Israël et L'Humanité - Les multiples aspects de la loi divine

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V.

Les multiples aspects de la Loi divine.

Le cosmopolitisme dans la promulgation de la loi mosaïque apparaît, d'après les Rabbins, non seulement dans la pluralité des langues employées, mais encore dans la forme idéologique elle-même, [1]en d'autres termes il se manifeste dans l'idée comme dans la parole. Celle-ci, en même temps qu'elle s'adresse à chaque peuple dans sa langue spéciale, s'offre aussi à chaque individu en s'adaptant à la nature particulière de son esprit, autrement dit l'idée religieuse prend de multiples aspects pour se rendre accessible aux différents degrés d'intelligence.

Avant de donner la formule rabbinique de cette conception, voyons comment ses racines ont poussé dans le sol théologique. Le principe dont elle découle est que chaque homme comme chaque race est naturellement disposé à accueillir la vérité d'une certaine manière plutôt que d'aune autre, à l'envisager d'un côté particulier. Il en est ainsi, nous l'avons dit, pour l'idée de Dieu elle-même dont chaque peuple n'entrevoit qu'une face spéciale, en sorte que l'Etre suprême ne peut être parfaitement compris, nous ne dirons pas par l'humanité tout entière, tant s'en faut, mais par toutes les intelligences passées, présentes et futures.


Cette aptitude déterminée, ce génie de la race, cette faculté personnifiée est ce que la théologie rabbinique appelle du nom de sar le prince, l'ange protecteur de chaque nation et au point de vue objectif, ce sont ces diverses notions de Dieu qui constituent pour les différents peuples leurs divinités particulières et qui, rapprochées les unes des autres dans une synthèse supérieure, deviennent, pour l'adoration de l'humanité prise dans son ensemble, le Dieu véritable. Voilà comment l'unité humaine est la condition et subjectivement le facteur de l'unité divine. Le polygonisme de la Loi divine, s'il est permis de s'exprimer ainsi, la multiplicité des aspects de la parole du Sinaï, n'est que la conséquence de ce même principe étendu à la religion tout entière. Chaque race, de même qu'elle emprunte à l'idée de Dieu ce qu'elle est capable de saisir, prend aussi de la religion ce qui convient le mieux à son tempérament et à sa mentalité: aux uns la métaphysique avec les symboles et les rites sublimes qui en dérivent, ce sont là ceux que Jésus appelait les enfants de la lumière; aux autres l'anthropomorphisme avec ses figures d'animaux sacrés, ses allégories et ses incarnations; à ceux-ci les spéculations profondes et les mystères; à ceux-là les superstitions et les cultes barbares.

On peut observer tous les jours que deux mêmes idées étant présentées simultanément à plusieurs esprits, ceux-ci n'aperçoivent point entre elles les mêmes rapports: « Il arrive quelquefois que l'organisation du cerveau est telle qu'il ne saisit que des rapports [2]mathématiques. Il n'en est pas de même des rapports relatifs aux beaux-arts et à la morale; certains hommes ne les aperçoivent jamais. Les différents rapports que des esprits plus ou moins pénétrants, des intelligences plus ou moins perfectionnées aperçoivent entre les mêmes idées, quoique elles leur soient également présentes, achèvent de prouver contre l'opinion de quelques métaphysiciens modernes que la perception des rapports est un nouvel acte de notre faculté sentante [3] ». Et de même qu'une ville peut prendre différents aspects, selon qu'on la regarde de tel ou tel côté, et se trouve en quelque sorte multipliée par les diverses perspectives, de même aussi, dit Leibniz, « il arrive que par la multitude infinie des substances simples, il existe comme autant d'univers différents qui ne sont pourtant que les perspectives variées d'un seul et même univers, selon les divers points de vue de chaque monade [4]». Enfin nous voyons des philosophes catholiques eux-mêmes reconnaître la justesse de ce principe, même dans l'ordre religieux: « La foi en une vérité spirituelle, écrit Mariano, suppose des différences, elle les réclame même et les engendre. Dans la diversité l'unité est forte, concrète, véritable. Une unité indistincte, indifférente, inerte, est une preuve évidente que la foi, l'esprit, la vérité sont éteints ou malades. Mais il n'en est pas ainsi du catholicisme et de son unité, en lui les vérités vivent et se réalisent [5] ».

Telles sont les bases rationnelles ou métaphysiques de la pluralité des aspects de la Révélation sinaïtique. Voyons-la maintenant dans ses formules rabbiniques: « Le texte de la Thora, nous disent les Docteurs, est composé de six cent mille lettres (soixante myriades) correspondant au nombre des Israélites au temps de Moïse qui était de six cent mille, c'est-à- dire que chaque israélite saisit la Loi et s'y attache par une de ses lettres ». Ailleurs nous lisons ces paroles significatives que nous avons eu déjà l'occasion de citer: « Cinquante portes d'intelligence ont été créées dans le monde et quand Dieu enseigna la Loi à Moïse, il lui montre sur chaque point quarante-neuf faces ou côtés différents en faveur de la permission ou pureté légale et quarante-neuf autres faces en faveur de l'impureté légale ou prohibition Cite error: Closing </ref> missing for <ref> tagparadoxale: « Puisque les uns prohibent et que les autres permettent, lisons-nous dans le Talmud, tu pourrais dire: Comment me sera-t- il possible d'apprendre la Loi? La vérité est que, bien que les uns prohibent et que les autres permettent, toutes ces opinions sont des paroles émanées du Dieu vivant; un seul Dieu les a toutes prononcées, un seul pasteur les a toutes proclamées au nom du Seigneur de toutes choses, béni soit-Il [6]».

Les mêmes idées se retrouvent sous une foule d'autres formes. C'est ainsi que le visage de Dieu est censé prendre une expression toute particulière selon la partie de la Loi qu'il communique à Moïse; il est d'une sévère majesté quand il enseigne le texte de la Thora; il exprime au contraire, lorsque vient le tour de la Mischna, l'effort pour se faire comprendre, enfin il revêt un aspect de joie spirituelle quand il transmet la partie haggadique de la Loi orale. Tantôt c'est un langage et des manières toutes spéciales que Dieu adopte selon qu'il parle à des vieillards ou à des jeunes gens, à des hommes, des femmes ou des enfants, proportionnant son enseignement à la capacité intellectuelle [7] de chacun de ses auditeurs. Tantôt c'est une forme particulière que prend la parole divine, en sorte qu'il semblait à chaque Israélite qu'elle s'adressait à lui personnellement. Ailleurs il nous est dit que tous les Israélites qui viendront au monde jusqu'à la fin des siècles étaient présents en esprit à ces grandes assises du Sinaï [8]afin que chacun pût recevoir le lot qui lui était échu en partage; c'est ce que les Rabbins appellent «la part que chaque âme a reçu sur le mont Sinaï» . Les prosélytes eux-mêmes qui viennent de temps en temps s'agréger à la communion israélite ne sont pas exclus de cette répartition générale, car, dit le Talmud, bien qu'ils ne fassent pas présents, leur esprit ( mazal) assistait à la grande assemblée du Sinaï.

Nous prévoyons l'objection que peut nous faire ici le lecteur; c'est que si les Docteurs de la Synagogue ont fait preuve de tendances universalistes en prétendant que Dieu, pour se révéler, a parlé d'autres langues que l'hébreu, il n'en est pas de même dans leur étude du contenu de la révélation elle-même: tout y indique uniquement le particularisme juif, puisque dans les passages que nous venons de citer, il n'est question que des Israélites seulement. Mais lorsqu'on a une fois établi le système des Rabbins qui tend [9]à faire de la parole du Sinaï une parole universelle, il est clair que tout ce qu'ils ajoutent ensuite pour mieux déterminer ses manifestations ne saurait avoir une portée moins générale. Lorsqu'ils nous disent par exemple que la Loi a soixante-dix faces, on ne peut douter que cela ne corresponde dans leur pensée aux soixante-dix nations que comprend d'après eux l'humanité.

En outre, les diverses langues qui servirent, selon les Docteurs, à faire parvenir la parole du Sinaï à la connaissance des Gentils, [10]supposent également des variétés d'interprétation de la Révélation. Chaque idiome en effet a une aptitude particulière à présenter les choses sous tel point de vue plutôt que sous tel autre et toute traduction, quelque fidèle qu'elle soit, aboutit, qu'on le veuille ou non, à mettre en relief certains côtés de l'original en laissant dans l'ombre certains autres, car autant une langue a de facilité à exprimer d'une manière heureuse tels ou tels sentiments ou idées, autant elle est impuissante à en traduire d'autres qui semblent incompatibles avec son génie spécial.

Enfin, la présence au Sinaï des âmes des prosélytes [11] est assez instructive par elle-même et rien n'autorise à penser qu'il s'agit seulement, dans l'esprit des Rabbins, des prosélytes de justice, c'est-à-dire de ceux qui sont entièrement convertis à la Loi de Moïse et non point aussi des prosélytes de la porte ou simples noachides, puisque nous savons que le judaïsme reconnaît l'existence également légale des uns et des autres. [12]


References

  1. Page 567
  2. Page 568
  3. Philosophie des deux Ampères, p. 447.
  4. Monadologie, p. 216
  5. Cristianesimo, Cattolicismo e civiltà, p. 281
  6. Haghiga, 3 <super> b </super>. Voir aussi Erubin, 13 <super> a </super>
  7. Pesikta de Rab Kahana ed. Buber p. 106.
  8. Jalkout Schimeoni, Sect. Itro, 294;Schemot Rabba, Itro, 28 .
  9. Page 570
  10. Schemot Rabba, Itro, 28.
  11. Jalkout Schimeoni, Sect. Itro , 294.
  12. Page 571