Israël et L'Humanité - Idées rabbiniques sur le progrês humain comparé à l'immutabilité angélique

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III.

Idées rabbiniques sur le progrès humain comparé à l'immutabilité angélique.

L'opinion rabbinique qui met la nature de l'homme au-dessus de la nature de l'ange découle évidemment de l'idée que le premier est susceptible de progrès, tandis que le second est voué à l'immobilité. Et en effet, tandis que la marche caractérise l'homme et que les locutions de marcher devant Dieu, marcher avec Dieu, sont dans l'hébraïsme synonymes de vertu et de religion, les anges sont au contraire qualifiés de stationnaires. Dans le Talmud de Jérusalem, les Rabbins vont jusqu'à affirmer comme preuve de cette immobilité que les anges ont les jambes réunies, qu'ils ne possèdent qu'un seul pied et qu'ils n'ont pas de jointures, en un mot ils nous en font une description qui rappelle exactement la figure des dieux égyptiens que nous ont révélée les découvertes modernes.

L'hébraïsme soit biblique, soit rabbinique, nous présente souvent l'homme aux prises avec les anges et ce ne sont pas toujours ces derniers qui ont l'avantage. La lutte que soutint le patriarche d'Israël, évidemment avec un être angélique dont il requit l'hommage, est célèbre entre toutes. Celle qui nous est décrite à l'origine de la création entre l'humanité et le serpent est bien une lutte angélique et la plus grande qui ait été conque. A peine voyons nous [1] surgir la conception de Satan qu'apparaît de l'autre côté, comme terme corrélatif, l'antagonisme de l'homme appelé par conséquent à combattre, à vaincre, à triompher.

Nous n'entendrons pas dire que l'on ne découvre pas çà et là dans l'Ecriture des passages dans le sens opposé, c'est-à-dire où les anges nous sont représentés comme supérieurs à l'homme. Leur plus grande proximité du trône de Dieu dont ils forment la cour céleste, les hommages qu'ils reçoivent de la part de l'homme, la terreur que parfois ils lui inspirent, paraissent difficilement conciliables avec la doctrine rabbinique dont nous nous occupons présentement et qui, à notre avis, a ses fondements dans la Bible elle-même. Tout s'explique cependant si l'on ne perd pas de vue l'idée du progrès humain sur laquelle repose cette notion de la supériorité de l'homme sur l'ange. D'après cela, il est clair qu'il y a une double façon d'envisager la nature humaine. L'homme, tant qu'il est en marche et à plus forte raison à son début, doit être inférieur aux anges, mais cette infériorité n'est point définitive, car il y a des étapes et des degrés induis dans le chemin qu'il doit parcourir. Et non seulement l'humanité en général dans la suite de ses générations évolue continuellement, mais dans une seule génération, il y a entre les hommes qui la composent, de telles différences que leur valeur comparativement à celle d'autres créatures, inférieures ou plus élevées change nécessairement d'aspect. L'homme est ainsi supérieur ou inférieur aux anges selon la place qu'il occupe dans cette échelle nuance, se qu'il doit parcourir. Voilà, comment la Bible elle-même témoigne de la possibilité pour l'homme de s'élever au dessus de l'ange en affirmant la doctrine du progrès de l'humanité.

Ce qui est hors de doute, c'est l'opinion des Rabbins et le témoignage unanime de la tradition tant talmudique que kabbalistique à ce sujet. L'affirmation de la supériorité de l'homme est si nette et si générale qu'il serait inconcevable que l'Ecriture différât complètement sur ce point. Sur le verset du Psalmiste: « Il ordonnera à ses anges de te garder dans toutes tes voies » [2] le Midrasch dit: « Quel est donc le plus grand des deux? le gardien on celui qu'il garde? « Et ailleurs il est dit que les ministres angéliques servaient et vénéraient Adam dans le paradis et qu'un jour viendra où ils chanteront: Saint, saint, devant Israël. [3] L'opinion contraire qui accorde à l'ange une supériorité absolue appartient à l'Eglise chrétienne et à certaines écoles juives du Moyen-âge, à l'exception, nous le répétons, de tous les monuments talmudiques et midraschiques qui sont unanimes dans le sens que nous indiquons. Entre ces deux avis opposés il est curieux d'entendre la « voix de la science indépendante. Le problème se pose naturellement pour elle d'une manière un peu différente, mais au fond la question est la même. Elle s'est demandé si l'homme représente le genre d'être le plus élevé et s'il est possible d'en imaginer d'autres qui lui soient supérieurs. Certains savants ont répondu négativement. Nous croyons, quant à nous, qu'avec l'homme, ou si l'on veut avec l'être conscient, s'ouvre, mais ne se clôt pas, un nouveau monde, le monde rationnel et moral, et que dans le monde-là il peut et doit même exister une hiérarchie d'espèces, sinon de genres de créatures qui se distinguent justement par le degré de conscience qu'elles ont de l'univers. Dans ce monde de consciences, entre une intelligence essentiellement perfectible et une autre qui est immobile par nature, la supériorité appartient à la première et c'est là le sens de la maxime des Rabbins: « Les hommes justes sont supérieurs aux ministres angéliques » [4].

Cette doctrine de la supériorité de l'homme sur les anges se confond avec une autre sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir, à savoir celle qui place les œuvres de l'homme au dessus des œuvres de la nature. Il suffit pour s'en apercevoir d'observer que les anges sont les forces de la nature; par conséquent la liberté, la civilisation et ce que nous appelons les miracles, en un mot toutes les manifestations de l'intelligence humaine sont bien au-dessus des forces naturelles et des œuvres des dieux. Le paganisme lui-même disait que Jupiter a plus besoin de l'homme juste que celui-ci n'a besoin de Jupiter et Plotin, invité par ses disciples à assister à un sacrifice, répondait: « C'est aux dieux à venir à moi plutôt qu'à moi à aller les trouver ». Le lecteur qui sait maintenant ce que l'hébraïsme pense de la perfectibilité humaine n'aura pas de peine à voir comment, au point de vue juif, se rectifie la réponse du philosophe néoplatonicien, dans un sens qui relève mieux encore la dignité de l'homme, tout en respectant la majesté de Dieu sans qui il n'y aurait pas de progrès possible. [5]


References

  1. Page 328
  2. Psaume XC1, 11.
  3. Page 329
  4. Sanhedrin 93 <super> a</super>
  5. Page 330