Israël et L'Humanité - De la perfectibilité de l'homme et as sa vocation à l'imitation de Dieu

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V.

De la perfectibilité de l'homme et de sa vocation à l'imitation de Dieu.

§ 1.

La liberté humaine admise, nous disons que la perfectibilité de l'homme est non seulement possible, mais qu'elle est même nécessaire. Conçoit-on un être libre qui ne soit susceptible de perfectionnement moral? Imagine-t-on un être moralement perfectible ?[1]qui ne soit libre en même temps de se rapprocher de plus en plus d'un idéal de perfection absolue? Et que servirait à l'homme d'être libre, s'il n'usait de cette liberté pour combler les vides de son être, pour continuer pour ainsi dire sa propre création?

L'homme étant libre est donc nécessairement perfectible et la liberté est précisément le moyen dont il dispose pour acquérir ce qui lui manque. Et qu'on ne nous objecte pas que Dieu est libre sans être perfectible, puisqu'Il est au contraire absolument parfait. C'est justement dans cette qualité d'absolue perfection que nous disons qu'Il est libre, car la liberté se confond en Lui avec la nécessité; comme Il est l'Etre absolu et infini et qu'il n'y a rien en dehors de Lui qui puisse agir sur Lui, comme Il ne peut subir aucune nécessité, la liberté pour Lui consiste à agir selon sa propre nature qui est absolue et parfaite, en d'autres termes sa liberté s'exerce nécessairement dans le sens du bien. Les autres êtres au contraire n'ayant jamais qu'une perfection relative sont nécessités dans leurs actes, parce qu'il y a en dehors d'eux des causes qui agissent sur eux et les êtres perfectibles sont libres de progresser ou de se dégrader précisément parce qu'ils sont perfectibles et que leur perfection est conditionnée par le bon usage de leur liberté.

La croyance à la perfectibilité humaine a donné naissance au grand principe éthique de la Bible et des Rabbins, celui de l'imitation de Dieu. L'homme étant créé à l'image de Dieu, il doit reconnaître comme règle pratique de conduite l'imitation de son Créateur, c'est-à-dire un rapprochement toujours plus complet de son divin modèle, un effort sans cesse croissant de reproduire en lui-même cette image qui est la loi de son être. De là la loi du progrès indéfini qui découle, d'un côté de la perfection infinie du modèle, et de l'autre de la nature imparfaite de la copie. Car il serait inadmissible qu'on ait pu dire de l'homme qu'il est créé à l'image de Dieu si, étant infiniment loin de son modèle, il n'eut été du moins doué de la possibilité de s'en rapprocher toujours davantage.

Nous ferons remarquer ici que cette théorie de l'image divine et de son imitation transportée sur le sol du polythéisme aurait cessé de donner ses incomparables fruits. C'est parce que le modèle est absolu et unique qu'il est parfait et que son imitation est une loi de progrès ininterrompu; l'imitation d'un dieu particulier quelconque, en dehors du Dieu unique et absolument parfait, ne [2]pourrait servir de base à la doctrine du perfectionnement continu. [3]Si la notion de Dieu, la religiosité est vraiment, comme l'a montré M. de Quatrefages, le caractère distinctif de l'espèce humaine, on s'explique aisément pourquoi de tous les animaux l'homme seul est progressif. Des lors, on sera disposé à placer avec Bunsen dans le sentiment que l'homme a de Dieu la force primordiale et constante qui anime les nations, le souffle toujours vivant qui pousse l'humanité vers le vrai et le juste, le secret instinct de notre race qui, en se développant graduellement, donne naissance à toute langue, à toute constitution sociale et politique, à toute civilisation. Et la foi monothéiste paraît si indispensable dans ce système que le même savant place, dans un monothéisme primitif commun à tous les hommes, la source de toutes les religions de l'ancien monde. « L'idée d'un Dieu qui ne tolère à côté de lui aucun autre dieu, dit un autre auteur, qui n'apparaît plus comme une fiction humaine entourée de fables indignes, mais comme l'Etre suprême et absolu qui réclame pour soi toutes les aspirations morales de l'homme et dont l'omniscience découvre toute transgression pour la punir infailliblement; cette idée de Dieu transmise pendant des siècles de génération en génération a fini par réagir sur la science même et en accoutumant l'esprit humain à la conception d'une raison unique des choses, a enflammé en lui le désir de connaître cette raison [4]

Si telles sont, de l'aveu même des savants, les conséquences de la foi au Dieu unique dans le domaine de la science, quels résultats n'en peut-on pas attendre pour la vie morale de l'homme et son perfectionnement!

§ 2.

Il est facile de trouver dans les livres de Moïse d'autres preuves de la croyance à la perfectibilité humaine. Ce ne peut-être un effet du hasard si, tandis que le récit de la création de chacun des jours de la Genèse se termine par ces mots: « Or Dieu vit que cela était bon », il n'est rien dit de semblable après la création de l'homme. C'est que seul l'homme n'est pas bon avant d'atteindre sa perfection dont il est lui-même l'artisan. [5] On a cité aussi les bénédictions dont le Pentateuque offre tant d'exemples et leur efficacité. Elles seraient l'expression religieuse de la foi au progrès, car toute bénédiction , implique l'idée d'un bien que l'on ne possède pas encore et que l'on veut obtenir. Et comme parmi les bénédictions il y en a d'ordre moral, la croyance au perfectionnement de l'homme y est implicite.

Mais voici des preuves plus convaincantes encore. La domination sur la nature est la grande promesse faite à l'homme et le grand devoir qui lui est imposé dès l'instant de sa création. Or cette domination, en raison de la nature de l'ouvrier et des conditions de la matière sur laquelle il travaille, ne peut-être que successive et graduelle, en sorte que cette noble et grandiose promesse suppose la foi au progrès humain. L'homme en effet ne parviendra jamais à se rendre maître de la nature, à moins qu'il ne se dompte lui-même, qu'il ne discipline ses qualités, qu'il ne perfectionne son intelligence et n'affermisse sa volonté. Il faut que, moralement et intellectuellement, il se rende toujours plus digne de sa mission et que le progrès intérieur et subjectif intervienne comme condition du progrès extérieur. L'homme, dans le mosaïsme, est si bien perfectible, qu'il entraîne la nature elle-même dans son mouvement ascensionnel.

Il est vrai que la domination sur la nature prend dans la Genèse la forme d'un empire exercé sur les espèces animales que l'homme est appelé à maîtriser. Mais qu'on songe aux conditions spéciales de l'existence humaine aux premiers âges de la terre, aux animaux antédiluviens de nature à inspirer à l'homme une si grande terreur, aux luttes continuelles qu'il lui fallait soutenir contre eux et l'on conviendra que, dans l'enfance de l'humanité, l'idée divine ne pouvait revêtir aucune autre forme plus capable de frapper l'imagination. En général les luttes morales, et à plus forte raison les guerres sociales et ethniques, prennent facilement chez les anciens l'aspect de combats soutenus corps à corps avec des géants ou des monstres. Les dieux et les héros du paganisme ont eu, eux aussi, à lutter contre les bêtes sauvages. Toutefois la bénédiction de la Genèse a un caractère beaucoup plus général, car elle étend positivement la domination prédite à l'homme au globe terrestre tout entier: « Remplissez la terre et subjuguez-la [6]», ces paroles saut aussi précises que possible et n'exceptent rien [7]de l'empire promis à la descendance d'Adam. ce n'est pas simplement du sol labourable qu'il s'agit, mais de la terre entière. A ce mot sont liés tous les triomphes de l'humanité sur la planète qu'elle habite.

Ce serait méconnaître tout ce qu'il y a de grand et de fécond dans cette bénédiction de la première page de la Genèse que d'en attribuer tout l'honneur au seul sentiment de la nature. Ce sentiment-là et le polythéisme qui en est issu, sont plutôt faits pour river l'homme au respect de la réalité matérielle à une sorte d'acceptation fataliste de tout ce qui existe, beau ou laid, utile ou nuisible, et par conséquent du mal comme du bien. Pour réaliser les transformations morales aussi bien que les prodiges opérés par la science dans la nature, il faut l'intervention d'un autre facteur qui n'est pas, qui ne peut pas être la réalité toute seule; il faut la foi à l'idéal, nous allions dire l'opposition de l'idéal à la réalité, car c'est seulement quand l'homme se révolte contre la nature qui l'écrase, quand il se dresse face à face contre le monde extérieur, qu'il le combat et s'impose à lui, que le progrès même matériel devient possible. Le mot triomphe par lequel on désigne les succès de l'activité humaine implique tout cela.

Or, admettre l'idéal, c'est reconnaître qu'il existe au delà de la nature quelque chose de transcendant dont la nature n'est qu'une pâle image, mais qui, dans la pensée de l'homme, brille d'un plus pur éclat. Et la preuve que l'homme ne tient pas cet idéal de la nature elle-même, c'est qu'il s'agit de la perfectionner par son moyen.

§ 3.

Le nom que la perfectibilité humaine porte dans l'hébraïsme indique la perfection morale, sociale, intellectuelle, en même temps que la perfection religieuse. C'est un chemin, une voie, un voyage, un itinéraire, car tout cela est compris dans le mot si expressif de derech [8], qui offre une singulière analogie avec le tao des Chinois. L'acte de perfectionnement, tout l'effort, tout le progrès humain est une marche (alicha) dans ce chemin, ce qui rappelle encore la vocation de l'homme à l'imitation de Dieu, car tout chemin suppose nécessairement un but qu'on veut atteindre. Le [9]point de départ, la règle et la fin, ou, comme dit l'Evangile qui est rempli de ces idées hébraïques, la voie, la vérité, la vie, sont divins. Aussi l'hébreu offre-t-il pour l'idée de perfectionnement moral ces trois locutions significatives: marcher devant Dieu, marcher avec Dieu, marcher derrière Dieu. La faute, l'erreur, l'ignorance, le mal, la réprobation sont par conséquent ou une déviation [10], ou un recul [11] et avec une clarté admirable la Bible dit des pervers qu'ils vont en arrière et non[12] en avant; désobéir à la loi de Dieu, c'est reculer. Il n'y a pas là seulement une belle image, mais une pensée profonde.

L'idée d'ascension vient souvent s'ajouter à celle de marche; il s'agit alors d'une voie ascendante, d'une montagne que l'on gravit, d'un sommet à atteindre et, dans ces expressions, il n'est pas toujours question du temple de Jérusalem. Peut-être la position du lieu saint a-t-elle donné naissance à cette figure par l'habitude que l'on a prise d'attacher l'idée de sainteté à celle de hauteur, mais l'image offrait déjà en elle-même une juste convenance, pour représenter la perfectibilité humaine. C'est ainsi que, dans nos langues modernes, on exprime par l'idée primitivement matérielle de supériorité une foule de pensées qui n'ont rien à faire avec la superposition des objets.

C'est à cette notion de perfectionnement moral que se rattache la doctrine rabbinique de la métempsycose ou réincarnation. Celle-ci, d'après les Docteurs, n'a d'autre but que de permettre aux âmes d'atteindre dans des vies successives la perfection dont elles sont capables et qu'elles n'ont pu réaliser dans les conditions de leur existence ici-bas. Nous croyons que, comme l'idée de la résurrection qui est bien l'affirmation la plus hardie du progrès, la théorie de la métempsycose n'appartient pas aux Rabbins seulement et qu'elle a ses fondements solides dans la Bible elle-même. Mais nous la considérons simplement ici au point de vue philosophique et nous disons que de même que la croyance à la palingenèse est la proclamation du progrès dans l'ordre cosmique, les rénovations successives des mondes tendant à une fin toujours meilleurs, de même aussi la doctrine de la réincarnation atteste la foi de l'hébraïsme à la perfectibilité humaine.

« Le bœuf s'appelle un boeuf dès qu'il vient au monde, nous [13]disent les Rabbins [14] ainsi en est-il des autres animaux. L'homme seul ne devient un homme que lorsqu'il s'est donné ce caractère ». Et à propos de ce verset du Lévitique « Vous les ferez, veacithem otham (vous accomplirez mes préceptes) » [15]comme le mot otham non ponctué est écrit dans le texte sacré de manière à pouvoir être lu atthem « vous », les Docteurs commentant cette phrase disent: Vous vous ferez vous-mêmes, c'est-à-dire vous serez vos propres créateurs. Cette idée nous rappelle un mot de Hartmann: « La force qui conserve et perfectionne est la même qui a créé » [16]. Chacun voit que si d'une certaine manière l'homme se crée lui-même, c'est une conséquence de sa perfectibilité. Il nous semble que la doctrine de Darwin et de l'école transformiste que la fonction crée l'organe, n'est que la forme fausse, paradoxale de ce principe vrai en soi que l'être par sa vertu intrinsèque se perfectionne lui-même . Cette aptitude à se modifier nous fait comprendre l'influence que l'âme exerce sur son propre avenir. Il n'est pas jusqu'à M. Taine qui, tout en ne parlant que de l'organisme, n'en convienne implicitement, car cette aptitude ne pourrait s'exercer sur l'organisme, si la force vitale organisatrice ne se modifiait elle-même: « Ici, dit-il, intervient une propriété qui distingue la machine nerveuse de nos machines ordinaires: sa fonction la modifie. Plus un chemin a été parcouru par les courants antérieurs, plus d'autres ont chance de le prendre et de le suivre [17].

Nous citerons en terminant un curieux midrasch qui prouve bien que, pour les Rabbins, l'homme est susceptible de perfectionnement et qu'il en doit être lui-même l'ouvrier: « Un philosophe posa un jour à R. Oschaya cette question: Si la circoncision est si chère à Dieu, pourquoi donc n'a-t-elle pas été ordonnée au premier homme? Le docteur lui répondit: Pourquoi te rases-tu donc une partie des cheveux et laisses-tu croître ta barbe? C'est, dit le philosophe, que mes cheveux ont poussé avec moi dès ma plus tendre enfance. Si telle est la raison, reprit le rabbin, ne devrais-tu pas te couper aussi les yeux et te tailler la main, puisqu'ils ont également poussé avec toi dès ton enfance? te philosophe lui dit alors: Est-ce pour recevoir de telles réponses que je suis venu te trouver? A quoi le docteur répondit: Puisqu'il n'est pas possible que je te [18]renvoie sans une explication, écoute ceci. Tout ce qui a été créé pendant les six jours de la création exige un perfectionnement et l'homme aussi a besoin d'être perfectionné » [19]


References

  1. Page 303
  2. Page 304
  3. V. HARTMAN, </i> Philosophie de l'Inconscient </i>
  4. DU BOIS RAYMOND, </i> L'Histoire de la civilisation</i>, dans la Revue scientifique du 19 Janvier 1878.
  5. Page 305
  6. Genèse, I, 28
  7. Page 306
  8. דרך de la racine דרך</i> calcavit pedibus, progressus est. </i> Le mot a le sens de via, iter et celui de modus, ratio agendi
  9. Page 307
  10. טעה
  11. Ps. LXX, 3. Isaïe i. 4, XLII. 17.
  12. ויהיו לאחור ולא לפנים Jér. VII, 24.
  13. Page 308
  14. Joma 65 <super> b</super>;
  15. Nombres, XV, 39
  16. Philosophie de l'Inconscient, tome I, p. 97
  17. Revue Philosophique, 1878, p.333-4.
  18. Page 309
  19. Midrasch rabba, Sect. XI.