Israël et L'Humanité - Témoignages bibliques et rabbiniques

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CHAPITRE TROISIÈME

L'IDÉE DE L'HOMME DANS L'HÉBRAÏSME

NOTION JUIVE DU PROGRÈS

I.

Témoignages bibliques et rabbiniques.

Ce qui caractérise le judaïsme, c'est qu'au rebours des autres religions il place la perfection non pas au commencement, mais à la fin. Telle est en effet la signification de l'ère messianique qu'il attend et que nous définissons ainsi: la foi, entretenue dès l'origine, en la perfection future, religieuse, morale, sociale et matérielle du genre humain et qui doit avoir son accomplissement dans les derniers temps.

Nous savons bien que la critique divise en étapes successives le développement de la doctrine messianique et que, d'après elle, la formule complète date d'une époque relativement récente. Il n'est nul besoin d'engager ici une polémique sur l'antiquité de cette croyance; à quelque âge qu'on la reporte, Il nous suffit que l'hébraïsons tôt ou tard en ait définitivement pris conscience et surtout qu'il ait constamment placé la réalisation de ses espérances dans les derniers temps . Cette particularité constitue si bien le trait distinctif de la foi juive que le christianisme, bien qu'il prétendît être le messianisme réalisé n'a jamais cessé, comme héritier d'Israël et malgré la contradiction que cette idée présentait avec l'ensemble de ses doctrines, de fixer à la fin des temps l'accomplissement des promesses résurrectionnelles et palingénésiques.[1]L'Ecclésiaste se faisait l'écho de la pensée israélite quand il disait: « La fin d'une chose vaut mieux que son commencement [2]», Et pour prouver que l'impatience ne sert de rien et qu'il faut savoir attendre les événements il ajoute: « Mieux vaut un esprit patient qu'un esprit hautain; ne te hâte point de t'irriter, car l'irritation est le fait des insensés ». C'est là, dira-t-on , rapetisser les idées et il y a loin de cette sagesse banale au principe à progrès humain. Sans doute, c'est une application restreinte, mais qui suppose le principe général et celui-ci est effectivement formulé par l'auteur immédiatement après et dans des termes tels qu'il embrasse toute l'histoire et qu'il est présenté comme une réponse à tous ceux qui préfèrent les anciens âges aux nouveaux, preuve évidente que le principe en question était déjà suffisamment introduit dans les doctrines juives pour soulever çà et là l'opposition et provoquer une réaction: « Ne dis pas: Le temps passé n'était-il pas meilleur que celui-ci? car tu ne ferais pas preuve de sagesse en parlant ainsi » [3]. L'opinion générale était donc pour le progrès et c'est seulement lorsque quelque circonstance fâcheuse semblait contredire la croyance populaire que tel ou tel esprit isolé émettait des doutes sur la valeur du principe.

Si maintenant nous quittons l'Ecriture pour rechercher l'opinion des Rabbins talmudiques, midraschiques ou kabbalistes qui tous représentent indistinctement pour nous la tradition hébraïque, nous voyons qu'ils s'accordent tous pour affirmer, conformément à l'enseignement de l'Ecclésiaste, que ce qui vient après est meilleur que ce qui a précédé. Dans la famille on a déjà remarqué que la Bible semble vouloir donner la préférence aux frères puînés sur leurs aînés. Caïn, Ismaël, Esaü sont écartés et se voient supplantés par ceux qui sont nés après eux. C'est ce que les théosophes expriment par cette image: «L'écorce précède le fruit » ou encore par cette phrase: « Les scories doivent sortir du creuset avant l'or pur ». Parfois aussi un nom noble en lui-même et auquel l'usage a rattaché de hautes idées, celui de bechor, premier né, sert à désigner chez eux ce qu'il y a de rudimentaire, d'imparfait dans une chose, son commencement grossier et défectueux [4] Ces significations et ces usages contradictoires s'expliquent lorsque l'on considère [5] les deux cycles qui constituent le mouvement général des êtres, celui par lequel ils descendent de Dieu et celui par lequel ils remontent vers lui. Dans le premier la qualité et le titre de bechor, premier-né, est hautement honorifique, puisqu'il exprime une plus grande proximité de la source des êtres. Dans le second au contraire le mot n'exprime que la première aspiration du fini, son premier mouvement vers le parfait d'où tout émane, effort nécessairement incomplet, car ce n'est que le premier passage de l'état potentiel à l'acte.

Après le pêché d'Adam, la scheschina, le divin dans le monde, s'est éloigné de celui-ci de dix degrés, au dire des Docteurs, mais elle a parcouru de nouveau ces dix degrés en sens inverse revenant ainsi vers le monde, grâce à l'œuvre des Patriarches. C'est là une manière poétique de dire que le mouvement de régénération commence dès que le pêché est consommé et qu'il se poursuit, à travers l'histoire par l'action des hommes de Dieu. Nous voyons ainsi, comme nous le disions dans le chapitre précédent, que dans l'économie historique de la Bible la dégradation, la chute sont l'œuvre d'un instant; c'est là quelque chose de préhistorique, d'extra-temporel, si l'on peut s'exprimer de la sorte, tandis qu'au contraire l'œuvre de réparation, de réintégration, de perfectionnement commence, sauf l'instant du pêché, avec l'histoire pour durer ensuite autant qu'elle et la remplir tout entière. Le serpent qui a introduit le mal dans le monde est destiné à avoir constamment la tête écrasée par les descendants de l'homme, quoique celui-ci doive aussi être mordu au talon [6].

Il est impossible de nier que sous l'image puérile du serpent ne se cache une pensée profonde et que le récit de la Genèse n'ait une haute portée. On ne contestera pas davantage que dans la lutte annoncée entre l'homme et le reptile, ce ne soit le premier qui doive avoir la victoire, puisque le pied qui reçoit la morsure écrase la bête qui le mord. Il s'agit donc de la lutte entre Le bien et le mal, lutte dans laquelle le bien doit avoir l'avantage, et cette histoire symbolique de l'Adam des premiers jours devient l'histoire de la régénération laborieuse de l'humanité et comme un programme de son évolution future.

On sait que le Talmud donne au monde une durée totale de six mille ans, partagée en trois périodes de deux mille ans chacune:[7] la première appartient au chaos, la deuxième à la Loi et la dernière à l'ère messianique [8]. Dans cette ébauche d'une philosophie de l'histoire, ce qui est à remarquer surtout, c'est le caractère de progression dont l'hébraïsme a si bien pris conscience qu'il l'élève à la hauteur d'une théorie. L'histoire n'est donc pas pour le judaïsme une succession de faits sans connexion, c'est un organisme qui se développe, c'est un monde qui se forme et qui a, à son début, le chaos, le tohu-vavohu de la Genèse et, à son terme, le Sabbat, nom donné à la palingenèse, à l'imitation du sabbat qui termine l'œuvre des six jours.


References

  1. Page 315
  2. Ecclésiaste, VII, 8-9
  3. Ibid., VII, 10
  4. Voir Zohar Emor, II, p. 72.
  5. Page 316
  6. Genèse, III, 15.
  7. Page 317
  8. Sanh. 97 <super> a </super> שני אלפים תהו שני אלפים תורה שני אלפים ימות המשיח