Israël et L'Humanité - Empire de l'homme sur la nature

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CHAPITRE QUATRIÈME

L'IDÉE DE L'HOMME DANS L'HÉBRAÏSME

L'HOMME COOPÉRATEUR DE DIEU

I.

Empire de l'homme sur la nature.

§ 1.

Parmi les caractères que le judaïsme attribue à l'homme, il n'en est pas de plus saillant dans les Ecritures, et dès les premières pages du Pentateuque, que celui de dominateur de la na- ture. Cet empire que l'homme est appelé à exercer s'étend non seulement sur les créatures, mais sur la terre elle-même; les hommes, en se multipliant, doivent la remplir et la subjuguer, ce qui prouve que leur dispersion sur toute la surface du globe, lors de la construction de la tour de Babel, ne fait que l'exécution du dessein primitif du Créateur contre lequel s'insurgeaient les premières tribus en refusant de se séparer.

Le Psalmiste avait sans doute présent à la mémoire le récit du livre de la Genèse, lorsqu'il s'écriait: «Tu as constitué l'homme maître de toutes tes œuvres, tu as tout mis sous ses pieds [1]». Si la promesse de l'empire universel a inspiré les paroles qui précédent: « Qu'est-ce que l'homme, pour que tu te souviennes de lui? Et le fils de l'homme, pour que tu prennes garde à lui » comme le souvenir de la création à l'image et à la ressemblance de Dieu a visiblement dicté les suivantes: « Tu l'as fait de peu [2] inférieur à Dieu, et tu l'as couronné de gloire et de magnificence! » il est à remarquer néanmoins que le texte ne fait point de l'univers tout entier une dépendance de la terre. Le chantre sacré, en exaltant les cieux au-dessus de l'homme qui, en face d'eux, lui paraît une si infime créature, conçoit leur immensité non pas à la manière des anciens, mais comme nous l'envisageons nous-mêmes aujourd'hui. La croyance anthropocentrique, si générale de son temps et qui paraissait si naturelle, est totalement bannie de ce passage, et l'empire qu'il attribue à l'homme, pour être plus modeste et limité à ce monde seulement, est aussi plus réel et plus légitime.

Cet empire se manifeste dans la Genèse par l'imposition des noms qu'Adam donne à tous les animaux; il y a là une sorte de prise de possession de souverain sur ses sujets, mais une autre idée se cache dans le récit biblique: celle de la connaissance que l'homme est appelé à acquérir des créatures, car les nommer, c'est déjà les connaître.

La domination de l'homme sur tous les êtres vivants est encore confirmée solennellement à Noé après le déluge: « Vous serez un sujet de crainte et d'effroi pour tout animal de la terre... ils sont livrés entre vos mains [3] ». Cette souveraineté purement matérielle ne se sépare point d'ailleurs de la précédente, celle que la science réserve à l'humanité civilisée. Ce que les connaissances acquises ont permis aux collectivités humaines de réaliser dans ce domaine, les individus le faisaient aux temps primitifs par leur forces personnelles de l'instinct. La diversité dans les moyens employés répond à la diversité des conditions morales de l'humanité et à la loi par laquelle la force en général tend à se répartir toujours davantage. Le rationaliste peut ne voir qu'un mythe dans cette domination que l'individu, au dire des Ecritures, aurait possédée sur la nature dans les temps reculés, mais il ne peut nier qu'elle n'ait été conçue comme une réalité.

Une trace de cet état primitif subsiste dans l'espèce de fascination que les hommes exercent sur les animaux. Au contraire l'homme dégradé, c'est-à-dire celui en qui l'image divine est déformée, devient esclave; il est dominé par la nature physique et animale. Voilà pourquoi Caïn, après son crime, dit: « Quiconque me rencontrera, me tuera [4]» et le Talmud déclare que c'est seulement [5]lorsqu' il leur apparaît sous la forme d'une bête que les animaux parviennent à dominer l'homme [6].

§. 2.

L'homme doit agir sur la nature en la dominant et cette domination est, pour l'hébraïsme, une coopération avec Dieu car c'est en imitant son modèle, l'Idéal, que l'homme règne sur les créatures et sur la terre elle-même, pour les perfectionner en se les assujettissant. Or cela lui serait impossible, s'il ne recherchait point sa direction et son inspiration dans quelque chose de supérieur à ce qu'il s'agit pour lui de gouverner et de transformer.

Les Kabbalistes ont représenté cette domination comme une victoire que l'homme remporte sur Dieu considéré dans ses œuvres, c'est-à-dire sur Dieu comme Créateur, en collaborant avec Dieu regardé comme Idéal et comme Rédempteur et qui triomphe en réalité, l'homme n'étant qu'un instrument entre ses mains. C'est ainsi que sur ce verset de l'Ecriture: « Le juste règne parmi les hommes, règne dans la crainte de Dieu [7]», ils font dire au Seigneur: « Et qui donc règne sur moi? Le juste [8]» .

Si l'influence de l'homme sur la nature est certaine, comme il est doué de libre arbitre, son action peut être salutaire ou funeste. A lui incombe donc le devoir d'entrer dans le plan divin, c'est-à-dire de faire progresser les œuvres de Dieu, au lieu de les laisser dégénérer. Nous voyons, dans le mythe biblique d'Adam, que l'effet du péché du premier homme se fait sentir sur la terre en général: «Que la terre, lisons-nous, soit maudite à cause de toi! [9] » Avant la chute, l'action de l'homme devait donc être bienfaisante. Adam est placé dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder. Or le jardin d'Eden n'est que l'état de la terre avant le péché, en encore dans l'avenir, après la rédemption. Il y a, dans la malédiction prononcée à la suite de la désobéissance, autre chose que l'énonciation d'un fait ou la simple constatation des inéluctables conséquences des actions humaines; il faut y voir aussi la proclamation d'un devoir, le devoir sacré du travail qui vient compléter la promesse de domination terrestre précédemment faite à Adam. [10]Si l'Eden a disparu par la faute de l'homme, à lui de le rétablir par son activité déployée en conformité des vues du Créateur. Aussi, l'hébraïsme, par l'organe de ses prophètes et de ses rabbins, n'a-t-il cessé d'exalter la caractère noble et religieux du travail.

En suivant dans la Bible les traces de l'action néfaste des hommes quand ils sont en état de rébellion contre Dieu, nous voyons, d'après le texte sacré, qu'aux jours de Noé «  la terre était corrompue devant Dieu, la terre était pleine de violence. Dieu regarda la terre, et voici, elle était corrompue; car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre [11] ». Et pareillement au temps de Moïse, les Israélites sont avertis de ne point imiter la coupable conduite des peuples qu'ils ont vaincus et que la terre avait vomis devant eux «  de peur, dit le texte, que le pays ne vous vomisse, si vous le souillez, comme il aura vomi les nations qui y étaient avant vous [12]». C'est donc par l'obéissance aux lois du Souverain Maître que l'homme exercera ici-bas son légitime empire. On a dit qu'il est appelé à rivaliser avec la nature en l'imitant et à l'obliger par d'heureux empiètements à seconder ses efforts [13]. Mais il suffit d'un instant de réflexion pour comprendre qu'il est impossible de rivaliser avec la nature par la simple imitation. Il faut pour cela que l'homme conçoive d'abord l'Idéal que la nature elle-même a imité et que, modelant sa pensée sur la pensée divine, il travaille d'accord avec elle, pour la fin qu'elle a prévue.


References

  1. Psaume VIII, 7.
  2. Page 355
  3. Genèse, IX, 2
  4. Genèse, IV, 14
  5. Page 356
  6. Schabbat, 102
  7. II Samuel, XXIII, 3
  8. Moëd Katan
  9. Genèse, III, 17
  10. Page 357
  11. Genèse, VI, 11, 13.
  12. Lévitique, XVIII, 28
  13. Revue scientifique, Juin 1875