Israël et L'Humanité - Rapports d'Israël avec les Gentils

From Hareidi English
Jump to: navigation, search

II.

Rapports d'Israël avec les Gentils.

§ 1.

Il nous faut examiner maintenant la conception des rapports internationaux qui découle des précédentes doctrines. Dieu, pour le judaïsme, est le créateur et le père de tous les peuples; il impose le respect des droits de chacun et dans ce monde des nations qui constituent une grande famille, Israël apparaît comme le cœur de l'humanité avec une fonction toute particulière et la glorieuse mission de travailler à l'unité future de tout le genre humain. Quelle est donc la conduite qui a été imposée aux Juifs vis-à-vis des Gentils? Des prescriptions mosaïques relatives à certains peuples, qui ne s'étaient pas précisément distingués par la bienveillance à l'égard d'Israël, peut-être nous sera-t-il permis de tirer les principes qui doivent régler l'attitude de ce dernier.

Nous voyons que les descendants d'Esaü avaient si bien hérité de l'antipathie de leur ancêtre pour Jacob que le roi d'Edom refuse aux Hébreux le simple passage à travers son pays. Moïse n'en[1]ordonne pas moins à son peuple de ne point détester l'Edomite, ajoutant, comme nous l'avons vu, qu'il est notre frère. Et afin que l'on ne croie pas que cette recommandation est faite à cause de la parenté de Jacob avec lui, elle est également répétée à propos de l'Egyptien: « Tu n'auras point en abomination l'Egyptien [2]» . Pourquoi cela? Serait-ce parce qu'il aurait fait du bien à Israël, ce que l'on ne peut pas dire de tous les autres peuples? Non, c'est quoique il lui ait fait du mal, en sorte que les Juifs sont tenus à plus forte raison d'aimer les autres nations qui ne leur en ont fait aucun et si le texte invoque ensuite le souvenir de l'hospitalité égyptienne, n'y a-t-il pas là un surcroît de générosité à oublier l'excès des maux soufferts dans le pays des Pharaons pour ne se rappeler que leur premier accueil? L'écrivain sacré est bien loin d'ailleurs de méconnaître l'enseignement de l'histoire. Ce qui le prouve, ce sont les restrictions imposées aux mariages avec les Egyptiens qui ne sont autorisés qu'à la troisième génération.

Nous trouvons, il est vrai, à côté de cela, des lois exceptionnelles contre Amalek, Ammon, Moab et les peuplades cananéennes. Mais si ces lois spéciales ont été jugées nécessaires pour permettre la conquête d'un pays ou l'assujettissement d'un peuple, n'est-ce pas justement parce que la règle générale imposait à Israël une conduite toute différente dans ces rapports habituels avec les Gentils? Remarquons au surplus que ces condamnations particulières ont une portée morale bien supérieure aux intérêts matériels des Juifs. La somme de mal que ces peuples ont causée et qui est peu de chose en comparaison des persécutions des Egyptiens, n'entre pour rien dans la réprobation dont ils sont l'objet; celle-ci est motivée par le caractère plus révoltant de leur conduite et le législateur sacré ne manque pas de la signaler pour l'éducation morale de son peuple. C'est, par exemple, parce qu'Amalek, au moment de la sortie d'Egypte, s'est jeté sur les pauvres gens qui se trainaient péniblement, exténués de fatigue, et que, ce faisant, il n'a eu aucune crainte de Dieu [3]. Il suffit donc que le païen craigne Dieu pour qu'il devienne respectable à l'égal d'un frère. Ammon et Moab ont également commis de méchantes actions, puisqu'ils ne se sont point montrés hospitaliers pour Israël et qu'ils ont soudoyé contre lui Balaam. Quant aux Cananéens, nous apprenons de la bouche [4]même de Moïse que s'ils sont abhorrés, ce n'est pas à cause de leurs torts vis-à-vis des Juifs, c'est en raison de leur corruption, de leur immoralité et Israël ne fait que servir d'instrument à la justice divine et venger l'honneur de l'humanité outragée. Ici se place une observation très importante, c'est que tandis que Moïse déclare expressément que c'est en raison de leurs abominations que L'Eternel va chasser ces nations [5] et qu'il exclut toute autre cause, il ne croit nullement nécessaire d'ajouter que Dieu n'agit point ainsi par un aveugle amour pour Israël. Un pareil motif, si souvent reproché pourtant aux Juifs, est tellement loin de sa pensée, qu'il ne craint pas qu'on puisse jamais le soupçonner de s'en inspirer. Lorsqu'il parle de l'amour de Dieu pour les Israélites, c'est simplement pour expliquer qu'il s'est servi d'eux de préférence à tout autre peuple pour l'exécution de ses desseins et qu'il a accompli, en agissant ainsi, le serment fait aux patriarches. Cette idée de coïncidences providentielles n'exclut pas d'ailleurs d'autres causes d'ordre historique, comme une possession antérieure de la Terre Sainte par les Sémites que plusieurs données bibliques portent à admettre, non plus que la croyance à la mission religieuse d'Israël dans l'humanité établie par tant de passages des Ecritures.« L'Eternel est notre Dieu, dit le Psalmiste. Il leur donna les terres des nations, et ils possédèrent le fruit du travail des peuples; c'est afin qu'ils gardassent ses ordonnances et qu'ils observassent ses lois [6] ». Un autre texte nous fait également entendre que si Dieu a élu Abraham, c'est parce qu'il savait qu'il recommanderait à ses enfants et après eux à sa postérité d'observer l'équité et la justice, c'est- à-dire, selon Jérémie, le monothéisme dont ces vertus sont le plein épanouissement, « ainsi l'Eternel devait accomplir en faveur d'Abraham les promesses qu'il lui avait faites [7]».

§ 2.

Mais voici des faits de l'histoire israélite plus concluants encore. On sait que Salomon fit alliance avec Hiram, roi de Tyr. Les termes dans lesquels la Bible nous parle de ce roi païen ne permettent pas de supposer qu'il ne représentait, au point de vue juif, rien [8]de respectable ni de légitime. Nous voyons que ce personnage prête son concours à l'œuvre sainte entre toutes, l'édification du Temple, honneur refusé à des Israélites dégénérés comme les Samaritains; ceux-ci en effet ne furent pas admis, à l'époque d'Esdras, à coopérer à la restauration du sanctuaire, tandis qu'on accepta alors avec empressement les contributions d'un autre monarque païen, Cyrus.

Ce n'est pas seulement à l'égard des souverains étrangers, mais vis-à-vis des peuples eux-mêmes que les Hébreux observent cette attitude de sympathique déférence. On se souvient de la loyauté avec laquelle Josué et les anciens d'Israël garderont le serment, obtenu cependant par fraude, par lequel ils avaient promis aux Gabaonites, sans les connaître, de ne toucher à rien de ce qui leur appartenait. Chose étonnante! le sentiment de l'inviolabilité de cette promesse est si persistant que nous le retrouvons dans toute sa force jusqu'au temps de Saül et lorsque, sous le règne de David, la famine afflige le pays, on croit encore que c'est une punition de l'outrage fait à la bonne foi internationale; le châtiment terrible exercé sur les propres fils et les petits enfants de Saül ferait frémir, sans cette intention sublime qui vient adoucir l'effet navrant de cette scène sanglante [9]. David a un très beau mot à l'adresse du fils d'Ammon, Hanun: « Je témoignerai de la bienveillance à Hanun, fils de Nachasch, dit-il, comme son père en a montré à mon égard [10] . Et un ancien auteur caraïte commentant ce verset conclut « qu'il faut être bon, à l'exemple de David, même pour les mécréants dont on a reçu quelque bienfait [11]» .

La conduite d'Israël à l'égard des peuples païens était telle que ceux-ci donnaient à ses souverains le nom de rois pieux et qu'ils n'hésitaient pas à se confier à leur générosité. Nous lisons que lors de la défaite des Syriens, leur roi Ben-Hadad s'étant réfugié dans la ville d'Aphek cherchait à s'y cacher. « Ses serviteurs lui dirent: Voici, nous avons appris que les rois de la maison d'Israël sont des rois miséricordieux; nous allons mettre des sacs sur nos reins et des cordes à nos têtes et nous nous livrerons au roi d'Israël , peut-être t'accordera-t-il la vie sauve ». Ils exécutèrent leur dessein et quand ils se trouvèrent en présence d'Achab, ils lui diront: « Ton serviteur Ben-Hadad t'envoie dire: Fais-moi grâce de la vie! Achab ne démentit point sa bonne renommée: [12]Vit-il donc encore? répondit-il; il est mon frère! [13]» C'est de cette manière délicate que le roi Achab corrigea le titre humiliant de serviteur que son ennemi vaincu s'était donné, apprenant ainsi le premier aux souverains à se traiter de frères. Les Syriens ne tardèrent pas à annoncer à Achab l'arrivée de son frère Ben-Hadad qui monta dans le char royal sur l'invitation du roi d'Israël et ne fut sans doute pas médiocrement surpris d'entendre celui-ci lui dire: « Je te restituerai les villes que mon père a prises à ton père et tu établiras pour toi des marchés à Damas comme mon père en a établi à Samarie; je te laisserai libre après avoir fait alliance avec toi ». L'alliance fut ainsi conclue et le prisonnier remis en liberté et si le Seigneur réprouve ensuite la conduite d'Achab, il faut bien remarquer le motif de cette désapprobation; c'est en effet, nous dit expressément le texte sacré, parce que les Syriens s'étaient fait du Dieu d'Israël une idée à peu près semblable à celle que la critique rationaliste nous propose aujourd'hui. Ils disaient que le Dieu d'Israël est un dieu des montagnes et non un dieu des vallées [14] et c'est cet outrage que le Seigneur avait décidé de punir. Achab n'est donc nullement blâmé pour avoir agi avec générosité, mais pour n'avoir pas assez énergiquement revendiqué pour L'Eternel la puissance universelle. La victoire avait d'ailleurs été obtenue d'une façon miraculeuse, en sorte que Ben-Hadad était plutôt le prisonnier de Dieu que celui du roi d'Israël, mais lorsque plus tard les soldats de ce même roi de Syrie en guerre contre Israël furent amenés à leur insu par Elisée jusque dans Samarie, nous voyons l'homme de Dieu conseiller à son tour au roi d'Israël une conduite magnanime: « Frapperai-je, frapperai-je, mon père? demandait le roi. Non, tu ne frapperas point, répondit Elisée; Est-ce que tu frapperais des gens que tu as fait captifs avec ton épée et ton arc? Donne leur du pain et de l'eau, qu'ils mangent et boivent et qu'ils retournent ensuite vers leur maître [15] ».

Cette sublime réponse prouve bien que le prophète commandait aussi de traiter avec bienveillance les ennemis d'Israël; elle permet également de distinguer dans quels cas le souverain est libre de s'abandonner à sa générosité personnelle: le roi peut à son gré [16]faire grâce ou user de ses droits de guerre quand il a vaincu par la force des armes, mais lorsqu'il doit la victoire à une faveur spéciale de la Providence, c'est l'ordre de Dieu qu'il est tenu d'exécuter. Il y a donc là une question d'autorité indépendante de l'usage que l'on fait de celle-ci. Ajoutons que si la parole d'Elisée au roi d'Israël doit s'entendre dans le sens que lui donne Raschi: « Est-ce donc ton habitude de tuer les gens que tu fais prisonniers? », cela démontre aussi clairement que possible que la règle constante en Israël était de respecter la vie des captifs et que toute apparence d'infraction à cette généreuse coutume ne pouvait qu'exciter l'étonnement d'un Israélite.


References

  1. Page 406
  2. Deutéronome, XXIII, 7
  3. Deutéronome, XXV, 18
  4. Page 407
  5. Ibid. XVIII, 12
  6. Psaume CV, 44, 45.
  7. Genèse, XVIII, 19
  8. Page 408
  9. V. II Samuel, XVI, 1-14.
  10. II Sam. X, 2
  11. Ecol hacopher, p. 96
  12. Page 409
  13. I Rois XX, 32.
  14. I Rois, XX, 28
  15. II Rois, VI, 21. 22.
  16. Page 410