Israël et L'Humanité - Monothéisme sémitique et tendances aryennes

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III.

Monothéisme sémitique et tendances aryennes.

Nous croyons pouvoir démontrer aisément que l'unité de substance en Dieu et, par suite, le plus pur monothéisme font partie des croyances juives primitives. Mais il semble que cette preuve n'est obtenue qu'au prix de la réalisation future de cet empire universel attribué par le judaïsme au Dieu Un. Nous touchons ici à l'un des points les plus délicats du problème religieux à notre époque.

On s'est demandé si le judaïsme avait quelque chance d'exercer une influence prépondérante dans la formation de cette religion de l'avenir, vers laquelle ce tournent les aspirations des âmes[1] détachées du passé et plus mécontentes encore de l'état religieux présent. Et voici qu'un arrêt de condamnation se fait entendre des deux côtés à la fois. D'une part, les libres penseurs nous déclarent que le judaïsme est une religion vieillie, un organisme épuisé dont la sève, dans ce quelle avait de meilleur, a passé tout entier dans le christianisme. Or la religion chrétienne, ajoutent‑ils, qui avait corrigé et complété l'hébraïsme dont elle brisa les barrières pour faire d'un culte national une doctrine universelle, a lui‑même fait son temps aujourd'hui et perdu toute valeur éducative; il est donc manifeste, à, plus forte raison, que le judaïsme, plus ancien et plus imparfait encore, ne saurait aucunement répondre aux besoins des sociétés modernes. D'an autre côté, les savants nous opposent des difficultés fondées sur l'ethnologie, sur les différences de génies et de tendances religieuses qui séparent les races humaines, sur l'incompatibilité qui existerait entre l'idéal religieux des Aryens plus rapproché du système de l'émanation et le monothéisme sémitique dans sa forme exclusive et absolue. On a même dit, en parlant du conflit entre la religion et la science, « que c'est la tendance sémitique, concentrée dans la philosophie, qui a produit cette rupture, car la tendance aryenne, dans la science comme dans la religion, a toujours penché vers la théorie de l'émanation divine »[2]

De ces deux objections, la première ne fait que reproduire en grande partie l'argumentation du christianisme depuis le jour où il a rompu avec l'hébraïsme et nous espérons démontrer, dans la suite de cet ouvrage, ce qu'il en faut penser. Quant à la seconde, nous devons, avant d'aller plus loin, l'examiner avec soin, car il est hors de doute que si elle se trouvait justifiée, c'en aurait fait pour toujours des prétentions du judaïsme à jouer un rôle dans les reconstructions religieuses de l'avenir.

Voyons tout d'abord ce qu'il y a de vrai dans ces aptitudes spéciales des différents peuples au point de vue religieux. Chaque grande race a‑t‑elle donc une religion particulière et compte‑t‑on ainsi autant de cultes divers que de races dans l'humanité? Personne ne contestera qu'une telle supposition serait absurde si l'on parlait de science ou de philosophie; le serait‑elle moins quand il s'agit de religion? Le particularisme devenant ainsi la loi naturelle de l'histoire religieuse et la seule légitime méthode d'interpreter[3] celle‑ci il y aurait là une manière assurément bien inattendue de défendre le judaïsme contre l'accusation si souvent répétée de n'être qu'un culte exclusivement national.

Si l'objection ethnologique ainsi présentée se réfute facilement par les faits, nous reconnaissons cependant qu'elle contient une part de vérité. On verra même plus loin que l'hébraïsme, en un certain sens, n'enseigne pas autre chose et qu'il faut bien pénétrer la pensée juive à cet égard pour échapper aux difficultés que semble comporter la doctrine monothéiste. Mais qu'il y ait incompatibilité absolue entre les variétés de formes religieuses et l'unité en général dont l'hébraïsme poursuit la réalisation, c'est ce que nous nions sans aucune hésitation. Ni en philosophie, avons‑nous dit, ni à plus forte raison en ce qui concerne la science, les différences de races ne sont un obstacle à l'unité. Sans doute, il y a autant de façons de comprendre et de goûter le beau et le bien qu'il y a de natures, de coutumes et de tendances diverses et pour la recherche de la vérité, autant de points de vue variés qu'il y a de degrés de développement intellectuel. Mais, à notre avis, pas plus en religion que dans les autres domaines, la diversité apparente n'exclut l'unité profonde, la première répondant aux différences de races, la seconde à la loi générale de l'espèce. La diversité frappe tous les regards, mais l'unité se révèle aux yeux du penseur et il y trouve l'explication de ces ressemblances déconcertantes signalées entre des peuples éloignés et sans contact possible entre eux.

Une étude attentive nous fait découvrir une vérité unique, objet des efforts de l'esprit humain et si riche d'aspects variés que chaque race y peut puiser ce qui correspond mieux à son tempérament et à ses besoins particuliers. Cherchons donc si en elle ne se résoudrait pas l'opposition qu'on nous indique entre les aspirations religieuses des Aryens et celles des Sémites et si la théorie de l'émanation, qu'on dit caractéristique des tendances des premiers, ne s'y concilierait point avec la doctrine monothéiste des Juifs.

C'est la solution que certains philosophes et savants proclament indispensable pour la formation de la religion de l'avenir. Burnouf a été jusqu'à soutenir qu'il y a encore trop de monothéisme dans le christianisme et que si celui ci ne veut pas perdre tout empire sur les âmes, c'est dans un sens contraire au monothéisme qu'il doit se réformer [4]. Un disciple distingué de Schopenhauer, Hartmann,[5] nous dit de son côté que ce qui conviendrait aux générations libérées de l'orthodoxie chrétienne, c'est une sorte de compromis entre le panthéisme hindou et le monothéisme judéo‑chrétien. « Si l'on considère l'état actuel de la science, écrit‑il, ce qu'il y a de plus vraisemblable, c'est que la religion de l'avenir, si d'une façon générale une telle religion est jugée possible, sera un panthéisme et, avec plus de précision, un monisme panthéiste (à l'exclusion de tout polythéisme) on un monothéisme immanent impersonnel dont la divinité a le monde, sa manifestation subjective, non pas hors de soi, mais en soi » [6]. Il ajoute que, d'après l'histoire des religions, « on ne peut atteindre à ce qu'on cherche que par une synthèse du développement religieux hindou et du développement judéo‑chrétien constituant une forme qui réunisse en elle les avantages des deux tendances en éliminant leurs défauts, et par là seulement devienne capable de remplir le rôle de religion véritablement universelle » [7]. Cette forme, Hartmann l'appelle le pan‑monothéisme.

Ce qu'on a quelque peine à comprendre, c'est qu'un penseur aussi remarquable prétende fonder une religion en supprimant la personnalité de Dieu, condition essentielle de toute adoration, de tout culte, voire même de tout sentiment religieux. Car conçoit‑on une religion dont le Dieu ne se connaitrait point lui‑même? En outre, qui ne voit la contradiction flagrante dans le système de l'auteur? La personnalité de Dieu étant l'essence même du monothéisme juif, la supprimer, c'est retrancher l'une des deux tendances qu'on prétend combiner dans la forme nouvelle; il ne s'agit donc plus alors de conciliation à opérer entre la croyance aryenne et la foi sémitique, mais d'une élimination pure et simple de celle‑ci au profit de celle là.

Le même écrivain fait ailleurs un aveu soulignant encore cette contradiction, mais d'autant plus précieux à recueillir chez lui qu'il ne peut être suspect, on le voit, de plaider la cause de l'hébraïsme que nous avons ici mission de défendre. Parlant des efforts pour produire une religion nouvelle qui s'harmonise avec l'esprit moderne et les fins de notre civilisation, n'a‑t‑il pas dit: « Il est naturel que ces efforts se rattachent aux religions traditionnelles, soit parce que ce serait une entreprise hasardée et inexécutable de tout recommencer,[8] soit parce que l'idée de la continuité historique s'est imposée à la conscience moderne comme celle d'un bien inappréciable, impossible à remplacer et tel que, pour le conserver, aucune concession admissible ne doit paraître excessive » [9].

Parmi ces religions traditionnelles, l'hébraïsme est‑il en mesure de satisfaire le besoin de conciliation entre le divin et l'humain qui est, nous affirme‑t‑on, le nœud de la question religieuse actuelle et le plus grand obstacle à la conservation des doctrines judéo‑chrétienne? Et s'il peut donner la clef de la synthèse désirée, ne sera‑ce pas en sacrifiant la pureté de ce monothéisme qui est, nous l'avons dit, son trait caractéristique? Le christianisme, premier essai d'universalisation de l'idée juive, a été lui‑même un compromis du genre de ceux que préconisa Hartmann comme d'autres. Mais la vérité nous oblige à dire que dans ce mélange de doctrines opéré par la religion chrétienne, c'est le monothéisme qui a succombé, sinon dès l'origine, du moins dans les diverses formes historiques qu'elle a successivement revêtues. Cependant le seul fait que le christianisme a tenté cette fusion d'idées, nous semble prouver qu'il rencontra à son berceau en Palestine une doctrine réunissant d'une certaine manière les deux tendances dont nous avons parlé, sans qu'il soit nécessaire, comme on le croit aujourd'hui, de l'aller chercher dans les systèmes hindous et platoniciens.

En tout cas il est clair que le judaïsme caraïte qui rejette la Tradition pour s'en tenir à la lettre des Ecritures et le judaïsme rabbiniste qui, tout en admettant la Tradition, repousse la Kabbale, ne sent ni l'un ni l'autre en état de résoudre la question et qu'ils paraissent bien ne s'adresser, comme le leur reproche l'école de Hartmann, qu'aux races sémitiques seulement. Nous déclarons donc une fois pour toutes que par hébraïsme nous entendons le judaïsme intégral comprenant à la fois, comme monuments authentiques, la Loi écrite et la Loi orale, la Bible et la Tradition, et avec elles la Kabbale comme étant la plus haute expression théologique de l'une et de l'autre. Tel est le judaïsme qui possède, nous le croyons, la doctrine capable de concilier le monothéisme sémitique et les tendances aryennes et d'apporter ainsi la solution cherchée.[10]

References

  1. Page 50
  2. BURNOUF, Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1864
  3. Page 51
  4. Revue des Deux Mondes, décembre 1864
  5. Page 52
  6. La Religion de l'avenir, trad. Franç. F. Alcan, p. 174.
  7. Ibid.
  8. Page 53
  9. Ibid. p.9
  10. Page 54