Israël et L'Humanité - El Elion, le Dieu Très-Haut

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CHAPITRE SIXIÈME

ANTIQUITÉ DU MONOTHÉÏSME MOSAÏQUE

LES NOMS DIVINS

I.

El Elion, Le Dieu Très-Haut.

Parmi les noms donnés à Dieu dans la Bible et qui ont motivé contre les anciens Juifs l'accusation de polythéisme, il faut citer en premier lieu celui d' El Elion, le Dieu Très-Haut, qui, dans la bouche de Melchisédek, paraît être la désignation d'une divinité locale, de celle qui, parmi toutes les autres divinités, était la plus élevée, en sorte que le mot impliquerait évidemment l'idée polythéiste.

Mais on peut répondre à cela que cette appellation s'appliquerait également bien à Dieu nommé Très-Haut, non par rapport à d'autres divinités, mais relativement à tous les êtres qui, d'une manière générale, lui sont inférieurs et à ce Dieu tellement élevé au-dessus de toute chose, que le ciel, la demeure la plus haute, lui est assigné comme résidence. Nous ferons observer aussi que parler aux Gentils du vrai Dieu comme du Dieu Très-Haut ou suprême, c'était employer avec eux le seul langage qu'ils pussent comprendre, attendu que cette idée d'un Dieu supérieur à tous les autres leur était assez familière. Les Juifs se seraient donc comportés vis-à-vis des païens comme Paul qui, dans son discours à l'Aréopage identifiait le Dieu qu'il annonçait avec ce « dieu inconnu » dont il avait rencontré l'autel dans les rues d'Athènes. L'influence du [1]monde païen sur Israël, au moins dans la manière de s'exprimer, est incontestable et nous avons vu d'ailleurs que la Kabbale ne la limite pas uniquement au langage.

Examinons plus attentivement ce fameux passage où le père des Hébreux employant lui- même le nom qu'il vient d'entendre prononcer par Melchisédek, dit au roi de Sodome; « Je lève ma main vers l'Eternel, le Dieu Très-Haut (El Elion), maître du ciel et de la terre: je ne prendrai rien de tout ce qui est à toi [2]  ». L'auteur du Pentateuque s'était servi quelques lignes plus haut de la même expression pour qualifier le sacerdoce de Melchisédek, qui était très certainement le grand prêtre d'un dieu particulier adoré sous ce nom d'Elion (Très-Haut) chez les Gentils: « Melchisédek, roi de Sodom, fit apporter du pain et du vin: Il était prêtre du Dieu Elion, (Très-Haut) [3]». Il est donc vraisemblable que chaque fois que nous trouvons ce mot adopté par les Juifs, il faut y voir une allusion au Dieu suprême des païens. Ceux-ci identifiaient ce dieu avec celui qu'adorait Israël, comme Melchisédek identifiait celui d'Abraham avec le dieu Elion dont il était le prêtre et à qui il attribuait les victoires du patriarche hébreu.

Nous trouvons une autre preuve de cette identité dans l'hommage religieux qu'Abraham rend à Melchisédek en lui présentant la dîme sacerdotale, mais les termes mêmes dans lesquels est prononcé le serment fait au roi de Sodome sont plus concluants encore: « Je lève la main vers l'Eternel (tétragramme), El Elion (le Dieu Très-Haut)! » Combien l'adjonction du nom sacré de Dieu en Israël à celui du dieu Très-Haut, El Elion , est éloquente et décisive! Elle proclame que, pour celui qui parle comme pour celui qui rapporte ses paroles, l'Eternel (tétragramme) et El Elion sont un seul et même Dieu.

Nous devons rechercher maintenant si, dans les autres passages où on rencontre ce nom d'El Elion, ou Elion seulement, on peut reconnaître chez l'écrivain la même intention de désigner le Dieu suprême de toutes les nations. Le verset du dernier cantique de Moïse, que nous avons déjà eu l'occasion de citer, est éminemment instructif à cet égard, car il donne à Dieu ce nom d'El Elion à propos d'un acte de providence antérieur à toute vocation israélite et qui concerne l'humanité entière: « Quand Elion donna un héritage [4] aux actions, quand il sépara les enfants des hommes, il fixa les limites des peuples d'après le nombre des enfants d'Israël [5] ».

Ailleurs nous trouvons ce nom dans la bouche d'un gentil, Balaam, qui l'emploie comme synonyme de Schaddaï, l'ancien nom du Dieu juif: « Paroles de celui qui entend les paroles de Dieu (El), de celui qui connaît les desseins d'Elion, de celui qui voit la vision de Schaddaï [6] ».

Le sens universaliste du mot Elion est peut-être moins apparent, mais non moins réel dans le passage suivant des psaumes: « J'avais dit: Vous êtes des dieux; vous êtes tous des fils d'Elion; cependant vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme n'importe lequel des sarim [7]». Dans ce psaume, Dieu nous est représenté présidant à l'assemblée des anges dans le ciel comme il préside à celle des juges de la terre. Nous retrouvons cette même image au livre des Rois: « J'ai vu, dit Michée, l'Eternel assis sur un trône et toute l'armée des cieux se tenant auprès de lui, à sa droite et à sa gauche [8]». Or il faut remarquer la façon dont le mot Elohim, dieux, appliqué aux anges, est employé par le psalmiste comme synonyme de fils d'Elion , ce qui fait évidemment de ce dernier nom l'équivalent du titre Elohè ha Elohim que nous avons étudié au chapitre précédent. L'auteur du psaume, constatant que les juges de la terre, comme les sarim (génies, principautés célestes) dégénérés, ont failli à leur mission, invite Dieu qu'il vient d'appeler Très-Haut (Elion) à juger tout l'univers, ainsi que le prouvent ces paroles finales: « Lève-toi, ô Dieu, juge la terre! Car toutes les nations t'appartiennent », où il faut voir une allusion à la doctrine de la distribution que Dieu fait du monde entre les sarim chacun d'eux recevant en sa garde une nation particulière, tandis que Dieu les possède toutes et les juge souverainement.

Le nom d'Elion revient avec la même signification de Dieu universel au psaume XLVII <super> e</super>. Tous les peuples sont invités à célébrer le Dieu d'Israël, précisément parce qu'il est ce Dieu Très-Haut ou suprême (Elion ) dont ils ont eux-mêmes la notion: « Car l'Eternel, Elion , est redoutable. Il est un grand roi sur toute la terre ». Il y a lieu de noter peut-être que ce titre de grand roi [9]de toute la terre, dont nous retrouvons l'équivalent au psaume XVC <super> e </super> « L'Eternel est un grand Dieu, il est un grand roi au dessus de tous les dieux », correspond au célèbre passage du prophète Malachie qui atteste le culte universel de Dieu précisément dans les mêmes termes: « Mon nom est grand parmi les nations... grand est mon nom parmi les nations, dit l'Eternel des armées » .

L'auteur su psaume LXXXIII <super> e </super> mentionne comme ennemis jurés d'Israël, Edom, Ismaël, Moab et les Hagaréniens, Guébal, Ammon et Amalek, les Philistins, les Tyriens et les Assyriens et dans un élan de patriotisme il invoque contre eux la vengeance divine: « Traite-les comme Madian, comme Sisera, comme Jabin au torrent de Kison!... Mon Dieu! Rend-les semblables au tourbillon, au chaume qu'emporte le vent! » Mais à côté de ces imprécations patriotiques, voici que se font jour des sentiments dignes d'Israël prêtre de l'humanité: « Qu'ils cherchent ton nom, ô Eternel!... Qu'ils sachent que toi seul dont le nom est l'Eternel, tu es Elion (le Très-Haut) sur toute la terre ». Ainsi l'Israélite exprime l'espoir que ces peuples ennemis se convertiront, reconnaissant que l'Eternel, Dieu d'Israël, est le seul vrai Dieu qu'ils adoraient sous le nom d'Elion, le Dieu Très-Haut.

Au dernier verset du psaume VII <super> e </super> le nom d' Elion est rapproché du tétragramme de la façon la plus significative: « Je louerai l'Eternel à cause de sa justice, je chanterai le nom de l'Eternel, Elion »; or il s'agit dans ce chant de David de la justice universelle de Dieu: « Que l'assemblée des peuples t'environne! Monte au dessus d'elle vers les lieux élevés! L'Eternel juge les peuples ». Pareillement, au psaume IX <super> e </super> nous le trouvons paraphrasé de telle manière qu'il n'est pas douteux que l'auteur applique ce nom au Dieu de l'univers: « Je chanterai ton nom, ô Elion!... Car tu soutiens mon droit et ma cause, tu sièges sur ton trône en juste juge. Tu châties les nations... L'Eternel règne à jamais, il a dressé son trône pour le jugement, Il juge le monde avec justice, il juge les peuples avec droiture…Lève-toi, ô Eternel que l'homme ne triomphe pas! Que les nations soient jugées devant Ta face! Frappe les d'épouvante, ô Eternel! que les peuples sachent qu'ils ne sont que des hommes! ».

Certains critiques ont dit que ce nom d' Elion paraît avoir été commun à toutes les familles de la race sémitique. Nous demandons s'il est possible de voir dans ce mot, dont le sens philosophique, est bien supérieur à l'état intellectuel de ces peuplades [10]arriérées, autre chose qu'une trace de persistant monothéisme. En tout cas, le culte d' El Elion limité aux seuls Juifs serait encore un formel démenti au prétendu polythéisme général des Sémites! Il ne faut pas oublier en outre qu'une différence sensible subsiste entre le Dieu Très-Haut des Juifs et le Dieu suprême des païens, car la notion de la divinité dans le paganisme n'embrassait pas comme chez le Juif toutes les nations, pour les faire participer plus ou moins, sous un aspect ou sous un autre, ainsi que le veut la conception hébraïque, à l'idée du Dieu unique et universel.

Si nous ne nous abusons point, tout ce que nous avons dit jusqu'à présent sur le sens de ces deux noms Dieu des dieux et Dieu Très-Haut, par lesquels l'hébraïsme désigne l'unité au sommet de toutes choses, même de l'olympe païen ou du monde divin de la Kabbale, est la démonstration la plus formelle du monothéisme. Ces noms excluent en effet toute possibilité de polythéisme en indiquant que les prétendus dieux ont un Dieu au dessus d'eux, ce qui est la négation même de leur divinité. L'idée polythéiste disparaît absorbée dans la conception du Dieu unique, soit que l'on se borne à regarder celui-ci comme le Dieu suprême et par conséquent seul vraiment digne de ce nom, en sorte que ses subordonnés ne portent qu'improprement le nom de celui qu'ils représentent, soit que, poussant plus loin la spéculation théologique, nous voyons dans les dieux les idées partielles constitutives du vrai concept de la Divinité et, dans le Dieu Très-Haut, leur synthèse. Le polythéisme non seulement est neutralisé, mais ce que l'on en paraît conserver est mis au service du monothéisme lui-même.


References

  1. Page 171
  2. Genèse, XVI, 22.
  3. Ibid. XIV, 18.
  4. Page 172
  5. Deutéronome, XXXII, 8
  6. Nombres, XXIV, 16
  7. Psaume, LXXXII, 6, 7.
  8. I Rois, XXII, 19.
  9. Page 173
  10. Page 174