Israël et L'Humanité - Les sacrifices propitiatoires pour la Gentilitê

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VI.

Les sacrifices propitiatoires pour la Gentilité.

§ 1.

Nous avons étudié plus haut les trois formes des sacrifices des Gentils consacrées par le judaïsme. Il nous reste à examiner maintenant une autre forme qui n'est certainement pas la moins intéressante, car elle atteste mieux encore que les autres, s'il est possible, la place que la Gentilité occupait dans les préoccupations religieuses d'Israël. Nous voulons parler des sacrifices propitiatoires que la Loi mosaïque elle-même ordonnait de célébrer solennellement pour les Gentils.

L'époque de l'année choisie pour cette célébration était celle de Souccot, la fête des Tabernacles, et cette date est déjà significative, car outre le sabbat dont nous avons précédemment parlé, la solennité de Souccot est la seule fête israélite dont il soit dit dans l'Ecriture qu'elle doit être célébrée par toutes les nations dans le Temple de Jérusalem: « Tous ceux qui resteront de toutes les nations venues contre Jérusalem, monteront chaque année pour se prosterner devant le roi, l'Eternel des armées, et pour célébrer la fête des Tabernacles [1] ». Cette prophétie est accompagnée de l'annonce d'un châtiment pour ceux qui s'abstiendraient de célébrer cette fête et elle constitue ainsi, pour le dire en passant, une preuve des plus concluantes en faveur de l'immutabilité de la Loi aux temps messianiques et une objection des plus graves contre toute religion fondée sur l'idée du caractère provisoire et de l'abolition ultérieure du mosaïsme. Nous y voyons également la confirmation de ce que nous n'avons cessé de soutenir, à savoir que jamais dans la pensée du judaïsme, cette religion n'a été destinée à tous les peuples de la terre. S'il en eût été autrement, il serait[2]absurde en effet de parler d'une observance particulière de leur part à l'époque du Messie, observance qui implique l'exclusion de toutes les autres. Si l'Ecriture mentionne cette pratique spéciale, cela prouve deux choses: d'abord que la loi mosaïque dans son ensemble ne concerne pas les Gentils, ensuite que s'ils en ont été dispensés, ce n'est ni par haine, mépris ou négligence, mais uniquement parce qu'une liberté religieuse plus grande leur a été laissée, certains autres préceptes étant proclamés au contraire obligatoires pour eux aussi bien que pour Israël. Ces considérations ne sont pas ici hors de propos comme on pourrait le supposer. Nous voyons dans cette disposition particulière, comme dans tant d'autres détails de la Loi, que, d'après la conception juive, la religion universelle ne consiste pas dans une conversion pure et simple des Gentils au mosaïsme, mais dans la reconnaissance que l'humanité doit faire de la vérité de la doctrine d'Israël, tout en gardant dans la pratique son autonomie et sa liberté. C'est là un point essentiel sur lequel nous ne nous lasserons pas d'appeler toute l'attention des esprits sérieux.

Il serait extrêmement curieux de recueillir ici tous les commentaires que cette future observation de la fête des Tabernacles a provoqués dans les écrits rabbiniques. Ils sont si importants qu'ils pourraient aisément former la matière d'une étude spéciale. Mais voici l'idée centrale autour de laquelle toutes les autres viennent se grouper. C'est que, durant les huit jours de Souccot, Israël offrait sur l'autel de Jérusalem soixante-dix victimes à titre de propitiation pour les soixante-dix peuples de la terre [3]. Il est merveilleux de voir le parfait accord qui règne sur la destination et le sens de ce sacrifice entre les plus anciens auteurs rabbiniques, soit dans la période qui a immédiatement précédé l'ère chrétienne, soit dans les siècles postérieurs, C'est-à-dire à une époque où l'on devrait s'attendre le moins à rencontrer de pareilles dispositions à l'égard des Gentils. En effet, à la haine féroce du paganisme contre les Israélites correspondait alors chez ces derniers une sensibilité plus grande qu'une longue habitude de souffrir n'avait pas encore émoussée comme dans le Moyen-Age et dans l'ère moderne. Israël n'était pas un vieillard résigné, courbé sous le poids de douleurs accumulées comme il apparaît de nos jours dans les pays [4] de persécutions; il était toujours un lutteur vigoureux qui étonnait le monde par des prodiges de résistance.

Eh bien! écoutons la voix de cet Israël s'exprimant par l'organe de ses maîtres, les Pharisiens si décriés. Car, qu'on le sache bien! la Bible [5] qui prescrit formellement le sacrifice dont il s'agit, se tait complètement sur les motifs qui l'inspirent et sur la signification qu'il faut lui donner, comme en général sur le sens de tous les sacrifices ou, pour mieux dire, sur toute la partie théorique de la Loi de Dieu. Or n'est-ce pas un juste sujet d'admiration que de voir que les Pharisiens, au lieu de rabaisser par des interprétations égoïstes et mesquines le niveau moral de l'Ecriture, comblent ses lacunes dans le sens le plus humanitaire et parlent eux-mêmes en faveur des Gentils quand elle garde le silence? Citons d'abord le Vaïcra Rabba qui, des cinq parties du Midrasch Rabba , est reconnu par la critique moderne comme l'une des plus anciennes. On y lit sous le nom de R. Jeoschua fils de Lévi: « Si les nations du monde avaient su combien le tabernacle d'assignation leur était utile elles l'auraient (pour le protéger) entouré de tentes et de camps retranchés ». Et dans un autre passage à peu près semblable: « Si les nations du monde avaient su combien le Temple leur était utile, elles l'auraient entouré de camps retranchés pour le garder, car il leur était plus utile qu'à Israël ».

Le Midrasch Schir aschirim, qu'on peut à bon droit placer après le Vaïera Rabba, s'exprime avec plus de douceur, sans être moins explicite, et la pensée en outre se généralise: « Tes yeux sont semblables à ceux de la colombe, cela veut dire que de même que la colombe (offerte au temple) fait expiation pour tout le monde, de même Israël fait expiation pour tous les peuples, car les soixante-dix veaux qu'on immolait sur l'autel à la fête des Tabernacles étaient offerts, pour les nations, afin qu'elles fussent maintenues en ce monde, c'est pourquoi il est écrit (dans les Psaumes): Ils m'accusent en échange de mon amour, tandis que je prie (pour eux) ».

Dans le Talmud, au traité Soucca , nous lisons également: « R. Johanan dit: Malheur aux peuples gentils pour ce qu'ils ont perdu (en perdant le Temple), car lorsque le Temple était debout, il était fait expiation pour eux sur l'autel (au moyen des soixante-dix veaux offerts en sacrifice), mais maintenant qu'est ce qui fera pour eux l'expiation?» Et voici d'autres passages de la Pesikta: « Dieu [6] dit à Israël: Mes enfants. je sais que durant les sept jours précédents de la fête (des Tabernacles), vous étiez occupés aux sacrifices pour les peuples du monde; à présent (le jour de Schemini Azeret, huitième de la solennité) vous et moi réjouissons-nous ensemble . Et ailleurs: « R. Alexandre dit: Cela (cette institution de la fête des Tabernacles) fait songer à un roi qui aurait eu la joie (de marier son fils). Pendant toute la semaine des noces, le fils du roi s'occupait à faire des honneurs aux hôtes qu'il avait conviés. La semaine des noces achevée, le roi dit à son fils: je sais que durant toute la semaine des noces, tu t'occupais de tes hôtes; à présent, toi et moi, réjouissons-nous ensemble. Ainsi pendant les sept jours des Tabernacles, Israël s'occupe des sacrifices pour les nations du monde, car, dit R. Pinhas: Les soixante-dix veaux qu'Israël sacrifiait pendant la danse de la fête correspondaient aux soixante-dix nations de la terre, afin qu'elles fussent maintenues en ce monde ». Le Bamidbar Rabba reproduit le motif du sacrifice donné par le Schir aschirim Rabba : « C'est afin que le monde ne soit pas privé des peuples gentils». Le Midrasch Tadsché est aussi explicite: « On sait que soixante-dix veaux étaient sacrifiés par Israël pendant la durée de la fête des Tabernacles en faveur des peuples gentils, pour leur servir d'expiation ».

L'unanimité entre les divers écrits rabbiniques est donc parfaite sur ce point. Mais voici une circonstance qui mérite une mention toute particulière. Le nombre de soixante-dix victimes offertes pendant la fête est déjà par lui-même très significatif, si l'on veut bien se rappeler tout ce que nous avons dit précédemment sur la division du monde en nationalités d'après les Rabbins. Or ce chiffre de soixante-dix victimes était reparti entre les sept jours de fête de telle manière qu'il était offert chaque jour une victime de moins que le jour précédent; il y en avait treize le premier jour, douze le deuxième, onze le troisième et ainsi de suite jusqu'au septième jour où sept veaux seulement devaient être immolés, ce qui complétait le nombre de soixante-dix. Que pouvait bien signifier cette diminution progressive dans le chiffre des victimes? Une disposition si particulière n'est certainement pas due au hasard et l'on ne saurait douter qu'il dût y avoir quelque secrète raison dans cet ordre cérémoniel. On rencontre parfois chez les Rabbins cette phrase: « Les nations du monde vont en diminuant comme les veaux de la fête » . Est-ce la un souhait égoïste de l'amour-propre national, ou la simple constatation d'un fait, ou encore l'expression [7]d'un désir inspiré par de plus nobles motifs? Ces diverses hypothèses ont été sentences tour à tour. Lors même que la première serait vraie, ce ne serait encore qu'une note dissonante dans l'imposant concert formé par les témoignages que nous avons recueillis de toutes parts chez les Docteurs en faveur des aspirations universelles du judaïsme. Et combien le patriotisme juif, si cruellement blessé par les païens, serait excusable d'avoir quelquefois nourri de semblables pensées! La seconde supposition paraît conforme au commentaire de Raschi sur le chapitre des Nombres fixant le chiffre de victimes à immoler pendant la fête des Tabernacles [8]: « Les victimes de la fête sont au nombre de soixante-dix et elles diminuent chaque jour. C'est un signe de destruction des nations, mais à l'époque du sanctuaire ces sacrifices offerts les mettaient à l'abri des châtiments encourus ». Ainsi la constatation d'un fait elle-même conserve aux holocaustes de la solennité en question leur caractère humanitaire.

Mais on est allé plus loin encore dans cette voie. On a dit que ce nombre décroissant de victimes signifiait la diminution graduelle des diverses religions et leur réduction à des formes plus légitimes [9] et il convient de remarquer que le nombre s'arrête à sept, ce qui, en acceptant cette interprétation, est encore une consécration de la pluralité et de la variété de cultes, le judaïsme reconnaissant que l'adoration de Dieu doit prendre des formes diverses adaptées au génie des différentes races et à la nature du milieu, sans préjudice toutefois de l'unité générale dont Israël est le gardien et le modèle. Engagés dans cette voie d'exégèse symbolique, nous ne voyons pas pourquoi il ne serait point logique de songer également à l'unification progressive et toujours plus complète du genre humain, sous l'action du principe de fraternité universelle enseigné par le judaïsme.

§ 2.

L'idée de religion universelle dans la célébration de la fête de Souccot t apparaît plus nettement encore, lorsque l'on considère l'époque de l'année choisie pour cette solennité et pour les sacrifices offerts en faveur de l'humanité. C'était évidemment le moment où [10] l'année commençait. Il résulte de la Bible elle-même que l'année civile des Hébreux s'ouvrait avec le mois de Tischri qui est le septième de l'année religieuse et que le premier jour de ce mois était tout naturellement le jour de l'an, ainsi que la Synagogue le reconnaît aujourd'hui, d'autant mieux que ce premier jour de Tischri est un jour de fête solennelle institué par Moïse, mais dont l'Ecriture n'indique pas le motif.

il n'est pas moins établi que le commencement de l'année se prolongeait jusqu'à Kippour, comme le prouvent la libération des esclaves, celle des débiteurs, le repos de la terre, le retour des possessions, toutes choses dont la proclamation était faite ce jour là. C'était donc toute une série de jours qui constituait la période du début de l'année et à deux reprises dans le Pentateuque, Moïse laisse entendre que cette période s'étend jusqu'à Souccot lorsque, parlant de la fête des Tabernacles, il en fixe la date « à la fin de l'année » ou «  au retour de l'année [11] ».

Cette manière de considérer le commencement de l'année commune, ainsi marqué par la célébration de la fête de l'humanité, nous donne peut-être l'explication du singulier silence que le Deutéronome garde sur les deux fêtes préliminaires de Rosch Aschana et de Kippour. Celles-ci auraient formé une sorte d'introduction à la fête de Clôture [12] dont la simple mention supposait ainsi les deux précédentes comme faisant partie d'une même solennité [13].

On sait que les Hébreux avaient une double façon de calculer l'année: le mois de Nissan, au printemps, solennisé par la commémoration de la sortie d'Egypte, marquait le début de l'année religieuse spéciale à Israël; l'année civile, qui commençait avec le mois de Tischri, était au contraire commune à tous les peuples y compris les Juifs. Comme les Gentils ne connaissaient que cette dernière année qui, semblable aux jours de la création, partait de l'équinoxe d'automne, époque correspondant au soir dans l'ordre des saisons comme Nissan correspond à la pointe du jour, il était naturel que le judaïsme la consacrât par des solennités religieuses d'un caractère essentiellement cosmopolite et nous venons de voir que la fête de Souccot , avec ses sacrifices offerts pour toutes les [14]nations du monde, témoigne de la place considérable que l'humanité tout entière occupe dans la pensée hébraïque.

Il est curieux de constater comment les croyances chrétiennes arrivent par des voies détournées à un résultat analogue. Un théologien protestant, après avoir étudié les solennités chrétiennes de Pâques et de Pentecôte et leurs rapports avec les fêtes juives du même nom, ajoute ce qui suit: « En ce qui concerne les Tabernacles, nous n'avons pas encore de fête qui y corresponde, mais lorsque les temps seront accomplis et que nous nous trouverons enfin dans les conditions requises, nous célébrerons aussi très solennellement cette fête. La vie présente, c'est, pour l'humanité, la vie au désert qui, comme celle des Israélites après leur sortie d'Egypte, a une Pâque et une Pentecôte, mais qui n'a pas encore de fête des Tabernacles, celle-ci ayant été précisément instituée en souvenir de cette vie errante du désert. Il s'ensuit que les Souccot des Gentils ne pourront être célébrées qu'à l'époque de la résurrection (c'est-à-dire pour nous aux temps messianiques)[15]».[16]


References

  1. Zacharie , XIV, 16.
  2. Page 549
  3. Nombres, XXXIX, 12 et suivants dans le Commentaire de Raschi
  4. Page 550
  5. Nombres, XXIX, 12 et suivants
  6. Page 551
  7. Page 553
  8. Nombres, XXIX, 18
  9. Micraé Kodesch, Sect. Bo , p. 108.
  10. Page 553
  11. Exode, XXIII, 16, XXXIV, 22.
  12. Lévitique XXIII, 36, <i> Nombres XXXIX, 35
  13. Ce nom de fête de Clôture donné au huitième jour de Souccot est précisément celui qui sert à désigner le dernier jour de la Pâque. Deutér. XVI, 8.
  14. Page 554
  15. Les Deux Alliances, pp.65-66.
  16. Page 555