Difference between revisions of "Israël et L'Humanité - Incompatibilité de l'idée d'un Dieu national avec la conception israélite"

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Incompatibilité de l'idée d'un Dieu national avec la conception israélite.
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Particularisme et Universalisme.
  
L'avenir réservé au culte du Dieu d'Israël et la vocation des Gentils remplissent d'un bout à l'autre les pages des Prophètes. Cela est d'autant plus remarquable aux époques où le sentiment patriotique était particulièrement vivace et aurait dû par conséquent étouffer toute autre tendance, si le Dieu des Juifs avait été, comme on le prétend, un Dieu purement national. Les deux notions, particulariste et universaliste, se trouvent exprimées au contraire simultanément en parfait accord, car la première répondait <ref> Page 229 </ref> à un état de choses qui avait ses racines dans toute la vie israélite, publique et privée, et la seconde était une aspiration bien authentiquement juive et de nature à ravir toutes les âmes religieuses en Israël.
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L'épithète de Dieu local appliquée au Dieu d'Israël peut avoir un sens légitime, mais qui ne contredit nullement l'idée universaliste, fondement de l'hébraïsme; c'est que le culte du vrai Dieu eut pendant longtemps son siège en Palestine et que, dans les vues providentielles, ce petit coin de terre est destiné à en être encore le centre, lorsque la vérité sera universellement reconnue. De là cette particulière adaptation de la Terre Sainte au culte mosaïque; de là, tant de déclarations réitérées sur l'excellence et la prééminence de ce pays et toutes ces affirmations répétées de la Bible, des rabbins et de la liturgie juive qui semblent circonscrire à la Palestine le judaïsme tout entier et parfois même la domination et l'empire de Dieu.
  
Une citation du prophète Michée va nous montrer le rapprochement et l'union des deux conceptions : « Car tous les peuples marchent, chacun au nom de son dieu, et nous marcherons, nous, au nom d'Avaya, notre Dieu, à toujours et à perpétuité ». Voilà certes une éclatante profession de foi nationale et cependant la rédaction de ce passage qui est présenté en quelque sorte comme une conséquence de ce qui précède ne nous permet pas de croire qu'il en est réellement ainsi. Et en effet, le commencement du chapitre annonce dans les termes les plus clairs la conversion des Gentils: « Il arrivera, dans la suite des temps, que la montagne de la maison de l'Eternel sera fondée sur le sommet des montagnes, qu'elle s'élèvera par dessus les collines et que les peuples y afflueront. Des nations s'y rendront en foule, et diront: « Venez, et montons à la maison d'Avaya. à la maison du Dieu de Jacob, afin qu'il nous enseigne ses voies et que nous marchions dans ses sentiers. Car de Sion sortira la loi, et de Jérusalem la parole de l'Eternel » <ref> Michée, IV, 1-5. </ref>. Le sens paraît  donc être celui-ci: Jusqu'à l'époque de cette conversion finale, que chaque peuple suive ses lumières actuelles et l'avenir montrera quel est le vrai Dieu. Ce texte mérite d'être rapproché d'un passage d'Isaïe où la prédiction relative à la conversion des Gentils est faite exactement dans les mêmes termes et se termine ainsi: « O maison de Jacob, venez et marchons à la lumière de l'Eternel! » <ref>Isaïe, II, 5. </ref>. C'est-à-dire: En attendant le jour où tous les peuples marcheront dans les voies de notre Dieu, marchons dès aujourd'hui, nous, famille de Jacob, à la lumière de l'Eternel.
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Telle était la sainteté attribuée au sol palestinien qu'il arrivait de transporter des charges de cette terre bénie en d'autres contrées, afin de pouvoir y élever un autel et y offrir des sacrifices. On s'attend peut-être ici à quelque citation rabbinique, voire même kabbalistique. Il n'en est rien; c'est la Bible elle-même  qui nous raconte le fait. Lorsque le Syrien Naaman, guéri de sa tête par Elisée, reconnaît « qu'il n'y a point de Dieu sur toute la terre, si ce n'est en Israël » et presse le prophète d'accepter un présent comme témoignage de sa gratitude, il s'écrie en voyant le refus de l'homme de Dieu; « Puisque tu refuses, permets que l'on donne de la terre à ton serviteur, une charge de deux mulets; car ton serviteur ne veut plus offrir à d'autres dieux ni holocauste, ni <ref> Page 233 </ref>sacrifice, il n'en offrira quL'Eternel <ref> II Rois, V, 17. </ref> ». Aussi a-t-on pu dire que le véritable culte mosaïque était si local, si approprié à la Palestine qu'il n'aurait pu être transporté ailleurs sans perdre son caractère et sa forme originale <ref> V. MICHAELIS, <i> Droit mosaïque </i>, tome VIII, p. 329. </ref>
  
Nous ne saurions trop appeler l'attention sur ce fait que tous les textes, et ils sont fort nombreux, dans lesquels l'idée nationaliste et la profession de foi universelle se trouvent unies, mêlées ensemble, prouvent à l'évidence que les deux doctrines, loin de se présenter comme les étapes successives d'une évolution spirituelle qui aurait fait passer d'une notion inférieure à une notion plus élevée, ont été conçues en même temps et dépendent si étroitement <ref> Page 230 </ref>l'une de l'autre qu'elles semblent ne former, nous le répétons, qu'une seule et même idée sous deux aspects différents.
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Que l'action de la race soit en général spécialement liée au sol qu'elle habite, c'est ce qui ne saurait guère être contesté. A ce point de vue l'idée de divinité locale, nationale, ne se retrouve pas uniquement dans le mosaïsme, mais dans tous les cultes. Tous les dieux, ou pour mieux dire toutes les notions de Dieu participent à cette localisation historique et géographique des peuples; partout et toujours le génie de chaque race qui façonne sa conception religieuse, spéciale du monde et de la vie, d'où toute civilisation découle, est éminemment national. Les savants modernes sont loin de méconnaître ces principes. Büchner, par exemple, écrit: « Les actions et la conduite de l'individu dépendent du caractère, des coutumes et de l'opinion du peuple dont il est membre et qui à son tour et jusquun certain point, est le produit nécessaire des rapports extérieurs au milieu desquels il vit et se développe » <ref> Büchner, loc. cit. p. 320. </ref>. D'après le Zohar, le monde (<i>'alma</i>), l'homme (<i>adam</i>) et la Loi (<i>oraïta</i>) constituent les trois éléments de l'harmonie dans l'histoire et dans la nature, que le climat, la race et la religion forment les trois aspects d'une même chose selon que l'on considère la terre, ses habitants ou leur dieu.
  
Au risque d'étonner nos lecteurs, nous dirons d'ailleurs que l'idée d'un Dieu local en Israël n'est pas même concevable. La religion du Dieu d'Israël n'a point de patrie, à moins que l'on n'appelle de ce nom le berceau du genre humain. Nom seulement elle commence, d'après ses livres sacrés avec la création du monde et de l'humanité ce qui est déjà un argument décisif contre toute espèce de localisation, mais en nous bornant même à l'histoire de la race israélite, nous la voyons débuter avec une famille nomade et se continuer avec sa descendance captive en Egypte. Les rabbins ont si peu de sympathie pour l'idée d'un Dieu local et national qu'ils font remonter aux origines mêmes de l'humanité le culte mosaïque; ainsi en concentrant en Adam, unité primordiale, tout ce qui se trouvera par la suite distribué et diversifié dans les différentes familles terrestres, tous les génies nationaux, et en rattachant leur propre religion au premier homme, ils entendaient indiquer que, d'une certaine manière, elle convenait à l'espèce humaine tout entière.
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Mais de même que sous les diversités climatologiques, géographiques, géologiques des différents pays, il y a la nature générale de notre planète et ses rapports avec l'ensemble de l'univers, de même qu'à côté des lois spéciales à chaque lieu, il y a des principes primordiaux qui forment le fond commun de l'humanité, de même aussi, au point de vue religieux, sous les formes particulières qui localisent un culte et qui, par exemple, semblaient attacher le mosaïsme à la Palestine exclusivement, il y a l'idée aux fins supérieures et universelles qui ne connaît ni frontières politiques ni limites historiques.
  
Dans le système des divinités locales au contraire, le dieu et la terre sont si indissolublement unis qu'ils ne peuvent subsister l'un sans l'autre. Aussi l'autochtonéité a-t-elle été le caractère dominant de toutes les anciennes religions et il serait absurde par conséquent de parler de religion locale pour un peuple qui, comme les juifs, ne se croyait pas autochtone. Le mosaïsme d'ailleurs ne commence pas, à proprement parler, à Moïse et l'assertion des rabbins sur ce point n'est pas dénuée de fondement; il a eu une longue existence antérieure, période de préparation, nous disent des savants comme M. Barnouf, analogue à celle que le judaïsme lui-même représente pour la religion chrétienne qui lui a succédé. Tout n'est pas faux assurément dans cette théorie, car on peut dire d'une manière générale que toute religion antérieure est la préparation et la figure de celle qui doit suivre. Mais il est inadmissible, on en conviendra, que la figure soit supérieure à la réalité elle-même , comme ce serait évidemment le cas si la religion universelle et franchement humanitaire des générations antérieures à Moïse avait fait place à un culte strictement national comme on prétend que le mosaïsme l'a été. A moins que l'on ne veuille soutenir que l'humanité, au lieu d'avancer, a fait un pas considérable en arrière, il paraît  plus raisonnable de croire que la religion de <ref> Page 231 </ref>Moïse n'a pas perdu le caractère universaliste de celle qu'elle a remplacée et qu'elle lui a même été supérieure à cet égard. De fait, la religion prémosaïque, tout universelle qu'elle était, n'avait pas de centre d'organisation et d'unité; elle était plus exposée par conséquent à se corrompre et à dégénérer irrémédiablement. Avec Moïse au contraire, nous la voyons pourvue d'une constitution définitive, d'un foyer central et de représentants attitrés. Avant que parût le grand législateur hébreu, il existait bien une religion pour tous les hommes, mais après lui il y en a une pour l'humanité, en ce sens que l'unité religieuse a été véritablement organisée par lui.
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Le culte mosaïque est si loin de pouvoir être regardé comme uniquement palestinien, que le mot de Moïse « dans toutes vos demeures » ne signifie pas autre chose que l'adaptation d'une partie au moins de ce culte aux différentes résidences d'Israël, de même <ref> Page 234 </ref>que cette parole « dans toutes vos générations » a pour but de l'universaliser dans le temps. L'histoire témoigne d'ailleurs de ce caractère cosmopolite du judaïsme qu'elle nous montre résistant à toutes les dispersions et continuant à vivre de sa vie propre dans tous les pays. La Terre Sainte, tout en demeurant constamment son centre idéal, ne lui est point de taille façon indispensable; il est si peu lié à la possession même de ce sol que Moïse, prévoyant la dispersion des Juifs sur toute la face de la terre, met pour condition préalable, de leur retour en Palestine l'accomplissement fidèle des préceptes de la Loi: « Si tu reviens à l'Eternel ton Dieu, et si tu obéis à sa voix de tout ton cœur, et de toute ton âme, toi et tes enfants, selon tout ce que je te prescris aujourd'hui, alors L'Eternel, ton Dieu, ramènera tes captifs et aura compassion de toi, il te rassemblera encore du milieu de tous les peuples chez lesquels l'Eternel, ton Dieu, t'aura dispersé. Quand tu serais exilé à l'extrémité du ciel, l'Eternel, ton Dieu te rassemblera de là, et c'est là qu'il ira te chercher. L'Eternel, ton Dieu, te ramènera dans le pays que possédaient tes pères, et tu le posséderas » <ref> Deutéronome, XXX, 2-5. </ref> Cette extraordinaire aptitude des Juifs à vivre sous tous les cieux, à s'acclimater dans toutes les contrées de la terre, cet exemple frappant et, dans l'histoire de l'humanité, absolument unique, d'un peuple et d'une religion s'adaptant aux civilisations les plus diverses et résistant à toutes les révolutions, à toutes les vicissitudes extérieures, prouvent d'une manière éclatante que la vocation d'Israël était universelle et non pas simplement nationale.
  
Certains critiques comprenant tout ce que cette localisation de la religion mosaïque a d'invraisemblable, se sont contentés de dire que si le Dieu d'Israël n'était pas le Dieu exclusif des Juifs, il était du moins, dans l'esprit de ses adorateurs, leur protecteur spécial. Nous croyons avoir montré en parlant du Dieu Providence qu'une égale justice est proclamée dans la Bible pour tous les peuples indistinctement. Si la protection spéciale dont on parle a quelque fondement de vérité, c'est uniquement, nous le verrons à sa place, pour Israël en tant que peuple prêtre, c'est-à-dire dans un sens parfaitement universaliste, dans l'intérêt de l'humanité tout entière. Les Juifs ne sont point d'ailleurs sans excuse, au dire de ces mêmes critiques, s'ils se sont crus l'objet spécial des faveurs divines. « Comment faire aux Juifs un reproche d'avoir élevé des prétentions pareilles, écrit M. Delaunay, quand nous voyons tous les peuples de l'antiquité dans la même erreur s'ils se vantaient d'avoir la protection spéciale d'Avaya, les Grecs se déclarèrent aussi les enfants chéris de Zeus » <ref>Ecrits historiques de Philon, p. 77. </ref>.
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On nous objecte cependant que le culte mosaïque a un caractère nettement ethnique; soit qu'on l'étudie à l'époque où il paraissait attaché exclusivement au sol palestinien, soit qu'on le voit plus tard survivre à la ruine de la patrie israélite, il se présente toujours comme la religion d'une race spéciale et l'on cherche vainement en lui, nous dit-on, les marques indiscutables du véritable universalisme. A cela nous répondons ce que nous avons déjà dit tant de fois, mais ce que nous ne nous lasserons pas de répéter jusquce que justice soit rendue au judaïsme, c'est que, dans cette religion, le particularisme et l'universalisme sont étroitement unis et que le premier est au service du second. Le particularisme, ce sont les institutions mosaïques qui ne concernent que les juifs exclusivement; l'universalisme, c'est la loi noachide que contient, conserve <ref> Page 235 </ref> et proclame le mosaïsme ethnique. Le sacerdoce israélite nous explique l'un et l'autre et forme le lien entre les deux. Or la Palestine et Israël ne sont que les deux instruments particuliers providentiellement choisis pour obtenir une fin universelle. Ce pays et ce peuple mis à part ont leurs destinées liées à celles du genre humain tout entier.
  
Mais nous avouons que la comparaison ne serait point à l'avantage des Israélites. Les Grecs ne voyaient pas en Zeus ce que les Juifs voyaient en Avaya, le créateur du monde et de l'humanité et par conséquent leur exclusivisme religieux n'était point si odieux qu'il l'eût été chez les Juifs. Ils reconnaissaient l'autorité d'autres dieux sur d'autres nations, aussi l'amour spécial que Zeus pouvait avoir pour eux était incomparablement moins injuste que ne l'eût été la conduite d'Avaya, Dieu unique du monde entier, s'attachant, à l'exclusion de tous les autres peuples, une petite nation seulement. <ref> Page 232 </ref>La notion de l'impartialité divine était si bien entrée dans l'esprit du judaïsme que les rabbins qu'on représente assez volontiers comme des modèles de sectarisme religieux, s'écrient à propos de la formule de la bénédiction aaronique: Que l'Eternel fasse briller sa face sur toi et qu'il t'accorde sa grâce! «Comment cela peut-il être dit d'Israël, puisqu'il est écrit que Dieu ne fait acception de personne? C'est, ont-ils répondu, que les Juifs accomplissant par la pratique des observances mosaïques plus qu'il n'est exigé du commun des hommes, Dieu même leur doit, pour maintenir la stricte justice, un regard spécial ».
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Voici toutefois en quel sens il est vrai de dire que le Dieu d'Israël est un Dieu national: c'est que les Israelites ont reçu en partage l'instinct du monothéisme plus parfait qu'aucune autre race. Leur Dieu national, c'est le Dieu unique ou universel, ce qui est une seule et même chose. C'est là un des cas si nombreux où le particularisme le plus étroit et le plus complet universalisme s'identifiant dans une conception supérieure aux définitions elles-mêmes. Nous n'aurons pas de peine à prouver, quand nous traiterons la question de la Loi mosaïque, que celle-ci présente incontestablement ce double caractère. Or il en est de même du dogme de l'unité de Dieu chez les Juifs, ainsi que nous l'avons montré précédemment en parlant du monothéisme strict ou exotérique et du monothéisme ésotérique ou émanatiste. « Nous savons, dit Aben-Esra, que Dieu est un et que les diversités religieuses procèdent des créatures qui en subissent l'action. Une des lois du culte divin, c'est de recevoir cette action selon le lieu ». N'est-il pas clair par conséquent que si le dogme juif est mieux qu'aucun autre en état de satisfaire pleinement les différents tempéraments religieux, il présente un caractère d'universalité qui ne se retrouve dans nulle autre religion? Et n'est-il pas juste aussi de dire qu'une conception si élevée et qui ailleurs n'existe nulle part est éminemment nationale, en ce sans qu'elle constitue le plus beau titre de gloire de la race qui, dans l'intérêt de tous, l'a fidèlement conservée?
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Des deux formes de la croyance à l'unité de Dieu, monothéiste simple ou émanatiste, nous inclinons à croire, quelque complexe que soit le problème, que la seconde est celle qui, d'après les données de la science moderne, est plus apte à répondre aux besoins religieux des peuples aryens. On comprend alors pourquoi les Kabbalistes nous disent que leur doctrine ne sera révélée tout entière et à tout le monde qu'à l'époque du Messie, c'est-à-dire lorsqu'il s'agira d'enseigner une religion aux Gentils et de concilier les deux génies religieux, sémitique et indo-européen. Nous savons déjà comment la foi monothéiste pure s'accorde avec le point de vue émanatiste dans la conception d'une Unité suprême, <ref> Page 236 </ref>point central dont la circonférence n'est nulle part et qui réunit en une vivante synthèse l'infinie diversité des attributs divins.
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Cette idée théologique nous permet de saisir, dans l'hébraïsme, le double aspect du Dieu local de Palestine et du Dieu universel. Le Dieu de la Palestine, c'est le Dieu un, la source de la vie générale, comme disent les Psaumes; c'est l'apport spécial des Sémites dans la religion de l'humanité. Mais il devient le Dieu universel par l'irradiation de ses attributs dont chacun se personnifie en un dieu propre à chaque nation. Et ce Dieu est vrai, si on le considère seulement comme un aspect particulier de la Divinité, en sorte qu'il demeure en permanente relation avec le foyer d'unité que possède la foi israélite; il est faux au contraire, lorsque se rompt le lien qui l'unit au monothéisme juif et par lui à tous les autres aspects de la Divinité qui constituent les différentes formes du culte chez les divers peuples. Et la métaphore du centre et de la circonférence devient une réalité matérielle dans la conception géographique des rabbins et de la Bible elle-même, la Palestine étant le point central d'où partent et se prolongent dans tous les sens des lignes variées de direction religieuse. Le monothéisme émanatiste, dans sa réalité historique, ethnographique et géographique, n'est que l'empire particulier d'un ou de plusieurs attributs de Dieu formant la religion spéciale de chaque race; de là nécessairement une vue partielle, incomplète, une vérité fragmentaire et qui, pour avoir une réelle valeur, doit se attacher à la vérité commune, car le développement des divers génies nationaux, auquel le monothéisme juif laisse le champ libre, ne s'opère selon l'ordre providentiel qu'autant qu'il ne brise pas l'harmonie générale dans l'évolution religieuse de l'humanité. Voilà, comment le Dieu d'Israël est le Dieu de la Palestine, sans cesser aucunement d'être le Dieu de toute la terre; c'est un soleil dont le zénith se trouve dans ce coin privilégié du monde et qui de là, répand partout ses rayons. Les diverses conditions ethnographiques sur lesquelles tombent ces rayons sont comme un prisme qui en réfracte et décompose les couleurs, c'est-à-dire les divins attributs; sans le prisme les nuances variées n'apparaîtraient point et il n'y aurait que la seule lumière blanche, le pur monothéisme.
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Les différents aspects que chaque peuple entrevoit de l'éternelle Lumière ont été souvent adorés comme autant de divinités; ce sont là, les <i>sarim</i> de la Bible et des rabbins dont nous allons parler plus en détail dans le chapitre suivant. <ref> Page 237 </ref>
  
 
   
 
   

Revision as of 15:16, 17 September 2010

III.

Particularisme et Universalisme.

L'épithète de Dieu local appliquée au Dieu d'Israël peut avoir un sens légitime, mais qui ne contredit nullement l'idée universaliste, fondement de l'hébraïsme; c'est que le culte du vrai Dieu eut pendant longtemps son siège en Palestine et que, dans les vues providentielles, ce petit coin de terre est destiné à en être encore le centre, lorsque la vérité sera universellement reconnue. De là cette particulière adaptation de la Terre Sainte au culte mosaïque; de là, tant de déclarations réitérées sur l'excellence et la prééminence de ce pays et toutes ces affirmations répétées de la Bible, des rabbins et de la liturgie juive qui semblent circonscrire à la Palestine le judaïsme tout entier et parfois même la domination et l'empire de Dieu.

Telle était la sainteté attribuée au sol palestinien qu'il arrivait de transporter des charges de cette terre bénie en d'autres contrées, afin de pouvoir y élever un autel et y offrir des sacrifices. On s'attend peut-être ici à quelque citation rabbinique, voire même kabbalistique. Il n'en est rien; c'est la Bible elle-même qui nous raconte le fait. Lorsque le Syrien Naaman, guéri de sa tête par Elisée, reconnaît « qu'il n'y a point de Dieu sur toute la terre, si ce n'est en Israël » et presse le prophète d'accepter un présent comme témoignage de sa gratitude, il s'écrie en voyant le refus de l'homme de Dieu; « Puisque tu refuses, permets que l'on donne de la terre à ton serviteur, une charge de deux mulets; car ton serviteur ne veut plus offrir à d'autres dieux ni holocauste, ni [1]sacrifice, il n'en offrira qu'à L'Eternel [2] ». Aussi a-t-on pu dire que le véritable culte mosaïque était si local, si approprié à la Palestine qu'il n'aurait pu être transporté ailleurs sans perdre son caractère et sa forme originale [3]

Que l'action de la race soit en général spécialement liée au sol qu'elle habite, c'est ce qui ne saurait guère être contesté. A ce point de vue l'idée de divinité locale, nationale, ne se retrouve pas uniquement dans le mosaïsme, mais dans tous les cultes. Tous les dieux, ou pour mieux dire toutes les notions de Dieu participent à cette localisation historique et géographique des peuples; partout et toujours le génie de chaque race qui façonne sa conception religieuse, spéciale du monde et de la vie, d'où toute civilisation découle, est éminemment national. Les savants modernes sont loin de méconnaître ces principes. Büchner, par exemple, écrit: « Les actions et la conduite de l'individu dépendent du caractère, des coutumes et de l'opinion du peuple dont il est membre et qui à son tour et jusqu'à un certain point, est le produit nécessaire des rapports extérieurs au milieu desquels il vit et se développe » [4]. D'après le Zohar, le monde ('alma), l'homme (adam) et la Loi (oraïta) constituent les trois éléments de l'harmonie dans l'histoire et dans la nature, que le climat, la race et la religion forment les trois aspects d'une même chose selon que l'on considère la terre, ses habitants ou leur dieu.

Mais de même que sous les diversités climatologiques, géographiques, géologiques des différents pays, il y a la nature générale de notre planète et ses rapports avec l'ensemble de l'univers, de même qu'à côté des lois spéciales à chaque lieu, il y a des principes primordiaux qui forment le fond commun de l'humanité, de même aussi, au point de vue religieux, sous les formes particulières qui localisent un culte et qui, par exemple, semblaient attacher le mosaïsme à la Palestine exclusivement, il y a l'idée aux fins supérieures et universelles qui ne connaît ni frontières politiques ni limites historiques.

Le culte mosaïque est si loin de pouvoir être regardé comme uniquement palestinien, que le mot de Moïse « dans toutes vos demeures » ne signifie pas autre chose que l'adaptation d'une partie au moins de ce culte aux différentes résidences d'Israël, de même [5]que cette parole « dans toutes vos générations » a pour but de l'universaliser dans le temps. L'histoire témoigne d'ailleurs de ce caractère cosmopolite du judaïsme qu'elle nous montre résistant à toutes les dispersions et continuant à vivre de sa vie propre dans tous les pays. La Terre Sainte, tout en demeurant constamment son centre idéal, ne lui est point de taille façon indispensable; il est si peu lié à la possession même de ce sol que Moïse, prévoyant la dispersion des Juifs sur toute la face de la terre, met pour condition préalable, de leur retour en Palestine l'accomplissement fidèle des préceptes de la Loi: « Si tu reviens à l'Eternel ton Dieu, et si tu obéis à sa voix de tout ton cœur, et de toute ton âme, toi et tes enfants, selon tout ce que je te prescris aujourd'hui, alors L'Eternel, ton Dieu, ramènera tes captifs et aura compassion de toi, il te rassemblera encore du milieu de tous les peuples chez lesquels l'Eternel, ton Dieu, t'aura dispersé. Quand tu serais exilé à l'extrémité du ciel, l'Eternel, ton Dieu te rassemblera de là, et c'est là qu'il ira te chercher. L'Eternel, ton Dieu, te ramènera dans le pays que possédaient tes pères, et tu le posséderas » [6] Cette extraordinaire aptitude des Juifs à vivre sous tous les cieux, à s'acclimater dans toutes les contrées de la terre, cet exemple frappant et, dans l'histoire de l'humanité, absolument unique, d'un peuple et d'une religion s'adaptant aux civilisations les plus diverses et résistant à toutes les révolutions, à toutes les vicissitudes extérieures, prouvent d'une manière éclatante que la vocation d'Israël était universelle et non pas simplement nationale.

On nous objecte cependant que le culte mosaïque a un caractère nettement ethnique; soit qu'on l'étudie à l'époque où il paraissait attaché exclusivement au sol palestinien, soit qu'on le voit plus tard survivre à la ruine de la patrie israélite, il se présente toujours comme la religion d'une race spéciale et l'on cherche vainement en lui, nous dit-on, les marques indiscutables du véritable universalisme. A cela nous répondons ce que nous avons déjà dit tant de fois, mais ce que nous ne nous lasserons pas de répéter jusqu'à ce que justice soit rendue au judaïsme, c'est que, dans cette religion, le particularisme et l'universalisme sont étroitement unis et que le premier est au service du second. Le particularisme, ce sont les institutions mosaïques qui ne concernent que les juifs exclusivement; l'universalisme, c'est la loi noachide que contient, conserve [7] et proclame le mosaïsme ethnique. Le sacerdoce israélite nous explique l'un et l'autre et forme le lien entre les deux. Or la Palestine et Israël ne sont que les deux instruments particuliers providentiellement choisis pour obtenir une fin universelle. Ce pays et ce peuple mis à part ont leurs destinées liées à celles du genre humain tout entier.

Voici toutefois en quel sens il est vrai de dire que le Dieu d'Israël est un Dieu national: c'est que les Israelites ont reçu en partage l'instinct du monothéisme plus parfait qu'aucune autre race. Leur Dieu national, c'est le Dieu unique ou universel, ce qui est une seule et même chose. C'est là un des cas si nombreux où le particularisme le plus étroit et le plus complet universalisme s'identifiant dans une conception supérieure aux définitions elles-mêmes. Nous n'aurons pas de peine à prouver, quand nous traiterons la question de la Loi mosaïque, que celle-ci présente incontestablement ce double caractère. Or il en est de même du dogme de l'unité de Dieu chez les Juifs, ainsi que nous l'avons montré précédemment en parlant du monothéisme strict ou exotérique et du monothéisme ésotérique ou émanatiste. « Nous savons, dit Aben-Esra, que Dieu est un et que les diversités religieuses procèdent des créatures qui en subissent l'action. Une des lois du culte divin, c'est de recevoir cette action selon le lieu ». N'est-il pas clair par conséquent que si le dogme juif est mieux qu'aucun autre en état de satisfaire pleinement les différents tempéraments religieux, il présente un caractère d'universalité qui ne se retrouve dans nulle autre religion? Et n'est-il pas juste aussi de dire qu'une conception si élevée et qui ailleurs n'existe nulle part est éminemment nationale, en ce sans qu'elle constitue le plus beau titre de gloire de la race qui, dans l'intérêt de tous, l'a fidèlement conservée?

Des deux formes de la croyance à l'unité de Dieu, monothéiste simple ou émanatiste, nous inclinons à croire, quelque complexe que soit le problème, que la seconde est celle qui, d'après les données de la science moderne, est plus apte à répondre aux besoins religieux des peuples aryens. On comprend alors pourquoi les Kabbalistes nous disent que leur doctrine ne sera révélée tout entière et à tout le monde qu'à l'époque du Messie, c'est-à-dire lorsqu'il s'agira d'enseigner une religion aux Gentils et de concilier les deux génies religieux, sémitique et indo-européen. Nous savons déjà comment la foi monothéiste pure s'accorde avec le point de vue émanatiste dans la conception d'une Unité suprême, [8]point central dont la circonférence n'est nulle part et qui réunit en une vivante synthèse l'infinie diversité des attributs divins.

Cette idée théologique nous permet de saisir, dans l'hébraïsme, le double aspect du Dieu local de Palestine et du Dieu universel. Le Dieu de la Palestine, c'est le Dieu un, la source de la vie générale, comme disent les Psaumes; c'est l'apport spécial des Sémites dans la religion de l'humanité. Mais il devient le Dieu universel par l'irradiation de ses attributs dont chacun se personnifie en un dieu propre à chaque nation. Et ce Dieu est vrai, si on le considère seulement comme un aspect particulier de la Divinité, en sorte qu'il demeure en permanente relation avec le foyer d'unité que possède la foi israélite; il est faux au contraire, lorsque se rompt le lien qui l'unit au monothéisme juif et par lui à tous les autres aspects de la Divinité qui constituent les différentes formes du culte chez les divers peuples. Et la métaphore du centre et de la circonférence devient une réalité matérielle dans la conception géographique des rabbins et de la Bible elle-même, la Palestine étant le point central d'où partent et se prolongent dans tous les sens des lignes variées de direction religieuse. Le monothéisme émanatiste, dans sa réalité historique, ethnographique et géographique, n'est que l'empire particulier d'un ou de plusieurs attributs de Dieu formant la religion spéciale de chaque race; de là nécessairement une vue partielle, incomplète, une vérité fragmentaire et qui, pour avoir une réelle valeur, doit se attacher à la vérité commune, car le développement des divers génies nationaux, auquel le monothéisme juif laisse le champ libre, ne s'opère selon l'ordre providentiel qu'autant qu'il ne brise pas l'harmonie générale dans l'évolution religieuse de l'humanité. Voilà, comment le Dieu d'Israël est le Dieu de la Palestine, sans cesser aucunement d'être le Dieu de toute la terre; c'est un soleil dont le zénith se trouve dans ce coin privilégié du monde et qui de là, répand partout ses rayons. Les diverses conditions ethnographiques sur lesquelles tombent ces rayons sont comme un prisme qui en réfracte et décompose les couleurs, c'est-à-dire les divins attributs; sans le prisme les nuances variées n'apparaîtraient point et il n'y aurait que la seule lumière blanche, le pur monothéisme.

Les différents aspects que chaque peuple entrevoit de l'éternelle Lumière ont été souvent adorés comme autant de divinités; ce sont là, les sarim de la Bible et des rabbins dont nous allons parler plus en détail dans le chapitre suivant. [9]


References

  1. Page 233
  2. II Rois, V, 17.
  3. V. MICHAELIS, Droit mosaïque , tome VIII, p. 329.
  4. Büchner, loc. cit. p. 320.
  5. Page 234
  6. Deutéronome, XXX, 2-5.
  7. Page 235
  8. Page 236
  9. Page 237