Israël et L'Humanité - Particularisme et universalisme

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III.

Particularisme et Universalisme.

L'épithète de Dieu local appliquée au Dieu d'Israël peut avoir un sens légitime, mais qui ne contredit nullement l'idée universaliste, fondement de l'hébraïsme; c'est que le culte du vrai Dieu eut pendant longtemps son siège en Palestine et que, dans les vues providentielles, ce petit coin de terre est destiné à en être encore le centre, lorsque la vérité sera universellement reconnue. De là cette particulière adaptation de la Terre Sainte au culte mosaïque; de là, tant de déclarations réitérées sur l'excellence et la prééminence de ce pays et toutes ces affirmations répétées de la Bible, des rabbins et de la liturgie juive qui semblent circonscrire à la Palestine le judaïsme tout entier et parfois même la domination et l'empire de Dieu.

Telle était la sainteté attribuée au sol palestinien qu'il arrivait de transporter des charges de cette terre bénie en d'autres contrées, afin de pouvoir y élever un autel et y offrir des sacrifices. On s'attend peut-être ici à quelque citation rabbinique, voire même kabbalistique. Il n'en est rien; c'est la Bible elle-même qui nous raconte le fait. Lorsque le Syrien Naaman, guéri de sa tête par Elisée, reconnaît « qu'il n'y a point de Dieu sur toute la terre, si ce n'est en Israël » et presse le prophète d'accepter un présent comme témoignage de sa gratitude, il s'écrie en voyant le refus de l'homme de Dieu; « Puisque tu refuses, permets que l'on donne de la terre à ton serviteur, une charge de deux mulets; car ton serviteur ne veut plus offrir à d'autres dieux ni holocauste, ni [1]sacrifice, il n'en offrira qu'à L'Eternel [2] ». Aussi a-t-on pu dire que le véritable culte mosaïque était si local, si approprié à la Palestine qu'il n'aurait pu être transporté ailleurs sans perdre son caractère et sa forme originale [3]

Que l'action de la race soit en général spécialement liée au sol qu'elle habite, c'est ce qui ne saurait guère être contesté. A ce point de vue l'idée de divinité locale, nationale, ne se retrouve pas uniquement dans le mosaïsme, mais dans tous les cultes. Tous les dieux, ou pour mieux dire toutes les notions de Dieu participent à cette localisation historique et géographique des peuples; partout et toujours le génie de chaque race qui façonne sa conception religieuse, spéciale du monde et de la vie, d'où toute civilisation découle, est éminemment national. Les savants modernes sont loin de méconnaître ces principes. Büchner, par exemple, écrit: « Les actions et la conduite de l'individu dépendent du caractère, des coutumes et de l'opinion du peuple dont il est membre et qui à son tour et jusqu'à un certain point, est le produit nécessaire des rapports extérieurs au milieu desquels il vit et se développe » [4]. D'après le Zohar, le monde ('alma), l'homme (adam) et la Loi (oraïta) constituent les trois éléments de l'harmonie dans l'histoire et dans la nature, que le climat, la race et la religion forment les trois aspects d'une même chose selon que l'on considère la terre, ses habitants ou leur dieu.

Mais de même que sous les diversités climatologiques, géographiques, géologiques des différents pays, il y a la nature générale de notre planète et ses rapports avec l'ensemble de l'univers, de même qu'à côté des lois spéciales à chaque lieu, il y a des principes primordiaux qui forment le fond commun de l'humanité, de même aussi, au point de vue religieux, sous les formes particulières qui localisent un culte et qui, par exemple, semblaient attacher le mosaïsme à la Palestine exclusivement, il y a l'idée aux fins supérieures et universelles qui ne connaît ni frontières politiques ni limites historiques.

Le culte mosaïque est si loin de pouvoir être regardé comme uniquement palestinien, que le mot de Moïse « dans toutes vos demeures » ne signifie pas autre chose que l'adaptation d'une partie au moins de ce culte aux différentes résidences d'Israël, de même [5]que cette parole « dans toutes vos générations » a pour but de l'universaliser dans le temps. L'histoire témoigne d'ailleurs de ce caractère cosmopolite du judaïsme qu'elle nous montre résistant à toutes les dispersions et continuant à vivre de sa vie propre dans tous les pays. La Terre Sainte, tout en demeurant constamment son centre idéal, ne lui est point de taille façon indispensable; il est si peu lié à la possession même de ce sol que Moïse, prévoyant la dispersion des Juifs sur toute la face de la terre, met pour condition préalable, de leur retour en Palestine l'accomplissement fidèle des préceptes de la Loi: « Si tu reviens à l'Eternel ton Dieu, et si tu obéis à sa voix de tout ton cœur, et de toute ton âme, toi et tes enfants, selon tout ce que je te prescris aujourd'hui, alors L'Eternel, ton Dieu, ramènera tes captifs et aura compassion de toi, il te rassemblera encore du milieu de tous les peuples chez lesquels l'Eternel, ton Dieu, t'aura dispersé. Quand tu serais exilé à l'extrémité du ciel, l'Eternel, ton Dieu te rassemblera de là, et c'est là qu'il ira te chercher. L'Eternel, ton Dieu, te ramènera dans le pays que possédaient tes pères, et tu le posséderas » [6] Cette extraordinaire aptitude des Juifs à vivre sous tous les cieux, à s'acclimater dans toutes les contrées de la terre, cet exemple frappant et, dans l'histoire de l'humanité, absolument unique, d'un peuple et d'une religion s'adaptant aux civilisations les plus diverses et résistant à toutes les révolutions, à toutes les vicissitudes extérieures, prouvent d'une manière éclatante que la vocation d'Israël était universelle et non pas simplement nationale.

On nous objecte cependant que le culte mosaïque a un caractère nettement ethnique; soit qu'on l'étudie à l'époque où il paraissait attaché exclusivement au sol palestinien, soit qu'on le voit plus tard survivre à la ruine de la patrie israélite, il se présente toujours comme la religion d'une race spéciale et l'on cherche vainement en lui, nous dit-on, les marques indiscutables du véritable universalisme. A cela nous répondons ce que nous avons déjà dit tant de fois, mais ce que nous ne nous lasserons pas de répéter jusqu'à ce que justice soit rendue au judaïsme, c'est que, dans cette religion, le particularisme et l'universalisme sont étroitement unis et que le premier est au service du second. Le particularisme, ce sont les institutions mosaïques qui ne concernent que les juifs exclusivement; l'universalisme, c'est la loi noachide que contient, conserve [7] et proclame le mosaïsme ethnique. Le sacerdoce israélite nous explique l'un et l'autre et forme le lien entre les deux. Or la Palestine et Israël ne sont que les deux instruments particuliers providentiellement choisis pour obtenir une fin universelle. Ce pays et ce peuple mis à part ont leurs destinées liées à celles du genre humain tout entier.

Voici toutefois en quel sens il est vrai de dire que le Dieu d'Israël est un Dieu national: c'est que les Israelites ont reçu en partage l'instinct du monothéisme plus parfait qu'aucune autre race. Leur Dieu national, c'est le Dieu unique ou universel, ce qui est une seule et même chose. C'est là un des cas si nombreux où le particularisme le plus étroit et le plus complet universalisme s'identifiant dans une conception supérieure aux définitions elles-mêmes. Nous n'aurons pas de peine à prouver, quand nous traiterons la question de la Loi mosaïque, que celle-ci présente incontestablement ce double caractère. Or il en est de même du dogme de l'unité de Dieu chez les Juifs, ainsi que nous l'avons montré précédemment en parlant du monothéisme strict ou exotérique et du monothéisme ésotérique ou émanatiste. « Nous savons, dit Aben-Esra, que Dieu est un et que les diversités religieuses procèdent des créatures qui en subissent l'action. Une des lois du culte divin, c'est de recevoir cette action selon le lieu ». N'est-il pas clair par conséquent que si le dogme juif est mieux qu'aucun autre en état de satisfaire pleinement les différents tempéraments religieux, il présente un caractère d'universalité qui ne se retrouve dans nulle autre religion? Et n'est-il pas juste aussi de dire qu'une conception si élevée et qui ailleurs n'existe nulle part est éminemment nationale, en ce sans qu'elle constitue le plus beau titre de gloire de la race qui, dans l'intérêt de tous, l'a fidèlement conservée?

Des deux formes de la croyance à l'unité de Dieu, monothéiste simple ou émanatiste, nous inclinons à croire, quelque complexe que soit le problème, que la seconde est celle qui, d'après les données de la science moderne, est plus apte à répondre aux besoins religieux des peuples aryens. On comprend alors pourquoi les Kabbalistes nous disent que leur doctrine ne sera révélée tout entière et à tout le monde qu'à l'époque du Messie, c'est-à-dire lorsqu'il s'agira d'enseigner une religion aux Gentils et de concilier les deux génies religieux, sémitique et indo-européen. Nous savons déjà comment la foi monothéiste pure s'accorde avec le point de vue émanatiste dans la conception d'une Unité suprême, [8]point central dont la circonférence n'est nulle part et qui réunit en une vivante synthèse l'infinie diversité des attributs divins.

Cette idée théologique nous permet de saisir, dans l'hébraïsme, le double aspect du Dieu local de Palestine et du Dieu universel. Le Dieu de la Palestine, c'est le Dieu un, la source de la vie générale, comme disent les Psaumes; c'est l'apport spécial des Sémites dans la religion de l'humanité. Mais il devient le Dieu universel par l'irradiation de ses attributs dont chacun se personnifie en un dieu propre à chaque nation. Et ce Dieu est vrai, si on le considère seulement comme un aspect particulier de la Divinité, en sorte qu'il demeure en permanente relation avec le foyer d'unité que possède la foi israélite; il est faux au contraire, lorsque se rompt le lien qui l'unit au monothéisme juif et par lui à tous les autres aspects de la Divinité qui constituent les différentes formes du culte chez les divers peuples. Et la métaphore du centre et de la circonférence devient une réalité matérielle dans la conception géographique des rabbins et de la Bible elle-même, la Palestine étant le point central d'où partent et se prolongent dans tous les sens des lignes variées de direction religieuse. Le monothéisme émanatiste, dans sa réalité historique, ethnographique et géographique, n'est que l'empire particulier d'un ou de plusieurs attributs de Dieu formant la religion spéciale de chaque race; de là nécessairement une vue partielle, incomplète, une vérité fragmentaire et qui, pour avoir une réelle valeur, doit se attacher à la vérité commune, car le développement des divers génies nationaux, auquel le monothéisme juif laisse le champ libre, ne s'opère selon l'ordre providentiel qu'autant qu'il ne brise pas l'harmonie générale dans l'évolution religieuse de l'humanité. Voilà, comment le Dieu d'Israël est le Dieu de la Palestine, sans cesser aucunement d'être le Dieu de toute la terre; c'est un soleil dont le zénith se trouve dans ce coin privilégié du monde et qui de là, répand partout ses rayons. Les diverses conditions ethnographiques sur lesquelles tombent ces rayons sont comme un prisme qui en réfracte et décompose les couleurs, c'est-à-dire les divins attributs; sans le prisme les nuances variées n'apparaîtraient point et il n'y aurait que la seule lumière blanche, le pur monothéisme.

Les différents aspects que chaque peuple entrevoit de l'éternelle Lumière ont été souvent adorés comme autant de divinités; ce sont là, les sarim de la Bible et des rabbins dont nous allons parler plus en détail dans le chapitre suivant. [9]


References

  1. Page 233
  2. II Rois, V, 17.
  3. V. MICHAELIS, Droit mosaïque , tome VIII, p. 329.
  4. Büchner, loc. cit. p. 320.
  5. Page 234
  6. Deutéronome, XXX, 2-5.
  7. Page 235
  8. Page 236
  9. Page 237