tolérantes! Cet Israël si fier de son mosaïsme, ce mosaïsme si pénétré de sa propre grandeur, se contentaient de bien peu, de presque rien, de ce que le peuple le plus civilisé n'hésiterait pas à exiger aujourd'hui d'une peuplade barbare: ils ne demandaient pas autre chose que l'accomplissement de la loi noachide, c'est-à-dire ce minimum de [5] religion et de moralité dont aucune société au monde ne saurait se passer jamais, si elle ne veut pas s'exposer à devenir un foyer de corruption et à périr irrémédiablement. Nous n'avons pas besoin de nous charger de le démontrer. L'auteur dont nous parlons, dans son simple rôle de critique, sans autre but que celui d'arriver à une constatation purement objective des faits, l'a entrepris avant nous et mieux que nous. L'époque et le milieu où il vécut aussi bien que la tournure de son esprit, loin de nous permettre de lui prêter aucune préoccupation philosophique ou humanitaire, nous persuadent au contraire qu'il est resté plus étonné que tout autre des résultats de son étude.

Bornons-nous seulement à constater comment le texte sacré confirme toutes les explications qui précédent. Pourquoi donc cette conduite à l'égard des Cananéens? « C'est, dit Moïse, afin qu'ils ne vous apprennent pas à imiter toutes les abominations qu'ils font pour leurs dieux et que vous ne péchiez point contre l'Eternel, votre Dieu ?[6]». Ces paroles sont claires et l'interprétation qu'en fait Raschi ne l'est pas moins.« On en déduit, nous dit-il, que s'ils font pénitence, on les accueillera». Remarquons que le commentateur parle de pénitence et nullement de conversion au judaïsme; il s'agit seulement pour ces peuples de revenir à la religion qu'ils n'auraient jamais dû abandonner, c'est-à-dire au Noachisme. C'est ce que Nahmanide de son côté déclare expressément.

Voilà donc, à notre avis, la seule manière de concilier d'une part l'indifférence apparente qu'Israël professe à l'égard de la religion des Gentils, et de l'autre, les préoccupations qu'il témoigne dans certains cas à ce sujet; celle-là est simplement relative à l'affiliation au judaïsme, celles-ci au contraire concernent la fidélité des Gentils à l'antique religion de Noé, la seule qui soit obligatoire pour tous ceux qui ne sont pas Israélites. Sans cette distinction nécessaire, qui n'est pas d'ailleurs une pure hypothèse, car elle résulte d'un ensemble de faits tous plus importants les uns que les autres, tout est contradictoire dans les croyances, les lois et l'histoire d'Israël. Aussi Friedenthal s'est-il fait l'écho de tout le judaïsme quand il a dit: «Nous ne pressons pas le Gentil d'entrer dans la société d'Abraham, notre père, mais du moins notre mission sublime, que nous avons héritée de notre premier patriarche, est [7]de convertir les Gentils à la religion du « prosélyte de la porte » qui consiste à abjurer le polythéisme et à observer les sept préceptes de Noé [8] ». Et il s'appuie sur un passage du Talmud qui dit dans les mêmes termes: « On obligera le Gentil à observer les sept commandements de Noé [9] ».


References

  1. Page 464
  2. Deutéronome, XX, 13.
  3. Page 465
  4. Deutér. Sect. Schophetim.
  5. Page 466
  6. Deutéronome, XX, 18 .
  7. Page 467
  8. Yesod addat, 122 4.
  9. Sanhédrin, 57.
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