Israël et L'Humanité - Les prosélytes de justice

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II.

Les prosélytes de justice.

Nous avons parlé précédemment de cette catégorie de prosélytes qui étaient entièrement soumis à la loi de Moïse. Leur existence serait déjà suffisamment prouvée par cette formule si fréquente [1] dans le Pentateuque et qui, pour beaucoup de préceptes purement mosaïques, tend à mettre le gher ou étranger sur un pied de parfaite égalité avec l'israélite de naissance: « Il y aura une seule loi et une seule ordonnance pour vous et pour l'étranger en séjour parmi vous [2] ». Nous voyons que l'obligation est imposée à cet étranger d'apporter des sacrifices expiatoires pour avoir enfreint, ne fût-ce qu'involontairement, un des préceptes mosaïques [3]

Nous laissons ici de côté à dessein les enseignements de l'histoire qui nous montre les prosélytes complètement agrégés à la société et à la religion israélites, parce que ce n'est point tant le fait en lui-même que nous examinons présentement que les dispositions législatives de l'Ecriture. Or la Bible, on le voit, ne permet aucunement de douter que les portes du judaïsme ne fusent largement ouvertes à quiconque voulait y entrer. Nous allons démontrer que l'universalisme israélite s'étend beaucoup plus loin encore, mais s'il s'était arrêté là, s'il n'avait connu que les prosélytes de justice, serait-il pour cela moins extraordinaire? En vérité, quel autre exemple semblable pourrait-on citer dans toute l'antiquité païenne? Qu'une religion ancienne, qui était en même temps un culte national, ait ouvert ses portes à tous ceux qui demandaient à être admis, voilà ce qui n'a jamais eu lieu et la chose était tout simplement impossible. Conçoit-on qu'il eût pu être au pouvoir du premier venu de se faire légalement reconnaître par les autorités constituées comme citoyen grec, romain ou égyptien, avec toutes les prérogatives attachées à ce titre, de jouir des mêmes droits que les plus anciennes familles, d'être considéré comme fils spirituel des premiers fondateurs de la nation, comme c'était le cas pour les prosélytes juifs qui étaient appelés enfants d'Abraham, et cela en faisant tout simplement profession de la forme de polythéisme propre à ces divers Etats? Poser la question, c'est la résoudre. Seul, dans l'ancien monde, le bouddhisme a présenté un phénomène analogue, encore n'avait-il point de lien national, car il consistait justement dans le rejet de toute dépendance de ce genre et l'on ne sait pas encore jusqu'à quel point il mérite le nom de religion. Or, si l'hébraïsme qui était, certes, une religion au plus haut degré et, de plus, un culte national, appelait ou tout au moins accueillait dans son sein les Gentils de toute race, il faut bien [4]convenir que la question d'origine ne pesait d'aucun poids dans la balance du judaïsme et que la nationalité elle-même était quelque chose de secondaire et d'entièrement subordonné à la foi religieuse, puisque lorsqu'un étrange, déclarait embrasser la religion mosaïque, toutes les barrières s'abaissaient devant lui et il devenait, par ce seul fait, citoyen israélite, avec tous les droits et tous les devoirs que cette qualité implique.

En présence du témoignage de l'Ecriture, Il est superflu de recourir aux déclarations de Maïmonide qui nous dit; « Moise, notre maître, n'a donné la Loi et les prophètes en héritage qu'à Israël et à ceux des autres peuples qui voudraient se faire juifs [5] », proclamant ainsi l'universalisme israélite au moment même où il semble vouloir faire une profession de foi particulariste. Le judaïsme n'est donc ni le patrimoine d'une race ou d'un peuple, ni le privilège d'une secte; c'est un honneur ou, si l'on préfère, une charge accessible à tout le monde; quiconque veut être israélite peut le devenir. En Israël la religion ne dépend pas de l'Etat, c'est au contraire l'Etat qui est mis au service de la religion, autrement dit, l'Etat était le moyen, et la religion, la fin, et celui-là appartenait à la nation juive qui, de quelque race qu'il fût, déclarait se rattacher à la religion d'Israël. Aucun obstacle d'origine, de nationalité ou de confession religieuse de naissance ne pouvait empêcher le païen de devenir, s'il le désirait, l'égal du citoyen israélite. Est-il possible d'imaginer à cet égard une conception plus franchement universaliste?

Ajoutons que la tradition déclare le caractère d'israélite chez le païen converti aussi indélébile que chez celui qui est né de parents juifs [6] Cette loi rabbinique éclaire d'un jour inattendu l'élection du peuple hébreu. Celle-ci n'est donc pas un privilège de naissance; Israël n'est point le peuple élu dans le sens qu'on donne généralement à ces mots, il n'est qu'une nation choisie et son élection ne dépend que de son libre choix combiné avec celui de Dieu, c'est-à-dire d'une alliance, d'un pacte intervenu entre Dieu et Israël. Dieu choisit le peuple et le Peuple à son tour choisit Dieu et il est aussi absurde de parler d'une préférence divine en faveur d'Israël que d'une préférence israélite en faveur de Dieu. Chaque Gentil qui, entre dans le sein de l'Eglise juive renouvelle [7]donc en particulier l'entrée d'Israël dans l'alliance du Seigneur; aussi le cérémonial de son admission rappelle-t-il celui de l'élection des Israélites.

Le caractère d'irrévocabilité de la conversion du païen est bien établi par ce passage du Talmud: « Quand une fois le prosélyte, a reçu le baptême par immersion [8],il devient l'égal de l'Israélite. Comment prouve-t-on cela? C'est que s'il vient par la suite à abjurer le judaïsme et donne l'anneau nuptial à une Israélite, son mariage n'est pas moins valable au même titre que celui du juif apostat[9]» Maïmonide [10]en a tiré cette conséquence qu'il doit être contraint à observer le judaïsme. Peut-être a-t-il voulu dire par là que le renégat reste, qu'il le veuille ou non, soumis aux mêmes lois que l'Israélite; en tout cas le Talmud ne dit rien de plus et nous savons d'ailleurs que pour ce qui est des préceptes religieux positifs , il n'existait, même pour l'Israélite de naissance, aucune loi inquisitoriale ou coercitive pour l'obliger à les observer. « Tout précepte, dit le Talmud, pour lequel la Loi promet une récompense, échappe à la juridiction du tribunal [11]».

Cette indélébilité de la conversion du Gentil est fondée uniquement sur son libre choix. La preuve en est que le père, malgré toute l'autorité qu'il possède sur ses enfants mineurs, ne peut en rien préjuger leur religion à venir; quoique circoncis et baptisés par lui, ils peuvent, devenus majeurs, abjurer impunément le judaïsme. Il sont libres de protester, dit R. Joseph, une fois parvenus à leur majorité [12].

Cette dernière disposition de la législation rabbinique répond d'avance à une critique que l'on pourrait nous adresser. On dira que la religion en Israël ne faisant qu'un avec l'Etat, la conversion au judaïsme était une sorte de naturalisation. A cela nous répondons que bien que le judaïsme s'identifiât avec la nationalité juive, il ne cessait pas pour cela d'être une religion. Noue aurons à examiner la question de l'hégémonie de la religion et de l'Etat et à rechercher par exemple si, dans la conception juive, la suprématie appartenait à celui-ci ou à celle-là. Nous estimons cependant que [13]les faits qui viennent d'être cités donnent déjà une solution assez claire en faveur de la dernière hypothèse. Mais lors même que l'on prouverait que la religion juive se trouvait subordonnée à l'Etat, cela n'ôterait encore rien, croyons-nous, à la valeur de ce fait extraordinaire que, par un acte de simple volonté, le païen, fût-il d'une race bien différente et même d'une autre couleur, entrait d'emblée et de plein droit dans la société religieuse et politique d'Israël, sans qu'il fût au pouvoir de personne de s'opposer à son admission. Ezéchiel va jusqu'à prédire qu'au temps du Messie, les prosélytes obtiendront un lot, comme les Israélites, dans le territoire de la Palestine: « Vous les regarderez comme indigènes parmi les enfants d'Israël; ils partageront au sort l'héritage avec vous parmi les tribus d'Israël. Vous donnerez au gher son héritage dans la tribu où il séjournera, dit le Seigneur, l'Eternel [14] ».


References

  1. Page 575
  2. Nombres XV, 16
  3. Ibid. vers. 29.
  4. Page 576
  5. Melachim, VIII, 10
  6. Caro, Joré Dea, 268, § 2.
  7. Page 577
  8. Cette cérémonie est l'accompagnement indispensable de la circoncision du Gentil
  9. Jebamot > 47 <super> b </super>
  10. Melachim, X, 3.
  11. Holin, 110 <super> b </super>
  12. Ketoubot 11 <super> a </super>
  13. Page 578
  14. Ez. XLVII, 22, 23.