Israël et L'Humanité - Paganisme occidental

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V.

Doctrines rabbiniques et idées païennes.

§ 1.

PAGANISME OCCIDENTALE.

Les Rabbins nous ont enseigné aussi explicitement que possible la doctrine de la coopération de l'homme avec Dieu. Ils </ref»nomment les justes, les associés du Dieu saint. Dans le Talmud nous lisons que quiconque rend un jugement conforme à la vérité devient l'associé de Dieu dans l'œuvre de la création du ciel et de la terre. « Dieu, nous est-il raconté dans un autre passage, a dit à Abraham: Puisque tu as exercé l'hospitalité envers les étrangers, je t'en tiendrai compte, comme si tu étais mon associé dans la création du monde. C'est-ce que signifient les paroles: Béni soit Abram par le Dieu Très-haut, maître du ciel et de la terre ! »Enfin de même qu'il est dit que Dieu médite la Loi en conservant le monde par sa Providence, de même aussi l'homme qui se livre à l'étude de la Loi divine contribue, selon les Docteurs, à la création et à la conservation des univers.

On ne s'attend pas à trouver une confirmation de ces idées dans la philosophie contemporaine. Il en est cependant ainsi: «  L'école de l'idéalisme absolu, écrit Giuseppe Allievo, partant de [1]cette prémisse fondamentale de l'identité de l'être avec la pensée, aboutit, par une logique conséquence, à la confusion de l'intelligence avec l'activité volontaire ou, si l'on veut, de la vie spéculative dans l'homme avec la vie active... D'où la maxime des idéalistes modernes que philosopher sur l'univers équivaut à le créer [2] ».

Cette doctrine rabbinique de la coopération humaine est bien différente des idées païennes, telles que les Rabbins eux-mêmes, chose singulière, nous les présentent dans leurs écrits. Nous avons déjà relaté, à propos de la théorie du progrès, la controverse entre un philosophe et un rabbin dans laquelle le premier objectait que la circoncision n'est pas naturelle, tandis que le second en prenait la défense en proclamant que tout dans la nature comme dans l'homme a besoin de perfectionnement. Dans une autre discussion analogue, nous voyons que le paganisme faisait dépendre toutes choses d'une fatalité ou nécessité naturelle qui ne laissait à la liberté humaine qu'une part bien secondaire. Il n'y a peut être pas de conjecture trop hasardée à supposer que les philosophes dont il s'agit n'étaient autres que les stoïciens, qui offrent plus de ressemblance avec les pharisiens que ceux des autres écoles et dont l'éthique avait pour principe suprême cette idée qu'il faut se conformer en tout à la nature, tandis que les épicuriens, moins influents d'ailleurs, étaient partisans de la liberté morale, supérieure, d'après eux, à la nécessité physique.

« Epictète disait: De même que dans tous les arts l'homme intelligent se soumet à la juste mesure, de même aussi l'homme de bien doit se soumettre à perdre légitime de l'univers. Le tout est meilleur que la partie, la cité meilleure que le citoyen; tu es donc une partie du tout, harmonise-toi avec le tout. Si l'homme de bien connaissait l'avenir, il contribuerait tranquillement et avec satisfaction même à sa maladie, à sa mutilation, à sa mort, sachant que l'ordre de l'univers le veut ainsi ». Et d'après Marc Aurèle, « la pensée religieuse revient à l'idée que nous devons favoriser le cours de la nature et que ce serait une témérité, un mal de vouloir prévenir les voies de la Providence quand même nous le pourrions [3] ».

Certains critiques modernes ont attribué à Epicure le culte [4]d'un Idéal. Il serait plus exact, croyons-nous, de se borner à affirmer que, d'après son système, il y a quelque chose dans la nature et dans l'homme qui est, sinon supérieur à la fatalité, du moins d'une autre essence, car il y a la liberté ou simplement l'effort pour dominer la nécessité physique. Serait-il vrai de soutenir que cette liberté naturelle et humaine était, chez les Epicuriens, une conséquence de leur doctrine fondamentale du hasard et impliquait de leur part la négation d'un ordre providentiel? Quoi qu'il en soit, voici ce que Turnus Raphus objectait à R. Akiba: « Si Dieu aime les pauvres, pourquoi ne les nourrit-il point? » A quoi le Docteur répondit que c'est afin de donner à leurs semblables le mérite de le faire et que, loin de leur reprocher d'avoir agi contre ses décrets, il leur en saura gré. Un roi, ajoutait le rabbin, ne se montrera-t-il pas reconnaissant envers celui qui fera passer secrètement des secours à son fils, si, en raison des fautes du prince, il s'est vu dans l'obligation de le punir, générosité que d'ailleurs il ne supporterait point si, au lieu de son enfant, il s'agissait d'un esclave?

Tout est extrêmement remarquable dans ce passage: cette idée que Dieu aime les pauvres, qui est bien authentiquement juive et non pas exclusivement chrétienne, comme on le soutient si volontiers, et cette distinction importante entre les esclaves et les enfants qui éclaire d'une vive lumière les rapports que le judaïsme établit entre Dieu et les hommes ou, pour mieux dire, l'idéal qu'il place devant nos yeux comme un but à atteindre. Mais ce qui nous intéresse particulièrement ici, c'est le contraste qui nous est offert entre la théorie romaine d'une part, avec son respect de la réalité et sa morale toute positive qui prescrit simplement d'obéir à la nature, et, d'autre part, le rôle attribué à l'homme par le judaïsme de corriger et d'améliorer la nature elle-même . Si l'on va bien au fond des choses, cette idée est l'âme même du raisonnement que tient le docteur d'Israël. Elle n'est pas moins visible dans cet autre exemple où il s'agit encore d'une controverse avec de sages païens; « Des philosophes, nous dit-on, demandèrent à un rabbin: Si Dieu n'aime pas le polythéisme, pourquoi ne l'abolit-il point?» Le polythéisme dont il s'agit, comme le démontre le contexte, est l'astrolâtrie, c'est-à-dire l'adoration de la nature dans ce qu'elle a de plus magnifique et la réponse du rabbin ici encore oppose au culte du fait matériel, des réalités de la nature, le culte de l'idéal, seul digne de l'homme. [5] Des docteurs postérieurs, entre autres le rabbin Elghazi ont vu, nous semble-t-il, la question sous son véritable jour, en disant qu'elle dépend de cet autre problème préliminaire soulevé dans certain passage du Talmud, à savoir laquelle des deux œuvres est supérieure, celle du ciel et de la terre, ou celle de l'homme? Les païens optaient pour la supériorité des œuvres de la nature et les rabbins pour celle des œuvres humaines: « Les actions des justes, déclaraient-ils, surpassent la création du ciel et de la terre », et ce n'est pas à tort que l'on a appelé cette précieuse maxime la plus belle chose qui ait été dite au sujet de la nature humaine. »

Il est juste toutefois de tenir compte de certaines idées stoïciennes qui, à première vue, témoigneraient d'une conformité de doctrine avec les Pharisiens. Ritter nous dit que pour les disciples de Zénon « plus le particulier est divin et parfait, plus il est actif, pouvant même modifier le tout dans l'enchaînement universel des causes [6]. Cette manière de voir se trahit dans ce singulier paradoxe de Chrysippe que « le sage n'est pas moins utile à Jupiter que Jupiter ne l'est au sage ». Ces paroles sembleraient élever le sage, le juste des rabbins, au niveau même de Jupiter et par conséquent au dessus de la Nature. Mais pour apprécier, croyons-nous, à sa juste valeur la maxime en question, il convient d'y distinguer deux choses : d'abord la liberté qu'elle paraît accorder au sage et ensuite l'usage que celui-ci est appelé à en faire. Il n'est pas douteux que, sans la liberté, le sage lui-même serait dans l'impossibilité d'agir autrement que la nature ne l'y pousse, en sorte qu'il y a là une apparente contradiction avec le fatalisme stoïcien; mais il est tout aussi certain que le sage doit user de la liberté qui lui est concédée, pour se conformer entièrement à la nature. Tel est bien le sens véritable du principe de Chrysippe, car le Jupiter auquel, nous dit-il, le sage est si nécessaire, n'est point, tant s'en faut, un dieu extérieur et supérieur au monde; il apparaît tout au plus comme l'ordonnateur général de la nature dont il semble faire partie lui-même ainsi du reste que tous les autres dieux. Le panthéisme naturaliste de l'école stoïcienne ne pouvait que confirmer ses philosophes dans ce point de vue. Nous ne pensons pas exagérer en disant qu'une liberté dont la sphère d'action est si restreinte qu'elle consiste uniquement à imiter la nature, est en réalité comme si elle n'existait point, car dans quel but cette faculté [7]de se déterminer serait elle été donnée à l'homme, s'il ne devait s'en servir que pour accomplir ce qu'il eût été obligé de faire dans le cas où elle lui aurait été refusée ? On aurait d'ailleurs pu objecter aux stoïciens, que l'existence de la liberté où elle seule fait entrevoir tout un ordre d'activité qui surpasse les forces et les lois naturelles et doit par conséquent rendre l'homme capable de les perfectionner.


References

  1. Page 369
  2. Philosophie des écoles italiennes, Sept. 1878.
  3. V. Ritter, Histoire de la Philosophie ancienne, tome IV, p. 186 et. 192.
  4. Page 370
  5. Page 371
  6. Histoire de la philosophie, vol. III, p. 515.
  7. Page 372