Israël et L'Humanité - Le gher noachide

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§ 3.

Nous lisons dans le Deutéronome au chapitre des bénédictions et des malédictions: « Le gher (étranger, prosélyte) qui sera au milieu de toi s'élèvera toujours plus au dessus de toi, et toi, tu descendras toujours plus bas [1]». Ce qui frappe tout d'abord l'attention dans ce passage, c'est qu'il semble indiquer que la classe de population à laquelle il est fait allusion devait être bien nombreuse, puisqu'elle est opposée comme rivale aux Israélites, ce qui ne s'expliquerait pas s'il ne s'agissait que d'une poignée d'individus. Il faut remarquer en outre qu'il ne s'agit point cependant des prosélytes de justice entièrement convertis à la loi de Moïse. Ceux-ci étant incorporés depuis plus ou moins de temps, mais en tout cas d'une manière complète dans la société israélite, il n'y avait pas lieu de parler d'un antagonisme entre eux et les Juifs de naissance.

La menace de Moïse contre les Israélites devenus rebelles à Dieu est au contraire éminemment sérieuse et se comprend fort bien, s'il s'agit d'une catégorie d'étrangers comme les prosélytes de la porte ou noachides qui, tout en acceptant les grands principes proclamés par le mosaïsme, n'étaient pourtant point tenus d'observer ses préceptes et qui surtout ne faisaient pas partie de l'agglomération politique. C'était un corps hétérogène introduit, selon le mot de Moïse, dans l'organisme national et qui, inoffensif et même utile tant que cet organisme vivait d'une vie forte et régulière, pouvait devenir, lorsque celui-ci s'écartait de sa ligne de développement normal, une cause de perturbation et un danger public. Si l'on veut une preuve que c'est bien du Gentil noachide qu'il est question, il n'y a qu'a rapprocher ce verset de la bénédiction [2] correspondante, dans laquelle il est dit:« Tu prêteras à beaucoup de Gentils (goïm) et tu n'emprunteras pas [3] ». Outre l'opposition de cette idée particulière, puisque la menace se termine précisément par l'annonce que l'étranger prêtera à Israël rebelle et n'empruntera pas de lui [4], il y a entre la bénédiction et la malédiction une telle ressemblance d'expressions qu'il n'est pas possible de douter qu'il ne s'agisse du même sujet, c'est-à-dire du gentil, prosélyte de la porte.

Philon a bien entrevu que c'est de ce dernier que Moïse entend parler dans ce double passage, mais il y distingue de plus la menace contre Israël d'un rejet de la part de Dieu en faveur de cette branche étrangère entée sur l'arbre du judaïsme et, chose remarquable, il le fait dans les mêmes termes que Paul emploiera plus tard. Il y a là une preuve éloquente que ces idées si hardies et si blessantes pour l'amour-propre israélite circulaient dans les milieux juifs longtemps avant l'éclair du chemin de Damas [5] et que vraisemblablement il n'était pas nécessaire de se mettre en frais de libéralisme pour les proclamer. On ne saurait prétendre que c'est l'éducation hellénique qui a élargi l'horizon religieux de Philon; nous avons vu en effet que le Talmud aux vues si rétrécies, nous dit-on, n'a pas craint de formuler aussi de semblables avertissements, par exemple dans la parabole du cheval qui remplace le bœuf jadis chéri par son maître [6]. Philon prêche donc avant Paul que ce n'est point par la naissance et simplement parce que l'on est descendant d'Abraham que l'on appartient à l'Eglise de Dieu. Commentant ce passage du Deutéronome où le Dieu des Juifs annonce à son peuple que s'il est infidèle à la Loi, l'étranger prévaudra sur lui et deviendra le maître de la Terre Sainte, il explique ces paroles dans un sens tout spirituel. Le gher du texte mosaïque désigne pour lui le Gentil converti à Dieu qui s'est ainsi assuré une place dans le ciel et il l'oppose à l'Israélite selon la chair dont l'infidélité entraîne la condamnation. Dieu dessèche le tronc de l'arbre et couronne de fleurs les rejetons.

Nous ne garantissons pas que toutes ces idées du philosophe alexandrin se trouvent dans le Deutéronome, mais que l'étranger [7] dont il y est parlé soit justement, comme le veut Philon, le Gentil converti au vrai Dieu, c'est ce qu'il serait difficile de nier après l'analyse et les rapprochements de textes que nous avons faits précédemment.

Voici du reste un autre passage dans lequel le gher, en question est certainement bien différent du prosélyte de justice, c'est à dire nécessairement un noachide, à moins que ce ne soit le Gentil pur et simple, ce qui rehausserait singulièrement la valeur de l'exhortation immunitaire faite à son sujet: « Tu n'opprimeras point le gher, car vous savez ce qu'éprouve le gher, ayant été vous-mêmes ghérim dans le pays d'Egypte [8]». il s'agit donc ici d'un étranger qui se trouve au regard des Israélites dans la même situation que ceux-ci vis-à-vis des Egyptiens. Il n'y avait certainement pas, dans la pensée de Moïse, de communauté de religion entre ce gher et l'Israélite, autrement la comparaison qu'il fait avec la position des Hébreux en Egypte serait allée contre son but; par conséquent ce n'est pas du prosélyte noachide qu'il entend parler.

Nous savons d'ailleurs que ce dernier est l'objet des attentions les plus bienveillantes de la part du législateur. L'Israélite est exhorté à lui faire don de la viande qui lui est interdite et c'est également à lui que s'appliquent toutes les recommandations charitables faites en faveur de l'étranger (gher), souvent nommé avec la veuve et l'orphelin, comme par exemple l'obligation de lui prêter sans intérêts [9] et à plus forte raison la prohibition de retenir le salaire qui lui revient [10]. Tous ces devoirs de charité envers le gher noachide se résument dans le principe biblique et rabbinique: «C'est un précepte de lui donner le moyen de vivre [11]

On lit dans le Deutéronome: « Tu ne livreras point à son maître un esclave qui se réfugiera vers toi, aptes l'avoir quitté. Il demeurera chez toi, au milieu de toi, dans le lieu qu'il choisira, dans l'une de tes villes, où bon lui semblera: tu ne l'opprimeras point [12] ». Les termes de cette loi ne sauraient être plus généraux et les dispositions semblent pouvoir s'appliquer aussi bien à l'esclave gentil qu'au maître israélite, en sorte que nous aurions là un exemple frappant de la justice et de l'impartialité de la légis- lation [13] mosaïque soutenant contre le second les droits du premier. Et quels droits! Ceux de la liberté personnelle centre l'institution même de l'esclavage dont le principe se trouverait ainsi formellement condamné. Mais ce que nous tenons à constater ici, c'est que l'esclave étranger avait droit de résidence en Palestine comme homme libre et qu'il n'est pas dit un seul mot de sa religion, ce dont l'Ecriture n'eût pas manqué de parler si le mosaïsme lui était imposé.

Nous avons la preuve dans le Talmud que ces lois étaient mises en vigueur même dans les temps les plus durs pour Israël. « Il arriva une fois, dit une Boraïta, qu'un esclave étranger se réfugie en Palestine. Son maître l'y poursuivit et se présenta devant R. Amé qui lui dit: L'esclave te souscrira une obligation pour le montant de son prix et toi, tu lui signeras un acte d'émancipation. Autrement je t'en déposséderai en vertu de la doctrine de R. Ahi, fils de Rav Joschia, sur ce verset de L'Ecriture: Qu'ils ne demeurent pas dans ton pays (il s'agit des Cananéens) de peur qu'ils ne te fassent pêcher contre moi. S'agit-il du gentil qui a renoncé au polythéisme? Non, car il est écrit: Tu ne livreras pas à son maître un esclave qui se réfugiera vers toi après l'avoir quitté [14]». Tout ceci nous prouve l'existence en Palestine de ghérim ou étrangers, autres que les prosélytes de justice et sur le compte desquels nous serions, en ce qui concerne leur état religieux, dans une ignorance complète, Si la Tradition ne venait compléter les données scripturaires.


References

  1. Deutéronome
  2. Page 586
  3. Deutéronome, XXVIII, 12.
  4. Ibid. vers. 44.
  5. Actes IX, 3.
  6. Sanhédrin, ch. 11.
  7. Page 587
  8. Exode, XXIII, 9
  9. Lévitique, XXV. 36
  10. Deutéronome, XXIV, 15.
  11. Deutér. X, 18, 19 ; Maïmonide, Deot VI, 4; Sepher Mizvot Aggadot I, 10.
  12. Deutéronome, XXIII, 15, 16.
  13. Page 588
  14. Deutéronome, XXIII, 15, 16. Talmud, Ghittin , 45a.