Israël et L'Humanité - Avant-Propos, D'Émile Touati

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La première édition de cet ouvrage, préparée par Aimé Pallière sur la base de papiers laissés par l'auteur, a paru en 1914 (Ernest Leroux, éditeur) et comportait au total, l'équivalent d'un millier de pages du format du présent volume.

Elle est depuis longtemps épuisée.

Quelque temps avant sa mort, Aimé Pallière lui-même souhaitait que l'on donnât « de ce capital ouvrage une édition abrégée et plus accessible au public ».[1]

L'initiative de la présente édition appartient au docteur Modiano, président du Conseil représentatif des Israélites de France et président de la Commission du Plan d'Action culturelle, grand admirateur de Benamozegh et, en particulier, d'"Israêl et l'humanité", auquel il doit, dit-il, sa véritable initiation au judaïsme. Le docteur Modiano n'a ménagé aucun effort pour faire aboutir cet important projet qui lui tenait à coeur. Il voudra bien accepter que nous lui fassions l'hommage de cette publication.

Nous remercions également M. le rabbin Toaff, de Livourne, qui a eu l'obligeance d'autoriser notre Commission à procéder à cette nouvelle édition.

Conformément au voeu d'Aimé Pallière, dont nous nous plaisons à souligner le rôle décisif dans la propagation de l'oeuvre de Benamozegh, nous nous sommes efforcés de rendre plus accessible son monumental "Israël et l'humanité" tout en restant fidèle à son inspiration, à son style, à ses idées. Nous avons donc éliminé au maximum les répétitions et les digressions, condensé les passages trop prolixes, supprimé les développements de pure érudition ou manifestement vieillis, trop dépendants de certaines thèses de la critique biblique à la fin du 19ième siècle. A l'occasion, nous nous sommes permis aussi de corriger certaines expressions ou certaines tournures maladroites en français, bien que tout à fait excusables chez un écrivain italien qui tenait à écrire dans notre langue. Mais pour l'essentiel, nous avons tenu à respecter scrupuleusement le style, la pensée et la dialectique si personnelles de Benamozegg, tâche d'autant plus délicate qu'il s'agit ici d'une oeuvre inachevée et déjà revue par Pallière. On ne s'étonnera donc pas de voir parfois conservés certains fléchissements dans l'exposé, ou des procédés d'explication assez détournés. De telles imperfections sont inhérentes à une oeuvre qui n'a pas pu être complètement élaborée, à une oeuvre aussi d'une si grande richesse, qui embrasse tant d'idées, synthétise tant de connaissances, et qui, en se développant, tendait à devenir une véritable Somme du judaïsme. Il n'était pas possible, en tout état de cause, de transformer ce "pare anglais en jardin à la française"[2]

Nous avons conservé, dans l'ensemble, le plan établi par Pallière d'après les indications générales laissées par Benamozegh. Cependant, nous avons assez profondément modifié la composition de la troisième partie (La Loi) qui, dans l'édition de 1914, nous a paru confuse, désordonnée, artificiellement construite. En regroupant certains chapitres, en modifiant l'ordre des autres, en supprimant des considérations d'une technicité trop marquée, nous croyons avoir servi au moins le lecteur, et par là l'audience de Benamozegh.

Que l'on nous excuse d'user d'une formule aussi conventionnelle, mais nous sommes vraiment persuadés que ce livre vient aujourd'hui à son heure. Tout d'abord le publie actuel est certainement mieux préparé à le comprendre que celui de 1914, car il est moins fermé, par rationalisme étroit, au langage de la mystique juive, et notamment à cette Kabbale dont la doctrine de Benamozegh était nourrie et dont il fut un interprète si qualifié. D'autre part, l'universalisme religieux, ce que l'on appelle l'oecuménisme, est devenu l'une des grandes préoccupations de notre époque. Enfin, le rétablissement de l'État d'Israël, la restauration du Corps d'Israël, donne plus d'actualité et plus de portée à son message spirituel à l'intention de tous les hommes. L'un des signes de cette évolution peut être trouvé dans une expérience très récente, et qui a fait un certain bruit: l'insta1lation d'un kibboutz à Pardailhan, près de Béziers. Sait-on que les promoteur, chrétiens et juifs réunis, se proclament noachides et disciples de Benamozegh ?

Dernièrement aussi, nous avons eu la surprise de lire ces lignes d'Arnold Toynbee : « Je serais tenté de dire que l'avenir du judaïsme est de convertir le monde. Il est extraordinaire de penser que par deux fois dans l'histoire du monde, les Juifs ont laissé des gens de l'extérieur s'emparer de leur religion et la répandre sur la terre. Je parle du Christianisme et de l'Islam. Il y a une subtile ironie dans le fait que des étrangers se soient emparés de quelques-unes des vérités essentielles du judaïsme et les aient, du point de vue juif, travesties. Cependant, chrétiens el musulmans ont fondé des religions de portée mondiale, tandis que les Juifs ont conservé leur religion pour eux-mêmes. L'avenir du judaïsme et des Juifs n'est-il pas dans la diffusion du judaïsme sous sa forme authentique, dans la diffusion du « judaïsme juif » sur le monde entier, plutôt que de le voir propagé sous ses formes chrétienne el musulmane ? Après tout, les Juifs doivent détenir une forme plus authentique du monothéisme juif que le chrétien et le musulman. N'est-ce pas là pour l'avenir le don des Juifs au monde? Et ne serait-ce pas là l'ultime solution pour le problème des rapports entre les Juifs et le reste du monde? » Et dans le même numéro de la même revue, M F Lovsky, personnalité protestante, déclare que « si le judaïsme, qui fut si 1ontgemps une foi conquérante, ressaisissait quelque chose de son ardeur de prosélytisme d'autrefois, cela éclaircirait les choses entre les Juifs et nous ».

C'est précisément à ces questions que répond "Israël el l'humanité", dont le sous-titre était : « Étude sur le problème de la religion universelle, et sa solution. » Cette réponse, puisée aux sources vives du judaïsme, Benamozegh la trouve dans la distinction, au sein de l'hébraïsme, entre le mosaïsme sacerdotal et le noachisme laïc, et dans la recherche de l'antique Tradition commune à l'Humanité entière.

Tenu en haute estime par des personnalités aussi variées qu'Edmond Fleg, Jacob Gordin, Josué Jéhouda, Léon Askénazi, Robert Aron, Dante Lattès, Paul Vulliaud, etc., Benamozegh reste cependant méconnu. Nous espérons que son oeuvre fondamentale, "Israël et l'humanité", convaincra un large public, de toute confession et de toute obédience, de son importance dans la pensée religieuse en général, et dans le redressement des innombrables préjugés qui règnent encore sur le prétendu particularisme du judaïsme.

Savant et visionnaire, homme de foi et dialecticien vigoureux, alliant une intelligence subtile à une érudition prodigieuse, à une rare sensibilité, à une tolérance exemplaire, ce rabbin orthodoxe et humaniste, que Guglielmo Ferrero n'hésitait pas à qualifier de "génial" se situe réellement dans la grande lignée des Docteurs d'Israël.

ÉMILE TOUATI.

References

  1. Lettre du 12 mai 1946 à Josué Jéhouda, publiée en appendice à la troisième édition de Morale juive et Morale chrétienne de Benamozegh. (A La Baconnière, Neuchâtel, 1946.)
  2. L'Arche, juin 1959.