Israël et L'Humanité - La controverse entre R. Eliêzer et R. Jeoschua

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V.

La controverse entre R. Eliézer et R. Jeoschua.

Sur quelle doctrine traditionnelle les Docteurs de la Synagogue n'ont-ils pas professé des opinions différentes et souvent même contradictoires, tout au moins dans la forme? Il n'est donc pas étonnant que le Talmud nous montre R. Eliézer et R. Jeoschua, qui se séparent ordinairement sur le plus grand nombre des questions, [1]en désaccord sur celle du salut des Gentils, le premier penchant pour la négative et le second pour l'affirmative Cite error: Closing </ref> missing for <ref> tag aurait eu mille fois raison en suivant l'opinion de R. Jeoschua, ne fût-ce que par respect pour l'une des règles les plus constantes de l'exégèse talmudique, d'après laquelle la doctrine de ce dernier doit être suivie préférablement à celle de R. Eliézer. Et Maïmonide en agissant ainsi est non seulement d'accord avec la tradition rabbinique, mais il a encore donné par là un exemple qui ne devrait pas être perdu; il a montré que les règles critiques sont applicables aux questions théologiques aussi bien qu'aux questions ritualiques ou juridiques, contrairement à certaines prétentions qui voudraient faire des premières quelque chose d'intangible.

Mais dans la discussion en question s'agit-il du vrai Noachide? Voilà qui n'est rien moins que prouvé. Il est au contraire plus que probable, qu'il n'est question ni du noachide ni du prosélyte de la porte, qui n'est autre chose que le noachide citoyen de la Palestine, encore moins du pieux Gentil dont parle Maïmonide, car aucun de ces noms-là ne figure dans la controverse talmudique. D'ailleurs, puisque, de l'avis unanime des Docteurs, le Gentil n'est point soumis à la loi mosaïque, puisqu'il a sa loi particulière dont personne ne conteste l'existence, il n'est guère admissible qu'il se soit trouvé un rabbin au monde, quel qu'il soit, pour enseigner que le Gentil vivant selon la loi que Dieu lui a tracée n'est pas un juste et ne mérite pas sa récompense, comme on prétend que R. Eliézer l'aurait soutenu.

Mais quel est donc le sujet de la discussion entre les deux Docteurs? Le nom lui-même l'indique, ils parlent des goïm, des non-juifs et la controverse roule sur ce verset des Psaumes: « Que les méchants retournent au Scheol, toutes les nations (goïm) qui oublient Dieu ![2]  » R. Eliézer voit dans ce verset deux sujets différents: les méchants, ce sont pour lui les Israélites impies, et les nations, ce sont tous les Gentils en général. R. Jeoschua au contraire n'y voit qu'un seul sujet et la seconde partie du verset lui parait expliquer la première. Quels sont les méchants dont parle [3]le Psalmiste ? Ce sont les peuples qui oublient Dieu Mais ni pour l'un ni pour l'autre il n'est question du Noachide. R. Eliézer pouvait-il dire que le noachide oublie Dieu, alors qu'il l'adore et observe ses commandements? Et si ce n'est pas de lui qu'il parle, il n'y a aucune raison de croire que l'accord avec son adversaire n'est pas parfait à son sujet. R. Jeoschua ne veut pas que le qualificatif « oublieux de Dieu » s'applique indistinctement à tous les Gentils; il y voit un équivalent du mot méchants qui précède et, d'après lui, il s'agit ainsi des mauvais Gentils, infidèles à leur loi, ce qui équivaut à dire qu'il y en a de bons. Comme il est impossible que R. Eliézer ait eu ces derniers en vue à propos de cette condamnation des hommes oublieux de Dieu, il va de soi qu'ils ne forment pas le sujet de la controverse entre les deux Docteurs et que par conséquent R. Jeoschua les met également hors de cause. Celui- ci va même jusqu'à soutenir que les Gentils dont la conduite est coupable, mais qui n'ont point renié Dieu, ou ceux qui, quoique idolâtres, mènent une vie vertueuse, peuvent être sauvés et il est évident qu'à son avis la damnation éternelle n'est encourue que par ceux d'entre eux qui sont à la fois infidèles et prévaricateurs.

Cette tolérance peut paraître excessive; elle n'en est pas moins conforme à la doctrine de R. Méir, d'après laquelle il suffit pour être un prosélyte de la porte, c'est-à-dire un véritable Noachicle dans une situation religieuse légale au point de vue juif, d'abjurer l'idolâtrie [4]. La doctrine de R. Jeoschua ajoute simplement à cela, et c'est la seule différence, que le salut s'étend même au Gentil qui, sans renoncer au polythéisme, pratique du moins les autres commandements. R. Eliézcr ne semble évidemment pas avoir eu la même largeur de vues, mais nous répétons qu'aucune école dans le judaïsme n'a jamais fait de l'observation de la loi mosaïque une condition de salut pour le Gentil et que, par suite, on n'est nullement fondé à supposer qu'il ait songé, dans cette controverse quelque peu obscure, à condamner plus que son collègue les justes des autres nations.


References

  1. Page 497
  2. Psaumes XI, 18.
  3. Page 498
  4. Aboda Zara, 64 b.