Israël et L'Humanité - Théorie des attributs divins et des forces cosmiques

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IV.

Théorie des attributs divins et des forces cosmiques.

Que Dieu soit l'unité suprême et que les divinités du paganisme représentent en quelque sorte des moments de son existence, c'est ce que prouve également la doctrine des sarim , anges ou génies préposés par le Dieu suprême au gouvernement de chaque nation. Dans les plus anciens livres bibliques, c'est là ce qu'il faut entendre par les Elohim dont l'Eternel est le Dieu, d'où l'appellation d' Elohè-ha-Elohim , Dieu des dieux, que nous étudions en ce moment pour la théologie hébraïque, ils sont les éléments idéaux, attributs ou aspects partiels de l'idée de Dieu qui en est la synthèse; cette doctrine explicitement enseignée par la Kabbale est contenue implicitement dans la Bible.

Il y a là une conception analogue à celle de ces vastes monarchies où les princes vassaux ont à leur tête un souverain qui, [1]de nom et de fait, est vraiment le roi des rois et, non pas simplement le premier parmi des égaux, car c'est lui seul qui possède toute force et toute autorité et c'est de lui que ses subordonnés détiennent la puissance relative qu'ils exercent. Au point de vue théologique comme au point de vue scientifique, nous reconnaissons dans l'ordre universel une hiérarchie de causes et effets, de lois générales et secondaires qui s'engendrent et se complètent. C'est ce qu'a fort bien exprimé un pensant éminent entièrement étranger à notre foi: « L'échelle, hiérarchique des dieux n'est que la personnification de l'ordre hiérarchique des principes, des lois et des forces [2] ».

Telle est, à notre avis, la manière dont il faut entendre tous les passages bibliques dans lesquels Dieu nous est représenté comme présidant à une assemblée d'êtres supérieurs appelés tantôt l'armée des cieux, zeba haschamaïm, tantôt les séraphins ou les benè haélohim , fils de Dieu. Ce dernier nom nous montre Dieu en rapport organique avec ces êtres ainsi appelés à cause de la subordination dans laquelle ils se trouvent vis-à-vis de la Cause première. Les attributs divins sont donc représentés sous l'appellation de fils de Dieu, comme on nomma précisément tant de siècles plus tard le Logos qu'on prétendit incarné. Il n'était rien de plus naturel d'ailleurs que de désigner sous le nom de Père l'être en substance, le sujet, et sous celui de fils, ses attributs. Dans ce système le titre d' Elohè-ha-Elohim donné à Dieu devient tout à fait intelligible et l'on comprend aussi l'exactitude du nom poétique de « synagogue », beth hakkeneceth , que la Kabbale donne à la dernière émanation ou éon représentant l'univers fini, l'ensemble des êtres créés appelé aussi malkouth , royaume. N'est-ce pas ce même éon que les gnostiques désignaient sous l'épithète d' église  ?

La hiérarchie divine représentée dans la Bible sous la forme politique d'un roi accompagné de ses vassaux, puis sous la forme religieuse d'une synagogue où Dieu est le ministre qui officie, l'est aussi sous celle d'une armée avec un général en chef. Jacob dit: « C'est ici le camp de Dieu! [3] » et dans le cantique de Moïse, Dieu est comparé à un vaillant guerrier. Ailleurs l'ange qui apparaît à Josué dit: « Je suis le chef de l'armée de l'Eternel! [4] [5]L'image atteint son plein développement quand elle nous présente une assemblée organisée où l'Eternel préside ayant à sa droite et à sa gauche toute la multitude des zebaoth ou armées célestes.

Serait-il trop téméraire de voir dans ces zebaoth, ou armées, comme le Zohar nous y invite, les forces cosmique se mouvant harmonieusement au commandement de l'Auteur de toute chose et tout l'ensemble des lois d'attraction et de répulsion qui régissent les corps célestes et terrestres? Le savant moderne dans son laboratoire a observé qu'au sein de l'atome règnent et agissent les mêmes lois, les mêmes mouvements, les mêmes relations qui agissent et règnent dans les espaces intersidéraux; à ses yeux, la matière n'est qu'assemblage de centres et de forces. John Tyndall s'approprie et prend à la lettre le mot poétique d'Emerson: « Les atomes marchent en cadence, » et un autre savant, sans songer certainement à rien de théologique, a dit que l'idée supérieure qui gouverne le monde peut être comparée à celle d'un général en chef le jour de la bataille: elle s'infiltre jusque dans le dernier soldat qui obéit aveuglément.

Cette idée à notre avis, se développe d'une façon tout opposée à celle qu'enseignait Hegel. Elle ne part pas du néant pour s'élever à la pleine conscience; c'est au contraire de la pleine conscience divine qu'elle se détache pour se répandre en degrés variés jusque dans les plus infimes atomes. La conception métaphysique que nous exprimons en disant que le divin dans le monde, la Schechina , le Dieu immanent est le point central de toutes choses, est traduite en langage scientifique par les savants modernes, quand ils se demandent si tous les cercles, toutes les ellipses que tracent les myriades de systèmes solaires n'ont pas un commun foyer d'attraction autour duquel gravitent avec notre propre système toutes les autres étoiles et leurs innombrables mondes.

On nous objectera, peut-être que s'il en est ainsi, il ne s'agit plus de voir dans les Elohim la personnification des attributs divins, mais bien une sorte de divinisation des forces cosmiques. L'objection s'évanouit si l'on réfléchit que, selon les doctrines des Kabbalistes, parmi les quatre plans successifs dont le dernier est l'univers visible, les forces physiques au degré inférieur (asia) correspondent aux attributs divins dans le plan supérieur (yetsira), les uns et les autres étant entre eux dans le même rapport que la vie ou force physique avec l'âme ou la pensée. Cette identité [6]suprême entre l'attribut divin et la force naturelle concilie l'école naturaliste contemporaine avec l'école métaphysicienne.

En voyant dans les dieux du paganisme les forces divinisées de l'univers dont Dieu est l'unité et le centre suprême, nous ne disons rien que ne confirme la science moderne et, pour ce qui est de l'antiquité païenne, il suffit de rappeler que Plutarque, après Héraclite et Platon, puis à plusieurs reprises de Jupiter, de Junon, de Mars, comme des éléments dont se compose le monde physique.

Nous ne voudrions pas en tout cas qu'il pût subsister dans l'esprit de nos lecteurs la moindre équivoque sur notre pensée. Loin de concéder aux divinités païennes aucune existence réelle distincte, ne voit-on pas au contraire que nous les fondons dans l'unité suprême qui les absorbe en les subordonnant, tout au moins comme les parties sont subordonnées au tout et les divers éléments à l'être qu'ils constituent? Mais afin d'enlever tout doute à cet égard, nous montrerons à quel degré d'audace s'est élevée, dans le judaïsme, la spéculation théologique et l'on jugera ainsi si le monothéisme mosaïque creuse vraiment un abîme entre un Dieu solitaire et l'ensemble des choses créés, ou si au contraire, dans la conception hébraïque, une échelle ininterrompue relie tous les degrés de la création, depuis les plus sublimes manifestations de l'être jusqu'aux plus fugitives formes d'existence. Nous avouons que si l'on peut dire en un certain sens que l'accusation portée contre le monothéisme des kabbalistes d'être entaché de polythéisme se trouve justifiée, c'est uniquement parce que la Kabbale seule, tenant compte du besoin d'expliquer la pluralité, harmonise, par le moyen de la doctrine émanatiste, les deux aspects du génie religieux, sémitique et aryen.

On sait que le premier article de foi comprend selon Maïmonide le commandement de « n'adorer aucun être en dehors de Dieu ». A cela l'auteur des Ikkarim , Joseph Albo, objecte qu'il ne faut pas mettre ce commandement au nombre des articles de foi, car « bien que ce soit un des préceptes de la loi, selon qu'il est écrit: Tu n'auras pas d'autre Dieu devant moi, cependant ce n'est pas là un principe dont toute la loi dépende, parce que celui qui croirait que Dieu, béni soit-il, existe, que sa Loi est véritable, et qui se bornerait à introduire entre Dieu et lui un médiateur, transgresserait par là sans aucun doute le commandement: Tu n'auras pas d'autre Dieu devant moi, mais ce précepte ainsi violé, la Loi n'en subsiste pas moins tout entière, en sorte qu'il n'y a [7] pas lieu de le compter au nombre des articles fondamentaux de la foi ». Le rabbin Isserles, dans son Thorat aola , répond que Maïmonide a raison contre Albo, car, dit-il « à mon humble avis, toute la Loi est en péril par le fait d'introduire un médiateur entre Dieu et nous; il y a là un prétexte à nier Dieu en disant que le médiateur seul nous suffit, comme cela s'est vu d'ailleurs à l'origine du polythéisme ».

Cette controverse nous paraît fort intéressante. Si Joseph Albo a pu, tout en demeurant fidèle à l'esprit de l'hébraïsme, contester la doctrine de Maïmonide, alors que celui-ci condamnait l'adoration proprement dite de médiateurs entre le monde et Dieu, que peut-on trouver de répréhensible à ce que nous reconnaissions avec la Kabbale, sans toutefois en tenir aucun compte dans le culte, l'existence d'attributs divins, même personnifiés en un certain sens, ou de consciences reliées à une conscience suprême qui les comprend toutes? Notons que la plus rigide orthodoxie - nous l'avons vu avec l'opinion de R. Isserles - ne réprouve cela que par mesure de prudence, afin que l'on ne soit pas exposé à perdre de vue le Dieu unique et véritable. La Kabbale nous prescrit d'ailleurs de n'envisager jamais dans nos adorations que la Cause suprême seulement, tout au plus revêtue de cet attribut particulier auquel nous nous adressons, c'est-à-dire Dieu tout entier sous chacun de ses aspects. C'est précisément le point de vue que les indianistes trouvent dans tous les passages des Védas où chaque divinité spéciale figure tour à tour avec le caractère de Dieu suprême.

Mais voici une autre doctrine rabbinique qui témoigne hautement de la tolérance et de la largeur d'esprit des docteurs de la Synagogue: c'est la maxime d'après laquelle les Noachides, c'est-à-dire tous les hommes excepté les seuls juifs, ne sont point réputés pécher, s'ils associent un être quelconque au Dieu suprême, pourvu qu'ils reconnaissent à celui-ci ce caractère unique [8] On demeure stupéfait en lisant de telles paroles; il y a là, pour parler encore le langage des rabbins « un miracle dans un autre miracle [9] [10] à savoir la reconnaissance d'une Eglise légitime en dehors d'Israël, d'une religion de l'humanité indépendante du mosaïsme et, dans cette vaste Eglise, la possibilité d'un credo si large qu'il permet d'associer au Dieu suprême des divinités secondaires.

Si étrange que cette doctrine puisse paraître au premier abord, elle s'explique admirablement bien si nous avons donné la véritable interprétation des Elohim, en voyant en eux la divinisation faite par les païens des forces cosmiques correspondant aux divers attributs divins. Comment dans ce cas les non-juifs pourraient-ils pêcher, soit en associant le Dieu d'Israël à ses divers attributs personnifiés dans les divinités du paganisme, soit en réunissant ces différents attributs les uns aux autres? Il est clair au contraire que, notre théorie admise, le païen approche d'autant plus de la vérité qu'il parvient à s'élever à une synthèse plus complète, en sorte que son idée de Dieu devient par là de plus en plus parfaite. Ainsi le nom de Dieu des dieux chez les Juifs, Elohè-ha-Elohim , se trouve, au point de vue théologique, comme au point de vue scientifique, pleinement justifié et, loin de pouvoir être allégué contre l'antiquité du monothéisme mosaïque, il montre au contraire à quelle hauteur s'est élevée dans le judaïsme primitif la conception de la Divinité. [11]

References

  1. Page 164
  2. MARSELLI, Nuova Antologia, Giugno 1881.
  3. Genèse , XXXII, 2.
  4. Josué, V, 14.
  5. Page 165
  6. Page 166
  7. Page 167
  8. C'est ce que les rabbins expriment par cet aphorisme qui sera plusieurs fois cité dans cet ouvrage בני נח לא נזהרו על השותף (Isserles dans Orah Haïm, CLVI) « on ne fait pas aux Gentils la recommandation de ne pas associer d'autres divinités à l'adoration du Dieu Unique ». Mais cette tolérance n'enlève rien à la douleur du vrai juif à la vue de l'idolâtrie formelle. Les mêmes rabbins commentent ainsi le verset 10 du psaume LXIX: במשתפהון טעותהון לאיקרך not clear «parce qu'ils associent leurs idoles à la glorieuse majesté » ( Note des éditeurs )
  9. נס בתוך נס , Shabbat, 97.
  10. Page 168
  11. Page 169