Israël et L'Humanité - Sacerdoce, prophétisons et royauté

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II.

Sacerdoce, prophétisme et royauté.


Examinons maintenant quels étaient, dans la vie nationale israélite, les rapports entre le sacerdoce d'un côté, les prophètes et la royauté de l'autre. Si nous mentionnons le prophétisme à côté de la monarchie, ce n'est point que les relations du sacerdoce pussent être les mêmes avec l'un et avec l'autre. La royauté et le sacerdoce étaient deux institutions en Israël et par conséquent leurs rapports devaient avoir quelque chose de positif et de légal. Le prophétisme au contraire n'était pas à proprement parier une institution; c'était là son caractère distinctif et sa force. Il constituait la manifestation la plus haute de la vie nationale, si haute qu'elle échappait non seulement à toute contrainte, mais à toute réglementation. Supérieur à toutes les institutions, il l'était certainement en un sens, puisque les prophètes étaient investis du pouvoir de les suspendre toutes à l'exception de celle du monothéisme. Entre eux et les prêtres, il ne pouvait donc exister que [1]des relations de nature purement morale. En quoi consistaient-elles?

On a dit que le sacerdoce représentait la stabilité et la conservation, tandis que les prophètes représentaient le progrès. C'est l'opinion de M. Salvador et des rationalistes en général et pourvu qu'on entende par progrès les développements naturels contenus virtuellement dans les données de la Révélation, il n'y a rien dans ce partage que nous ne puissions accepter. Il répond parfaitement aux fonctions respectives du prêtre et du prophète, occupés, le premier, de questions d'ordre pratique, le second d'idéalisme religieux. Il est conforme également au portrait que nous trace de l'un et de l'autre le Pentateuque: le prêtre est le dépositaire de la Loi écrite qu'il reçoit des mains mêmes du législateur et dont il est chargé de fournir une copie au roi obligé de la conserver et de la méditer sans cesse; le prophète est promis à Israël comme successeur de Moïse, non pas pour légiférer comme lui, mais pour interpréter et féconder son œuvre. Le rôle que nous attribuons au prophète est prouvé par l'abus même que le texte mosaïque prévoit et condamne, nous voulons dire l'excitation au polythéisme et à l'idolâtrie. Cet avertissement solennel de Moïse indique bien la sphère dans laquelle doit s'exercer l'activité du prophète, l'usage légitime qu'il doit faire de son autorité et la limite qui lui est imposée.

B. Jehuda Halevi dans le Cuzari s'approche singulièrement de ces idées. D'après lui, c'est aux prêtres que la loi écrite est confiée, tandis que les prophètes ont la garde de la loi orale, et pour peu que l'on réfléchisse à la nature de cette dernière d'après la conception hébraïque, on verra que le rôle d'instrument de progrès attribué au prophétisme est déjà compris dans la doctrine du célèbre rabbin du moyen-âge.

Renan, dans un passage de ses Etudes religieuses, conteste formellement ce caractère général du prophétisme. « La politique générale des Prophètes, écrit-il, se présente comme étroite et opposée au progrès. Les rois représentaient une pensée plus large et plusieurs de ceux qui nous sont dépeints comme scélérats étaient peut-être des princes raisonnables, tolérants, partisans d'alliances nécessaires avec l'étranger, obéissant aux besoins de leur temps et à un certain penchant pour le luxe et l'industrie ». Il y a là, nous semble-t-il, quelques erreurs de fait et d'appréciation. Loin de condamner tous rapports amicaux et même toute alliance avec l'étranger, les prophètes les encourageaient souvent; entre eux et [2]la politique dominante, c'était seulement une question de choix, de mesure et d'opportunité. Il existait des prophètes au temps de Salomon, allié du roi de Tyr, Hiram, et nous ne voyons pas qu'ils aient manifesté un mécontentement de ce rapprochement [3]. Des prophètes comme Elisée consacrent eux-mêmes des rois syriens [4]. Jérémie prêche la soumission au roi des Babylone [5], ce qui est bien autre chose qu'une alliance et Israël est mentionné, après l'Egypte et Babylone dans la bénédiction d'Isaïe [6]. L'histoire patriarcale offrait d'ailleurs des exemples d'alliance avec les Gentils; Abraham en avait contracté une avec Abimélek; Aner, Escol et Mamré sont également appelés ses alliés [7].

Quel était donc le but des invectives des Prophètes contre les alliances nationales? Elles tendaient uniquement à préserver l'esprit national des défaillances qui auraient compromis, avec la pureté des mœurs et des croyances, la confiance qu'Israël devait avoir en Dieu et par conséquent en l'élection dont il avait été l'objet. L'éminent critique que nous venons de citer connaissait certes aussi bien que personne la supériorité de la civilisation juive sur celle des peuples voisins. Il ne pouvait donc sans injustice appeler ennemis du progrès des hommes qui, comme les prophètes, travaillaient de toutes leurs forces, même au risque de n'être point compris de leurs concitoyens, à prémunir l'esprit juif contre les dangers de toutes sortes qui le menaçaient. Le progrès, pour ceux qui sont en avance sur leurs contemporains, ne consiste pas à se mettre au niveau de la foule, mais bien au contraire à garder leur position, malgré les difficultés qu'elle présente. Loin d'avoir des vues plus étroites que les promoteurs d'alliances étrangères, les prophètes regardaient plus haut et plus loin. C'était l'humanité future qu'ils contemplaient et lors même que, dans leur vision grandiose de l'avenir, ils auraient parfois compromis les intérêts politiques actuels de leur peuple, le véritable progrès devrait les reconnaître encore comme ses bienfaiteurs, car ils ne faisaient que soumettre l'Israël temporel à l'Israël idéal et spirituel qui occupait la première place dans leurs pensées. S'il y avait exagération de leur part, l'excès était dans le sens du plus généreux [8]universalisme, c'est-à-dire diamétralement opposé au sectarisme national que l'on a coutume de reprocher aux Juifs. Le luxe et l'industrie en auront peut-être souffert, mais il y a dans le monde quelque chose qui mérite d'être préféré à l'un et à l'autre.

A un point de vue un peu différent, on pourrait dire que le sacerdoce représente l'individualité israélite et le prophétisme les tendances cosmopolites, c'est-à-dire le progrès non seulement dans le temps, mais dans l'espace. À cet égard, le sacerdoce, la royauté et la magistrature ont cela de commun qu'ils sont autant d'organes du particularisme israélite, le sacerdoce, en tant qu'il gère cette partie de la religion qui est la spécialité d'Israël, l'élément suprarationnel, la royauté, en tant qu'elle en sauvegarde les intérêts, et la magistrature, en tant qu'elle maintient la société sur ses assises légales. Le prophétisme au contraire est la vie israélite elle-même; il touche aussi à tous ces points particuliers, mais il les dépasse; il s'étend à l'ensemble de l'humanité, embrasse l'avenir et s'élève au dessus des intérêts nationaux et des contingences jusqu'à Dieu. Il ressemble en un sens à ce que prétend être dans nos sociétés modernes la libre pensée, beaucoup moins libre toutefois qu'elle ne se l'imagine, car elle se meut sous la direction de certaines lois déterminées, tandis que la pensée prophétique au contraire était en réalité bien plus affranchie qu'elle ne croyait l'être.

Il convient d'observer maintenant, en ce qui concerne les rapports du sacerdoce avec la royauté, avec quel soin les deux fonctions ont été distinguées et même séparées dans le judaïsme. Aucun empiètement ne pouvait être toléré de la part du roi sur les prérogatives des prêtres. Celui qui aurait tenté de s'arroger le pouvoir sacerdotal aurait été frappé sur le champ de la punition divine. Peut-être l'histoire de Coré n'est-elle que le plus ancien avertissement des Ecritures contre une telle confusion de pouvoirs, car si Coré n'avait pas la dignité royale, c'était du moins un prince en Israël et il avait entraîné à sa suite l'élite de la nation. D'autre part, le prêtre était soumis non seulement à la juridiction de la haute magistrature qui pouvait juger le souverain pontife lui-même, mais il était aussi sous la dépendance politique du roi au dessous duquel il figurait toujours hiérarchiquement et il ne pouvait en aucun cas aspirer à ceindre la couronne. Cette subordination du prêtre apparaît même dans l'attitude qui devait être observée durant la prière. La règle était que plus on se trouvait élevé dans l'échelle sociale, plus on devait par sa posture témoigner de soumission;[9] c'est ainsi que le simple Israélite n'incline la tête qu'aux trois premières et aux trois dernières bénédictions du Schemoné Esré tandis que le grand prêtre était obligé de s'incliner au commencement et à la fin de chacune d'elles; seul le roi ne devait jamais relever la tête depuis le début jusqu'à l'achèvement de la prière [10].


References

  1. Page 641
  2. Page 642
  3. I Rois, XI, 11 sqq 29 sqq.
  4. II Rois, VIII, 14
  5. XXXIX, 4 sqq.
  6. XIX, 24, 25.
  7. Genèse, XIV, 13.
  8. Page 643
  9. Page 644
  10. Maïmonide