Israël et L'Humanité - Idée de la souveraineté en Israël

From Hareidi English
Jump to: navigation, search

IV.

Idée de la souveraineté en Israël.

§ 1.

Bien que le judaïsme se taise sur la nature du sacerdoce qui convient le mieux aux Gentils, on voit qu'il ne laisse pas toutefois de leur offrir par sa propre constitution un exemple à imiter. L'enseignement qui découle de la doctrine israélite sur le terrain spécial de la législation politique vient, comme sur plusieurs autres points, enrichir la loi noachide. Il ne saurait entrer dans notre intention d'épuiser complètement tout ce que la Gentilité peut sur ce sujet apprendre naturellement des institutions israélites. Mais en raison de l'extrême importance que la chose présente dans le conflit actuel entre la religion et la société moderne, nous croyons devoir insister sur l'idée que le judaïsme se forme de l'Etat et de la souveraineté politique.

il n'échappera à personne que cette étude a une valeur décisive relativement à la compatibilité de l'idéal biblique avec les institutions politiques que l'Europe croit désormais inséparables de son droit publie. Elle permet également de se former un jugement sur les décisions prises à cet égard dans le dernier concile œcuménique de l'Eglise catholique romaine, tout au moins de voir si celle-ci, dans les arrêts qui ont soulevé une si grande agitation, peut prétendre avoir interprété fidèlement l'antique doctrine d'Israël qui, par conséquent, devrait se résigner à déclarer, avec le Syllabus, [1]la guerre à la société moderne et à renoncer à tout espoir de l'inspirer dans ses dogmes politiques comme elle continue de le faire pour les croyances religieuses. Ce n'est pas tout; cet empire que l'hébraïsme exerce plus ou moins sur la conscience religieuse des nations chrétiennes serait gravement compromis, sinon perdu sans retour, le jour où l'on arriverait à se persuader que ce qu'il enseigne comme juste et vrai dans l'ordre politique est inacceptable pour la raison moderne. Non seulement en effet les âmes se détacheraient de lui, mais d'une manière générale, convaincu d'erreur sur un point si essentiel, il ne pourrait certainement plus être considéré sur aucun autre comme maître infaillible de vérité. Telles sont les graves raisons qui nous déterminent à consacrer quelques pages à la recherche de la conception juive de la souveraineté politique, non pas, nous le répétons, que nous nous flattions de pouvoir traiter à fond le sujet, mais dans l'espoir du moins de reproduire les lignes principales du système et de montrer ce que la loi noachide, qui est la vraie loi catholique, reçoit sur ce terrain-là des mains du judaïsme.

Pour saisir d'une façon prompte et sûre l'idée dominante de la doctrine israélite sur ce point capital, il suffit de se rendre compte d'abord de ce qu'elle repousse absolument, c'est-à-dire de procéder par élimination. Quel est donc le siège de la souveraineté en Israël? Réside-t-elle dans un homme ou dans une famille investie du pouvoir suprême? Les deux suppositions sont aussi fausses l'une que l'autre et il n'est personne qui les puisse soutenir. L'idée seule d'une révélation embrassant la vie entière, publique aussi bien que privée, exclut toute possibilité de ce genre. On ne peut pas voir davantage l'organe de cette révélation dans une individualité, quelconque, qu'il s'agisse d'un grand prêtre ou d'un monarque. Nous en avons déjà indiqué la raison: ni le roi, ni le pontife ne peuvent posséder la plénitude du pouvoir souverain, car ils se meuvent l'un et l'autre dans une sphère bien déterminée et des limites infranchissables sont posées à leur action respective. On pourrait aller jusqu'à dire à la rigueur qu'ils ne participent même pas à l'exercice de l'autorité suprême, si ce n'est comme simples citoyens, sauf il est vrai le droit appartenant à la classe sacerdotale comme aux descendants de David d'être représentés dans le Sanhédrin, le corps suprême de l'Etat.

La souveraineté siégeait-elle du moins dans une classe privilégiée, dans une certaine oligarchie ou aristocratie? Pas davantage; [2]les dispositions de la Loi, l'histoire et la conception de la Révélation elle-même nous prouvent à l'envi qu'il n'en est rien. Elle ne se trouve même pas dans l'universalité des citoyens, du moins dans le sens d'un pouvoir absolu qui lui serait conféré de façon à légitimer tout ce qu'elle pourrait statuer. Quant à la fonction d'ergote de la Révélation, d'interprète autorisé, nul doute qu'elle n'appartienne au peuple décidant hiérarchiquement et selon des règles établies; ce rôle de la collectivité est le seul qui soit logiquement possible dans un Etat qui obéit à une Révélation. Si le siège de la souveraineté selon le judaïsme ne se trouve ni dans le grand prêtre, ni chez le monarque, pas plus que dans une élite de la nation ou dans le peuple tout entier, où réside-t-elle donc? En Dieu seulement, c'est à dire pour employer le langage moderne, dans la raison et la justice absolues. Dieu seul est législateur et le peuple seul est son interprète sur la terre; tel est l'idéal juif. Il nous importe peu que l'on veuille appeler le système une théocratie. Dans le sens de gouvernement sacerdotal que l'on donne habituellement à ce nom, il n'y a rien de plus éloigné de la pensée israélite, mais si l'on prend ce mot dans son acception véritable de gouvernement de Dieu, il est absolument certain, comme Josèphe l'a fait remarquer jadis, que le gouvernement d'Israël est une vraie théocratie, et même la seule, à notre avis, qui ait jamais existé .

En réalité, tout système, même et surtout parmi les plus modernes, qui se fonde sur la raison, est une théocratie, du moment qu'il reconnaît une Intelligence éternelle qui éclaire tout homme venant en ce monde. Il suffit que l'on admette quelque chose de supérieur à la volonté humaine toute seule, que l'on rejette le despotisme sous toutes ses formes, que l'on croie à l'empire des principes absolus de justice et de moralité, indépendants de tout caprice et de tout intérêt soit individuel, soit même collectif, pour que, sous un nom ou sous un autre, on soit en pleine théocratie selon la conception israélite. Peu importe que l'on fasse ou non remonter ces principes à une révélation extérieure et sensible; peu importe même qu'on leur attribue une source divine ou qu'on la leur refuse; l'idée que les hommes se font des choses ne change rien à leur nature. On est obligé ou de nier tout principe absolu de justice et de morale en érigeant alors un système du bon plaisir, dans lequel la volonté d'un homme ou la fantaisie de la foule forme l'unique règle, ou de reconnaître que, s'il ne gouverne pas toujours, c'est du moins l'Absolu, c'est-à-dire Dieu qui règne. C'est ce que les [3]positivistes et les matérialistes attestent aussi à leur façon quand nous les voyons repousser tout principe absolu comme une théocratie déguisée. Un coup d'œil même superficiel à la constitution du judaïsme suffit pour nous convaincre que les deux termes sont pour lui synonymes.

On ne saurait donc contester que, d'après la notion hébraïque, la souveraineté réside en Dieu seul. Mais cette conception n'implique pas qu'il faille chercher l'origine divine de la loi uniquement dans une révélation extérieure et sensible; le judaïsme se retrouve également en effet, d'une manière plus métaphysique, dans la manifestation intime de l'Intelligence divine, disons même dans l'incarnation du verbe intérieur, du Dieu du monde intelligible, identique par conséquent au Logos par lequel l'univers même fut créé. C'est ce qui résulte non seulement des Talmuds et des Midrashim où nous voyons les Docteurs enseigner de plusieurs manières que c'est en contemplant la Thora que Dieu créa le monde, mais surtout de maints passages des Ecritures notamment de ceux des Proverbes et du livre de Job que nous avons étudiés [4].

Pour ce qui est de l'organe de la loi, nul doute que ce ne soit la nation elle-même par son organisation hiérarchique, par ses corps constitués qui, en raison de la manière dont ils se recrutent et des éléments qui les composent, représente bien le peuple dans son ensemble, d'autant mieux que l'obligation imposée à tout Israélite de s'instruire dans les différentes parties de la Loi devait donner à la société un pouvoir et un rôle analogues à ceux de l'opinion publique dans les temps modernes. Dieu est Dieu et Roi, et le peuple est son prophète: telle est la véritable théocratie juive. C'est à l'Eternel qu'appartient la souveraineté et non point aux prêtres, et elle s'exerce par la nation dont les délégués sont des magistrats de tous ordres aussi bien que des prêtres et le roi lui-même. Chacun pouvait aspirer aux suprêmes dignités de l'Etat et lors même qu'il en demeurait éloigné, il lui était possible de prendre part indirectement à l'exercice du pouvoir, soit par son savoir personnel, soit par le caractère formel de délégation qu'il donnait à toutes les charges publiques. Dans les diverses fonctions, et même dans celle de la royauté, il n'y a que des serviteurs du public; toute autorité doit servir la nation qui est bien l'unique souverain, quand elle se trouve réunie dans la personne de ses représentants. [5]La théorie que nous exposons est au dire de certains commentateurs, celle de Moïse lui-même qui en donne la formule dans ces paroles de la dernière bénédiction: « Il y a dans Jeschouroun un souverain quand se réunissent les chefs du peuple et toutes les tribus d'Israël ensemble [6]» Ce texte est remarquable, car non seulement il établit le principe que nous exposons, mais il nous permet aussi de comprendre le véritable sens de celui du livre de la Genèse dans lequel les critiques ont voulu voir une interpolation: «Voici les rois qui ont régné sur le pays d'Edom avant qu'un souverain régnât sur les enfants d'Israël [7]». Ce roi d'Israël dont il est ici question n'est à bien voir que la souveraineté politique, la constitution de la nationalité juive au temps de Moïse; c'est comme si le texte disait: « Avant qu' Israël soit organisé en Etat .»

Les mots de schofet (juge), nasi (prince) mélech (roi) qui sont souvent pris comme synonymes montrent que ce qu'on a en vue, c'est au fond l'autorité souveraine qui, sous des formes et des noms différents, reste toujours identique; le concret est ici pris pour l'abstrait. Citons, entre tant d'autres, le témoignage d'un savant écrivain italien: « La base de la constitution qui gouverna la race sémitique était représentative. A certaines époques, la monarchie juive devint absolue, mais ce furent des exceptions. Le pivot des institutions hébraïques est une assemblée et par suite de la dispersion du peuple juif, ce fut la Synagogue qui devint l'héritière des formes représentatives et en conserva les traditions [8] ».

Le caractère de délégation de pouvoir apparaît non seulement dans les principes du droit israélite, mais encore dans l'élection des rois à laquelle le peuple prenait une part plus on moins considérable, et dans le nom même de mélech donné au souverain et qui est si semblable à mal'ach (envoyé, messager, délégué). De là, à notre avis, les applications variées de ce mot qui expriment toute l'étendue des droits que la nation entendait conférer au nouvel élu. Que ce titre de mélechpuisse désigner et ait en réalité désigné [9]parfois un monarque absolu, cela n'est pas contestable, mais nous ferons remarquer qu'on le donnait également au chef suprême de l'armée et même à des commandants subalternes. C'est ainsi que les lieutenants de Ben-Hadad, roi de Syrie, sont appelés rois (melachim) [10] et que le gouverneur envoyé à Edom par les rois de Juda est qualifié de la même manière.

L'élasticité de ce nom de mélech(roi), jointe à la faculté qui appartenait sans contestation au peuple de se choisir à son gré sa forme de gouvernement, nous explique comment deux anciens docteurs ont pu interpréter de manière si contradictoire la célèbre peinture que Samuel fait aux lsraélites de leur futur monarque. Le premier, qui ne voit dans cette description qu'une satire de la royauté, considère uniquement la constitution politique rêvée par Moïse, le souverain selon l'idéal du judaïsme: celui dont Samuel trace le portrait n'est qu'une dégénération de l'idée et ce tableau constituait un avertissement donné par le prophète aux Israélites, afin qu'ils sussent à quoi ils s'exposaient si leur demande était exaucée. L'autre docteur au contraire a vu dans le passage dont il s'agit la charte de la nouvelle monarchie, la description véritable de la royauté constituée, non pas d'après l'idéal du mosaïsme, mais d'après les désirs du peuple entraîné par cette passion de la dictature qui pousse à certains moments les nations à se faire maîtriser par une main de fer[11] Un écrivain, qui généralement fait preuve d'un jugement très sûr, a bien dit aussi que la célèbre peinture n'est pas une satire, mais bien l'expression fidèle de l'état social de l'orient [12] Si l'on entend par là que Samuel constate simplement ce que le droit publie faisait, à cette époque, de la royauté, rien n'est plus vrai; mais si l'on prétend retrouver dans ses paroles l'idéal du judaïsme, on se trompe étrangement. En effet, en examinant le contexte, on voit que ce n'est pas seulement l'abus de la monarchie, mais la monarchie elle-même qui est en jeu et que Samuel répudie. A plus forte raison ne saurait-on admettre que le prophète ait pu voir dans ce pouvoir illimité qu'il décrit l'exercice d'un droit légitime. Les termes visiblement exagérés, les couleurs, si chargées du portrait nous persuadent suffisamment du contraire. En un mot, si le texte, ne présente pas une satire, il contient une [13]menace, ou, si l'on veut, un tableau qui rappelle l'état social de l'Orient que l'on craignait de voir se réaliser en Israël, mais qui n'a absolument rien de proprement juif.

Cependant, nous dira-t-on, la loi de Moïse impose ou tout au moins permet l'élection d'un roi. Mais il faut voir de quel roi il s'agit. Le texte même qui prévoit cette forme de gouvernement s'explique de la façon la plus catégorique sur la nature de la monarchie. Il n'y a pas de pouvoir qui soit au-dessus de la Loi; celle-ci doit être la règle du roi aussi bien que celle du plus humble citoyen et son étude continuelle formera le premier devoir du monarque. Il portera constamment sur lui un exemplaire de la Thora, afin de la méditer, dit Moïse, tous les jours de sa vie et de ne s'en écarter ni à droite ni à gauche, afin aussi, ajoute le texte mosaïque, que son cœur ne s'élève point au dessus de ses frères, tant il est vrai que le judaïsme proclame l'identité de tous devant la loi. C'est à ces conditions que l'Ecriture promet au souverain un règne paisible pour lui et ses descendants en Israël.

Il y a lieu de remarquer également que la loi sur la monarchie vient immédiatement après celle qui concerne le corps suprême de l'Etat et ses hautes attributions, car c'est à lui qu'appartient le droit de décider en dernier appel de toute contestation et d'être scrupuleusement obéi par tous. Il n'y a rien de semblable pour le souverain; au contraire, nous voyons qu'il est soumis lui-même à ce devoir qui vient d'être proclamé pour le peuple tout entier. Un verset de ce même chapitre du Deutéronome prévoit le châtiment de l'homme qui n'écoutera pas le juge <réf> Deutéronome, XVII, 12. </réf>.Est-ce du roi que le texte veut parler? A notre avis le terme est collectif, comme celui de prêtre que nous lisons un peu plus haut. Ainsi donc le souverain n'est pas exclu des hautes fonctions judiciaires et si le nom de schofet ne le désigne pas uniquement, il n'en est pas moins exactement approprié à ses fonctions spéciales dans la société, comme le prouve l'histoire des Juges qui gouvernèrent Israël après Josué et notamment celle de Déborah qui, selon le témoignage formel de l'Ecriture, administrait la justice <réf> Juges, IV, 4. </réf>. La tradition talmudique est par conséquent fondée à attribuer au roi, en même temps que la qualité de nasi dont parle le Lévitique <réf> IV, 22 . </réf>celle de juge héréditaire,<réf> Page 653 </réf> et l'on ne voit pas pourquoi la critique rationaliste refuserait d'admettre que la législation de cette partie du Pentateuque s'occupe du monarque, puisque à son dire elle daterait de la destruction du premier Temple, soit d'une époque où la royauté existait depuis plusieurs siècles chez les Juifs. Si au contraire on accepte les cinq livres de Moïse comme un tout homogène ou même simplement comme une collection de plusieurs anciens documents, [14]il est aussi naturel de reconnaître que le rédacteur ou le compilateur qui, dans le Deutéronome, prévoit l'institution monarchique, a fort bien pu y faire également allusion dans le Lévitique, ne fût-ce que pour établir une certaine harmonie dans l'ouvrage. Le nom de nasi (prince, chef) a pu être employé à la place de celui de mélech (roi) simplement parce que, la forme monarchique n'étant pas indispensable, on a choisi de préférence un mot d'une application plus générale.

Nous trouvons dans l'histoire des peuples modernes un exemple de ce que devait être la royauté selon la loi juive. Les premiers parlements des Etats de l'Europe durent être composés de seigneurs, de pairs comme celui de France, et le roi, dans chaque pays, en faisait partie comme primus inter pares . Tel était précisément, selon la constitution israélite, le nasi , nom donné au souverain considéré comme chef du Sanhédrin, tandis que celui de mélech le désignait peut-être plus spécialement comme chef militaire. L'identité des deux appellations nous paraît être formellement consacrée par Ezéchiel, soit lorsqu'il prédit que David sera perpétuellement le nasi d'Israël [15],soit encore lorsque, dictant les lois qui devront désormais régir la nation, il donne constamment ce même nom au monarque élu.

L'ancien droit judaïque connu d'abord l'union du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire et quand les inconvénients de cet état de choses vinrent à se vérifier, le régime primitif fit place à celui de la séparation; le roi ne fut plus ni juge ni justiciable et sa situation dans l'Etat devint l'image fidèle du principe de l'irresponsabilité admis dans les monarchies modernes. Il y a là une preuve nouvelle que, pour la forme du gouvernement comme pour toutes les autres questions de la loi civile et politique, le peuple reste entièrement libre de choisir la constitution qui lui convient le mieux. Une royauté de ce genre ne dément certes en aucune façon la conception de la souveraineté que nous avons décrite [16]comme étant celle du judaïsme; elle en est au contraire la plus éloquente confirmation. Nous y voyons en effet une protestation centre l'idée du pouvoir absolu d'un seul homme dont l'Orient ancien et moderne nous offre tant d'exemples; le souverain que Moïse semble prévoir longtemps à l'avance, c'est plutôt le type du roi serviteur et exécuteur de la loi, autrement dit de la monarchie constitutionnelle.

On sait que Samuel, malgré l'opposition qu'il manifesta tout d'abord, finit par obtempérer à la volonté populaire et qu'en se chargeant de mettre lui-même un roi sur le trône et de le couvrir de sa protection, il montra suffisamment que le désir de ses concitoyens ne dérogeait nullement à la Loi d'Israël. Mais pourquoi donc, demandera-t-on, accueillit-il de si mauvaise grâce les premières ouvertures qui lui seront faites à ce sujet? C'est avant tout parce que Moïse paraît subordonner l'introduction de la forme monarchique à l'expression solennelle de la volonté du peuple, ce qui donne à cette partie de l'organisation sociale un aspect complète- ment différent de la nature des autres commandements mosaïques qui ne sont jamais soumis à de semblables conditions. Le passage du Pentateuque relatif à la monarchie peut être interprété non comme un ordre, mais comme une prédiction; la phrase «Tu diras: Je me constituerai un roi comme toutes les nations qui se trouvent autour de moi <réf>Deuté- ronome, XVII, 14. </ref> », se prête tout au moins à ce dernier sens et elle implique la reconnaissance de la liberté complète touchant le choix de la forme de gouvernement. C'est donc cette indépendance politique consacrée par la loi mosaïque que Samuel envisage et il s'efforce d'éclairer le peuple sur ses responsabilités.

Il ne faut pas perdre de vue dans la prédiction de Moïse le mobile attribué à la volonté populaire dans le choix de la monarchie; c'est le désir d'imiter les autres nations et cette supposition ne paraît nullement choquer le grand législateur. Soit par la manière dont il l'énonce, soit par la solution qu'il indique, il semble ne voir là qu'un motif légitime qu'il ne songe nullement à reprocher aux Juifs. Fidèle à cet esprit, Ezéchiel <réf> v. 7. Si l'on examine tout ce passage d'Ezéchiel v. 7 en le comparant avec XI, 12 du même livre, on acquiert la conviction que la négationלא qui précède le second עשיתם est tout a fait déplacée, que cette répétition du לא est une faute de copiste et que la vraie leçon est représentée par Ez. XI, 12 ( Note des éditeurs). </ref> réprimandera plus tard [17]Israël de n'avoir point suivi les lois des peuples qui l'environnaient et les Docteurs [18] commentant ses paroles ont dit qu'il s'agit là des bonnes lois des Gentils auxquelles les Israélites ne se sont point toujours conformés, taudis qu'ils en ont souvent adopté les mauvaises. On voit comment ces déclarations de Moïse et d'Ezéchiel viennent confirmer notre théorie de l'assimilation que le mosaïsme opère de tout ce qu'il y a de vraiment bon dans la Gentilité. C'est encore là un point qui justifie la résistance première de Samuel et ses avertissements au moment où les Hébreux formulent leur demande d'un monarque « pour les juger comme chez toutes les nations ».

La forme sous laquelle s'exprime la volonté populaire en cette circonstance nous explique donc également l'opposition du prophète. Ce roi juge que le peuple veut établir sur lui ce souverain qui réunit entre ses mains tous les pouvoirs, n'est pas le chef politique que Moïse prévoyait; si son empire en effet s'étend jusque sur la législation, même en limitant celle-ci aux lois civiles, il est inévitable qu'il empiétera tôt ou tard sur le domaine de la conscience et qu'en tout cas il portera atteinte à la dignité et aux intérêts des citoyens. Moïse ne fait aucune allusion aux fonctions judiciaires quand il parle du roi futur, taudis qu'Israël parait précisément réclamer, pour le monarque qu'il désire, cette attribution-là sans règle et sans contrôle, ce qui aboutit à l'exercice du pouvoir législatif lui-même. Si tel n'était pas l'objet de la demande des Hébreux, Samuel n'aurait pas dessiné un portrait si sombre; on ne s'expliquerait pas qu'il ait représenté sous les traits d'un odieux tyran un simple roi soumis à la loi politique aussi bien qu'à la loi religieuse. Le texte biblique ne laisse d'ailleurs subsister aucun doute à cet égard: « Samuel vit avec déplaisir qu'ils disaient: Donne-nous un roi pour nous juger [19]». cette répétition est évidemment significative, mais la réponse de Dieu au prophète ne l'est pas moins:« Ce n'est pas toi qu'ils rejettent, dit le Seigneur, c'est moi qu'ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux [20]». Dieu seul étant le législateur d'Israël, c'est une sorte de rival de Dieu que le peuple appelle de ses vœux imprudents.

Nous comprenons ainsi que Samuel proteste avec indignation [21]contre cette abdication inconsidérés que les Juifs veulent faire de leurs plus nobles droits et qu'il leur dépeigne à dessein sous les couleurs les plus noires les conséquences de leur caprice.


References

  1. Page 647
  2. Page 648
  3. Page 649
  4. Proverbes, VIII, 21 sqq; Job, XXVIII, 22 seq; Jalcout, 942.
  5. Page 650
  6. Deutéronome, XXXIII, 5.
  7. Genèse, XXXVI, 31.
  8. N. Antologia, 15 Maggio 1882, p. 275.
  9. Page 651
  10. Rois, XX, 16
  11. Sanhédrin, 20b.
  12. Laurent, Histoire du droit des gens, I p. 101.
  13. Page 652
  14. Ghittin, 60 <super> a</super> </span> </li>
  15. XXXIV, 24
  16. Page 654
  17. Page 655
  18. Voir les commentaires de <i> Raschi </i> dans le passage cité
  19. I Samuel, VIII, 6.
  20. Ibid. vers. 7.
  21. Page 656
  22. </ol>