Difference between revisions of "Israël et L'Humanité - Ce qu'il faut entendre par le titre de Dieu d'Israël"

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Ce qu'il faut entendre par le titre de Dieu d'israél.
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CHAPITRE HUITIÈME
  
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L'IDÉE D'UN DIEU NATIONAL DANS LE JUDAÏSME
  
§ 1.
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Ce qu'il faut entendre par le titre de Dieu d'Israël.
  
De polythéistes qu'ils étaient primitivement, au (lire (le nos adversaires, les Israélites se seraient acheminés, d'après eux, vers 1, par mo,,oth6is,,, on s'élevant tout d'abord à la conception d'oit Die, particulier, Protecteur spécial de la nation juive, à la (Iifë. ,sales des autres divinités qui présidaient aux destinées des peu­ples étrangers. C'ont été leur première étape vers la notion d'un Dieu unique.
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§ 1.
 
 
Nous verrons comment cette théorie tics dieux lûcau~ et na­tioantx, qui n'est nullement, comme on le pense, une forme tic l'évolution de Pidêe polythéiste, se concilie au contraire avec le monothéisme, dans lequel elle trouve on sérieux fondement. Mais en la prenant dans le sens le plus hostile à Pidée d'un seul ])leu, ]tous ne pouvons négliger certaines considérations qui nous Pa~ missent déjà la rapprocher notablement de notre interprétation.
 
 
 
On ne murait nier tout. d'abord, comme nous croyons l'avoir prêv,êdemment démontré, que des textes fort nombreux et aussi explicites que possible ne donnent au Dieu d'Israël le caractère le plus universel qu'on puisse imaginer; il s'agit donc avant tout (le concilier ces passages avec ceux oit l'on Prétend trouver la notion d'un Dieu exclusivement juif. Dire que ceux‑ci sont les Plus anciens et que la dootrine qui résulte des autres textes est
 
 
 
 
 
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d'une date bien postérieure, c'est s'obliger à prouve, 1, valeur de l'affirmation par un travail critique que nul ne sera jamais eu état de. faire, car les deux 'Onceptions que l'on OPPOSA l'une à l'autre sont exprimées simultanément dans les divers documents bibliques de tout age et de toute provenance. On nous objecte àcet égard que les textes se trouvent, ainsi mélangés, il n'y a atieurs raison de s'attacher aux mis plutôt qu'aux autres, sinon celle de répondre aux exigences Pon, certaine apologétique religieuse. Mais l'observation que amis avons faite à propos do polythéisme mi général a certainonumi, ici An valeur: lorsque l'Asp,it S'élève dans Vidés qu'il se forme d'mi objet à une certaine, hauteur, c'est de ce degré supérieur que l'on doit tenir compte, 1, resté pouvant être raisonnablement attribué aux oseillatiom; inévitaldes de la pensée humaine qui, dans sa marche ascensionnelle, revoie parfois
 
 
 
 
 
 
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L'adoration de divinités locales et nationales, dans la conoeption israélite, aboutirait‑,lle d'ailleurs au polythéisme proprement ditl Nous ne le pensons pas, car si la doctrine authentique du judaïsme avait été véritablement que chaque peuple doit adorer son Dic, ut point d'autres, il s'ensuivrait que 1, principe aurait reçu sa première application dans le j adaism, et que les Israélites auraient été ainsi nonnolâtres et net, pas polythéistes. Aussi bien est‑ce là la forme d'accusation communément admise aujourd'hui chez nos adversaires. Mais le caractère de Dieu 'national est, hâtons‑nous de le dire, absolument inconcevable pour le Dieu d'Israél. Assu­rément, d'après les idées juives, IA Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob existait avant Jacob, Isaac et Abraham. De qui était‑il done alors le Dieu? Col,! que les Emitures nomment le Créateur do ciel et de la terre n'aurait pendant une si langue période, Agité sur aucun peuple, taudis que d'autres divinités avaient sotte leur domination de vastes et puissants soupires? Nlublionsjar,ais qu'au point de vue du mosaisme, avant qu'Is,mll existât, il y avait l'bu­inanité et que deux mille ans s'étaient déjà écoulée depuis la création de l'homme avant la vocation d'Abraham. On ne contestera oer­tainemant pas que jusqu'il la révélation sinaïtique ou au moins jusqu'à l'époque d'Abraham, le Dieu dont Moise se fait l'apôtre était le Dieu de tous les hommes. Comment peut‑on imaginer cette subite transformation d'ai, Dis, universel en ou Dieu exclusive­ment national? Un peu de réflexion permet d'éviter cette mépris, si fréquente de prendre le Dieu adoré par Isralil seul Pâtir le Dieu
 
 
 
 
 
 
 
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du seul Israël. Le fait q,'laraël ait été pendant plus ou moins longtemps seul à l'adorer ne loi enlève rien de son caractûre uni­versel et quelle preuve plus indéniable d'universalisme peut‑on souhaiter à ma, religion que d'ado,~ pour son propre Dieu celui qu'elle proclamé être le Dieu du genre humain tout entier! 'fanais que les autres nations se faisaient an point d'honneur de garder jalousement chacune son dieu particulier, de n'avoir rien de commun avec le, autres peuples et même d'opposer en lattes incessantes ces petit a dieux les uns aux autres, Israël Wobstinait à ne, vouloir reconnaître d'autre Dieu que celui à qui, dans sa pensée, tous les hommes devaient se convertir finalement. Il prouvait ainsi que seul il avait alors l'intuition d'dos humanité une par l'origine, par la nature comme par les destinées. C'est en ce sens qu'il faut entendre la parole des rabbins qui de la sorte se j malle pleinement: « C'est vous, Israélites, qui êtes des hommes, los paiens ne méritent pas ce nom ~ (I).
 
 
 
Vent‑on connaître un texte qui met en opposition aussi évi­dente que possible la conception universaliste des Juifs et l'idée que se faisaient les paiens des dieux locaux et nationaux? Les serviteurs du roi de Syrie, après 1, défaite qu'Israël a fait éprouver à, leur malles, disent à ce dernier ci, parlant du Dieu des vain­,lueurs: « Leur dieu est un die, de montagnes; c'est pourquoi ils ont été plus forts que cas. Mais combattons‑les dans la plaine, et Pou verra si nows tic serons pu pins forts qu'eux ~. Et le pro­phète, conseiller du roi d'Israël, en rapportant à üelm~cî les propos (les Syriens, lui dit: « Ainsi parle Avaya: Parce que les Syriens ont dit: Avaya est un dieu des montagnes et non au dieu des vallées, je livrerai toute cette grande multitude entre tes mains, et vous saurez que je sais Avaya > (l).
 
 
 
 
 
 
Mais, nous objecte‑t‑on, l'épithète de Die, d'Israël elle‑même que l'on rencontre à chaque pas dans la Bible D'est‑elle pas une preuve de l'esprit particulariste des Juifst Nous avons déjà dit que, d'après le sens le plus simple et le plus naturel, elle désigne le Dieu «Israël adore. Même après l'élection d'Israël nous ren‑
 
 
 
 
 
 
V. Pl~" lulh.k.
 
 
 
Roil, xl,, 23, x4, 28.
 
 
 
 
 
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controns souvent ce titre de Dieu d'Abraham, d'lm" et de Jarub; est,ce à dire qu'il s'agisse la d'un Dieu différent de celui d'Israël? N'est‑ce pas plutôt là le Dieu dont Abraham, Imac et Jacob lui ont transmis la connaissance et pourquoi ne moirmits‑nous pas que de même qu'Israël a hérité, de cette foi des patriarches, il doit, par vocation spéciale, la transmettre aux autres peuples, ainsi que cela s'est vérilié à toutes les êpoques de son histoire, et quelle ampleur eela ne donne‑t‑il pas alors à, ce nom que l'on nous re­proche?
 
 
 
Quand on parlait, dans l'antiquité, du Dieu de tel ou tel in­dividu, on entendait par la en donner une idée sommaire qui fini lieu de dêfinition; c rit voulait dire simplement: Dieu tel que le concevait le personnage en question. De là cette explication si fort en faveur chez les Kabbalistes que chaque fois qu'il est parlé dans la Bible du Dieu de quelqu'un, il s'agit de Pou des attributs ou côtés de la Divinitë et que ces différents aspects réunis consti­tuent la Merkaba ('), ce qui signifie en langage philosophique. que la notion complété de Die, est la résultante de toutes les idées que se sont formées de Lui ces saints personnages ou qu'ils ont plus pleinement réalisées dans leur vie. De la aussi cette belle théorie de la Kabbale qui fait de l'union et de la concorde de& esprits ici‑bau le moyen de réaliser la descente et l'établissement de la Divinité sur la terre.
 
 
 
Les païens eux‑mêmes, quand ils mentionnent le Dieu d'Israël, avant comme aprialeur conversion, l'appellent parfois comme Bu. Iman « Avaya, mon Dieu », et nous ne pensons pas que l'on ait jamais songé à tirer de la les mêmes conséquences partieularistes. D'autre part, si le Dieu d'Israàl porte certains titres d'où l'on a pu déduire des conséquences semblables, il en à également d'autres dont 1, signification est incontestablement universelle. Quel nom plus expressif à cet égard que celui de Dieu du ciel et de la terre, de Dieu de toute chair, à qui rien n'est impossible, à qui rien n'est cachet
 
 
 
A propos de ce titre de Dieu d'Israël, la Mechilta, livre rab­binique plus ancien que le Talmud, contient un curieux passage qui donne la mesure du sentiment universaliste chez les Docteurs de la Synagogue. Dans In section du Pentateuque Ki Tissa nous
 
 
 
 
 
 
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L'MÊE D'UN MZU 1sATION~                                                  227
 
 
 
lisons: « Trois fois par an, tons les mâles se présenteront devant la face du Seigneur, d'Avaya, le Dieu dIsraël (~). « Pourquoi, demandent les rabbins, est‑il dit~ devant la face du Seigneur, d'Avaya, le Dieu d'Israël, puiRque l'on trouve ailleurs: à la face d'Avayas tout court? C'est que le nom de Dieua été nid à Israël plus partialièrement. De même il sel êmit~ Recule Israël, Avaya notre Dieu, Avaya est nul pourquoi celui Parce que c'est nous qui devons plus spécialement confesser son unitê. Ailleurs il est dit: Ainsi parle Avaya le Dieu d'Imaël; pourquoi encore? N'est‑il pas appelé aussi le Dieu de toute chair? pourquoi donc lisons‑nous Dieu d'Israèll Encore me fois, c'est Parce que Dieu a uni davau­tage son nom a Israël. Pareillement il est écrit: ~ brume, mon peuple! et je parlerai; Israël! et je tavertirai. Dieu, ton Dieu, c'est moi'(2) >. ~ Dieu, cela veut dire Dieu de tous ceux qui Vien­nent en ce monde et nonobstant je n'ai uni mon nom qu'a Israël seulement ». Il n'est pas besoin de signaler l'importance de ce passage. La Meehilta relëve dans les divers textes bibliques l'idée particadaviste et FWc universaliste: elle les oppose et les concilie, exception faite pour le second des passages cités à propos duquel il n'est pas dit que Dieu unit davantage son nom à Israël, mais bien qu'Israël est attaché pins intimement à Dieu en raison du devoir spécial qui lui est imposé de confesser son unité, en sorte que le sens est plus universaliste au moment même où l'on S'y attend le moins. Remarquons au sujet de ce même verset qu'on ce qui eoncerne la question du Dieu national, la Mechilta aurait pu, sacs s'éloigner de Pintmprêtation littérale, trouver dans les mots: Avaya notre Dieu. la monolâtrie, la acide ferme d'unité de Dieu que certains critiques accordent au judaîsme antique, et dans les mots qui suivent: Avaya est un, l'idée complémentaire du mo­nothéisme, Israël déclarent que non seulement il n'adore que Lui seul, mais que son Dieu est FEtre unique, le Seul Eternel, ou, pour mieux dire, Faune par excellence, parcs qu'ët~t Lui‑même absolument un, il relie en un faisceau unique P indéfinis Pluralité des choses existantes.
 
 
 
Mais voici un autre exemple non moins frappant de rappro­ehement entre l'idée p~ticulari8te et Pidée universaliste dans l'hé­braîsme. D'une part, nous lisons dans la Bible que les cieux sont
 
 
 
 
 
 
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De polythéistes qu'ils étaient primitivement, au dire de nos adversaires, les Israélites se seraient acheminés, d'après eux, vers le pur monothéisme en s'élevant tout d'abord à la conception d'un Dieu particulier, protecteur spécial de la nation juive, à la différence des autres divinités qui présidaient aux destinées des peuples étrangers. C'eût été leur première étape vers la notion d'un Dieu unique.
  
16 trône de Dieu et la terre Puscabeml de ses pieds, bien plus, quo les cieux et les cieux des cieux l'O suffisent pas à le contenir, que la terre est pleine de sa gloire, et d'autre part,~«u seulement qu'il réside en Sion, mais qu'il habile le temple de Jérusalem et môme plus particulièrement encore le Saint des Saint$, que dis‑je? ce minuscule espace compris entre les deux ohêrubinsi d'où Pap­pellation biblique. de Dieu < qui trône sur les ch6rabina ~. Peut­âtre cette double conception répond‑elle aux idées modernes d'iln­marcence et de, tran8cenda~iee. Quoi qu'il en soit de cette contra­diction outre les deux idées, ne noue apparaissent‑elles pas comme les deux pôles, positif et négatif, qui maintiennent un' courant perpétuel de vie> de lumière et de chaleur dans toutes les parties de Phébraïsmeî
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Nous verrons comment cette théorie des dieux locaux et nationaux, qui n'est nullement, comme on le pense, une forme de l'évolution de l'idée polythéiste, se concilie au contraire avec le monothéisme, dans lequel elle trouve un sérieux fondement. Mais en la prenant dans le sens le plus hostile à l'idée d'un seul Dieu, nous ne pouvons négliger certaines considérations qui nous paraissent déjà la rapprocher notablement de notre interprétation.
  
C'est où qui n'a pas échappe d'ailleurs âla critique moderne:
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On ne saurait nier tout d'abord, comme nous croyons l'avoir précédemment démontré, que des textes fort nombreux et aussi explicites que possible ne donnent au Dieu d'Israël le caractère le plus universel qu'on puisse imaginer; il s'agit donc avant tout de concilier ces passages avec ceux l'on prétend trouver la notion d'un Dieu exclusivement juif. Dire que ceux-ci sont les plus anciens et que la doctrine qui résulte des autres textes est <ref> Page 223 </ref>d'une date bien postérieure, c'est s'obliger à prouver la valeur de l'affirmation par un travail critique que nul ne sera jamais en état de faire, car les deux conceptions que l'on opposa l'une à l'autre sont exprimées simultanément dans les divers documents bibliques de tout âge et de toute provenance. On nous objecte à cet égard que les textes se trouvant ainsi mélangés, il n'y a aucune raison de s'attacher aux uns plutôt qu'aux autres, sinon celle de répondre aux exigences d'une certaine apologétique religieuse. Mais l'observation que nous avons faite à propos du polythéisme en général a certainement ici une valeur: lorsque l'esprit s'élève dans l'idée qu'il se forme d'un objet à une certaine hauteur, c'est de ce degré supérieur que l'on doit tenir compte, le reste pouvant être raisonnablement attribué aux oscillations inévitables de la pensée humaine qui, dans sa marche ascensionnelle, recule parfois pour ensuite avancer encore.
  
(Je qui distingue également la foi israélite, c'est que ce Dieu sublime, qui embrasse le monde dans sa toute‑puissance et domirW pu an force sur les étoiles, se trouve uni à eux dans une étroite relation, il est le Dieu de leur race, le Dieu protecteur qui s'est manifesté à leurs pères et aux prophétes, qui est présent et agit au milieu d'sont. Ce lien entre le Pl" général et le plus particulier est tout à fait unique (') ». Nous verrons de quelle nature est ce lien, lorsqu'il s'agira du rôle d'Israël dans le concert des nations; nous voulons parler de son sacerdoce dont l'bloc harmonise si par­faitement les deuE, notions juives de foi nationale et de foi uniT verselle. Mais sans anticiper an, les développements que cette idée comporte, rappelons seulement qu'il y a dans Isaïe un verset où les deux caractères sont, non pas j uxtaj)osês, mais combinés comme les deux faces d'une conception unique: ~ Ton rédempteur, le Saint d'Israël, sua appelé le Dieu de toute la terre C) >. Et nous mon~ trerons quand il s'agira de traiter la question du sacerdoce juif que ces deux parties sont en rapport de cause à ûff8t~
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L'adoration de divinités locales et nationales, dans la conception israélite, aboutirait-elle d'ailleurs au polythéisme proprement dit? Nous ne le pensons pas, car si la doctrine authentique du judaïsme avait été véritablement que chaque peuple doit adorer son Dieu et point d'autres, il s'ensuivrait que le principe aurait reçu sa première application dans le judaïsme, et que les Israélites auraient été ainsi monolâtres et non pas polythéistes. Aussi bien est-ce là la forme d'accusation communément admise aujourd'hui chez nos adversaires. Mais le caractère de Dieu national est, hâtons-nous de le dire, absolument inconcevable pour le Dieu d'Israël. Assurément, d'après les idées juives, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob existait avant Jacob, Isaac et Abraham. De qui était-il donc alors le Dieu? Celui que les Ecritures nomment le Créateur du ciel et de la terre n'aurait pendant une si longue période, régné sur aucun peuple, tandis que d'autres divinités avaient sous leur domination de vastes et puissants empires? N'oublions jamais qu'au point de vue du mosaïsme , avant qu'Israël existât, il y avait l'humanité et que deux mille ans s'étaient déjà écoulés depuis la création de l'homme avant la vocation d'Abraham. On ne contestera certainement pas que jusqu'à la révélation sinaïtique ou au moins jusqu'à l'époque d'Abraham, le Dieu dont Moïse se fait l'apôtre était le Dieu de tous les hommes. Comment peut-on imaginer cette subite transformation d'un Dieu universel en un Dieu exclusivement national? Un peu de réflexion permet d'éviter cette méprise si fréquente de prendre le Dieu adoré par Israël seul pour le Dieu <ref> Page 224 </ref>du seul Israël. Le fait qu'Israël ait été pendant plus ou moins longtemps seul à l'adorer ne lui enlève rien de son caractère universel et quelle preuve plus indéniable d'universalisme peut-on souhaiter à une religion que d'adorer, pour son propre Dieu celui qu'elle proclame être le Dieu du genre humain tout entier! Tandis que les autres nations se faisaient un point d'honneur de garder jalousement chacune son dieu particulier, de n'avoir rien de commun avec les autres peuples et même d'opposer en luttes incessantes ces petits dieux les uns aux autres, Israël s'obstinait à ne vouloir reconnaître d'autre Dieu que celui à qui, dans sa pensée, tous les hommes devaient se convertir finalement. Il prouvait ainsi que seul il avait alors l'intuition d'une humanité une par l'origine, par la nature comme par les destinées. C'est en ce sens qu'il faut entendre la parole des rabbins qui de la sorte se justifie pleinement: « C'est vous, Israélites, qui êtes des hommes, les païens ne méritent pas ce nom ». <ref> V. Pahad Itshak. </ref>
  
L'idée cet la même ici que dans ces paroles de Mâles: « Vous serez pour moi un trésor entre tous les peuples (% car toute la terre m'appartient. Et vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres et uns nation sainte (~) ». Ce dernier passage a une bu. portance cspitalo~ car non seulement il nous fait entrevoir dans
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Veut-on connaître un texte qui met en opposition aussi évidente que possible la conception universaliste des Juifs et l'idée que se faisaient les païens des dieux locaux et nationaux? Les serviteurs du roi de Syrie, après la défaite qu'Israël a fait éprouver à leur maître, disent à ce dernier en parlant du Dieu des vainqueurs: « Leur dieu est un dieu de montagnes; c'est pourquoi ils ont été plus forts que nous. Mais combattons les dans la plaine, et l'on verra si nous ne serons pas plus forts qu'eux ». Et le prophète, conseiller du roi d'Israël, en rapportant à celui-ci les propos des Syriens, lui dit: « Ainsi parle Avaya: Parce que les Syriens ont dit: Avaya est un dieu des montagnes et non un dieu des vallées, je livrerai toute cette grande multitude entre tes mains, et vous saurez que je sais Avaya » <ref> I Rois, XX, 23, 24, 28. </ref>
  
DE Wrrr., Lec,. «r or                      P. 28.
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Mais, nous objecte-t-on, l'épithète de Dieu d'Israël elle-même que l'on rencontre à chaque pas dans la Bible n'est-elle pas une preuve de l'esprit particulariste des Juifs? Nous avons déjà dit que, d'après le sens le plus simple et le plus naturel, elle désigne le Dieu qu'Israël adore. Même après l'élection d'Israël nous rencontrons <ref> Page 225 </ref>souvent ce titre de Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; est-ce à dire qu'il s'agisse là d'un Dieu différent de celui d'Israël? N'est-ce pas plutôt là le Dieu dont Abraham, Isaac et Jacob lui ont transmis la connaissance et pourquoi ne croirions-nous pas que de même qu'Israël a hérité, de cette foi des patriarches, il doit, par vocation spéciale, la transmettre aux autres peuples, ainsi que cela s'est vérifié à toutes les époques de son histoire, et quelle ampleur cela ne donne-t-il pas alors à ce nom que l'on nous reproche?
  
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Quand on parlait, dans l'antiquité, du Dieu de tel ou tel individu, on entendait par là en donner une idée sommaire qui tînt lieu de définition; cela voulait dire simplement: Dieu tel que le concevait le personnage en question. De là cette explication si fort en faveur chez les Kabbalistes que chaque fois qu'il est parlé dans la Bible du Dieu de quelqu'un, il s'agit de l'un des attributs ou côtés de la Divinité et que ces différents aspects réunis constituent la <i>Merkaba</i> <ref>מרכבה «le char », les Kabbalistes désignent sous ce nom la connaissance transcendantale de Dieu </ref>ce qui signifie en langage philosophique que la notion complète de Dieu, est la résultante de toutes les idées que se sont formées de Lui ces saints personnages ou qu'ils ont plus pleinement réalisées dans leur vie. De là aussi cette belle théorie de la Kabbale qui fait de l'union et de la concorde des l'esprits ici-bas le moyen de réaliser la descente et l'établissement de la Divinité sur la terre.
  
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Les païens eux-mêmes , quand ils mentionnent le Dieu d'Israël, avant comme après leur conversion, l'appellent parfois comme Balaam « Avaya, mon Dieu », et nous ne pensons pas que l'on ait jamais songé à tirer de là les mêmes conséquences particulières. D'autre part, si le Dieu d'Israël porte certains titres d'où l'on a pu déduire des conséquences semblables, il en a également d'autres dont la signification est incontestablement universelle. Quel nom plus expressif à cet égard que celui de Dieu du ciel et de la terre, de Dieu de toute chair, à qui rien n'est impossible, à qui rien n'est caché?
  
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A propos de ce titre de Dieu d'Israël, la Mechilta, livre rabbinique plus ancien que le Talmud, contient un curieux passage qui donne la mesure du sentiment universaliste chez les Docteurs de la Synagogue. Dans la section du Pentateuque <i>Ki Tissa</i> nous<ref> Page 22é </ref>lisons: « Trois fois par an, tous les mâles se présenteront devant la face du Seigneur, d'Avaya, le Dieu d'Israël <ref> Exode, XXXIV, 23. </ref>. « Pourquoi, demandent les rabbins, est-il dit: devant la face du Seigneur, d'Avaya, le Dieu d'Israël, puisque l'on trouve ailleurs: à la face d'Avaya, tout court? C'est que le nom de Dieu a été uni à Israël plus particulièrement. De même il est écrit: Ecoute Israël, Avaya notre Dieu, Avaya est un; pourquoi cela? Parce que c'est nous qui devons plus spécialement confesser son unité. Ailleurs il est dit: Ainsi parle Avaya le Dieu d'Israël; pourquoi encore? N'est-il pas appelé aussi le Dieu de toute chair? pourquoi donc lisons-nous Dieu d'Israël? Encore une fois, c'est parce que Dieu a uni davantage son nom à Israël. Pareillement il est écrit: « Ecoute, mon peuple! et je parlerai; Israël! et je t'avertirai. Dieu, ton Dieu, c'est moi <ref> Psaume L, 7. </ref>. » Dieu, cela veut dire Dieu de tous ceux qui viennent en ce monde et nonobstant je n'ai uni mon nom qu'à Israël seulement ». Il n'est pas besoin de signaler l'importance de ce passage. La Mechilta relève dans les divers textes bibliques l'idée particulariste et l'idée universaliste: elle les oppose et les concilie, exception faite pour le second des passages cités à propos duquel il n'est pas dit que Dieu unit davantage son nom à Israël, mais bien qu'Israël est attaché plus intimement à Dieu en raison du devoir spécial qui lui est imposé de confesser son unité, en sorte que le sens est plus universaliste au moment même où l'on s'y attend le moins. Remarquons au sujet de ce même verset qu'en ce qui concerne la question du Dieu national, la Mechilta aurait pu, sans s'éloigner de l'interprétation littérale, trouver dans les mots: Avaya notre Dieu. la monolâtrie, la seule forme d'unité de Dieu que certains critiques accordent au judaïsme antique, et dans les mots qui suivent: Avaya est un, l'idée complémentaire du monothéisme, Israël déclarant que non seulement il n'adore que Lui seul, mais que son Dieu est l'Etre unique, le Seul Eternel, ou, pour mieux dire, l'unité par excellence, parce qu'étant Lui-même absolument un, il relie en un faisceau unique l'indéfinie pluralité des choses existantes.
  
L'IDÉB D'UN DIEU N~rIONAL                                      2219
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Mais voici un autre exemple non moins frappant de rapprochement entre l'idée particulariste et l'idée universaliste dans l'hébraïsme. D'une part, nous lisons dans la Bible que les cieux sont <ref> Page 227 </ref>le trône de Dieu et la terre l'escabeau de ses pieds, bien plus, que les cieux et les cieux des cieux ne suffisent pas à le contenir, que la terre est pleine de sa gloire, et d'autre part, non seulement qu'il réside en Sion, mais qu'il habite le temple de Jérusalem et même plus particulièrement encore le Saint des Saints, que dis-je? ce minuscule espace compris entre les deux chérubins d'où l'appellation biblique de Dieu « qui trône sur les chérubins ». Peut-être cette double conception répond-elle aux idées modernes d'immanence et de transcendance. Quoi qu'il en soit de cette contradiction entre les deux idées, ne nous apparaissent-elles pas comme les deux pôles, positif et négatif, qui maintiennent un courant perpétuel de vie, de lumière et de chaleur dans toutes les parties de L'hébraïsme?
  
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C'est ce qui n'a pas échappé d'ailleurs à la critique moderne:
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« Ce qui distingue également la foi israélite, c'est que ce Dieu sublime, qui embrasse le monde dans sa toute puissance et domine par sa force sur les étoiles, se trouve uni à eux dans une étroite relation, il est le Dieu de leur race, le Dieu protecteur qui s'est manifesté à leurs pères et aux prophètes, qui est présent et agit au milieu d'eux. Ce lien entre le plus général et le plus particulier est tout à fait unique <ref> DE WETTLE, <i> Leçons sur le Christianisme</i>, p. 28 </ref> ». Nous verrons de quelle nature est ce lien, lorsqu'il s'agira du rôle d'Israël dans le concert des nations; nous voulons parler de son sacerdoce dont l'idée harmonise si parfaitement les deux notions juives de foi nationale et de foi universelle. Mais sans anticiper sur les développements que cette idée comporte, rappelons seulement qu'il y a dans Isaïe un verset où les deux caractères sont, non pas juxtaposés, mais combinés comme les deux faces d'une conception unique: « Ton rédempteur, le Saint d'Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre <ref> Isaïe, LIV, 5. </ref>». Et nous montrerons quand il s'agira de traiter la question du sacerdoce juif que ces deux parties sont en rapport de cause à effet.
  
le sacerdoce d'Israël le lien que cherchent les critiques entre le particularisme At l'universalisme, mais il affirme en même temps, et de la faCon la plus Catégorique, les deux choses: « Vous serez pont moi un trésor >; voila le langage du Dieu national. « Vous serez pont moi un royaume de ~ prêtres »; voila le Dieu universel, Ca, 1, prêtre n'étant consacré que pour le talque, le sacerdoce juif suppose une hu~nitê au service de laquelle il est providentielle­ment placé. Il font observer aussi que la conception d'or, Dieu universel se retrouve même dans les paroles qui éveillent précise­ment l'idée particadariste: ~ Vous ser ' ez pour moi un trésor entre tous les peuplée, or toute la terre M'appartient ~. Ajoutons salin que Pétection d'Israël est présentée comme nue récompense: ~ Si vous écoutez ma voix et si vous gardez mon alliance, vous serez pour moi un trésor entre tous les peuples . Ce ne pont être là, 1, langage d'ur, Dieu simplement national, d'un Dieu n'existant exclusivement que pour son peuple, Comme son peuple West fait exclusivement que pour lui. Avaya n'aurait‑il donc été le Dieu de personne, ai Israël n'avait pas rempli les conditions imposêesl Mais un Dieu qui peut choisir à son gré son peuple d'élection est cri­domment' le souverain maître de tous et bien loin de se trouver national par essence, il est éminemment uuivoesol, puisqu'il dispose (lu monde entier.
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Il en résulte que lu momisme, outre sa propre fin en ce qui concerne leraël, est destiné à remplir nu rôle s'adressant à tout le genre humain. il vit (Pune double vie, individuelle et sociale, et Israël appelle Avaya , son Dieu », parce qu'il adore en lui le Dieu qu'il est appelé à faire eorinaitre à tous les hommes.
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Il en résulte que le mosaïsme, outre sa propre fin en ce qui concerne Israël, est destiné à remplir un rôle s'adressant à tout le genre humain. il vit d'une double vie, individuelle et sociale, et Israël appelle Avaya « son Dieu », parce qu'il adore en lui le Dieu qu'il est appelé à faire connaître à tous les hommes.
  
 
   
 
   

Latest revision as of 15:12, 17 September 2010

CHAPITRE HUITIÈME

L'IDÉE D'UN DIEU NATIONAL DANS LE JUDAÏSME

1.

Ce qu'il faut entendre par le titre de Dieu d'Israël.

§ 1.

De polythéistes qu'ils étaient primitivement, au dire de nos adversaires, les Israélites se seraient acheminés, d'après eux, vers le pur monothéisme en s'élevant tout d'abord à la conception d'un Dieu particulier, protecteur spécial de la nation juive, à la différence des autres divinités qui présidaient aux destinées des peuples étrangers. C'eût été leur première étape vers la notion d'un Dieu unique.

Nous verrons comment cette théorie des dieux locaux et nationaux, qui n'est nullement, comme on le pense, une forme de l'évolution de l'idée polythéiste, se concilie au contraire avec le monothéisme, dans lequel elle trouve un sérieux fondement. Mais en la prenant dans le sens le plus hostile à l'idée d'un seul Dieu, nous ne pouvons négliger certaines considérations qui nous paraissent déjà la rapprocher notablement de notre interprétation.

On ne saurait nier tout d'abord, comme nous croyons l'avoir précédemment démontré, que des textes fort nombreux et aussi explicites que possible ne donnent au Dieu d'Israël le caractère le plus universel qu'on puisse imaginer; il s'agit donc avant tout de concilier ces passages avec ceux où l'on prétend trouver la notion d'un Dieu exclusivement juif. Dire que ceux-ci sont les plus anciens et que la doctrine qui résulte des autres textes est [1]d'une date bien postérieure, c'est s'obliger à prouver la valeur de l'affirmation par un travail critique que nul ne sera jamais en état de faire, car les deux conceptions que l'on opposa l'une à l'autre sont exprimées simultanément dans les divers documents bibliques de tout âge et de toute provenance. On nous objecte à cet égard que les textes se trouvant ainsi mélangés, il n'y a aucune raison de s'attacher aux uns plutôt qu'aux autres, sinon celle de répondre aux exigences d'une certaine apologétique religieuse. Mais l'observation que nous avons faite à propos du polythéisme en général a certainement ici une valeur: lorsque l'esprit s'élève dans l'idée qu'il se forme d'un objet à une certaine hauteur, c'est de ce degré supérieur que l'on doit tenir compte, le reste pouvant être raisonnablement attribué aux oscillations inévitables de la pensée humaine qui, dans sa marche ascensionnelle, recule parfois pour ensuite avancer encore.

L'adoration de divinités locales et nationales, dans la conception israélite, aboutirait-elle d'ailleurs au polythéisme proprement dit? Nous ne le pensons pas, car si la doctrine authentique du judaïsme avait été véritablement que chaque peuple doit adorer son Dieu et point d'autres, il s'ensuivrait que le principe aurait reçu sa première application dans le judaïsme, et que les Israélites auraient été ainsi monolâtres et non pas polythéistes. Aussi bien est-ce là la forme d'accusation communément admise aujourd'hui chez nos adversaires. Mais le caractère de Dieu national est, hâtons-nous de le dire, absolument inconcevable pour le Dieu d'Israël. Assurément, d'après les idées juives, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob existait avant Jacob, Isaac et Abraham. De qui était-il donc alors le Dieu? Celui que les Ecritures nomment le Créateur du ciel et de la terre n'aurait pendant une si longue période, régné sur aucun peuple, tandis que d'autres divinités avaient sous leur domination de vastes et puissants empires? N'oublions jamais qu'au point de vue du mosaïsme , avant qu'Israël existât, il y avait l'humanité et que deux mille ans s'étaient déjà écoulés depuis la création de l'homme avant la vocation d'Abraham. On ne contestera certainement pas que jusqu'à la révélation sinaïtique ou au moins jusqu'à l'époque d'Abraham, le Dieu dont Moïse se fait l'apôtre était le Dieu de tous les hommes. Comment peut-on imaginer cette subite transformation d'un Dieu universel en un Dieu exclusivement national? Un peu de réflexion permet d'éviter cette méprise si fréquente de prendre le Dieu adoré par Israël seul pour le Dieu [2]du seul Israël. Le fait qu'Israël ait été pendant plus ou moins longtemps seul à l'adorer ne lui enlève rien de son caractère universel et quelle preuve plus indéniable d'universalisme peut-on souhaiter à une religion que d'adorer, pour son propre Dieu celui qu'elle proclame être le Dieu du genre humain tout entier! Tandis que les autres nations se faisaient un point d'honneur de garder jalousement chacune son dieu particulier, de n'avoir rien de commun avec les autres peuples et même d'opposer en luttes incessantes ces petits dieux les uns aux autres, Israël s'obstinait à ne vouloir reconnaître d'autre Dieu que celui à qui, dans sa pensée, tous les hommes devaient se convertir finalement. Il prouvait ainsi que seul il avait alors l'intuition d'une humanité une par l'origine, par la nature comme par les destinées. C'est en ce sens qu'il faut entendre la parole des rabbins qui de la sorte se justifie pleinement: « C'est vous, Israélites, qui êtes des hommes, les païens ne méritent pas ce nom ». [3]

Veut-on connaître un texte qui met en opposition aussi évidente que possible la conception universaliste des Juifs et l'idée que se faisaient les païens des dieux locaux et nationaux? Les serviteurs du roi de Syrie, après la défaite qu'Israël a fait éprouver à leur maître, disent à ce dernier en parlant du Dieu des vainqueurs: « Leur dieu est un dieu de montagnes; c'est pourquoi ils ont été plus forts que nous. Mais combattons les dans la plaine, et l'on verra si nous ne serons pas plus forts qu'eux ». Et le prophète, conseiller du roi d'Israël, en rapportant à celui-ci les propos des Syriens, lui dit: « Ainsi parle Avaya: Parce que les Syriens ont dit: Avaya est un dieu des montagnes et non un dieu des vallées, je livrerai toute cette grande multitude entre tes mains, et vous saurez que je sais Avaya » [4]

Mais, nous objecte-t-on, l'épithète de Dieu d'Israël elle-même que l'on rencontre à chaque pas dans la Bible n'est-elle pas une preuve de l'esprit particulariste des Juifs? Nous avons déjà dit que, d'après le sens le plus simple et le plus naturel, elle désigne le Dieu qu'Israël adore. Même après l'élection d'Israël nous rencontrons [5]souvent ce titre de Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; est-ce à dire qu'il s'agisse là d'un Dieu différent de celui d'Israël? N'est-ce pas plutôt là le Dieu dont Abraham, Isaac et Jacob lui ont transmis la connaissance et pourquoi ne croirions-nous pas que de même qu'Israël a hérité, de cette foi des patriarches, il doit, par vocation spéciale, la transmettre aux autres peuples, ainsi que cela s'est vérifié à toutes les époques de son histoire, et quelle ampleur cela ne donne-t-il pas alors à ce nom que l'on nous reproche?

Quand on parlait, dans l'antiquité, du Dieu de tel ou tel individu, on entendait par là en donner une idée sommaire qui tînt lieu de définition; cela voulait dire simplement: Dieu tel que le concevait le personnage en question. De là cette explication si fort en faveur chez les Kabbalistes que chaque fois qu'il est parlé dans la Bible du Dieu de quelqu'un, il s'agit de l'un des attributs ou côtés de la Divinité et que ces différents aspects réunis constituent la Merkaba [6]ce qui signifie en langage philosophique que la notion complète de Dieu, est la résultante de toutes les idées que se sont formées de Lui ces saints personnages ou qu'ils ont plus pleinement réalisées dans leur vie. De là aussi cette belle théorie de la Kabbale qui fait de l'union et de la concorde des l'esprits ici-bas le moyen de réaliser la descente et l'établissement de la Divinité sur la terre.

Les païens eux-mêmes , quand ils mentionnent le Dieu d'Israël, avant comme après leur conversion, l'appellent parfois comme Balaam « Avaya, mon Dieu », et nous ne pensons pas que l'on ait jamais songé à tirer de là les mêmes conséquences particulières. D'autre part, si le Dieu d'Israël porte certains titres d'où l'on a pu déduire des conséquences semblables, il en a également d'autres dont la signification est incontestablement universelle. Quel nom plus expressif à cet égard que celui de Dieu du ciel et de la terre, de Dieu de toute chair, à qui rien n'est impossible, à qui rien n'est caché?

A propos de ce titre de Dieu d'Israël, la Mechilta, livre rabbinique plus ancien que le Talmud, contient un curieux passage qui donne la mesure du sentiment universaliste chez les Docteurs de la Synagogue. Dans la section du Pentateuque Ki Tissa nous[7]lisons: « Trois fois par an, tous les mâles se présenteront devant la face du Seigneur, d'Avaya, le Dieu d'Israël [8]. « Pourquoi, demandent les rabbins, est-il dit: devant la face du Seigneur, d'Avaya, le Dieu d'Israël, puisque l'on trouve ailleurs: à la face d'Avaya, tout court? C'est que le nom de Dieu a été uni à Israël plus particulièrement. De même il est écrit: Ecoute Israël, Avaya notre Dieu, Avaya est un; pourquoi cela? Parce que c'est nous qui devons plus spécialement confesser son unité. Ailleurs il est dit: Ainsi parle Avaya le Dieu d'Israël; pourquoi encore? N'est-il pas appelé aussi le Dieu de toute chair? pourquoi donc lisons-nous Dieu d'Israël? Encore une fois, c'est parce que Dieu a uni davantage son nom à Israël. Pareillement il est écrit: « Ecoute, mon peuple! et je parlerai; Israël! et je t'avertirai. Dieu, ton Dieu, c'est moi [9]. » Dieu, cela veut dire Dieu de tous ceux qui viennent en ce monde et nonobstant je n'ai uni mon nom qu'à Israël seulement ». Il n'est pas besoin de signaler l'importance de ce passage. La Mechilta relève dans les divers textes bibliques l'idée particulariste et l'idée universaliste: elle les oppose et les concilie, exception faite pour le second des passages cités à propos duquel il n'est pas dit que Dieu unit davantage son nom à Israël, mais bien qu'Israël est attaché plus intimement à Dieu en raison du devoir spécial qui lui est imposé de confesser son unité, en sorte que le sens est plus universaliste au moment même où l'on s'y attend le moins. Remarquons au sujet de ce même verset qu'en ce qui concerne la question du Dieu national, la Mechilta aurait pu, sans s'éloigner de l'interprétation littérale, trouver dans les mots: Avaya notre Dieu. la monolâtrie, la seule forme d'unité de Dieu que certains critiques accordent au judaïsme antique, et dans les mots qui suivent: Avaya est un, l'idée complémentaire du monothéisme, Israël déclarant que non seulement il n'adore que Lui seul, mais que son Dieu est l'Etre unique, le Seul Eternel, ou, pour mieux dire, l'unité par excellence, parce qu'étant Lui-même absolument un, il relie en un faisceau unique l'indéfinie pluralité des choses existantes.

Mais voici un autre exemple non moins frappant de rapprochement entre l'idée particulariste et l'idée universaliste dans l'hébraïsme. D'une part, nous lisons dans la Bible que les cieux sont [10]le trône de Dieu et la terre l'escabeau de ses pieds, bien plus, que les cieux et les cieux des cieux ne suffisent pas à le contenir, que la terre est pleine de sa gloire, et d'autre part, non seulement qu'il réside en Sion, mais qu'il habite le temple de Jérusalem et même plus particulièrement encore le Saint des Saints, que dis-je? ce minuscule espace compris entre les deux chérubins d'où l'appellation biblique de Dieu « qui trône sur les chérubins ». Peut-être cette double conception répond-elle aux idées modernes d'immanence et de transcendance. Quoi qu'il en soit de cette contradiction entre les deux idées, ne nous apparaissent-elles pas comme les deux pôles, positif et négatif, qui maintiennent un courant perpétuel de vie, de lumière et de chaleur dans toutes les parties de L'hébraïsme?

C'est ce qui n'a pas échappé d'ailleurs à la critique moderne: « Ce qui distingue également la foi israélite, c'est que ce Dieu sublime, qui embrasse le monde dans sa toute puissance et domine par sa force sur les étoiles, se trouve uni à eux dans une étroite relation, il est le Dieu de leur race, le Dieu protecteur qui s'est manifesté à leurs pères et aux prophètes, qui est présent et agit au milieu d'eux. Ce lien entre le plus général et le plus particulier est tout à fait unique [11] ». Nous verrons de quelle nature est ce lien, lorsqu'il s'agira du rôle d'Israël dans le concert des nations; nous voulons parler de son sacerdoce dont l'idée harmonise si parfaitement les deux notions juives de foi nationale et de foi universelle. Mais sans anticiper sur les développements que cette idée comporte, rappelons seulement qu'il y a dans Isaïe un verset où les deux caractères sont, non pas juxtaposés, mais combinés comme les deux faces d'une conception unique: « Ton rédempteur, le Saint d'Israël, sera appelé le Dieu de toute la terre [12]». Et nous montrerons quand il s'agira de traiter la question du sacerdoce juif que ces deux parties sont en rapport de cause à effet.

L'idée est la même ici que dans ces paroles de Moïse: « Vous serez pour moi un trésor entre tous les peuples [13]car toute la terre m'appartient. Et vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte [14] ». Ce dernier passage a une importance capitale, car non seulement il nous fait entrevoir dans [15] le sacerdoce d'Israël le lien que cherchent les critiques entre le particularisme et l'universalisme, mais il affirme en même temps, et de la façon la plus catégorique, les deux choses: « Vous serez pour moi un trésor »; voilà le langage du Dieu national. « Vous serez pour moi un royaume de prêtres »; voilà le Dieu universel, car le prêtre n'étant consacré que pour le laïque, le sacerdoce juif suppose une unité au service de laquelle il est providentiellement placé. Il faut observer aussi que la conception d'un Dieu universel se retrouve même dans les paroles qui éveillent précisément l'idée particulariste: « Vous serez pour moi un trésor entre tous les peuples, car toute la terre m'appartient ». Ajoutons enfin que l'élection d'Israël est présentée comme une récompense: « Si vous écoutez ma voix et si vous gardez mon alliance, vous serez pour moi un trésor entre tous les peuples . Ce ne peut être là, le langage d'un Dieu simplement national, d'un Dieu n'existant exclusivement que pour son peuple, Comme son peuple n'est fait exclusivement que pour lui. Avaya n'aurait- il donc été le Dieu de personne, si Israël n'avait pas rempli les conditions imposées? Mais un Dieu qui peut choisir à son gré son peuple d'élection est évidemment le souverain maître de tous et bien loin de se trouver national par essence, il est éminemment universel, puisqu'il dispose du monde entier.

Il en résulte que le mosaïsme, outre sa propre fin en ce qui concerne Israël, est destiné à remplir un rôle s'adressant à tout le genre humain. il vit d'une double vie, individuelle et sociale, et Israël appelle Avaya « son Dieu », parce qu'il adore en lui le Dieu qu'il est appelé à faire connaître à tous les hommes.


References

  1. Page 223
  2. Page 224
  3. V. Pahad Itshak.
  4. I Rois, XX, 23, 24, 28.
  5. Page 225
  6. מרכבה «le char », les Kabbalistes désignent sous ce nom la connaissance transcendantale de Dieu
  7. Page 22é
  8. Exode, XXXIV, 23.
  9. Psaume L, 7.
  10. Page 227
  11. DE WETTLE, Leçons sur le Christianisme, p. 28
  12. Isaïe, LIV, 5.
  13. והייתם לי סגלה מכל העמים
  14. Exode, XIX, 5, é,
  15. Page 228