Israël et L'Humanité - Philosophie as la doctrine de la coopération humaine

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III.

Philosophie de la doctrine de la coopération humaine.

§ 1.

L'idée de la coopération de l'homme avec Dieu a-t-elle un fondement métaphysique? On n'en saurait douter, si l'on se souvient que, d'après l'hébraïsme, l'homme est doué de libre arbitre et que, par conséquent, il a la faculté de seconder on de contrecarrer les desseins du Créateur, comme il en serait d'ailleurs de toutes les autres forces de L'univers, si elles possédaient la liberté. Il devient donc le coopérateur de Dieu, lorsqu'il agit conformément au plan de sa providence. On doit nécessairement admettre que, si l'homme est libre, il exerce une influence puissante soit en bien, soit en [1]mal, d'après l'usage qu'il fait de son libre arbitre et selon qu'il entre dans la réalisation des vues divines ou s'on écarte.

Sous cette vérité si évidente, se cache le principe théosophique de l'action que l'homme exerce sur l'univers entier d'une manière consciente ou inconsciente, en raison de l'action qu'il exerce sur les choses connues ou sur le côté inconnaissable de la création. Comment en serait-il autrement puisque au point de vue théologique la liberté, la volonté, l'âme elle-même nous apparaissent par essence originairement et substantiellement divines, comme un rayon, une partie et aussi comme une limitation de la toute-puissance de Dieu? Il est impossible que dans cette relation si étroite avec l'Univers, avec l'Eternel, ce que l'âme veut, ce qu'elle fait, demeure sans conséquence sur l'ensemble du créé. Et si la pensée humaine, comme tout l'indique, n'a sa source que dans une perpétuelle communication, de l'Absolu, on ne conçoit pas que ce commerce intime et continu n'élargisse pas prodigieusement la sphère d'action de l'homme. On se rappelle ce que nous avons dit [2]des consciences concentriques rentrant toutes les unes dans les autres jusqu'à la Conscience divine qui les embrasse toutes. Or si cela est vrai, chacun comprend à quelle hauteur peut s'élever l'action de l'être humain que certains théologiens ont nommé, non sans raison, une pensée de Dieu, et qui est libre de coopérer à l'ordre universel ou de le combattre.

Et qu'on ne nous accuse pas d'absorber la nature humaine dans la nature divine, à force de l'élever, à l'exemple des gnostiques, des philosophes de l'école d'Alexandrie et des mystiques exagérés. Oui, l'homme est une pensée de Dieu, mais une pensée active, c'est-à-dire capable d'agir par elle-même. Un écrivain, qui n'est assurément pas un mystique, M. Havet, a dit, comme nous pourrions le faire nous-mêmes: « Quand nous cherchons Dieu, c'est Dieu qui se cherche en nous ».

Cette idée de l'influence bienfaisante ou néfaste de l'homme sur la création se retrouve, paraît-il, dans les croyances des Parsis et cela a inspiré à Michelet une page d'un beau lyrisme, dans laquelle il célèbre la grandeur de ce chef de famille qui, levé en pleine nuit, quand la femme et l'enfant dorment, prononce devant le feu, les mots qui vivifient les mondes: « Quelle sera, dit-il, la [3]sainteté de celui qui se sent si nécessaire à l'existence des mondes! Dans le silence de minuit, seul il se sent d'accord avec toutes les tribus des purs qui, à cette heure, disent aussi la même parole de vie [4]». Et voici maintenant comment s'exprime, d'une manière moins fantaisiste et plus précise, un philosophe dont le raisonnement sérieux n'est pas moins impressionnant que l'élan de la poésie: « Je conçois, écrit Fichte, qu'il doit suffire qu'une volonté quelconque existe en tant que volonté, lors même qu'encore enfouie dans le mystère de mon intelligence... pour qu'elle devienne dans ce monde la cause et le centre commun d'une multitude de modification intellectuelles qui, partant de ce point, se répandent en ondulations variées jusqu'aux dernières limites des espaces intelligibles, absolument de la même façon que dans notre monde visible, au moindre mouvement de la plus petite portion des matières se rattachent diverses séries d'autres mouvements qui vont rayonner aussi dans toute l'immensité de l'univers matériel... La loi du devoir est le point par où se fauchent le monde invisible et le monde visible, c'est le lieu de tous deux; c'est le sens, l'organe au moyen duquel l'homme peut agir, dans la sphère qui demeure voilée pour ses yeux terrestres [5]». Tout ce passage de Fichte est à méditer et on remarquera, certainement combien il est conforme aux idées que nous exposons. Cependant, lorsqu'il conclut que: « c'est à la seule condition de se conformer au devoir que les volontés des êtres finis ont prise sur la volonté infinie et que, en dehors de cette condition, elles sont pour cette dernière comme n'ayant jamais été [6]», nous ferons observer qu'on ne conçoit pas comment l'acte de la volonté finie, d'accord avec le devoir, peut affecter la volonté finie, sans qu'en revanche il ait également prise sur cette volonté infinie, quoique dans un sens inverse, lorsqu'il est en contradiction avec le devoir. Ce n'est donc pas sur l'univers seulement qu'agit la volonté libre, c'est sur Dieu lui-même, s'il est permis de parler ainsi, en favorisant ou en contractant l'accomplissement de ses desseins.

Cette doctrine de la coopération de l'homme avec Dieu n'à rien qui ne s'accorde parfaitement avec la nature et l'origine divine de l'esprit humain, car tout ce que l'homme fait comme être créé [7] à l'image et à la ressemblance de Dieu, il le fait pour poursuivre et compléter l'action de Dieu dans le monde. Elle nous explique en outre l'action que l'homme peut avoir sur ce que Fichte appelle la volonté infinie et ce que la Kabbade nomme la Schechina, le divin dans le monde, car en cas de rébellion de la volonté humaine, c'est la partie qui s'insurge contre le tout; c'est le royaume divisé contre lui-même [8]. Voilà comment devient intelligible, à la lumière de cette même doctrine, tout ce que nous lisons dans la Bible et chez les Rabbins sur l'influence de l'homme sur le monde divin, tout ce qui nous est dit de la douleur ou de la joie que les œuvres humaines font éprouver à la Divinité, en un mot toutes les anthropopathies. Nous comprenons enfin comment se concilient les textes bibliques en apparence contradictoires, les uns admettant, les autres niant cette influence des œuvres de l'homme, car ceux-là concernent l'âme du monde, la Schechina ou immanence divine, tandis que ceux-ci s'appliquent au Dieu transcendant, à l'Idéal inaccessible aux vicissitudes de la création.

§ 2.

Il est une autre vérité que suppose la doctrine de la coopération humaine: c'est que la loi de Dieu et la loi de l'homme sont une seule et même loi, car une coopération n'est possible que si l'on s'inspire de part et d'autre d'une même pensée et si l'on suit une règle unique. Aussi voyons-nous que tantôt c'est l'homme qui est invité à imiter Dieu, et tantôt c'est Dieu lui-même qui exécute ce que l'homme est obligé de faire. Ce ne sont là que deux manières différentes d'exprimer cette idée de l'unité de la Loi. La première domine dans la Bible, tandis que les écrits des Rabbins nous présentent avec une égale autorité des exemples de l'une et de l'autre.

Il n'est pas nécessaire de revenir ici sur l'imitation de Dieu imposée à l'homme comme un devoir. Nous signalerons seulement, à propos de l'autre face de cette vérité, le principe général qui a suggéré aux Docteurs tant d'applications, c'est que Dieu lui-même observe la Loi [9]. Une légende rabbinique nous montre Moïse qui [10] trouve écrite au ciel la loi qu'il copia pour son peuple et d'après une autre haggada, inspirée par la même idée, les anges revendiquaient aussi cette loi afin de l'observer. Les Rabbins nous disent que la Loi a servi de plan, de modèle à la création, [11] ce qui au fond se rattache à cette autre doctrine que les âmes humaines ont coopéré à l'œuvre des six jours, la loi de l'homme ayant commencé par être celle de Dieu et de l'univers.

On sait que Voltaire, avant les critiques modernes, a dit que si Dieu a fait l'homme à son image, l'homme le lui a bien rendu et d'autres ont soutenu, sous une forme plus sérieuse, mais dans le même sens, que la théologie n'est en définitive que de l'anthropologie. On a répondu à cette accusation des athées que l'anthropologie est de la théologie, en ce sans que la conception subjective elle-même que l'homme se forme de Dieu n'existerait pas, si l'Absolu ne l'attirait pas à lui, s'il ne lui inspirait l'intuition de lui-même, en un mot s'il n'y avait pas de Dieu objectif [12]. C'est à peu près l'argument de Descartes, et sans doute il est parfaitement juste à sa place. Ici il nous suffira de faire observer ce que la science tend à démontrer toujours davantage, à savoir que la loi qui régit l'univers dans toutes ses parties, malgré la diversité des applications, constitue un plan, un modèle unique, et que d'après l'hébraïsme, il y a une unité de dessein qui en commençant par Dieu arrive jusqu'au dernier échelon des créatures. De la sorte il est aussi vrai de dire que la théologie est de l'anthropologie, comme le veulent les athées qui croient par là fournir un argument favorable à leur thèse, que de renverser les termes de la proposition, car il est indifférent de partir de ce point ou d'un autre, puisque la voix qui, au plus haut des cieux, a prononcé le fiat créateur, se répercute de degré en degré sur toute l'échelle des êtres et que, pour emprunter le langage des Kabbalistes, la décade suprême comprenant les dix sephirot, se reproduit jusque dans les créatures les plus infimes.

Cette unité de plan qui régit la création entière devient dans l'homme une loi consciente et rationnelle et la coopération, à laquelle il est appelé par sa nature, aboutit à une véritable continuation de l'œuvre créatrice, ce que le philosophe italien Gioberti [13]a fort justement appelé une consécration. Aussi l'œuvre de l'homme acquiert-elle des caractères qui la rendent supérieure à la nature, celle-ci n'étant qu'un effet de l'acte créatif, tandis que l'action humaine est la suite, l'achèvement et en un sens le perfectionnement de cet acte lui même. La loi créatrice, dans l'homme libre et conscient, poursuit l'œuvre génésiaque et elle doit triompher précisément dans cette liberté humaine, qui n'est liberté véritable qu'à la condition d'intervenir dans la chaîne des causes et des effets naturels et d'en rompre la continuité. C'est un miracle permanent, mais il faut l'admettre ou nier la liberté elle-même et ce que l'on a appelé, à proprement parler, le miracle lui-même n'est pas autre chose que l'apparition intermittente de l'acte créatif, l'écho de la Genèse précédente et le prélude de celle qui doit suivre, reliant l'une à l'autre et établissant l'unité entre les mondes.

Pour contrebalancer la liberté humaine et rétablir l'équilibre qu'elle pourrait détruire, la liberté de la nature apparaît, comme une manifestation de la Conscience infinie. Au point initial, cette Conscience infinie préside à la naissance du fini; au point de conversion, la conscience finie à son tour produit le mouvement de retour vers l'Infini. La philosophie positiviste et hégélienne a raison quand elle dit que dans l'homme, c'est la nature qui prend conscience d'elle-même. Seulement la nature, telle qu'elle existe aujourd'hui est un effet; les lois qui la constituent sont les résultats de certaines conditions et celles-ci, qui sont des causes par rapport à ces résultats, sont en même temps les effets de lois supérieures. Or, cette nature supérieure, cette nature naturans , comme disaient les Anciens, cette loi plus haute, plus universelle doit avoir pris conscience d'elle-même pour créer la natura naturata qui à son tour, devient consciente dans l'homme, pour atteindre par lui sa perfection, revenir à sa source, compléter l'œuvre créatrice, développer ce qu'elle possède en puissance et préparer la palingenèse. Alors se produira une fois encore, pour fonder le nouvel ordre de choses, un acte créatif nouveau qui, grâce au travail accompli dans la Genèse précédente, fera monter les existences à un degré supérieur. Cela revient à dire que l'homme est le rédempteur da la nature, lorsque, travaillant sous l'inspiration du Verbe, du Logos incarné dans la Loi divine, il s'identifie avec son esprit et devient, dans le seul sens acceptable, l'homme-dieu. [14]


References

  1. Page 361
  2. Voir aussi « Il mio Credo » dans Teologia dogmatica e apologetica per Elia Benamozegh, Livorno, Francesco Vigo , 1877, pag. 271.
  3. Page 362
  4. Bible de l'humanité, p. 85
  5. Destination de l'homme, p. 187 et suiv.
  6. Ibid, p. 320
  7. Page 363
  8. Allusion à un mot de Jésus dans les Evangiles: Matthieu, XII, 25. Dans la Kabbale, la Schechina porte d'ailleurs le nom de Malkhout, royaume.
  9. Berachot, cap. I.
  10. Page 364
  11. Jalcout Bereschit I, § 2; Prov. Chap. VIII.
  12. V. Mariano, Cattolicismo e civiltà
  13. Page 365
  14. Page 366