Israël et L'Humanité - Le tohu-bohu de la Genèse

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§ 3.

LE TOHU-VABOHU DE LA GENÈSE.

Que la succession des mondes soit admise par la Bible, aussi bien que par les Rabbins, cela est hors de doute pour plusieurs critiques qui en retrouvent déjà l'idée dans le tohu-vabohu de la première page du livre de la Genèse. Ces mots leur semblent indiquer avec raison les débris d'un vieux monde avec lesquels Dieu crée le nouveau, accomplissant pour notre terre la prophétie d'Isaïe Pour la palingenèse future: « Voici, je vais créer de nouveaux cieux et une nouvelle terre » [1]. Or comment croire que les mondes se succèdent ainsi sans obéir à une loi qui les embrasse tous?

Nous trouvons une confirmation indirecte de cette interprétation dans les croyances persanes. Les périodes septenaires ou schemittot cosmiques étaient connues des Persans et il va sans dire qu'ils admettaient une succession de Genèses et de Palingenèses. Ces deux étapes de la création étant évidemment bibliques, on ne comprendrait donc pas que le judaïsme, d'accord avec l'Iran sur le fond de la doctrine, ne le fût point sur la question de la périodicité des cycles. D'ailleurs, s'il y a un ordre dans chaque création prise séparément, comment n'en existerait-il point dans l'ensemble des créations successives?

Le commentateur de Joseph Albo dont nous avons cité les paroles est du nombre de ceux qui comprennent de cette manière le tohu-vabohu de la Genèse. Il ajoute que le tehom abîme, et les eaux, maïm , dont parle le deuxième verset du livre sacré sacrés sont justement les débris de la création précédente. Plusieurs théologiens juifs partagent cette opinion et Jehoudah Hallévi déclare irrépréhensible au point de vue religieux l'israélite qui croit à cette succession des mondes.

On a très justement fait remarquer que l'étymologie de la locution de la Genèse rappelle le bouleversement d'un ordre préexistant [2]et nullement la confusion, l'état informe d'une création de toutes pièces. C'est ce que confirme l'examen des trois autres textes bibliques dans lesquels se retrouve la même expression. Isaïe dit à propos de la ruine d'une terre jadis florissante : «  On y étendra le cordeau de la destruction, kav-tohu, et le niveau de la désolation, veabnè-bohu [3]» . Ailleurs le même prophète emploie le mot tohu en opposition avec l'idée d'ordre et de peuplement de la terre: «  Ainsi parle l'Eternel, le créateur des cieux, le seul Dieu, qui a formé la terre, qui l'a faite et qui l'a affermie, qui l'a créée pour qu'elle ne fût plus tohu, qui l'a formée pour qu'elle fût habitée [4]» . Et Jérémie, après avoir dit: «  J'ai vu la terre, et voici elle est tohu-vabohu; les cieux, et leur lumière a disparu » , commente ainsi ses propres paroles: « J'ai regardé les montagnes et elles étaient ébranlées, et toutes les collines chancelaient; j'ai regardé, et voici, il n'y avait plus d'homme et tous les oiseaux du ciel avaient pris la fuite [5]» .

Cette locution de la Genèse n'est d'ailleurs pas seule à nous faire entrevoir l'existence de mondes antérieurs. Tout le contexte peut s'expliquer dans ce sens. Les cieux et la terre du premier verset semblent désigner ces mondes disparus et leur destruction est relatée au deuxième verset où nous lisons: « Or la terre devint tohu-vabohu , (les premiers mots de ce verset peuvent parfaitement se traduire ainsi); les ténèbres couvraient la face de l'abîme et l'esprit de Dieu planait sur la surface des eaux (pour former un monde nouveau) » Un passage de Job vient à l'appui de cette interprétation. En célébrant les merveilles de Dieu, il dit: «  Il a étendu le septentrion sur le tohu; il a suspendu la terre sur le néant [6] ». Et ailleurs: « Il transporte les montagnes à leur insu; il les bouleverse dans sa colère; il secoue la terre sur sa base et ses colonnes sont ébranlées. Il commande au soleil, et le soleil ne paraît pas, il met un sceau sur les étoiles [7]» .

Les Psaumes attestent aussi cette idée de la succession des mondes: « Tu as jadis fondé la terre et les cieux sont l'ouvrage de tes mains. Ils périront, mais tu subsisteras; ils s'useront tous comme un vêtement; tu les changeras comme un habit et ils seront [8]changés; mais Toi, tu restes toujours le même, et tes années ne finiront pas [9] ». Si la notion du progrès cosmique ou de la pluralité des créations en général n'est pas expressément indiquée dans ce texte, elle ne se déduit pas moins des images employées, car celle de vêtements qui s'usent et qui sont remplacés par d'autres, exprime assez clairement l'idée de succession des mondes.

Dans ce texte de l'Ecclésiaste: « S'il est une chose dont on dise: Vois ceci, c'est nouveau! cette chose existait déjà dans les mondes qui nous ont précédés [10] », ces derniers mots, à notre avis, doivent s'entendre dans le sens de véritables mondes, autres que le nôtre et antérieurs au nôtre, et non pas seulement dans celui de périodes, de temps indéfinis. Il n'est pas improbable que le verset qui suit: « On ne se souvient pas des premiers et ceux qui viendront dans la suite ne laisseront pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard », signifie que les dernières créations étant meilleures que les précédentes, celles-ci ne sont même plus mentionnées, précisément comme dans le texte d'Isaïe: « Voici je vais créer de nouveaux cieux et une nouvelle terre; on ne se rappellera plus les choses passées, elles ne reviendront plus à l'esprit [11]Les deux textes contiendraient ainsi l'idée de progrès.

La prière de Moïse qui commence par ces mots: « O Seigneur! tu as été pour nous un refuge de génération en génération » s'élève ensuite à une idée plus générale; il ne s'agit plus d'Israël, mais de l'univers entier: « Avant que les montagnes fussent enfantées et que tu eusses créé la terre et le monde, d'un monde à l'autre tu étais Dieu [12]; tu fais rentrer les hommes dans la poussière, et tu dis: « Fils de l'homme, revenez! car mille ans sont à tes yeux comme le jour d'hier quand il n'est plus [13]» , Et dans un autre psaume nous lisons: « Béni soit l'Eternel, le Dieu d'Israël, d'un monde à un autre monde [14]» et au psaume 145: « Ton règne est de tous les mondes [15] », ce qui embrasse le passé et l'avenir.

Ainsi pour la Bible comme pour les représentants de la tradition hébraïque, non seulement des mondes ont existé avant [16]celui-ci, mais il en existera d'autres après lui et le grand principe du progrès est élevé à la hauteur d'une loi qui gouverne la naissance, le développement, la fin et la résurrection de tous les univers. La critique nous objectera-t-elle que tous ces cycles, toutes ces périodes plus ou moins longues, ces semaines et ces jubilés cosmiques, en un mot toute cette gradation harmonique dans les transformations et la renaissance des mondes ne sont que de poétiques imaginations sans aucune base scientifique? Sans doute ce ne sont pas là des faits susceptibles de démonstrations mathématiques, mais il y a là tout au moins une hypothèse sérieuse que la science est bien loin de repousser, puisque nous voyons un savant illustre entre tous et complètement étranger aux doctrines du Talmud, Herbert Spencer, lui apporter l'appui de son autorité en des termes qui offrent précisément une curieuse analogie avec les idées rabbiniques. Nous citerons textuellement ses paroles. A la demande qu'on pourrait faire au sujet du terme de l'évolution universelle ou de sa durée indéfinie, il répond « que cette évolution aura une limite insurmontable et cette limite est l'équilibre stable auquel elle arrive en passant par toutes les phases ou équilibres mobiles qui vont peu à peu décroissant jusqu'à ce qu'elles se réduisent à l'équilibre stable ». Et Spencer ajoute : « Evidemment si l'évolution doit se terminer dans un équilibre ou repos complet, on doit affirmer qu'un jour la mort universelle suivra définitivement; mais on peut également affirmer que l'équilibre stable, universel, étant une fois accompli, alors sous forme de mouvement moléculaire devra apparaître tout ce qui est perdu dans le mouvement des masses. Cette transformation reconduisant les masses à une forme nébuleuse, une nouvelle évolution recommencera, et ainsi s'accompliront indéfiniment de nouvelles évolutions semblables, toujours les mêmes en principe, mais jamais les mêmes par les résultats concrets [17] ».


References

  1. Isaïe, LXV, 17.
  2. Page 342
  3. Isaïe, XXXIV, 11.
  4. Id. XLV, 18
  5. Jérémie, IV, 23
  6. Job, XXVI, 7
  7. Ibid, IX, 5-8.
  8. Page 343
  9. Psaume CII, 26-28
  10. Ecclésiaste, I, 10
  11. Isaïe, LXX, 17.
  12. Psaume XC, 2.
  13. Id. vers. 3-4.
  14. Psaume CV1, 48
  15. Ps. CXLV, 13.
  16. Page 344
  17. Philosophie des écoles italiennes, tome IX août 1878