Difference between revisions of "Israël et L'Humanité - Incompatibilité de l'idée d'un Dieu national avec la conception israélite"

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Incompatibilité de l'idée d~un Dise national avec la conception israélite.
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Incompatibilité de l'idée d'un Dieu national avec la conception israélite.
  
L'avenir réservé au Cube da Dieu d'Israël et la vocation des Gentils remplissent d'un bout à l'autre les pages des Prophètes. Cela est d'autant plus remarquable aux époques où le sentiment patriotique était particulièrement vivace et aurait dû par censé­quent étouffer toute autre tendance, si le Dieu des Jnifs avait été, comme on le prétend, un Dieu purement national. LOB deux notions, particulariste et universaliste, se trouvent exprimées au contraire simultanément en parfait accord, car la premiers répon­
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L'avenir réservé au culte du Dieu d'Israël et la vocation des Gentils remplissent d'un bout à l'autre les pages des Prophètes. Cela est d'autant plus remarquable aux époques où le sentiment patriotique était particulièrement vivace et aurait dû par conséquent étouffer toute autre tendance, si le Dieu des Juifs avait été, comme on le prétend, un Dieu purement national. Les deux notions, particulariste et universaliste, se trouvent exprimées au contraire simultanément en parfait accord, car la première répondait <ref> Page 229 </ref> à un état de choses qui avait ses racines dans toute la vie israélite, publique et privée, et la seconde était une aspiration bien authentiquement juive et de nature à ravir toutes les âmes religieuses en Israël.
  
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Une citation du prophète Michée va nous montrer le rapprochement et l'union des deux conceptions : « Car tous les peuples marchent, chacun au nom de son dieu, et nous marcherons, nous, au nom d'Avaya, notre Dieu, à toujours et à perpétuité ». Voilà certes une éclatante profession de foi nationale et cependant la rédaction de ce passage qui est présenté en quelque sorte comme une conséquence de ce qui précède ne nous permet pas de croire qu'il en est réellement ainsi. Et en effet, le commencement du chapitre annonce dans les termes les plus clairs la conversion des Gentils: « Il arrivera, dans la suite des temps, que la montagne de la maison de l'Eternel sera fondée sur le sommet des montagnes, qu'elle s'élèvera par dessus les collines et que les peuples y afflueront. Des nations s'y rendront en foule, et diront: « Venez, et montons à la maison d'Avaya. à la maison du Dieu de Jacob, afin qu'il nous enseigne ses voies et que nous marchions dans ses sentiers. Car de Sion sortira la loi, et de Jérusalem la parole de l'Eternel » <ref>  Michée, IV, 1-5. </ref>. Le sens paraît  donc être celui-ci: Jusqu'à l'époque de cette conversion finale, que chaque peuple suive ses lumières actuelles et l'avenir montrera quel est le vrai Dieu. Ce texte mérite d'être rapproché d'un passage d'Isaïe où la prédiction relative à la conversion des Gentils est faite exactement dans les mêmes termes et se termine ainsi: « O maison de Jacob, venez et marchons à la lumière de l'Eternel! » <ref>Isaïe, II, 5. </ref>. C'est-à-dire: En attendant le jour où tous les peuples marcheront dans les voies de notre Dieu, marchons dès aujourd'hui, nous, famille de Jacob, à la lumière de l'Eternel.
  
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Nous ne saurions trop appeler l'attention sur ce fait que tous les textes, et ils sont fort nombreux, dans lesquels l'idée nationaliste et la profession de foi universelle se trouvent unies, mêlées ensemble, prouvent à l'évidence que les deux doctrines, loin de se présenter comme les étapes successives d'une évolution spirituelle qui aurait fait passer d'une notion inférieure à une notion plus élevée, ont été conçues en même temps et dépendent si étroitement <ref> Page 230 </ref>l'une de l'autre qu'elles semblent ne former, nous le répétons, qu'une seule et même idée sous deux aspects différents.
  
doit à, un état de choses qui avait ses racines dans toute la vie israélite, publique et privée, et la seconde était une aspiration bien authentiquement juive et de nature à ravir toutes les âmes reli­gieuses en Israël.
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Au risque d'étonner nos lecteurs, nous dirons d'ailleurs que l'idée d'un Dieu local en Israël n'est pas même concevable. La religion du Dieu d'Israël n'a point de patrie, à moins que l'on n'appelle de ce nom le berceau du genre humain. Nom seulement elle commence, d'après ses livres sacrés avec la création du monde et de l'humanité ce qui est déjà un argument décisif contre toute espèce de localisation, mais en nous bornant même à l'histoire de la race israélite, nous la voyons débuter avec une famille nomade et se continuer avec sa descendance captive en Egypte. Les rabbins ont si peu de sympathie pour l'idée d'un Dieu local et national qu'ils font remonter aux origines mêmes de l'humanité le culte mosaïque; ainsi en concentrant en Adam, unité primordiale, tout ce qui se trouvera par la suite distribué et diversifié dans les différentes familles terrestres, tous les génies nationaux, et en rattachant leur propre religion au premier homme, ils entendaient indiquer que, d'une certaine manière, elle convenait à l'espèce humaine tout entière.
  
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Dans le système des divinités locales au contraire, le dieu et la terre sont si indissolublement unis qu'ils ne peuvent subsister l'un sans l'autre. Aussi l'autochtonéité a-t-elle été le caractère dominant de toutes les anciennes religions et il serait absurde par conséquent de parler de religion locale pour un peuple qui, comme les juifs, ne se croyait pas autochtone. Le mosaïsme d'ailleurs ne commence pas, à proprement parler, à Moïse et l'assertion des rabbins sur ce point n'est pas dénuée de fondement; il a eu une longue existence antérieure, période de préparation, nous disent des savants comme M. Barnouf, analogue à celle que le judaïsme lui-même représente pour la religion chrétienne qui lui a succédé. Tout n'est pas faux assurément dans cette théorie, car on peut dire d'une manière générale que toute religion antérieure est la préparation et la figure de celle qui doit suivre. Mais il est inadmissible, on en conviendra, que la figure soit supérieure à la réalité elle-même , comme ce serait évidemment le cas si la religion universelle et franchement humanitaire des générations antérieures à Moïse avait fait place à un culte strictement national comme on prétend que le mosaïsme l'a été. A moins que l'on ne veuille soutenir que l'humanité, au lieu d'avancer, a fait un pas considérable en arrière, il paraît  plus raisonnable de croire que la religion de <ref> Page 231 </ref>Moïse n'a pas perdu le caractère universaliste de celle qu'elle a remplacée et qu'elle lui a même été supérieure à cet égard. De fait, la religion prémosaïque, tout universelle qu'elle était, n'avait pas de centre d'organisation et d'unité; elle était plus exposée par conséquent à se corrompre et à dégénérer irrémédiablement. Avec Moïse au contraire, nous la voyons pourvue d'une constitution définitive, d'un foyer central et de représentants attitrés. Avant que parût le grand législateur hébreu, il existait bien une religion pour tous les hommes, mais après lui il y en a une pour l'humanité, en ce sens que l'unité religieuse a été véritablement organisée par lui.
  
Nous ne saurions trop appeler l'attention sur ce fait que tous les textes, et !la sont fort rmmbreux~ dans lesquels l'idée natio­naliste et la profession de foi universelle se trouvent unies, mêlées ensemble, prouvent à Vévidmwe que les deux doctrines, loin de se présenter comme les étapes successives d'une évolution spirituelle qui aurait fait passer d'une notion inférieure à une notion plus élevée, ont été conçues en même temps et dépendent si étroite.
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Certains critiques comprenant tout ce que cette localisation de la religion mosaïque a d'invraisemblable, se sont contentés de dire que si le Dieu d'Israël n'était pas le Dieu exclusif des Juifs, il était du moins, dans l'esprit de ses adorateurs, leur protecteur spécial. Nous croyons avoir montré en parlant du Dieu Providence qu'une égale justice est proclamée dans la Bible pour tous les peuples indistinctement. Si la protection spéciale dont on parle a quelque fondement de vérité, c'est uniquement, nous le verrons à sa place, pour Israël en tant que peuple prêtre, c'est-à-dire dans un sens parfaitement universaliste, dans l'intérêt de l'humanité tout entière. Les Juifs ne sont point d'ailleurs sans excuse, au dire de ces mêmes critiques, s'ils se sont crus l'objet spécial des faveurs divines. « Comment faire aux Juifs un reproche d'avoir élevé des prétentions pareilles, écrit M. Delaunay, quand nous voyons tous les peuples de l'antiquité dans la même erreur s'ils se vantaient d'avoir la protection spéciale d'Avaya, les Grecs se déclarèrent aussi les enfants chéris de Zeus » <ref>Ecrits historiques de Philon, p. 77. </ref>.
  
 
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Mais nous avouons que la comparaison ne serait point à l'avantage des Israélites. Les Grecs ne voyaient pas en Zeus ce que les Juifs voyaient en Avaya, le créateur du monde et de l'humanité et par conséquent leur exclusivisme religieux n'était point si odieux qu'il l'eût été chez les Juifs. Ils reconnaissaient l'autorité d'autres dieux sur d'autres nations, aussi l'amour spécial que Zeus pouvait avoir pour eux était incomparablement moins injuste que ne l'eût été la conduite d'Avaya, Dieu unique du monde entier, s'attachant, à l'exclusion de tous les autres peuples, une petite nation seulement. <ref> Page 232 </ref>La notion de l'impartialité divine était si bien entrée dans l'esprit du judaïsme que les rabbins qu'on représente assez volontiers comme des modèles de sectarisme religieux, s'écrient à propos de la formule de la bénédiction aaronique: Que l'Eternel fasse briller sa face sur toi et qu'il t'accorde sa grâce! «Comment cela peut-il être dit d'Israël, puisqu'il est écrit que Dieu ne fait acception de personne? C'est, ont-ils répondu, que les Juifs accomplissant par la pratique des observances mosaïques plus qu'il n'est exigé du commun des hommes, Dieu même leur doit, pour maintenir la stricte justice, un regard spécial ».
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Certains critiques comprenant tout ce que cette localisation de Iz religion mosaïque a d'invraisemblable, se sont contemAs de dire que si le Dieu d'Israël n'était pas le Dieu exclusif des Juifs, il était du moins, dans l'esprit de ses adorateurs, leur protecteur spécial. Nous croyons avoir montré en parlant du Dieu Providence qu'une égale justice est proclamés dans la Bible pour tous les peuples inàistinctenmnt~ Si la protection spéciale dont on parle a quelque fondement de vérité, elest uniquement, nous le volerons a sa place, pour Israël en tant que peuple‑prêtre, eest.â‑dire dans un sens parfaitement universaliste, dans l'intérêt de, l'humanité tout Antiêre. Les Juifs lie sont point d'ailleurs sang excuse, au dire de ces mêmes critiques, s'ils se sont crus l'objet spécial des faveurs divines. ~ Comment faire aux Juifs un reproche d'avoir élevé des prétentions pareilles, écrit M. Delaunay, quand nous voyous tous les peuples de l'antiquité dans la même erreurl S'ils se vantaient d'avoir la protection spéciale d'Avaya, les Grecs se déclarèrent aussi les enfants chéris de Zeus ~ (~).
 
 
 
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(1) EiÈt~                          ifi, Philo., p. 77,
 
 
 
 
 
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Revision as of 15:14, 17 September 2010

II.

Incompatibilité de l'idée d'un Dieu national avec la conception israélite.

L'avenir réservé au culte du Dieu d'Israël et la vocation des Gentils remplissent d'un bout à l'autre les pages des Prophètes. Cela est d'autant plus remarquable aux époques où le sentiment patriotique était particulièrement vivace et aurait dû par conséquent étouffer toute autre tendance, si le Dieu des Juifs avait été, comme on le prétend, un Dieu purement national. Les deux notions, particulariste et universaliste, se trouvent exprimées au contraire simultanément en parfait accord, car la première répondait [1] à un état de choses qui avait ses racines dans toute la vie israélite, publique et privée, et la seconde était une aspiration bien authentiquement juive et de nature à ravir toutes les âmes religieuses en Israël.

Une citation du prophète Michée va nous montrer le rapprochement et l'union des deux conceptions : « Car tous les peuples marchent, chacun au nom de son dieu, et nous marcherons, nous, au nom d'Avaya, notre Dieu, à toujours et à perpétuité ». Voilà certes une éclatante profession de foi nationale et cependant la rédaction de ce passage qui est présenté en quelque sorte comme une conséquence de ce qui précède ne nous permet pas de croire qu'il en est réellement ainsi. Et en effet, le commencement du chapitre annonce dans les termes les plus clairs la conversion des Gentils: « Il arrivera, dans la suite des temps, que la montagne de la maison de l'Eternel sera fondée sur le sommet des montagnes, qu'elle s'élèvera par dessus les collines et que les peuples y afflueront. Des nations s'y rendront en foule, et diront: « Venez, et montons à la maison d'Avaya. à la maison du Dieu de Jacob, afin qu'il nous enseigne ses voies et que nous marchions dans ses sentiers. Car de Sion sortira la loi, et de Jérusalem la parole de l'Eternel » [2]. Le sens paraît donc être celui-ci: Jusqu'à l'époque de cette conversion finale, que chaque peuple suive ses lumières actuelles et l'avenir montrera quel est le vrai Dieu. Ce texte mérite d'être rapproché d'un passage d'Isaïe où la prédiction relative à la conversion des Gentils est faite exactement dans les mêmes termes et se termine ainsi: « O maison de Jacob, venez et marchons à la lumière de l'Eternel! » [3]. C'est-à-dire: En attendant le jour où tous les peuples marcheront dans les voies de notre Dieu, marchons dès aujourd'hui, nous, famille de Jacob, à la lumière de l'Eternel.

Nous ne saurions trop appeler l'attention sur ce fait que tous les textes, et ils sont fort nombreux, dans lesquels l'idée nationaliste et la profession de foi universelle se trouvent unies, mêlées ensemble, prouvent à l'évidence que les deux doctrines, loin de se présenter comme les étapes successives d'une évolution spirituelle qui aurait fait passer d'une notion inférieure à une notion plus élevée, ont été conçues en même temps et dépendent si étroitement [4]l'une de l'autre qu'elles semblent ne former, nous le répétons, qu'une seule et même idée sous deux aspects différents.

Au risque d'étonner nos lecteurs, nous dirons d'ailleurs que l'idée d'un Dieu local en Israël n'est pas même concevable. La religion du Dieu d'Israël n'a point de patrie, à moins que l'on n'appelle de ce nom le berceau du genre humain. Nom seulement elle commence, d'après ses livres sacrés avec la création du monde et de l'humanité ce qui est déjà un argument décisif contre toute espèce de localisation, mais en nous bornant même à l'histoire de la race israélite, nous la voyons débuter avec une famille nomade et se continuer avec sa descendance captive en Egypte. Les rabbins ont si peu de sympathie pour l'idée d'un Dieu local et national qu'ils font remonter aux origines mêmes de l'humanité le culte mosaïque; ainsi en concentrant en Adam, unité primordiale, tout ce qui se trouvera par la suite distribué et diversifié dans les différentes familles terrestres, tous les génies nationaux, et en rattachant leur propre religion au premier homme, ils entendaient indiquer que, d'une certaine manière, elle convenait à l'espèce humaine tout entière.

Dans le système des divinités locales au contraire, le dieu et la terre sont si indissolublement unis qu'ils ne peuvent subsister l'un sans l'autre. Aussi l'autochtonéité a-t-elle été le caractère dominant de toutes les anciennes religions et il serait absurde par conséquent de parler de religion locale pour un peuple qui, comme les juifs, ne se croyait pas autochtone. Le mosaïsme d'ailleurs ne commence pas, à proprement parler, à Moïse et l'assertion des rabbins sur ce point n'est pas dénuée de fondement; il a eu une longue existence antérieure, période de préparation, nous disent des savants comme M. Barnouf, analogue à celle que le judaïsme lui-même représente pour la religion chrétienne qui lui a succédé. Tout n'est pas faux assurément dans cette théorie, car on peut dire d'une manière générale que toute religion antérieure est la préparation et la figure de celle qui doit suivre. Mais il est inadmissible, on en conviendra, que la figure soit supérieure à la réalité elle-même , comme ce serait évidemment le cas si la religion universelle et franchement humanitaire des générations antérieures à Moïse avait fait place à un culte strictement national comme on prétend que le mosaïsme l'a été. A moins que l'on ne veuille soutenir que l'humanité, au lieu d'avancer, a fait un pas considérable en arrière, il paraît plus raisonnable de croire que la religion de [5]Moïse n'a pas perdu le caractère universaliste de celle qu'elle a remplacée et qu'elle lui a même été supérieure à cet égard. De fait, la religion prémosaïque, tout universelle qu'elle était, n'avait pas de centre d'organisation et d'unité; elle était plus exposée par conséquent à se corrompre et à dégénérer irrémédiablement. Avec Moïse au contraire, nous la voyons pourvue d'une constitution définitive, d'un foyer central et de représentants attitrés. Avant que parût le grand législateur hébreu, il existait bien une religion pour tous les hommes, mais après lui il y en a une pour l'humanité, en ce sens que l'unité religieuse a été véritablement organisée par lui.

Certains critiques comprenant tout ce que cette localisation de la religion mosaïque a d'invraisemblable, se sont contentés de dire que si le Dieu d'Israël n'était pas le Dieu exclusif des Juifs, il était du moins, dans l'esprit de ses adorateurs, leur protecteur spécial. Nous croyons avoir montré en parlant du Dieu Providence qu'une égale justice est proclamée dans la Bible pour tous les peuples indistinctement. Si la protection spéciale dont on parle a quelque fondement de vérité, c'est uniquement, nous le verrons à sa place, pour Israël en tant que peuple prêtre, c'est-à-dire dans un sens parfaitement universaliste, dans l'intérêt de l'humanité tout entière. Les Juifs ne sont point d'ailleurs sans excuse, au dire de ces mêmes critiques, s'ils se sont crus l'objet spécial des faveurs divines. « Comment faire aux Juifs un reproche d'avoir élevé des prétentions pareilles, écrit M. Delaunay, quand nous voyons tous les peuples de l'antiquité dans la même erreur s'ils se vantaient d'avoir la protection spéciale d'Avaya, les Grecs se déclarèrent aussi les enfants chéris de Zeus » [6].

Mais nous avouons que la comparaison ne serait point à l'avantage des Israélites. Les Grecs ne voyaient pas en Zeus ce que les Juifs voyaient en Avaya, le créateur du monde et de l'humanité et par conséquent leur exclusivisme religieux n'était point si odieux qu'il l'eût été chez les Juifs. Ils reconnaissaient l'autorité d'autres dieux sur d'autres nations, aussi l'amour spécial que Zeus pouvait avoir pour eux était incomparablement moins injuste que ne l'eût été la conduite d'Avaya, Dieu unique du monde entier, s'attachant, à l'exclusion de tous les autres peuples, une petite nation seulement. [7]La notion de l'impartialité divine était si bien entrée dans l'esprit du judaïsme que les rabbins qu'on représente assez volontiers comme des modèles de sectarisme religieux, s'écrient à propos de la formule de la bénédiction aaronique: Que l'Eternel fasse briller sa face sur toi et qu'il t'accorde sa grâce! «Comment cela peut-il être dit d'Israël, puisqu'il est écrit que Dieu ne fait acception de personne? C'est, ont-ils répondu, que les Juifs accomplissant par la pratique des observances mosaïques plus qu'il n'est exigé du commun des hommes, Dieu même leur doit, pour maintenir la stricte justice, un regard spécial ».


References

  1. Page 229
  2. Michée, IV, 1-5.
  3. Isaïe, II, 5.
  4. Page 230
  5. Page 231
  6. Ecrits historiques de Philon, p. 77.
  7. Page 232