Israël et L'Humanité - Explication théologique des pluriels accompagnant le mot Elohim

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§ 2.

EXPLICATION THÉOLOGIQUE

DES PLURIELS ACCOMPAGNANT LE MOT ELOHIM.


Nous examinerons maintenant les cas où les mots qui accompagnent Elohim sont eux-mêmes au pluriel. L'explication paraît plus difficile à trouver et cependant s'il a été possible d'employer un nom de forme polythéiste dans un sens unitaire, il n'y a rien d'absurde à supposer qu'obéissant à la même tendance, on soit allé plus loin encore et que l'on ait parfois mis au pluriel les autres mots, sans que la signification fût en rien modifiée pour cela. D'ailleurs la correction presque invariable de l'écrivain qui, avec le pluriel Elohim, emploie d'une manière générale le singulier, prouve que l'idée de l'unité était assez forte pour contrebalancer l'influence de la règle grammaticale qui prescrivait l'accord et l'on pourrait par conséquent soutenir que les exceptions, qui çà et là se rencontrent, ne font que confirmer notre thèse.[1]On trouve par exemple l'adjectif accompagnant Elohim au pluriel et le verbe au singulier. Voici un texte du Deutéronome que nous traduisons littéralement ainsi que les autres que nous aurons à citer, afin de mieux faire sentir ces particularités de langage: « Quel est l'homme, en effet, qui ait jamais entendu comme nous la voix de Dieu (Elohim) vivants parlant (singulier) du milieu du feu, et qui soit demeuré vivant ? » [2]Parfois aussi le verbe et le nom sont au pluriel et le pronom au singulier: « Est-il sur la terre une seule nation qui soit comme ton peuple, comme Israël qu'Elohim sont venus racheter pour en former son peuple ? » [3]

Un autre texte célèbre présente un aspect particulier. Il fait partie du récit de la création: « Puis Elohim dit, Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance... Et Elohim créa... » [4] Il y a là un curieux mélange du singulier et du pluriel et qui provient de deux époques différentes, puisque les mots: « Faisons l'homme à notre image », sont antérieurs à la rédaction mosaïque à laquelle appartiennent ceux qui précédent: « Puis Elohim dit ». Prétendra-t-on que nos paroles: « Faisons l'homme à notre image », ont été empruntées à une ancienne version polythéiste et combinées postérieurement avec la rédaction mosaïque? Mais dans ce cas pourquoi ne trouverait-on pas le pluriel dans le récit tout entier, tandis que nous lisons au verset suivant: «Elohim créa l'homme à son image ?»La critique moderne elle-même, nous accorde qu'il faut voir dans ce passage un pluriel de majesté, comme plus loin dans l'épisode de la confusion des langues: « Et l'Eternel dit... Allons! descendons, et là confondons leur langage …Et l'Eternel les dispersa » [5] (4).

Dans tous les cas précédemment cités, nous avons encore en faveur de l'idée monothéiste la présence du singulier à côté du pluriel, mais que penser des textes bibliques où tous les mots accompagnant Elohim sont au pluriel? On conçoit qu'à force d'être employé dans le sens du monothéisme pur, un mot tel qu'Elohim ait pu à la longue ne plus éveiller la moindre idée contraire, mais il n'en saurait être de même de ceux qui exigeaient des écrivains, au moment de la réduction, un effort spécial d'attention. Il ne [6]peut être ici question de négligences de plume, car dans ce cas les scribes qui, postérieurement, ont réformé tant de choses moins importantes, n'auraient pas hésité à corriger aussi ces textes dans le sens unitaire. Il doit donc y avoir une raison sérieuse au maintien de ces exceptions qui contredisent en apparence d'une manière si grave les habitudes acquises du langage. Nous avons lieu de supposer qu'on a cru pouvoir rendre ces expressions polythéistes inoffensives ou même utiles à la foi monothéiste en leur donnant pour cela un sens acceptable. Que le lecteur veuille bien nous suivre dans l'examen que nous allons faire de ces textes en les classant selon les différentes causes qui, d'après nous, les ont successivement motivés.

En premier lieu, nous signalerons ceux qui ne peuvent être imputée aux expressions courantes de langage des païens, car c'est le Dieu unique qui y parle de lui-même. Le passage, du premier chapitre du livre de la Genèse et celui du récit de la tour de Babel que nous venons de citer, sont remarquables à cet égard et l'hypothèse fort acceptable du pluriel de majesté, ne doit pas exclure, à notre avis, une explication plus profonde, c'est-à-dire qu'en faisant ainsi parler le Dieu unique envisagé comme la synthèse de toutes les conceptions religieuses, c'était comme si tous les dieux se fussent en même temps exprimés par sa bouche. Ce n'est là d'ailleurs que le commentaire philosophique, de la règle grammaticale du pluriel de majesté, car Dieu étant une fois conçu comme unique, on estimait l'honorer davantage en l'appelant du nom de tous les dieux, précisément afin d'exclure toute autre idée de divinité et d'affirmer qu'il en possédait seul la souveraine plénitude.

Pour ces deux passages de la création et de la confusion des langues, les rabbins ont dit que Dieu consulta son tribunal ou demanda l'avis de ses anges. Si l'on veut bien se reporter aux explications que nous avons précédemment données, on verra que cette glose rabbinique devient littéralement exacte, sauf bien entendu l'image anthropomorphique de la consultation, car elle signifie que le concours de tous les attributs divins fut nécessaire à l'œuvre dont il s'agit.

Mais voici un autre texte que l'on jugera plus compromettant et que nous regardons, quant à nous, comme plus concluant en faveur de notre thèse. Peut-être même nous servira-il de clef pour expliquer une grande partie des pluriels en question. Tant que ces pluriels demeurent pour ainsi dire grammaticaux, ils peuvent se [7]comprendre sans qu'il soit besoin de rechercher aucune cause théologique, mais il n'en est pas de même du passage dont nous parlons, car il faut nécessairement y reconnaître une pluralité logique et réelle, Dieu parlant comme s'il était accompagné par d'autres divinités: «  Avaya Elohim dit: Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous, pour la connaissance du bien et du mal ». [8]. L'habitude du langage polythéiste ne pouvait aller jusqu'à employer de telles expressions et le pluriel de majesté ne suffit pas à les expliquer. Avons-nous donc ici un texte absolument païen? On ne peut le croire en présence de ces mots: « Avaya Elohim dit , dans lesquels il est impossible de voir une addition monothéiste postérieure, car l'écrivain qui a introduit ou modifié ces premiers mots, aurait, à plus forte raison, corrigé la suite du récit. Rapprocher le mot Avaya du mot Elohim pour atténuer le sens de celui-ci ait été un procédé si enfantin que le copiste le moins expérimenté, n'y aurait pas eu recours, à moins qu'il ne faille voir là, ce que nous y voyons précisément, un haut enseignement doctrinal.

Le fait que parmi ceux dont il est ici question, l'un prend la parole au nom des autres, n'indique-t-il pas déjà une unité supérieure? On ne peut supposer que Dieu s'adresse à des anges conçus à l'ancienne manière, c'est-à-dire à des créatures inférieures, distinctes de Lui- même; une trop grande égalité règne dans le discours pour que cela soit possible. Ne faut-il pas voir là plutôt les attributs mêmes de Dieu qui, sans jamais cesser d'être Dieu lui-même, écoutent, conseillent et agissent tour à tour et que le langage humain, que nous sommes réduits à employer pour exprimer ces mystères, personnifie nécessairement? Il n'y a pas d'autre alternative possible: ou bien le texte est franchement polythéiste et relate le conciliabule de plusieurs divinités, ou bien il s'agit ici du Dieu Un reliant dans une synthèse adorable toute la pluralité de ses attributs. Ceux-ci se trouvant en quelque sorte hiérarchisés, il est naturel qu'au sommet de la gradation divine se trouvent des êtres plus proches de l'essence de la Divinité, condensant en eux-mêmes, grâce à l'organisation concentrique de l'univers, tous les êtres inférieurs, et que ce soit à eux, quel que soit d'ailleurs le nom qu'on leur veuille donner, anges ou émanations, dieux ou principautés, que l'Eternel s'adresse avant d'agir, pour leur demander avis, si l'on veut employer le langage anthropomorphique, en réalité pour [9]opérer par tout son être, pour se parler à Lui-même en leur parlant, si l'on consent à aller au fond de l'idée philosophique.

Nous résumerons l'explication théologique de ce passage en disant qu'il s'agit d'une unité supérieure et d'une pluralité rentrant dans l'unité, mais qui ne s'en diversifie nullement; d'un Dieu unique et de ses attributs plus ou moins réalisés dans l'univers, êtres les uns vis-à-vis des autres, idées par rapport à Dieu qui est l'Etre des êtres, la Conscience des consciences, et qui, lorsqu'il leur parle, ne sort pas de Lui-même. On trouve même un passage, dans le livre de la Genèse dont la forme est plus unitaire et plus théologique, tout en laissant entrevoir en Dieu une certaine pluralité. C'est celui où Dieu parle à son propre esprit, sa raison, son logos: « L'Eternel dit à son cœur » [10]. Les Rabbins, commentant ce passage d'une manière anthropomorphique selon leur coutume, ont dit: Cela ressemble a un roi qui aurait élevé un édifice par le ministère d'un architecte; s'il a des reproches à faire, n'est ce pas à l'architecte qu'il s'adressera?

La raison théologique des pluriels qui nous occupent ne saurait donc être mise en doute et l'anthropomorphisme biblique sous ses aspects grammaticaux se confond naturellement avec l'anthropomorphisme théosophique; la Kabbale ou théologie supérieure nous apparaît aussi bien sous les mythes bibliques que sous la mythologie rabbinique.


References

  1. Page 180
  2. Deutéronome V, 26
  3. II Samuel, VII, 23.
  4. Genèse, I, 26, 27.
  5. Genèse, XI, 7-8
  6. Page 181
  7. Page 182
  8. Genèse, III, 22.
  9. Page 183
  10. IX, 21.