Israël et L'Humanité - Las lois alimentaires

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IX.

Les lois alimentaires.

§ 1.

Le texte biblique, sur lequel s'appuie la prohibition faite au Noachide, se trouve dans la Genèse et est ainsi conçu: « Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture. Seulement vous ne mangerez aucune chair avec son âme, avec son sang [1]» Contrairement à l'opinion de certains commentateurs qui ne voient dans ce passage que la défense de manger la chair taillée sur le corps d'un animal vivant et prétendent en conséquence que l'usage du sang tout seul est permis au Noachide, R. Hanina ben Gamaliel estime qu'il y a là une double interdiction, celle du sang et celle de la chair ainsi coupée. [2]. Il paraît hors de doute que cet avis est beaucoup plus conforme que l'autre à la saine exégèse. Loin d'être exclue de la défense formulée par le texte mosaïque, la prohibition du sang semble plutôt faire l'unique objet du précepte, car elle implique en effet logiquement celle de la chair de l'animal vivant. On sait d'ailleurs que le sang est appelé dans un autre [3]passage « l'âme de l'animal ». « Garde toi de manger le sang, car le sang, c'est l'âme et tu ne mangeras pas l'âme avec la chair [4] ». Friedenthal a donc raison, selon nous, d'écrire: « Maïmonide partage l'opinion des Docteurs qui permettent le sang de l'animal vivant au Noachide, mais l'avis de R. Hanania ben Gamaliel, qui le lui défend dans le Talmud, s'accorde mieux avec le sens du texte mosaïque [5]».

Cette question, qui est déjà intéressante par elle-même, puisqu'elle prouve le soin scrupuleux avec lequel les Rabbins étudiaient la loi des Gentils, acquiert une importance toute particulière quand on songe à l'histoire du christianisme naissant. Il n'échappera à personne que la présente discussion rabbinique se rattache étroitement à celles qui eurent lieu dans la primitive Eglise au sujet de la prohibition du sang ou de la chair des animaux étouffés. Nous ne craignons pas de dire que cette tradition hébraïque contient la clef de cet épisode si instructif des origines chrétiennes et que, d'une manière générale, c'est l'existence du code noachide qui nous explique comment on a pu hésiter alors entre deux solutions, également justes cependant, si on les envisage chacune dans son domaine respectif: l'observance complète du mosaïsme et la substitution d'une autre loi. Cette loi n'était et ne pouvait être que ce catholicisme appelé noachisme, proclamé depuis longtemps par le judaïsme comme seul obligatoire pour les Gentils, et qu'Israël était parvenu à faire embrasser déjà par un grand nombre de païens. Seulement, dans cette voie si franchement ouverte par l'hébraïsme, il y avait à redouter un faux pas que les premiers chrétiens précisément ne surent point éviter. Ils érigèrent en effet en rivale de la religion israélite cette loi catholique que le judaïsme avait conservée avec soin pour la Gentilité. Au lieu de chercher comme la Synagogue à mettre d'accord ces deux formes légitimes de la même religion divine, l'Eglise se demanda au contraire laquelle des deux devait prévaloir.

En ce qui concerne spécialement la défense du sang, c'est sans doute comme un dernier hommage à la loi de Noé qu'elle fut conservée pour les Gentils par le Christianisme primitif et il n'aurait été en cela que le fidèle interprète du judaïsme, s'il n'avait [6]eu la prétention insoutenable de supplanter celui-ci en réduisant même pour les Juifs le nombre des observances légales à celles qu'il lui plaisait de maintenir.

§ 2.

Il n'est pas inutile de rappeler ici la différence existant entre la loi de Moïse et celle de Noé relativement à l'usage de la chair des animaux. Pour le Noachide, il suffit que l'animal ait cessé de vivre, quelle que soit la manière dont il ait été tué, car si d'une part la prohibition du sang peut faire conjecturer la nécessité de la jugalation, même pour le Gentil, le sens de l'interdiction limitée, comme nous l'avons dit, à l'animal vivant, permet de croire d'une part que pour tuer l'animal, il n'est pas indispensable de répandre son sang. Cette dernière hypothèse paraît recevoir une confirmation complète de cette disposition légale qui enjoint expressément à l'Israélite de donner la nebéla, c'est-à-dire la bête morte au Gentil ou Noachide (gher) [7].

Pour l'Israélite, ce n'est pas la mort de l'animal, c'est seulement la jugulation qui est imposée comme condition essentielle. La différence ne mériterait pas d'être signalée, s'il ne résultait de ce rapprochement que c'est pour le Noachide que la loi se montre plus rigoureuse. Or si l'on considère que, dans l'esprit des Pharisiens, la notion d'une sainteté supérieure se trouve toujours rattachée à la plus grande rigueur des pratiques et que les devoirs croissent pour eux dans la proportion des degrés hiérarchiques, on a de sérieuses raisons de penser que ce n'est pas l'idée d'une plus haute perfection du côté israélite qui a suggéré et établi la distinction rituelle entre les deux lois. Cette interprétation n'a pas échappé aux Docteurs talmudiques; aussi, dès qu'elle s'est présentée à eux se sont-ils hâtés de conclure que le Noachide, pas plus que l'israélite, ne devrait être tenu d'attendre la mort complète de l'animal, les règles auxquelles il est soumis ne pouvant être plus sévères que la loi juive elle-même, conformément à ce principe du Talmud qu'il n'y a rien qui soit permis à l'Israélite et prohibé au Gentil [8].

Ce principe toutefois ne semble pas avoir, même pour les Rabbins qui l'allèguent en cette circonstance, une valeur absolue, [9]puisque, d'après eux, la condition de la mort complète de l'animal ne cesse d'être exigée du Noachide que lorsqu'il s'agit des animaux purs, probablement parce que c'est le seul cas où l'on aurait pu établir avec la loi israélite une comparaison humiliante pour le non-juif. La disposition ne laisse pas, selon les mêmes Docteurs [10], de garder toute sa vigueur pour les animaux impurs dont les Gentils, contrairement à Israël, avaient la liberté de se nourrir.

§ 3.

Avant de clore cette étude des règles diététiques de la loi noachide, nous devons dire un mot des droits attribués chez les Gentils aux prêtres premiers-nés sur les produits agricoles.On sait que la dîme existait antérieurement à Moïse. Nous voyons que Jacob s'engage à l'observer, ce qui prouve suffisamment que quelqu'un y avait droit et ce ne pouvait être que les ministres du culte divin. Le silence de la Bible à cet égard démontre simplement, comme pour tant d'autres sujets, qu'une tradition vivante circule sous le texte de l'Ecriture comme la sève, sous l'écorce de l'arbre. Le doute ne peut plus subsister d'ailleurs pour Abraham qui non seulement pratique ici aussi le devoir de la dîme, mais qui offre celle-ci en don à celui que la Bible qualifie de pontife du Dieu Très-Haut [11].

Certains commentateurs [12] ont retrouvé les traces de ce droit des premiers nés à la dîme sous la loi noachide dans les paroles que Moïse prescrit à l' Israélite de prononcer au moment où il venait présenter au Temple les prémices de la terre: «Tu diras devant l'Eternel, ton Dieu: J'ai ôté de ma maison ce qui est consacré, et je l'ai donné au Lévite, à l'étranger, à l'orphelin et à la veuve; selon tous les ordres que tu m'as prescrits [13]». Ce qui revient à dire, selon ces auteurs: c'est à cause de nos péchés et de ceux de nos pères que nous sommes obligés d'ôter de nos maisons les choses saintes ne pouvant plus les donner aux premiers-nés qui étaient appelés à jouir des prélèvements et des dîmes [14], selon [15] qu'il est écrit: « Je les ai rendus impurs en ce qui concerne leurs offrandes[16]»

La dîme, ainsi que d'autres pratiques antérieures à Moïse que nous passons sous silence, faisait-elle partie de la loi noachide ou bien était-elle simplement comme ces autres observances un précepte de piété facultative pour ceux qui aspiraient à une plus grande perfection, en un mot une œuvre surérogatoire semblable à celles que les règles particulières des hassidim ajoutent au mosaïsme lui-même? C'est là une question qu'il est difficile de trancher. Sans doute l'existence simultanée d'une loi obligatoire pour tous et de pratiques religieuses additionnelles laissées au gré de chacun est un fait qui se retrouve à toutes les époques et l'on peut même dire en tous les lieux, car ces deux aspects du devoir, quelque nom d'ailleurs qu'on leur assigne, sont conformes à la nature humaine. Mais la difficulté consiste à marquer avec précision, surtout quand il s'agit de l'antiquité, à quel point finit la loi générale et où commence exactement l'œuvre de piété volontaire, car les limites sont aussi variables qu'indécises et la loi, aussi bien que la couronne, est dans un état perpétuel de transformation. Il est certainement arrivé dans la Gentilité avant l'avènement de Moïse ce que nous avons vu se passer chez elle depuis la dispersion d'Israël, alors que les païens ont été rappelés par la propagande juive à la religion primitive de leurs ancêtres. Indépendamment de la loi noachide qui leur était présentée comme obligatoire, on voyait des Gentils qui, sans embrasser complètement le judaïsme, acceptaient volontairement telle ou telle pratique mosaïque. C'est ce que nous avons signalé notamment à propos de la circoncision et du sabbat et nous savons que ce fait confirmé par le témoignage de l'histoire est consacré par les dispositions formelles du Talmud et de Maïmonide [17].

Il nous semble qu'il est instructif de voir des Gentils noachides qui, tout en gardant leur position indépendante vis-à-vis du mosaïsme proprement dit, complétaient les préceptes de leur loi particulière par la libre adoption de pratiques empruntées à la religion d'Israël, et que cette attitude fournit une indication précieuse pour la constitution ou la réogaruisation du culte de l'humanité rentrant dans le plan providentiel. [18]


References

  1. Genèse, IX, 3-4.
  2. Sanhédrin 56 <super> b</super>; 59<super> a </super>
  3. Page 703
  4. Deutéronome, XII, 23.
  5. Yesod addat , 53
  6. Page 704
  7. Deutéronome, XIV, 21.
  8. Sanhédrin, 59 <super> a </super>
  9. Page 705
  10. Ibid, 57 <super> a</super>; 59 <super> a</super>
  11. Genèse, XIV, 18-20; XXVIII, 22.
  12. Sforno
  13. Deutéronome, XXVI, 13.
  14. Tosephet Yom Tob, Maacer Schéni, 5, 10
  15. Page 706
  16. Ezéchiel, XX, 26
  17. Melachim X, 10
  18. Page 707