Israël et L'Humanité - La théorie de l'émanation et l'hébraïsme

From Hareidi English
Jump to: navigation, search

LE DIEU UN

IV.

La théorie de l'émanation et l'hébraïsme.

La théorie de l'émanation est particulièrement intéressante, parce qu'elle renferme une double croyance qu'on dit éminemment adaptée au génie aryen: le polymorphisme ou élément pluraliste dans la Divinité [1] et l'immanence. Voyons si l'hébraïsme ne contiendrait rien de semblable et si le Pentateuque lui‑même ne nous fournirait pas des bases solides pour l'édification d'un tel système. C'est du moins ce que nous affirme la théosophie [2] qui, malgré les dénégations qu'on lui opposait de toutes parts, a en le mérite d'enseigner, avant toute autre école, que la théorie de l'émanation n'est point étrangère à la Bible.

La première trace que nous en trouvons est dans le mot même dont se sert la Genèse pour désigner l'acte par lequel Dieu a créé le monde, le verbe bara . Si certains auteurs ont voulu voir à tort dans ce terme la preuve de la création ex nihilo d'autres, et prin‑ cipalement Ibn Ezra, n'ont pas été sans remarquer qu'il présente précisément le sens, diamétralement opposé, de couper, séparer, extraire de quelque chose de préexistant [3] . En outre, pourquoi les créatures angéliques et les âmes des hommes ne figurent‑elles pas au nombre des créations partielles dont la Genèse fait mention, sinon parce que les unes et les autres sont censées appartenir au monde divin? Les anges, en maints passages de la Bible, sont identifiés avec la Divinité et à cela il n'y a pas d'autres explication[4] possible que la présence d'une doctrine émanatiste comportant la descente graduelle et hiérarchique des êtres. Chaque fois que nous est décrite l'action d'appeler à l'existence, c'est sous l'image d'une émission spirituelle de la part du Créateur. Ainsi en est il pour l'âme humaine: « L'Eternel Dieu forma l'homme de la poussière de la terre; il souffla sur sa face un souffle de vie, et l'homme devint un être vivant » [5]. De même, à un degré inférieur, tous les animaux et les plantes également ne vivent que par le souffle que Dieu leur communique et meurent lorsqu'il le leur retire: «Tu leur retires le souffle, ils expirent et retournent dans leur poussière; tu envoies ton souffle, ils sont créés et tu renouvelles la face de la terre » [6]. Les cieux et tout ce qui s'y meut ne subsistent que par son souffle puissant [7]

Quant à l'immanence, doctrine moins métaphysique que la précédente, nous pouvons nous attendre à la trouver exprimée plus clairement encore dans la Bible. Les anges son les agents de Dieu dans la création; c'est par eux qu'il se tient en communication avec l'univers. Qu'on ne dise pas qu'ils sont destinés à combler un vide entre le Créateur et ses œuvres visibles et réputés agir comme instruments subalternes de la Cause première qui demeura elle-même toujours inaccessible. Ils apparaissent au contraire comme le prolongement de la Divinité dans la nature, comme sa présence réelle, la Talmud dit même ses membres, ses propres organes.

Quoi de plus remarquable que ce nom Vie des mondes חי העולמים VOWELS IN HEBREW La lecture la plus habituelle est à vrai dire, חי, avec patah,, ce qui donne un sens un peu différent. Mais, selon plusieurs autorités, on doit lire חי העולמים VOWELS IN HEBREW, avec tsèrè, ce qui signifie justement vie des mondes. V. le commentaire de Tosefet J. T. sur le traité Tamid VII, 4; Arugat Abbosem XXII; Ateret Zekènim sur Orah haïm LIV. Mais l'idée de l'auteur résulte sans contredit de Daniel XII, 7, Néhémie, IX, 6. ( Note des éditeurs ) </ref> donné à Dieu par l'hébraïsme qui, de fait, ne cesse de lui attribuer tous les phénomènes naturels? Dieu n'est nulle part considéré comme un être isolé qui, après avoir accompli l'œuvre de la création, laisserait pour jamais aux lois qu'il a établies le soin de gouverner l'univers. Ces lois sont représentées comme l'expression de rapports constants entre la cause et l'effet; elles constituent le divin [8]ici-bas, la Schechina , Dieu résidant dans son ouvrage. Nous voilà bien loin de cette unité abstraite sans communion avec l'ensemble du créé qu'on nous dit être le monothéisme sémitique.

Ceux qui prendront la peine d'étudier avec soin la façon dont la Bible conçoit les relations de Dieu avec le monde seront frappés de voir comment la pleine et primitive orthodoxie se trouve finalement d'accord avec la science la plus avancée. L'esprit humain dans cette question a parcouru trois phases successives. Au début, il a imaginé un dieu ou des dieux faisant toutes choses à la manière des hommes et, pour lui, tout était alors miracle dans la nature. Puis il a conçu Dieu séparé du monde et le gouvernant au moyen de lois générales auxquelles les miracles viennent parfois apporter des dérogations, par une sorte de dernière intervention anthropomorphique de la part du Créateur. Enfin Dieu et l'univers lui apparaissent unis par les liens de l'émanation; la nature et le miracle, la loi générale et son exception s'identifient dans une loi supérieure. L'hébraïsme, devançant ces progrès de la pensée humaine, n'a pas enseigné antre chose. Pour lui le miracle, écho de la genèse et prélude de la palingenèse, marque le passage d'un ordre de choses à un autre; il est le trait d'union qui supprime toute solution de continuité dans la création ininterrompue. Les résultats auxquels aboutit le mouvement scientifique moderne, dans son effort pour réunir la partie au tout, le Pan à la monade, se trouvent conformes aux données de la religion la plus ancienne. Celle-ci peut donc aspirer à juste titre à devenir universelle, puisque sa doctrine fait précisément disparaître la prétendue impossibilité philosophique de rapprocher les croyances grecques et hindoues du monothéisme biblique.

On comprendra maintenant quel mauvais service rendent à leur propre cause ceux qui, sous le prétexte de défendre la pure doctrine juive, rejettent comme importation étrangère la Kabbale théosophique, seule capable en définitive de rétablir l'harmonie entre l'hébraïsme et la gentilité. C'est par elle en effet que les aryens se rapprochent du monothéisme sémitique et que les Israélites donnent satisfaction aux tendances aryennes. Il est tout à fait digne d'attention que dans ce fonds commun aux uns et aux autres, ce qui est doctrine vulgaire chez les Gentils, est ésotérique pour les Juifs, tandis que ce qui pour ceux-ci est exotérique, demeure enseignement secret chez les païens. Pour ces derniers, la vérité a été objet de mystère, comme elle est objet de foi pour les chrétiens[9] objet de science en Israël. Il nous suffira, pour illustrer cela d'un exemple, de citer les chérubins du tabernacle [10]

Nous avons rappelé, en parlant de la spiritualité de Dieu chez les Hébreux, l'horreur de ceux‑ci pour les images. Et cependant voici deux figures qu'on trouve placées dans la partie la plus auguste du sanctuaire; ces chérubins demeurent, il est vrai, soigneusement cachés par le voile, mais ils n'en couvrent pas moins de leurs ailes le propitiatoire. Que signifie cette anomalie étrange? Pour nous, ce sont là deux symboles matériels de la théosophie hébraïque dont ils représentent sans doute une des plus hantes vérités, mais en même temps ils nous paraissent appartenir, à la fois comme idée et comme image sensible, à la religion populaire des Gentils. C'est pourquoi de telles figures étaient interdites partout ailleurs en Israël et ces deux là, unique exception, devaient rester sous‑traites à tous les regards.

Dans l'élaboration religieuse qui s'est produite au cours des âges, nous attribuerons donc aux Sémites, ou plutôt aux Israélites, la pure doctrine monothéiste exempte des spéculations philosophiques chères aux Aryens, et à ces derniers, le symbolisme ou l'élément mythologique. Pour les premiers, en dehors de la Kabbale théosophique, la personnalité divine une, indivisible, demeure toujours infiniment au dessus de la création matérielle; les seconds au contraire éprouvent le besoin d'humaniser les dieux, d'incarner le divin jusqu'aux derniers degrés de l'échelle des êtres. La théosophie nous permet de voir comment ces deux tendances traduites, celle‑ci par le nom pluriel de la Divinité (Elohim), celle‑là par le nom incommunicable du Dieu Un, se trouvent réunies dans la synthèse religieuse de l'hébraïsme.

References

  1. C'est une des conclusions du remarquable ouvrage de Williams James, L'expérience religieuse  : « J'incline à croire qu'une philosophie de la religion devrait accorder plus d'attention qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent à l'hypothèse pluraliste» . Trad. Franç d'Abauzit, p. 436 ( Note des éditeurs ).
  2. Pour l'hébraïsme tel que nous l'avons défini, la théosophie fait partie intégrante de l'orthodoxie juive. (Nous croyons utile de faire observer qu'il faut entendre avec l'auteur par théosophie la théologie contenue dans les principaux monuments de la Kabbale et non pas le néo‑bouddhisme introduit sous ce nom en Occident par Blavatsky, Olcott, Annie Besant . Note des éditeurs ).
  3. Voyez les dérivées des racines appartenant au même groupe que ברא: berit , pacte, alliance, à cause de l'usage de couper en deux la victime, bar , le fils, parce qu'il est issu de ses parents, et en araméen, bar , dehors: bor, puits creusé, excavation, et les verbes bara, barar , pour exprimer l'action de distinguer, séparer une chose d'une autre.
  4. Page 55
  5. Genèse, II, 7.
  6. Ps. CIV, 29.
  7. Ps. XXXIII, 6.
  8. Page 56
  9. Page 57
  10. V. Exode, XXV, 18‑20.