Israël et L'Humanité - Idées rabbiniques sur la destination de laévêlation sinaitique

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CHAPITRE ClNQUIÈME

LA RELIGION UNIVERSELLE

DANS LA RÉVÉLATION MOSAÏQUE

I.

Idées rabbiniques sur la destination de la révélation sinaïtique.

§ 1.

Nous comprenons ici par révélation mosaïque la promulgation de la Loi sur le Sinaï et ce sont les circonstances attribuées par la Tradition à ce fait historique que nous allons passer en revue, afin d'y retrouver, s'il est possible, les traces de religion universelle qui jusqu'à présent ne nous ont fait défaut nulle part. Il est évident que les témoignages que nous pourrons recueillir en cette circonstance auront une valeur d'autant plus grande qu'il s'agit d'un événement d'une importance plus exceptionnelle.

On ne peut qu'admirer la conduite des Pharisiens en face de cette page capitale de l'histoire biblique. Il est touchant de voir ces Docteurs si méprisés et souvent même si calomniés se donner des peines infinies pour découvrir partout dans ce récit de la révélation sinaïtique, même lorsque le texte semble ne s'y prêter aucunement, les indices d'une destination universelle. C'est ainsi qu'ils recherchent quelle fut la langue que Dieu employa pour parler à son peuple et bien que la forme du Décalogue soit à cet égard strictement juive, puisqu'il ne contient que des mots purement hébraïques, les Rabbins ne laissent pas d'y trouver l'empreinte de plusieurs idiomes et ils s'ingénient à construire là-dessus tout un système intéressant pour notre présente étude. D'après eux,[1] le Seigneur en donnant sa loi à Israël sur le Sinaï a parlé non seulement en hébreu, mais encore en d'autres langues et, à les en croire, ces langues sont précisément celles qui jouent un rôle pré-pondérant dans l'histoire ancienne de l'humanité, à savoir: l'arabe, le latin et l'araméen. « L'Eternel est venu (ba) de Sinaï», voilà, nous disent-ils, la langue hébraïque; « il s'est levé (zarah) sur eux de Séir », voilà le latin; « il a resplendi (hofi'a) de la montagne de Paran » voilà l'arabe; « et il est sorti (veatha) du milieu des saintes myriades », voilà l'araméen [2].

Ce qu'il convient de remarquer ici ce n'est évidemment pas l'étymologie plus ou moins douteuse des mots, c'est l'esprit de cosmopolitisme qui a inspiré ces curieuses recherches. Ni l'amour-propre national, ni les convictions religieuses, ni les ressentiments les plus légitimes contre des oppresseurs acharnés à fouler aux pieds les droits sacrés de l'israélite, n'ont pu étouffer ces préoccupations et sur les ruines de tous les préjugés, nous voyons s'élever l'image majestueuse de la loi universelle donnée à l'humanité par l'entremise d'Israël. Car ces quatre langues dont nous parlent les Rabbins, bien qu'elles représentent les plus notables civilisations du monde ancien, ne suffisent pas à exprimer l'étendue de leur pensée qui embrasse un horizon infiniment plus vaste. Elles ne tardent pas en effet à devenir dans leurs commentaires toutes les langues de l'univers et c'est, d'après eux, à tous les peuples sans exception que s'adresse la voix du Sinaï. R. Jochanan fait observer que le texte ne dit pas: « Tout le peuple entendait la voix », mais « tout le peuple entendait les voix [3], car, nous dit-il, le son de la voix divine se divisait en soixante-dix voix, afin que toutes les nations puissent l'entendre ». Il n'y a rien à ajouter à de telles paroles; elles disent assez éloquemment que, d'après les croyances juives, la révélation du Sinaï a une destination universelle et leur unique défaut serait même de confondre Israël parmi les autres peuples en supprimant d'un seul trait toute différence entre la [4] religion de l'humanité laïque et la règle sacerdotale du peuple prêtre. Mais nous avons vu que la conception du double aspect de la loi divine est trop profondément enracinée dans l'esprit des Docteurs pharisiens pour qu'il soit possible d'interpréter dans ce sens leurs professions de foi universaliste. Pour eux la loi mosaïque renferme celle de l'humanité et cette dernière se trouve placée sous la sauvegarde de la religion d'Israël.

Les Rabbins étaient si désireux de prouver que Dieu, en se manifestant sur le Sinaï, s'adressait à tous les peuples et qu'il n'a pas dédaigné de se servir d'autres idiomes que de l'hébreu que, pour retrouver dans le Pentateuque des traces des langues les plus importantes de l'antiquité, ils n'ont pas craint d'attribuer au texte mosaïque de véritables barbarisme. Ils vont même jusqu'à faire servir ces étymologies étrangères de fondement à certaines lois, à certains rites sacrés, comme le grec pour les lois criminelles, l'arabe pour la sonnerie du Schofar, l'africain pour le précepte des Tefillin [5]

Mais ce qui n'est pas moins significatif, c'est l'emploi simultané chez les Juifs de deux langues, l'araméen et l'hébreu, mises probablement l'une et l'autre au service de la religion, Ce phénomène historique nous paraît tenir à la même cause que les recherches mythiques et théologiques des Docteurs sur la langue de la révélation mosaïque. Nous laissons aux philologues le soin d'élucider le problème de l'existence de l'hébreu comme langue vulgaire à l'époque de Moïse. Il semble plus vraisemblable d'admettre que l'araméen, idiome paternel, hérité des patriarches et importé de la Mésopotamie, était alors généralement usité, mais les Juifs n'étaient pas moins déjà à ce moment en possession de l'hébreu, ainsi qu'en témoignent certains signes assez probants, entre autres les noms propres. Si l'on soutient au contraire que ce fut l'hébreu, qui avait été hérité des ancêtres, soit parce qu'il faut le considérer comme un dialecte araméen particulier, soit parce que les Israélites l'avaient adopté depuis leur séjour en Canaan, et que l'araméen subsistait comme souvenir de la Mésopotamie ou comme langue apprise au contact des peuples phéniciens ou cananéens, il demeure [6] toujours établi que l'usage des deux idiomes était conservé en Israël. Le judaïsme innovait ainsi que les vérités qu'il prêchait et que cette loi divine dont il se trouvait dépositaire, n'étaient pas réservées à un petit nombre d'initiés comme les enseignements des mystères égyptiens, qu'elles ne constituaient pas davantage le patrimoine exclusif des Israélites, mais qu'au contraire elles étaient destinées à rayonner en dehors des frontières du peuple hébreu et à étendre leur bienfaisante influence sur toutes les autres races de la terre.


References

  1. Page 557
  2. Deutéronome, XXXIII, 2. Ces quatre verbes sont assez heureusement choisis pour représenter chacune des langues mentionnées. L'étymologie de ba et de agha est certaine; quant à zarah , il rappelle le latin surgo et hofi'a offre de l'analogie avec l'arabe. Les localités indiquées dans la bénédiction mosaïque sont également pour quelque chose dans la désignation des langues: Seir, le pays d'Edom. Est bien propre à représenter Rome qui a toujours été identifiée avec Edom, et Paran est le siège primitif d'Ismaël, père des Arabes.
  3. Exode, XX, 18.
  4. Page 558
  5. Zebahim 37 <super> b </super>; Menahot 34 <super > b </super>; Sanhédrin 4 <super> b </super>; Rosch Aschana 26 <super> a </super>
  6. Page 559