Israël et L'Humanité - Influence des prosélytes en Israël

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V.

Influence des prosélytes en Israël.

L'étude de l'influence que les Gentils ont pu exercer sur l'hébraïsme est certainement à sa place dans un travail qui a pour but de mettre en lumière la véritable idée de Dieu chez les Hébreux et celle de religion universelle qui en découle. Le prosélytisme[1] que nous retrouvons à toutes les époques de l'histoire d'Israël nous paraît être un des moyens providentiels qui ont servi à cette fin et par lesquels le monde juif et le monde païen ont constamment réagi l'un sur l'autre.

Nous nous réservons d'examiner plus à fond ce grand fait du prosélytisme israélite trop méconnu; mais ce que nous voudrions signaler dès maintenant, c'est que le génie aryen en s'unissant à l'élément sémitique a eu sur celui‑ci action certaine et que de cette union est née la doctrine destinée à sceller un jour la paix entre les aspirations religieuses des différentes races.

Ce n'est pas en vain que durant de longs siècles un apport ininterrompu du sang païen s'est mêlé au sang juif et que chaque prosélyte, en se convertissant, est venu ajouter ses idées, ses tendances, ses sentiments personnels au patrimoine israélite. Le prosélytisme juif ne pouvait s'exercer sans que, de part et d'autre, les esprits s'ouvrissent pour donner et recevoir. Lorsqu'une porte est ouverte, ce qui doit entrer et sortir entre et sort librement; l'essentiel est qu'il n'y ait pas de clôture, pas d'infranchissable barrière. Les Israélites en perdant leur indépendance politique ont cependant imposé à leurs vainqueurs, non pas leurs lois, mais la Loi éternelle; mais aussi ils n'ont pas manqué d'en recevoir en échange ce que leur propre civilisation était susceptible d'accueillir. C'est là sans doute la raison pour laquelle les Docteurs ont parfois déclaré les prosélytes dangereux pour Israël et pourquoi aussi ils recommandaient de ne point traiter avec mépris les idoles en présence d'un prosélyte, fût‑ce même à la dixième génération, tant ils comprenaient bien qu'un païen converti pouvait se ressentir encore des ses origines.

Il est certain en effet que, dans le domaine moral aussi bien que dans le monde physique, tout type doué d'une très grande force vitale est capable de résister aux influences du milieu. Il peut alors n'assimiler à sa propre nature que ce qui lui sera strictement convenable, mais il n'échappera pourtant pas à toute assimilation. Celle ci deviendra même une condition indispensable à sa croissance. Car au lieu de prétendre avec le darwinisme que l'ambiance forme le type, il faut plutôt dire que celui‑ci tire du monde extérieur ce qui est nécessaire à son plein développement. Et dans cette loi d'assimilation, c'est le type le plus fort, le plus noble qui transforme en sa propre substance ce qui lui est inférieur, non seulement afin d'atteindre ainsi le perfectionnement que comporte sa[2] nature, mais aussi pour que ce qui lui sert à cette fin s'élève en même temps par là de quelques degrés. Telle est la marche de tout progrès humain aussi bien que cosmique et c'est ce que la doctrine théosophique désigne sous le beau nom d'élévation [3]

Nous étudierons ailleurs l'influence exercée par l'hébraïsme sur le monde païen, alors qu'il y frayait sa voie; ce qui nous occupe présentement, c'est la réaction opérée par la Gentilité sur Israël et nous sommes loin de prétendre que la loi d'assimilation rappelée plus haut ne trouve point ici son application. Les Kabbalistes ont vu, dans le séjour prolongé des Hébreux en Egypte, un moyen employé par la Providence divine pour restituer à la religion d'Israël et y incorporer par sélection tout ce qu'il y avait de bon et de vrai dans la religion égyptienne. Ils ont signalé la ressemblance entre les mots Mizraïm, Egypte, et mezarim >/i>, frontières, limites, pour indiquer que l'Egypte était, non seulement géographiquement, mais encore au point de vue religieux, le pays le plus proche de la Palestine. D'autres enfin n'ont voulu voir dans les vases d'or et d'argent empruntés par les Hébreux aux Egyptiens qu'une image des assimilations spirituelles opérées dans le champ de la vérité ou, comme nous le disions en commençant, des étincelles ramenées à leur foyer. Le fait que le Sénat romain enveloppa dans une même condamnation les superstitions égyptiennes et judaïques, lorsqu'il voulut proscrire les importations orientales, prouve que l'étroite parenté existant entre les deux religions frappait les étrangers eux‑mêmes. Les découvertes modernes en égyptologie nous ont dernièrement révélé, dans le culte et dans les institutions sociales, des analogies si surprenantes qu'aux yeux de quelques uns la valeur propre du mosaïsme semblait être effacée.

Mais si un judaïsme mutilé par le rejet de sa tradition intégrale est en fort mauvaise posture pour se défendre contre les[4] armes que fournit aujourd'hui la critique historique, il n'en est pas de même de l'orthodoxie juive complète qui, à une époque où l'on ne pouvait aucunement prévoir les progrès de la science, sur ce point, avait déjà répondu aux objections actuelles par sa théorie de la sélection naturelle des idées, selon le mot de Darwin. Les ressemblances que nous démontrent les savants entre les religions juive et égyptienne, bien loin de nous étonner, justifient pleinement ce que nous disaient les Rabbins de l'action réciproque de l'Egypte et d'Israël.

L'Exode nous parle des serviteurs de Pharaon « <i> craignant Dieu » qui crurent aux prédictions de Moïse et mirent à l'abri leurs serviteurs et leurs troupeaux [5]. L'expression est d'autant plus remarquable qu'elle rappelle celle qui plus tard servit à désigner les païens convertis au judaïsme. Nous voyons aussi qu'au moment du départ d'Egypte une multitude de gens [6] s'en allèrent avec les Hébreux. C'étaient là sans doute des néophytes plus ou moins complètement détachés du paganisme, mais dont l'influence en tout cas nous est attestée par la Bible. Le Zoar nous dit que cette influence a persisté longtemps après l'époque du désert et que toutes les erreurs religieuses qui ont infesté Israël pendant tant de siècles n'ont pas d'autre origine [7] Moïse, certes ne pouvait pas se dissimuler les dangers qu'un tel contact présentait pour son peuple et cependant il n'a rien fait pour les lui épargner; alors que son rôle de sage législateur semblait lui commander de rejeter loin des siens des éléments aussi hétérogènes, il n'a pas craint de les accueillir, apparemment parce que les avantages qu'il en attendait surpassaient les inconvénients qu'il avait lieu de redouter.

Quels étaient donc ces avantages? Les voici: ce n'est pas seulement dans la foule ignorante que l'action des prosélytes se faisait sentir, c'était aussi chez les penseurs. Du sein de cette multitude d'étrangers surgissait parfois une intelligence d'élite; un prêtre, un[8] philosophe égyptien trouvait parmi ses compagnons israélites des hommes capables de le comprendre et ce qui résultait de ce rapprochement d'esprits avides de vérité, c'était assurément tout autre chose que la fabrication du veau d'or. L'Ecriture nous en donne un très remarquable exemple dans les relations de Moïse avec Jéthro son beau père. Nous nous demandons vraiment comment, en dehors de la raison que nous en donnons ici, on peut expliquer, sans compromettre le principe même de la Révélation mosaïque, cet ascendant exercé par le prêtre de Madian sur Moïse qui suivit docilement ses conseils. Une légende du Midrasch [9] nous apprend quel rôle important et presque incroyable, si l'on songe qu'il s'agit d'un païen, les Rabbins ont assigné à Jéthro. La verge de Moïse, nous dit cette légende, portait, gravée dans son bois, le nom sacré de Dieu. Elle avait été donnée par Adam à Seth qui la transmit à son successeur et passant ainsi de main en main dans la suite des générations, elle échut à Jéthro qui la planta dans son jardin: c'est là que la vit Moïse et il parvint à l'arracher du sol, ce que personne n'avait pu faire avant lui. Cette fable est assez transparente pour laisser pénétrer son sens caché. La chaîne que parcourt la verge de Moïse depuis Adam jusqu'à Jéthro, c'est celle de la tradition religieuse et c'est de Jéthro que Moïse reçoit cette verge qui portait gravé le nom sacré, symbole de la nouvelle révélation. Le père de Séphora est donc l'un des fondateurs de la religion d'Israël à laquelle il apporta l'élément non sémitique destiné à la compléter pour son rôle humanitaire. Telle est la vérité, un peu dure pour l'orgueil national, que le Midrasch a enveloppé sous le voile de l'allégorie.

Il ne faut pas oublier que Jéthro est le père des Kéniens d'où vinrent les Récabites et il y a de fortes probabilités pour que de ceux‑ci descendent les Esséniens[10] Ainsi voilà une société de prosélytes qui perpétuent au milieu d'Israël les enseignements de leurs ancêtres, ne se distinguant d'ailleurs que par une plus stricte observance des préceptes, et dont l'action devait être d'autant plus sûre et plus continue que le foyer de leur vie religieuse était entretenu par une union plus indissoluble et par une sorte de règle monastique. Or, si d'un côté les Esséniens remontent aux Récabites[11] et par eux à la tradition de Jéthro, de l'autre ils se rattachent à cette école de la Kabbale dont le trait caractéristique, nous l'avons dit, est de rapprocher les éléments sémitiques et aryens; nous avons là une preuve de ce travail intellectuel que le prosélytisme tendait à opérer chez les Juifs. Ce n'était point l'adoption pure et simple de croyances étrangères, car la science proclame comme nous qu'une introduction de ce genre est contraire au génie des peuples, chaque race pouvant uniquement recevoir des autres ce qui convient à ses aptitudes particulières. Nous ne disons donc rien que ne reconnaissant les critiques les plus autorisés, lorsque nous affirmons que, quelles que soient les idées prises en dehors de l'hébraïsme qui ont pu contribuer à la formation de l'Essénisme, c'est bien là néanmoins une production authentiquement juive et ses doctrines sont dues à l'élaboration qui s'assouplit à la suite des apports spirituels fournis par les prosélytes, et non pas à une importation de dogmes inconnus à la religion israélite. Ici comme sur tant d'autres points, c'est avec l'orthodoxie que se rencontre la véritable science [12]

Les relations politiques avec les nations païennes n'ont pu rester non plus sans influence sur le judaïsme. Sous le règne de Salomon en particulier, nous voyons que la réputation de sagesse du monarque mit Israël en rapport avec tout ce que l'Orient comptait de gens instruits. Lorsque le fils de David entreprit de construire le temple dont son père avait conçu le projet, il accepta le concours de Hiram, roi de Tyr. Des étrangers intervinrent ainsi dans la réalisation de cette œuvre capitale pour la religion juive, si bien que la science a pu relever, dans l'ornementation du temple de Salomon, des traces de symboles tyriens ou phéniciens, comme on a trouvé plus tard aussi, dans les grandioses visions d'Ezéchiel, des ressemblances avec les mythes assyriens.

Cette dernière constatation pas plus que la première n'est faite pour nous surprendre. Un témoignage formel du livre de Daniel nous atteste que pendant la période babylonienne l'élite de la jeunesse israélite était versée dans toutes les sciences et dans la littérature des Chaldéens. A l'époque des Docteurs, on mentionne les plus illustres d'entre eux R. Akiba, R. Meir comme descendant , l'un de Sidera, l'autre d'Aman, et il est à peine besoin[13] de rappeler que plusieurs de ces rabbins renommés ne furent eux‑mêmes que des païens de naissance convertis comme Schemaya et Abtalion, derniers descendants de Sanchérib, les maîtres de cet Hillel qui fut la gloire de la Synagogue, et Onkelos, peut‑être le même qu'Aquila, qui traduisit en araméen et en grec les livres de Moïse.

Lors même que l'on ne saurait admettre, sans faire une large part à l'exagération, ce que les Rabbins nous racontent de la conversion au judaïsme de personnages distingués, souverains et philosophes, voire même de populations entières, il reste hors de doute que le prosélytisme juif avait considérablement entamé le monde païen et qu'il avait préparé, par la diffusion des grands principes d'Israël, un mouvement des esprits qui plus tard devait faciliter singulièrement la propagation du christianisme. Mais ce qui n'est pas moins certain, c'est le bénéfice retiré par le judaïsme de ces rapports avec les Gentils, puisque ces mêmes Rabbins ne font aucune difficulté d'avouer assez fréquemment qu'en fait de religion, pour l'intelligence de tels ou tels textes et même de questions relatives aux croyances les plus importantes, ils sont à leur tour grandement redevables aux savants et aux philosophes[14] Contraste inattendu, mais bien explicable cependant! Autant ces Docteurs ont horreur d'apprendre, fût‑ce la plus petite chose, des transfuges de leur foi, des hérétiques qu'ils distinguent soigneusement des païens, parce qu'ils supposent à bon droit que chez eux les préjugés et les passions sectaires obscurcissent le jugement, autant ils gardent l'esprit ouvert pour accueillir les lumières qui peuvent leur venir du côté des sages de la Gentilité, même dans les matières où ils sont passés maîtres. Ils comprenaient ‑ et pour le dire en passant cela reste tout aussi vrai de nos jours ‑ que leur foi religieuse rencontrerait plus aisément des auxiliaires chez des étrangers libres de toute préoccupation de secte, chez des savants entièrement indépendants, que dans les systèmes à prétentions plus ou moins libérales qui s'efforcent de concilier, par des compromis arbitraires, la science et la religion, en dénaturant à la fois l'une et l'autre, de même qu'il est plus sûr pour le navire de gagner la haute mer que de longer des côtes dangereuses au risque de se briser contre les écueils.[15]

Le prosélytisme, moyen de communication entre l'hébraïsme et la Gentilité, peut être considéré sous un double aspect: d'abord comme source d'idées et de connaissances, et c'est ce que nous avons essayé de faire jusqu'à présent, puis comme mélange de sang étranger à la souche israélite par suite des unions entre juifs et païens convertis, ce qui ne pouvait manquer non plus de modifier dans une certaine mesure le caractère national.

Les aptitudes spirituelles sont liées sans aucun doute au tempérament physique; aussi la prohibition des mariages mixtes fait‑elle honneur à la vue pénétrante du législateur du Pentateuque soucieux de conserver sans altération le génie religieux de sa nation. Cependant nous trouvons que malgré sa ferme volonté d'en maintenir toute la pureté sous le rapport ethnologique, Il n'a pas craint d'autoriser le mariage avec les prosélytes. S'il cherchait à prémunir son peuple contre l'idolâtrie, il ne repoussait pourtant pas des alliances qui tendaient à croiser le sang juif avec le sang païen, pourvu qu'elles offrissent des garanties sérieuses contre l'intrusion du polythéisme dans les familles israélites et que les étrangers, qui y étaient admis, gardassent seulement de leur origine les qualités nécessaires pour influer utilement sur la constitution de la race. Aussi a‑t‑il établi entre les prosélytes des gradations, selon qu'ils lui parurent plus on moins aptes à concourir au but qu'il se proposait d'atteindre. S'il croit devoir exclure à jamais Ammon et Moab, il admet l'Egyptien à la troisième génération. En un mot, soit pour les populations, soit pour les individus, Moïse semble obéir à ce principe qu'il y a des Juifs par nature, comme il y a des Juifs de naissance, à peu près comme les Pères de l'Eglise ont dit plus tard, en parlant de certains philosophes païens, qu'ils étaient naturellement chrétiens.

Les Docteurs ont déclaré de même, à propos des prosélytes, que quiconque répudie l'idolâtrie doit être considéré comme juif. Abraham, après avoir reçu le premier ce nom, devint le père de toutes les nations et les prosélytes d'où qu'ils viennent, doivent l'appeler notre père. Leurs âmes assistaient près du Sinaï à la promulgation de la Loi et c'est d'elles, aussi bien que des israélites des générations futures, que Moïse entend parler lorsqu'il dit: « Ce n'est point avec vous seuls que je traite cette alliance, cette alliance[16] scellée par le serment; mais c'est avec ceux qui sont ici parmi nous, présents en ce jour devant l'Eternel notre Dieu, comme avec ceux qui ne sont point ici parmi nous en ce jour » [17]. Pour les Kabbalistes, c'est toujours le même triage, la même sélection que le judaïsme opère, soit que, par la dispersion au milieu des Gentils, il recueille, pour se les incorporer, les parcelles de vérité qu'il y trouve disséminées, soit qu'il attire à lui les âmes à tendances douces monothéistes et augmente ainsi, par l'admission des prosélytes. les rangs de l'Eglise, d'Israël.

Moïse, les Talmudistes et la Kabbale s'accordent donc pour assimiler les prosélytes aux Juifs de naissance, sans aucun souci des différences ethnologiques. Il faut d'ailleurs se garder de confondre les caractères spécifiques d'une race avec les signes de dégénérescence qu'elle peut présenter, comme l'idolâtrie par exemple. Il se peut que tous les peuples ne soient pas faits pour le strict monothéisme et que ce soit un besoin de certaines natures de rapprocher davantage le créé de l'Incréé , le fini de l'Infini, et d'incarner le divin dans le monde. Nous admettons que cette doctrine, ce pan‑monothéisme, pour employer l'expression de Hartmann, soit le contingent apporté par la Gentilité, dans la religion de l'avenir. Mais il y a loin de cette forme particulière de croyance au polythéisme grossier qui est à la théorie de l' émanation ce que l'anthropomorphisme, la matérialisation de la personnalité divine est au pur monothéisme. Le prosélyte restait par conséquent fidèle au caractère propre de sa race en gardant de ses conceptions religieuses ce qu'elles avaient de conciliable avec la foi d'Israël, tandis que les polythéistes demeuraient dans l'erreur par les abus de leur système et les exagérations de leurs tendances naturelles. De même il est arrivé aux juifs ennemis de la Kabbale de pêcher par excès contraire, en substituant une fausse notion de l'unité divine à la véritable doctrine, car le vrai Dieu n'est Un que s'il remplit tous les êtres, ou pour mieux dire, si l'on adore en Lui l'Etre même, ainsi que l'indique son nom vénéré entre tous.

Lors même qu'il faudrait voir dans le polythéisme la forme particulière de la religion des Gentils, les prosélytes ne constitueraient pas pour cela une anomalie, mais une simple variété, comme celles qui, d'après le darwinisme, apparaissant dans les espèces existantes et, par suite de circonstances favorables, créent des[18] espèces nouvelles. Toujours est‑il que si leur admission en Israël a produit le bien qu'on en espérait. elle n'a pas été non plus sans présenter souvent de sérieux inconvénients. C'est ce que reconnaissent les rabbins quand ils s'écrivent à la vue des scandales: Cela nous vient de la multitude![19] par allusion à la foule d'étrangers qui partirent d'Egypte avec les Hébreux. Ils nous déclarent que ceux‑là seuls sont vraiment enfants d'Abraham qui se montrent modestes, miséricordieux et charitables, tandis que ceux qui ne possèdent point ces qualités sont des descendants d'Malek. Il y avait donc des prosélytes qui restaient peu dignes de leur patrie d'adoption. D'autres, sans doute, faisaient aussi trop peu honneur à la doctrine religieuse qu'ils avaient embrassée: aux abus de l'élément sémitique d'un côté ont répondu trop fréquemment de l'autre les excès de l'élément païen. Le vrai juif, qu'il soit israélite de naissance ou prosélyte, est celui qui réunit dans une juste proportion les deux tendances; celui‑là, n'est pas seulement citoyen de la Palestine, il est citoyen du monde; son Dieu n'est pas uniquement transcendant, inaccessible, il est aussi immanent, il vit en nous.

Nous devons répondre maintenant quelques mots à ceux qui seraient tentés de nous objecter que si Moïse avait en vue un but religieux, il aurait dû encourager et non point interdire les mariages mixtes, puisque de telles unions pouvaient faire davantage pour l'élévation intellectuelle et morale des races païennes que la prédication immédiate dont elles étaient la meilleure préparation. Mais qui ne voit que la petite goutte de sang israélite se serait alors perdue bien rapidement dans les grandes artères de l'humanité? Le souffle d'Israël aurait été étouffé et sa mission n'aurait pu s'accomplir. Il convenait au contraire, pour sauvegarder celle‑ci, que de minutieuses précautions fussent prises et de fait, un grand nombre de préceptes ont, sinon ce but direct, du moins ce résultat. D'ailleurs il faut distinguer entre le tempérament proprement dit d'une race et son degré de culture. Si la tendance monothéiste est le trait caractéristique du peuple juif, cela n'implique nullement qu'il se trouvait à un niveau intellectuel lui permettant de se mêler aux autres nations civilisées sans dommage pour son originalité propre. Les savants à ce point de vue là n'hésitent pas à placer la race sémitique au‑dessous de la race aryenne; il est donc infiniment[20] probable que la victoire serait restée à, celle‑ci finalement, si les mariages mixtes étaient multipliés pendant quelques générations. Cette race juive qui s'était élevée jusqu'au plus pur monothéisme, non par des spéculations philosophiques mais par un instinct naturel, tout en demeurant capable de s'assimiler les éléments complémentaires qui lui venaient du dehors, aurait cédé la place à une autre race douée peut‑être de qualités plus brillantes, mais dépourvue désormais de celles qui avaient fait la grandeur des ancêtres. On aurait vu alors s'épanouir chez elle les hautes facultés qui font les savants distingués, les philosophes illustres, mais c'en était fait de l'élan spontané qui produit les apôtres, les voyants, les prophètes, c'est‑à‑dire précisément ce qu' 'Israël devait donner au genre humain. Le sort du génie hébraïque et de la foi au Dieu Un eût été ainsi gravement compromis; Sem, avec son culte des principes et de l'absolu, disparaissait devant Japhet se contentant du relatif et se préoccupent plutôt d'analyse.

Mais les lois très sages de Moïse sur les prosélytes et les mariages ont préservé l'intégrité de la religion israélite et elles ont sauvé aussi, nous le verrons, celle de l'humanité. Grâce à elles, les Juifs ont pu garder leur double nature qui a fait d'eux une nation vraiment à part; il sont restés un peuple au caractère d'une trempe remarquable, très patriotes, très exclusif même, plein d'amour‑propre et de passion, mais en même temps le peuple exceptionnel dont la vitalité extraordinaire trouve sa raison d'être dans l'éminent service qu'il est appelé à rendre au monde et qui, sans jamais perdre de vue ce qu'il se devait à lui‑même, a pris néanmoins de plus en plus conscience de sa mission universelle.

References

  1. Page 58
  2. Page 59
  3. Les sacrifices sont représentés dans l'Ecriture comme le pain de Dieu (lehem) et l'autel comme sa table, anthropomorphismes grossiers quand on songe à la spiritualité du Dieu d'Israël et qui ne peuvent s'expliquer en dehors de la doctrine théosophique. D'autre part la table de l'homme est appelée par les Docteurs un autel; c'est que, là aussi, se réalise cette transformation, cette ascension de l'être inférieur devenant la nourriture de l'être plus élevé et montant ainsi d'un degré. Voilà pourquoi ceux qui offraient des sacrifices en mangeaient une certaine partie; en coopérant ainsi à la consommation de la victime, ils devenaient les commensaux de Dieu. A l'origine, tout sacrifice était un repas, tout repas était un sacrifice. Ceci explique pourquoi les Israélites ne peuvent manger de la viande sans qu'il ait été de l'animal une sorte d'immolation sacramentelle; nous trouvons là également la véritable raison des lois alimentaires, de la prohibition de certains mets. C'est que l'homme à sa manière est aussi un autel et qu'en mangeant, il accomplit une fonction, non seulement physiologique, mais cosmique et en quelque sorte théologique. On voit par là tout ce qu'il y a de faux, d'antiscientifique, dans la prétentieuse et vaine maxime que ce n'est point ce qui entre dans la bouche de l'homme qui le souille, mais bien ce qui en sort, comme si une telle fonction était quelque choses d'indifférent.
  4. Pages 60
  5. Exode, IX, 38.
  6. ערב רב
  7. Zoar bereschith, f.o 28 et suiv.
  8. Page 61
  9. Pirké R. Eliézer, fo 40.
  10. Nous croyons avoir trouvé dans notre Histoire des Esséniens le fil conducteur qui les rattache par Jonadab et les Récabites à Jéthro, beaupère de Moïse.
  11. Page 62
  12. Ewald et Helgenfeld, les deux écoles de Goettingue et de Tubingue sont d'accord sur ce sujet. V. aussi le Hir, Etudes bibliques, p. 238.
  13. Page 63
  14. Sanhedrin 91b; Pesahim 90.
  15. Page 64
  16. Page 65
  17. Deutéronome, XXXIX, 13‑14.
  18. Page 66
  19. ערב רב, Exode, XII, 38
  20. Page 67