Israël et L'Humanité - Le Pentateuque

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III.

Le monothéisme dans la Bible.

§ 1.

LE PENTATEUQUE.


Il y a une distinction à faire entre les quatre premiers livres du Pentateuque et le cinquième, si différent des autres que l'on pourrait voir pour ainsi dire le premier monument de la Tradition. Dans ces quatre livres, la révélation de l'unité de Dieu, au lieu d'affecter la forme d'un enseignement doctrinal, se déduit plutôt comme une conséquence logique des faits rapportés et des [1] lois établies, tandis que le Deutéronome a un caractère moins législatif, mais plus moral et plus théologique. Le monothéisme n'en est pas moins enseigné formellement d'un côté comme de l'autre et si les premiers écrits sacrés paraissent procéder à cet égard plutôt par insinuations que par propositions explicites, il y faut voir un procédé de rédaction propre aux anciens âges; cette manière de présenter la croyance au Dieu unique comme un principe incontestable et incontesté n'en est que plus significative.

Une partie de l'école rationaliste voit d'ailleurs dans le Lévitique et dans certains fragments de l'Exode et de la Genèse des ouvrages postérieurs au Deutéronome, en sorte qu'une doctrine si clairement formulée dans celui‑ci ne saurait avoir été étrangère à des écrits plus récents. Il suffit pour s'en convaincre de citer un texte qui, au premier abord, semble consacrer par une singulière contradiction la foi la plus exclusive au Dieu national en même temps qu'il proclame son unité. Lorsque Moïse pour la première fois annonce à Israël son élection, il a soin de déclarer que telle est la volonté du Dieu qui possède le monde entier: « Maintenant si vous écoutez ma voix, et si vous gardez mon alliance, vous m'appartiendrez entre tous les peuples, car toute la terre est a moi » [2] Une telle parole affirme sans hésitation possible l'unité de Dieu, soit qu'on veuille voir en elle le bon plaisir d'un souverain qui, maître de toutes les nations sans exception, choisit arbitrairement entre toutes celle qu'il préfère, soit qu'on reconnaisse dans ce choix lui‑même l'exercice d'une providence universelle. Elle ne peut signifier qu'une chose, c'est qu'Israël est élu par Dieu entre tous les peuples de la terre qui lui appartient tout entière. Il en faut conclure également qu'un Dieu dont l'empire est universel ne saurait jamais être une divinité exclusivement nationale, comme le prétend la critique rationaliste dont ce seul verset renverse de fond en comble les assertions.

Le quatrième chapitre du livre de la Genèse se termine par une phrase incidente que l'on a considérée avec raison comme indiquant la début du polythéisme et de l'idolâtrie: « C'est alors que l'on commença à invoquer par le nom de l'Eternel ». S'il en est ainsi, nous avons là une preuve évidente que l'auteur suppose l'existence antérieure du monothéisme et qu'il le regarde comme ayant été généralement professé jusqu'à cette époque. Et n'est‑ce pas dans ce[3] même livre que nous trouvons encore cette foi exprimée, sous forme d'une prophétie annonçant le règne universel du Dieu unique, du Dieu du tétragramme? Le texte dont nous parlons et qui est dans la Bible comme l'une des premières lueurs messianiques, prédit que l'Eternel, Dieu de Sem, sera reconnu un jour comme le seul vrai Dieu par Cham aussi bien que par Japhet [4]

Enfin, il y a dans les livres qui nous occupent un témoignage de monothéisme que nous avons déjà eu l'occasion de signaler et qu'on ne peut révoquer en doute: c'est la prohibition du culte des images. On a essayé, il est vrai, d'éluder cette démonstration en disant que ce culte était défendu comme hostile à celui du dieu national. Mais pourquoi cette interdiction superflue, puisque les divinités représentées par les images ne pouvaient elles‑mêmes être adorées? Les textes du Pentateuque ne distinguent nullement entre les dieux et leurs figures et l'histoire des religions montre que, d'après la croyance générale des fétichistes, l'idole matérielle était le siège de l'esprit du dieu qui devenait ainsi une seule et même chose avec l'image. Nous voyons d'autre part que la même défense s'étend aux figures qu'on aurait fabriquées pour représenter le vrai Dieu. Evidemment ce n'est point parce qu'elles eussent été hostiles à son culte, mais parce qu'elles étaient vaines et contraires à sa spiritualité et à ses perfections infinies. Or, comme la loi était absolue, comme elle identifiait dans tous les cas la divinité avec la forme sensible qu'on lui voulait donner, il en faut conclure que le vrai motif de l'interdiction des images, c'est que les dieux, que celles‑ci étaient censées représenter, n'existent pas pour le législateur israélite.

Le Deutéronome qui proclame le néant de ces dieux « ouvrage de mains d'homme, de bois, de pierre, qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni manger, ni sentir »[5], n'en déclare pas moins quelques lignes plus loin que l'Eternel est un Dieu jaloux [6] Mais cela n'est pas contradictoire comme on le croirait au premier abord, car s'il[7] est vrai que l'on ne saurait être jaloux de ce qui n'existe pas, il se pouvait cependant que les idoles en question représentassent, non pas des dieux, mais des choses et des êtres réels et d'ailleurs c'est le sentiment d'amour et d'adoration que l'auteur sacré entend réserver au vrai Dieu et dont il ne veut permettre le partage avec personne, même avec des créatures imaginaires. Si le néant des idoles est plus explicitement exprimé dans le Deutéronome que dans les premiers livres du Pentateuque, cela tient, nous le répétons, à la forme plus oratoire de cet écrit. On pourrait dire que Moïse y donne libre cours aux mouvements de son âme en s'entretenant paternellement avec son peuple, tandis que précédemment c'était le législateur qui parlait pour codifier ses lois.

Contrairement à l'opinion rapportée plus haut et qui fait du Deutéronome un ouvrage antérieur au reste du Pentateuque, certains autres critiques rationalistes expliquent le caractère plus accentué de spiritualisme que l'on remarque dans ce livre en lui attribuant une date de composition plus récente. Mais si au dire de ces mêmes critiques les quatre premiers sont l'œuvre d'Esdras et si le monothéisme leur est si étranger qu'ils le prétendent, comment dans un laps de temps aussi court que celui qui, dans ce cas, aurait séparé la rédaction de ces écrits, un pareil changement aurait‑il pu se produire dans la manière de concevoir la Divinité? Pour échapper à cette difficulté, ces auteurs se refusent à voir le monothéisme même dans le Deutéronome: on ne trouverait dans ce livre, à les entendre, qu'une simple monolâtrie reconnaissant toutefois la supériorité du dieu d'Israël sur les divinités étrangères. Une semblable interprétation peut elle se soutenir en présence de textes aussi formels que par exemple: « L'Eternel (l'Etre que désigne le tétragramme) est celui qui est Dieu, il n'y en a point d'autre que Lui? »[8] Ou encore celui où Moïse, parlant d'Israël séduit par les faux dieux, s'écrie: « Ils ont excité ma jalousie par ce qui n'est point Dieu; ils m'ont irrité par leurs vaines idoles » [9] Traduire, comme l'a fait M. Havet, ce qui n'est point Dieu [10] par un dieu d'une autre nation , c'est un expédient inadmissible et contraire à une saine critique, car cela équivaut à donner arbitrairement à une profession de foi, formulée dans les termes[11] les plus clairs, un sens que rien n'autorise à mettre dans la pensée de l'auteur et que le contexte est bien loin de suggérer.

Comment parler encore de monolâtrie dans le Deutéronome, lorsque nous voyons que le mot dieu y est pris comme synonyme de vanité, pur néant, avec une préoccupation de monothéisme aussi évidente que dans les textes des prophètes ou, parmi les apocryphes, de Baruch discourant sur les aberrations de l'idolâtrie ? [12] Voici d'ailleurs un passage qui coupe court à toute discussion à cet égard, car l'idée de l'élection spéciale d'Israël, et par conséquent du culte national, s'y trouve exprimée en même temps que la croyance au Dieu unique, dans une synthèse parfaite des deux notions: « Voici, à l'Eternel, ton Dieu, appartiennent les cieux et les cieux des cieux, la terre et tout ce qu'elle renferme, et c'est à tes pères seulement que l'Eternel s'est attaché pour les aimer, et après eux, c'est leur postérité, c'est vous qu'il a choisis entre tous les peuples» [13] De quelque manière que l'on entende un tel texte, il exclut logiquement toute possibilité de polythéisme.

Il y a, nous en convenons, des passages dans le Pentateuque où l'existence des dieux, non seulement n'est pas niée, mais semble admise au contraire, comme dans ce verset qui sait de près celui que nous venons de citer: « L'Eternel, votre Dieu, est le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, fort et adorable »[14]. Mais peut‑on imaginer une manière plus satisfaisante et plus énergique de sanctionner le dogme de l'unité de Dieu que de faire de ces êtres adorés comme dieux par les hommes autant de créatures, de sujets, de serviteurs du Dieu unique qui est élevé ainsi d'autant plus haut que les prétendues divinités dont Il est le souverain Maître sont plus sublimes elles‑mêmes? Des dieux qui ont un Dieu sont ils encore des dieux ?

Nom appelons l'attention des critiques sur Deutéronome IV, 35 que nous mentionnions plus haut: « Tu as été rendu témoin de ces choses, afin que tu reconnusses que c'est l'Eternel qui est Dieu et qu'il n'y en a point d'autre ». Ils avoueront qu'il est impossible d'être plus formel; le Dieu au nom incommunicable et qui, à leur dire, n'aurait été que la divinité nationale des Hébreux,[15] est expressément désigné comme le Dieu unique; en d'autres termes, comme il ne peut y avoir qu'un seul Dieu, ce Dieu est celui du tétragramme [16] et tel l'ont révélé à Israël les prodiges qu'il a opérés et dont l'énumération précède. « Il n'existe pas d'autre Dieu que Lui », où qui pourrait même, sans force aucu‑ nement le sens, se traduire ainsi: « hors de Lui, il n'y a rien », profession d'unité si absolue qu'elle ne laisserait pas d'être embarrassante, si le sens général de la Bible n'en limitait et n'en précisait la portée. Un peu plus loin, un autre texte reproduit la même idée fondamentale: « Sache donc en ce jour et retiens dans ton cœur que l'Eternel qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre et qu'il n'y en a point d'autre» [17], mais nous y remarquons de plus que dans le mosaïsme, Dieu est sur la terre aussi bien que dans le ciel, il est à la fois transcendant et immanent, ce qui est une façon expressive d'affirmer son unité. Comment ne pas être frappé de voir que Moïse parle comme Abraham [18], que le Deutéronome emploie ainsi des termes identiques à ceux de la Genèse et que ces deux livres concordent avec l'Exode où nous trouvons, dans le décalogue, cette déclaration que rien au ciel ni sur la terre n'est digne d'adoration que Dieu seul?

Dans ce verset que nous lisons également au Deutéronome: « Sachez donc que c'est moi qui suis Dieu et qu'il n'y a point de dieu près de moi; c'est moi qui fais vivre et qui fais mourir, moi qui blesse et qui guéris, et personne ne sauve de mes mains»[19], nous avons signalé précédemment une preuve de la foi au Dieu un; mais la croyance au Dieu unique y est‑elle moins clairement exprimée? N'exclut-il pas toute idée de polythéisme? Le dualisme lui‑même, qui n'est pas aussi mazdéen qu'on le pense, nous y parait exclusivement condamné par l'attribution faite à Dieu seul de la prospérité et du malheur, de la mort et de la vie. Cela est parfaitement conforme à l'esprit de l'hébraïsme qui, ainsi que l'a remarqué entre autres Spinoza, n'hésite pu à reconnaître Dieu pour l'auteur de tout phénomène naturel, qu'il soit bienfaisant ou funeste, et cela sans aucun des ménagements que nos modernes théodicées apportent à l'étude du problème du mal. Tel était en effet l'ascendant du monothéisme sur les anciens Juifs que l'idée ne leur venait pas qu'ils pussent offenser le Dieu unique en le[20] proclamant auteur de toute chose. Le rituel mosaïque exprime symboliquement cette croyance par l'offrande du bouc pour Azazel qui était faite dans le même temple, par le même Pontife et comme partie du même cérémonial que le sacrifice à Dieu lui‑même au jour solennel des Expiations.

On s'étonnera peut‑être que dans cet examen des textes du Deutéronome, nous n'ayons rien dit encore du verset monothéiste par excellence, celui qui est devenu la profession de foi du judaïsme; « Ecoute, Israël, l'Eternel notre Dieu, l'Eternel est Un » Ibid., VI, 4. </ref> Il y a de sérieux motifs de croire que c'est l'unité de Dieu envisagée dans son essence qu'on a en vue dans ce passage. Mais le monothéisme ne s'en déduit pas avec moins de raison. Précisément parce que Dieu est le point indivisible vers lequel tout converge, la monade universelle, le centre d'où rayonne tout ce qui a été, tout ce qui est, tout ce qui sera, Il ne peut être qu'unique, c'est‑à‑dire qu'il ne saurait y avoir deux centres, deux foyers de vie. D'ailleurs une religion qui s'est élevée jusqu'à la conception du Dieu Un dans sa nature tel que le proclame le célèbre verset, ne saurait avoir admis en même temps la croyance grossière au polythéisme.

Ceux qui, par d'injustifiables préventions, se refusent à voir dans la religion des Hébreux autre chose qu'une simple monolâtrie convertie plus tard en monothéisme an contact de la philosophie grecque, nous confirment, s'il est possible, dans nos convictions par la pauvreté de leurs arguments. On nous objecte par exemple qu'il faut se délier des hyperboles du style biblique et que s'il est dit dans Isaïe: « Il n'y a pas d'autre Dieu que moi » [21], le même livre fait dire à la ville de Babylone : « Moi, et rien que moi! »[22] A cela nous répondons que si la Bible est suspecte d'hyperbolisme quand elle parle de l'unité de son Dieu, elle doit l'être également quand elle semble attribuer le caractère divin à d'autres êtres, à des anges, des héros, même à des abstractions. Pour ce qui est du passage relatif à Babylone, qui ne voit que dans ce cas l'hyperbole est justement voulue par le prophète, afin de mieux faire ressortir l'orgueil et l'absurdité d'un tel langage, personne n'ignorant qu'il existait, en dehors de Babylone, d'autres[23] grandes et puissantes cités, tandis que, lorsque la Bible dit de Dieu qu'il est unique, c'est avec l'intention manifeste de nier toute proposition contraire et de réserver à Lui seul l'adoration. Ses affirmations à cet égard sont si catégoriques et répétées avec une telle insistance que les objections rationalistes ne se peuvent raisonnablement soutenir, à moins que l'on ne veuille voir une hyperbole ininterrompue dans le Pentateuque tout entier.

References

  1. Page 82
  2. Exode, XIX, 5.
  3. Page 83
  4. Les mots «Il habitera dans les tentes de Sem » peuvent se rapporter à Dieu aussi bien qu'à Japhet. Bien qu'Onkelos, Raschi, Ibn Ezra, Nahmanide suivent la première interprétation, nous croyons avec les anciens docteurs devoir préférer la seconde. Le Bereschit Rabba et les deux Talmuds les mentionnent l'une et l'autre et la paraphrase de Jérusalem y voit l'annonce de la conversion des enfants de Japhet et de leur entrée dans les tentes ou synagogue de Sem.
  5. Deutéronome, IV, 28.
  6. Ibid., V, 9.
  7. Page 84
  8. Deutéronome, IV, 35.
  9. Ibid., XXXII, 21.
  10. בלא –אל
  11. Page 85
  12. « Ces dieux sont semblables aux pierres de la montagne,… comment donc croire ou dire que ce sont des dieux?» Baruch, VI, 38, 39 et tout ce chapitre VI.
  13. Deutéronome, X, 14, 15.
  14. Ibid., vers. 17
  15. Page 86
  16. On désigne ainsi le nom YKVK
  17. Ibid., ers. 29.
  18. Genèse, XIV, 22.
  19. Deutéronome, XXXIII, 39.
  20. Page 87
  21. Isaïe, XLV, 21.
  22. Ibid., XLVII, 10.
  23. Page 88