Israël et L'Humanité - Israël et la pluralité des cultes

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CHAPITRE TROISIÈME

LES DEUX ASPECTS DE LA LOI UNIVERSELLE

RAPPORTS ET CENTRE DES DEUX CULTES

I.

Israël et la pluralité des cultes.

§ 1.

C'est dans cette Loi mosaïque, la plus particulariste qui soit au monde, nous dit-on, que nous allons rechercher les traces de la religion universelle. Et qu'on le remarque bien; quand nous parlons de les trouver dans le contenu même du mosaïsme, nous ne faisons pas allusion aux passages des Ecritures qui concernent directement les Gentils, sans offrir toutefois de rapport avec la loi religieuse d'Israël; c'est de cette loi elle-même, envisagée comme statut particulier des juifs, que nous prétendons tirer les preuves d'universalisme. Mais il importe de préciser auparavant la relation qui, existe entre les deux aspects de la Loi, le mosaïsme et le noachisme, et qui au point de vue juif les rend également légitimes et sacrés.

Lorsque nous avons traité la question des [1], anges, génies, qui, sous la haute direction de l'Unité suprême, président selon l'hébraïsme aux destinées et au gouvernement de chaque nation, nous avons laissé entrevoir que, d'après cette doctrine, le judaïsme reconnaît dans tous les peuples, y compris Israël, des variétés de culte déterminées par les conditions spéciales de races, de climats, de tempéraments nationaux, si bien que le mosaïsme devient ainsi tout naturellement la religion des Israélites et de la Palestine seulement [2]. Cette diversité de formes religieuses, qui n'altère d'ailleurs en rien l'identité des principes communs et qui a sa raison d'être dans la nature elle-même, est représentée par les sarim; en eux s'harmonisent la nature et la révélation, la loi cosmique et la loi sociale. Or si l'on admet ainsi qu'à chaque variété, physique, ethnique, doit correspondre une forme religieuse particulière, il faut bien admettre également que ces différences, qui existent simultanément chez les diverses races, doivent se vérifier pareillement d'une époque à une autre, à la suite des modifications que le temps entraîne inévitablement dans les conditions générales du monde. Telle est l'idée que les Rabbins ont exprimé quand ils ont dit que les préceptes seront abolis à l'avenir [3] et qu'une nouvelle loi sera proclamée. C'est seulement faute d'avoir compris le sens profond de ces propositions que l'on a cru pouvoir les opposer au dogme hébraïque de l'immutabilité de la Thora. En réalité, elles signifient que, bien que la loi demeure toujours la même, ses applications varient nécessairement selon les changements que subit le sujet [4]

Symmaque a un mot qui traduit admirablement la doctrine juive sur la nécessité des diverses formes religieuses. Après avoir dit qu'il est juste de supposer que tout le genre humain n'adore en définitive qu'un seul et même Etre, il se demande pourquoi il existe alors tant de cultes différents ? « C'est, dit il, que le mystère est si grand qu'il est impossible d'y parvenir par un seul chemin [5] ». On ne saurait rien écrire de plus vrai ni de plus profond. Themistius sous une forme plus légère exprime la même vérité: « Il semble que le Seigneur et suprême gouverneur de ce monde se complaise dans la diversité des religions. C'est sa volonté que le Syrien adore d'une certaine manière, le Grec d'une autre et l'Egyptien différemment encore ». Aussi est-ce à tort que Warburton a vu là une formule caractéristique du polythéisme. Il n'en est rien; le monothéisme au contraire ne peut devenir universel qu'à cette condition; unité dans la diversité et diversité dans l'unité.

Cette variété de formes d'ailleurs, indépendamment de l'unité suprême à laquelle elle est subordonnée, constitue elle-même la religion universelle dans son ensemble; car ce n'est pas là une [6]variété arbitraire et accidentelle, mais quelque chose de nécessaire et d'organique, qui a ses racines dans les profondeurs de la nature. L'unité religieuse ne pourrait par conséquent être complètement représentée sans le concours de tous ces aspects divers qui, envisagés séparément, semblent réciproquement s'exclure.

Mais si le principe est justifié en lui-même, ce n'est pas, nous objectera-t-on, la dualité qu'il entraîne, loi mosaïque et loi noachide, comme nous le prétendons, mais bien autant de lois différentes qu'il y a de variétés ethniques. Cependant si l'on ne perd pas de vue que dans le système que nous exposons le mosaïsme est la règle sacerdotale d'Israël comme le noachisme est la règle de l'humanité, on comprend que c'est dans ce second aspect de la loi divine que doit se rencontrer la pluralité. Le Sacerdoce, en effet, est le lien qui unit le fini à l'infini, la terre au ciel, l'humanité à l'ensemble de l'immense univers et sa règle particulière, qui est l'expression de ce rapport transcendant, diffère de toutes les autres et représente à elle seule l'une des faces de la Loi. Les diverses formes religieuses au contraire, qui correspondent aux différences de races et de nationalités, rentrent toutes sous la loi noachide dont elles constituent les variétés spécifiques et elles se trouvent toutes ensemble dans la même situation vis-à-vis de la règle sacerdotale d'Israël. Ainsi s'explique la coexistence des deux lois: la première, dans son unité, exprime le rapport de l'humanité entière avec l'univers; l'autre, dans sa pluralité nécessaire, a un rôle qui commence et finit sur cette terre et elle ne cesse de se modifier selon les races, les lieux et les époques. C'est ce qu'exprime à sa manière un philosophe contemporain, Cantoni, quand il nous montre, d'un côté, des lois constantes et universelles, de l'autre, des lois partielles et changeantes, et la persistance des premières à travers les transformations des secondes, « car, dit-il, c'est du fond même de la nature humaine que jaillit non seulement ce qu'il y a d'immuable, mais encore, ce qu'il y a de variable et la loi même du changement [7] Un autre écrivain traduit exactement, sans s'en douter, la pensée hébraïque, quand il nous dit « qu'il y a une religion naturelle, patrimoine du genre humain - c'est ce que nous appelons [8]la loi noachide - mais que toutes les religions ont quelque chose de bon et que la variété des cultes forme une harmonie et concourt à la beauté du monde moral [9]».

§ 2.

Mendelssohn distingue entre les lois mosaïques écrites dans le Pentateuque et les vérités éternelles émanant de la raison humaine. Celles-ci, d'après lui, n'ont pas besoin d'être confirmées par des prodiges parce qu'elles ont un principe rationnel et ainsi elles ne rentrent pas dans le cadre spécial de la révélation israélite. Il reconnaît donc, et c'est pourquoi nous citons ici son témoignage, le double aspect de la loi divine, bien qu'il soit fort discutable de faire du code mosaïque l'objet spécial de la Révélation, à l'exclusion des vérités éternelles qui découleraient uniquement de la raison.

L'examen le plus superficiel suffit pour constater en effet dans cette loi spéciale d'Israël un ensemble imposant de lois rationnelles et universelles. On ne voit pas d'ailleurs pourquoi la révélation divine s'occuperait de simples règles d'équité naturelle et se tairait sur des vérités plus importantes qui, nous dit-on, relèvent de la raison humaine. Le précepte de respecter la vie et la propriété du prochain serait-il moins rationnel par exemple que le dogme de l'immortalité de l'âme?

Mais, objecte Mendelssohn, si les vérités éternelles faisaient elles aussi partie de la révélation mosaïque, comment justifier la Providence divine du reproche d'avoir laissé ignorer ces mêmes vérités à toutes les générations précédentes? Cet argument peut se retourner contre son auteur, car il admet bien, lui aussi, dans le code mosaïque des lois de morale rationnelle, or si elles étaient déjà connues, on ne s'explique pas pourquoi le Pentateuque en fait un objet de législation, alors qu'il négligerait les vérités dogmatiques sous le prétexte que celles-ci n'avaient pas besoin d'être révélées, et si au contraire elles étaient inconnues auparavant, peut-on admettre que Dieu ne les ait pas enseignées plus tôt ou les ait du moins privées de cette sanction qui, tant de siècles aptes a été jugée nécessaire?

Toutes ces difficultés disparaissent lorsqu'on se rend mieux compte des relations qui existent entre les deux lois. Les vérités [10]éternelles, pratiques aussi bien que spéculatives, sont antérieures, comme loi noachide universelle, à la révélation de Moïse. Cela ne veut pas dire toutefois qu'elles ne font point partie de cette dernière et qu'elles n'y sont pas enseignées, bien que ce ne soit pas, comme pour le reste de la Thora, à titre de patrimoine exclusif pour les Israélites, car la loi noachide se retrouve tout entière dans la loi mosaïque, tandis que celle-ci au contraire est indépendante de celle-là. C'est pourquoi les Rabbins, interprètes de la tradition hébraïque, professent qu'il n'y a rien qui soit défendu au Noachide et permis au juif; ils vont même jusqu'à dire que « toute ordonnance qui a été prescrite aux fils de Noé et n'a pas été réitérée au Sinaï est en réalité imposée aux Israélites et non aux fils de Noé [11]

Toujours est-il que pour Mendelssohn, comme pour nous, il y a dans le contenu de la loi mosaïque toute une partie étrangère au noachisme et qui ne concerne que les Israélites seulement, la législation, le rituel, tout le culte extérieur proprement dit, mais on y trouve d'autre part des choses communes aux deux lois, les vertus naturelles et les dogmes rationnels. Cette dualité ainsi reconnue, même par ceux qui se font de l'hébraïsme une conception différente de la nôtre, nous demandons s'il ne serait pas juste de la ramener à la distinction que nous établissons plus haut entre les lois constantes et universelles et les lois partielles et transitoires? Il est évident que s'il y a quelque chose de général et de permanent, ce sont plutôt les rapports de l'homme avec l'univers et l'infini que ceux qu'il a avec la terre qu'il habite, puisque celle-ci avec tout ce qui s'y rattache représente, vis-à-vis de l'ensemble de l'univers, ce que les latitudes, les races, les époques différentes représentant ici-bas vis-à-vis de la terre elle-même. Tout se résume, au point de vue philosophique, dans une double loi: le rationnel et le suprarationnel, le connaissable et l'inconnaissable, l'intelligible et le surintelligible. C'est le premier de ces deux aspects que nous trouvons dans la loi noachide; c'est au second au contraire que correspond la Thora israélite.

Il n'est aucun philosophe digne de ce nom qui n'admette sous une forme ou sous une autre cette distinction entre ce qui est [12]connu et ce qui ne l'est pas encore, parce que l'esprit humain le découvrira plus tard, ou ne le sera jamais, parce que la connaissance en est réservée à des intelligences supérieures à celles de l'homme. Or la réalité, qu'elle soit connue ou non, n'est pas moins la réalité et ne laisse pas d'avoir sa valeur et de s'imposer à nous. Mais comment nous comporter envers elle, si nous ne la connaissons point? Puisque ce ne peut être sous la forme de la connaissance, il est clair que ce doit être sous celle de l'obéissance à l'esprit infini qui la connaît et qui, grâce à l'intelligence qu'il en a, nous suggère les règles pratiques de conduite à son égard. Ce sont ces règles qui doivent, diriger nos rapports avec les réalités supérieures. De même que l'instinct supplée dans l'animal à son défaut de connaissance, notre obéissance rationnelle et religieuse nous tient lieu de celle-ci en face des mystères qui nous échappent. C'est ainsi que se justifie aux yeux de la raison tout cet aspect particulier de la loi divine qui constitue la règle sacerdotale d'Israël.


References

  1. sarim
  2. Page 503
  3. R. Obadia et T. Jom Tob. Dans Mishna, Kilaim , IX, 4; M. Accohen, Jad Malhachi, § 437.
  4. Voir le Commentaire de R. D. Kimchi sur Jérémie XXXI, 31 et suivants.
  5. Uno itinere non potest perveniri ad tam grande secretum.
  6. Page 504
  7. Nouvelle anthologie, Juin 1869, p. 277.
  8. Page 505
  9. Marsile Ficin.
  10. Page 506
  11. Sanhédrin 59 <super> a </super>», tellement leur esprit se refuse à admettre qu'il puisse exister pour les Noachides quelque devoir qui ne serait point en même temps une obligation pour Israël.
  12. Page 507