Israël et L'Humanité - Traces de la connaissance de Dieu chez les Gentils

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II.

Traces de la connaissance de Dieu chez les Gentils.

Le caractère universel dudans la double Dieu de la Bible se montre dans la double conception de la création du monde et de l'humanité, comme aussi dans le fait que, d'après le livre de la Genèse, le vrai Dieu a été, pendant une période plus ou moins longue, adoré par tous les hommes. Mais après l'introduction du polythéisme, la connaissance du vrai Dieu n'a pas disparu si complètement chez les Gentils qu'il n'en soit resté des traces et c'est ce que la Bible reconnaît explicitement.

Certes, les bornes étroites des premiers horizons géographiques, les préjugés, les antipathies nationales, l'orgueil que pouvait inspirer à Israël sa situation privilégiée, tout devait tendre à limiter aux seuls juifs la connaissance, du vrai Dieu: à eux, la vérité, la lumière de la pure religion; aux Gentils au contraire l'idolâtrie ou l'impiété et avec elles l'erreur et les ténèbres morales. S'il n'en a pas été ainsi, c'est évidemment que l'idée du Dieu universel fait partie intégrante de la foi juive et n'en peut être séparée. Suivons donc les traces de la connaissance de Dieu en dehors d'Israël, d'après les témoignages que nous fournissent les Ecritures. Nous voyons que Lot, s'adressant à ses gendres qui étaient des païens, leur parle de l'Eternel (tétragramme): « L'Eternel, leur dit-il, va détruire la ville [1] » Lorsque Dieu apparaît en songe à Abimélech, celui ci l'appelle du nom d'Adonaï: « Adonaï, ferais-tu périr même une nation juste? [2]» et cependant Abimélech est si foncièrement polythéiste qu'Abraham, l'apôtre du monothéisme, sent le besoin, d'employer avec lui un langage qui paraît être la négation de ses croyances en parlant des dieux et de leur conduite à son égard: « Je me disais qu'il n'y avait sans doute aucune [3] crainte de dieux (Elohim) en ce pays... Lorsque (les) dieux (Elohim) me firent errer loin de la maison de mon père.... [4] » Qu'est-ce donc que ce monothéisme chez Abimélech et ces expressions polythéistes du côté d'Abraham? Les rôles sont-ils intervertis? Le paganisme et l'hébraïsme font chacun un pas l'un vers l'autre, pour se concilier dans cette conception qui est, nous le verrons, celle de la meilleure partie de la gentilité: un Dieu suprême et des dieux subalternes au dessous de lui. Mais la différence entre la croyance des juifs et celle des païens consiste en ceci qu'Israël ne voyait dans ces dieux subalternes qu'autant d'attributs divins, d'aspects du Dieu unique qui seul était adoré, tandis que, chez les païens, l'adoration était prodiguée aux formes diverses sous lesquelles on envisageait la Divinité. Nous retrouvons plus tard une différence du même genre entre le christianisme et la Kabbale hébraïque dont il est très juste de dire que la doctrine chrétienne est sortie dans la double acception du mot, d'abord parce que c'est vraiment la Kabbale qui lui a donné naissance, ensuite parce qu'elle s'est considérablement écartée des enseignements qu'elle en avait reçus. En effet, le christianisme dans le dogme de la Trinité a transformé en personnes distinctes ce qui n'était pour les kabbalistes que des attributs divins.

Le monothéisme juif était connu chez les païens dans le sens qui semble précisément répondre le mieux à l'idéal de la religion à venir pour les peuples aryens, celui d'un Pan- monothéisme, car le système d'un Dieu suprême et de forces subalternes divinisées n'est pas autre chose que cela. Cette connaissance du vrai Dieu dont témoignent les paroles d'Abimélech n'a pas échappé aux exégètes: « Quelle était donc, se demande avec surprise M. Cahen, la religion de ce roi qui a horreur de l'adultère et auquel le vrai Dieu se communique en songe? La connaissance du vrai Dieu était-elle répandue dans les contrées de Canaan? Est-ce pour ce motif que Dieu engage Abraham à s'y rendre ? [5] La réponse à cette dernière question est tout entière dans la fécondation de la foi monothéiste par le contact des Gentils, ainsi que nous l'avons dit précédemment.

Dans un autre passage de la Genèse, un païen, Laban, dit à un autre païen, Eliézer : « Viens, béni de l'Eternel (tétragramme)! [6] pourquoi resterais-tu dehors? » [7]. Et plus loin Laban et Béthuel s'écrient ensemble: « C'est de l'Eternel que la chose vient, nous n'avons rien à dire » [8]

Les paroles de Jéthro sont fort remarquables: « Béni soit l'Eternel qui vous a délivrés de la main des Egyptiens et de la main de Pharaon... Je reconnais maintenant que l'Eternel est plus grand que tous les dieux » [9] On peut voir, Il est vrai, dans cette confession de foi, un résultat des enseignements de Moïse ou simplement la reconnaissance du Dieu du tétragramme comme Dieu national des Hébreux. Mais si l'on considère le rôle vraiment exceptionnel que la Bible assigne au beau père de Moïse, puisqu'elle fait de lui le conseiller intime de ce dernier et l'inspirateur de ses lois, il est invraisemblable qu'une telle importance soit accordée à un simple idolâtre, à un prêtre des faux dieux. Il faut nécessairement admettre que Jéthro avait été amené à reconnaître que le Dieu suprême qu'il adorait déjà, était le Dieu d'Israël et que ce peuple était destiné à une haute mission dans le monde.

Toujours est-il que les deux plus grands personnages du judaïsme, Abraham et Moïse, se sont trouvés en contact très intime avec deux prêtres païens, Abraham en recevant la bénédiction de Melchisédech et Moïse en épousant la fille de Jéthro et en acceptant la direction spirituelle de ce dernier. Dans l'un et l'autre cas, c'est la gentilité, ou, pour mieux dire, l'humanité qui donne l'investiture sacerdotale à Israël.

Le nom de Jéthro nous rappelle celui de Balaam, car l'un et l'autre, dit la tradition, vivaient ainsi que Job à la cour de Pharaon. L'influence de ces deux gentils se rattache donc à l'Egypte qui est, selon l'expression de la Bible, le « creuset de fer » où s'élabora le judaïsme. Or, on ne saurait contester que le nom du Dieu d'Israël était familier à Balaam. « Je ne pourrais aucune chose ni petite ni grande, répond-il aux messagers de Balak, contre l'ordre de l'Eternel (tétragramme), mon Dieu » [10] Non seulement il appelle l'Eternel son Dieu, mais l'idée qu'il s'en forme est tellement pure et sublime qu'on a toujours pu opposer victorieusement sa définition à ceux qui étaient tentés de prendre à la lettre les anthropomorphismes bibliques. « Dieu n'est point un homme pour [11] mentir, ni fils d'un homme pour se repentir. Ce qu'il a dit ne le fera-t-il pas? Ce qu'il a déclaré, ne l'exécutera-t-il pas? » [12] L'immutabilité divine qu'il proclame suppose une conception si élevée de la nature de Dieu qu'elle exclut à plus forte raison les besoins et les sentiments tout humains que la Bible en maints endroits semble attribuer à Dieu. Le fait d'avoir inséré les paroles de Balaam prouve qu'aux yeux de l'écrivain sacré ces paroles exprimaient une doctrine irréprochable que ne contredisaient nullement les passages anthropomorphiques sagement interprétés. En outre, le culte de Balaam qui exige sept autels, sept taureaux sept béliers [13] révèle une si exacte connaissance des observances patriarcales et mosaïques, ou tout au moins une telle conformité avec celles-ci, qu'il faut bien leur reconnaître une commune origine.

Ce culte que Balaam adresse à Avaya [14] nous oblige à nous demander si le tétragramme était connu ailleurs qu'en Israël. Nous n'éprouvons aucune difficulté à avouer que ce nom se retrouve sous sa forme contractée dans un grand nombre de noms propres cananéens ou phéniciens. Raschi, dans son commentaire sur les mots du Kaddisch : « Que son grand nom soit béni! [15] dit que si ces paroles sont en araméen, c'est qu'elles se réfèrent au tétragramme qui est lui-même araméen. Des savants comme Burnouf ont admis cette origine et les inscriptions babyloniennes ont paru confirmer leurs déductions. Il est certain que la langue des patriarches était l'araméen et que l'hébreu, devenu depuis longtemps l'idiome national des Juifs, est appelé par Isaïe la langue de Canaan [16] Les Kabbalistes disent que, de même que Bath-Schéba a dû appartenir à Urié, le Héthien, avant de devenir l'épouse de David, de même la langue hébraïque, avant de devenir l'idiome sacré devait appartenir au peuple le plus impie. Il y a là un nouvel exemple de la manière dont Israël s'assimile les emprunts qu'il fait au paganisme et de cette ascension que l'hébraïsme voit partout,[17] dans la vie et dans l'histoire, et par laquelle des degrés inférieurs les choses montent aux sphères plus élevées. D'autres savants comme Laud, Hartmann, Colenso ont prétendu que le culte d'Avaya, trouvé par les Israélites en Canaan, était celui du soleil d'automne et qu'après avoir partagé ce culte, pendant un certain temps, le peuple hébreu finit par le fondre avec celui du dieu national El Schaddaï . L'existence en d'autres milieux, de noms plus ou moins analogues comme le Ve-jovi qu'on trouve en Etrurie, le Ju-piter des Romains, le Joh des Egyptiens qui désignait la Lune, ne permet pas de faire dériver du langage d'un peuple d'ailleurs profondément polythéiste un nom à signification aussi logiquement monothéiste, mais ce qu'il y a de certain, dans l'hypothèse de ces auteurs c'est la connaissance du nom dont il s'agit ailleurs que chez les Hébreux.

Les rabbins ont bien dit que la réponse de Pharaon à Moïse et Aaron: « Qui donc est l'Eternel (tétragramme), pour que j'obéisse à sa voix, en laissant aller Israël ? [18] » prouve que le Dieu d'Israël n'était alors connu en Egypte que sous le nom d'Elohim et non sous celui d'Avaya, mais nous voyons un autre souverain de ce pays, Néco, distinguer très exactement la valeur particulière de ces deux noms, lorsque après avoir détrôné Jochaz, roi de Juda, il mit à sa, place son frère Eliakim en changeant son nom en celui de Jojakim [19]

Les écrivains grecs connaissent aussi Jaou ou Jao . « Jao, dit Diodore de Sicile, est le dieu des Juifs ». Il est vraisemblable que cet auteur, en traduisant ainsi le tétragramme, a suivi la coutume des païens; qui, lorsqu'ils parlaient des choses juives, leur donnaient habituellement les noms de leur propre vocabulaire religieux correspondant le mieux aux mots hébreux. C'est ainsi que Plutarque par exemple, à cause d'une simple analogie cérémonielle, a appelé le Dieu des Juifs du nom de Dyonisios. On ne doit pas oublier d'ailleurs que les trois premières lettres du tétragramme forment précisément le Jao de Diodore de Sicile et si ce mot ne figure pas dans l'Ecriture comme appellation détachée, on sait qu'il entre toutefois dans la composition de plusieurs noms propres, comme Jeojakim que nous citions tout à l'heure, Jeoachaz , Jeonadab etc.[20] Enfin, l'un des textes les plus curieux est celui de l'oracle d'Apollon de Claros recueilli par Macrobe et d'après lequel Jao est désigné comme le plus grand de tous les dieux, la divinité suprême, le dieu solaire envisagé sous quatre faces qui sont les quatre saisons. Voici d'ailleurs le texte en question: « Ceux qui comprennent mystères doivent cacher les choses inaccessibles. Mais si tu as peu de capacité et un faible entendement, considère que Jao est le chef de tous les dieux. En hiver, Hadès; au commencement du printemps, Zeus; en été, Hêlios et à l'automne, le tendre Jao <i> ».

Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de l'opinion de R. Joseph d'Orléans qui, dans son commentaire sur le Pentateuque, explique que si l'on trouve trois noms de Dieu dans la formule du <i> Schema , c'est afin de ne pas donner prise aux prétentions des Gentils, car « si l'on s'était borné à dire: Ecoute, Israël, l'Eternel est un, chaque peuple aurait prétendu qu'il s'agissait de son propre dieu, tandis qu'en ajoutant: Notre Dieu, on montre qu'il s'agit bien du Dieu d'Israël [21]»

Suivons maintenant, d'après la Bible, les traces de ce nom auguste parmi les Gentils.

Akisch, roi de Gat, fait à David un serment dans les termes qu'emploierait un fidèle israélite: « L'Eternel est vivant! tu es un homme droit, etc. [22] ». Plus tard nous voyons Huram, roi de Tyr et ami de Salomon dire dans sa lettre à ce dernier: « Béni soit l'Eternel, le Dieu d'Israël, qui a fait les cieux et la terre [23] ». Le Dieu d'Israël est ici reconnu comme le Dieu universel, nouvelle preuve que ces deux caractères ne paraissaient pas incompatibles au païen qui s'exprime ici. Quel que soit le degré d'authencité que l'on veuille accorder aux Chroniques, Il nous suffit de pouvoir établir par ce texte, d'une part que l'idée du Dieu d'Israël et de ses rapports avec l'humanité, qui a prévalu dans l'ancien judaïsme a bien le caractère d'universalisme que nous affirmons et, d'autre part que cette idée n'était pas entièrement étrangère aux Gentils.

Non seulement le Dieu d'Israël était connu dans la gentilité, mais la Bible nous y signale l'existence d'un sacerdoce légitime [24] de ce Dieu universel. Elle qualifie Melchisédek de « prêtre du Dieu Très-haut »[25]. La ville de Salem dont ce pontife était le roi est vraisemblablement Jérusalem, nommée aussi Salem dans les Psaumes. Il faut noter que les rois de la ville sainte ont toujours porté le titre de Melchisédek ou Adonisédek et le souverain de la Jérusalem future sera appelé, dit Jérémie, Adonaï-Sidkénou (l'Eternel, notre justice) [26]. N'est-il pas remarquable que le centre du culte du vrai Dieu ait été établi à Jérusalem où avait régné jadis le culte de Melchisédek? Le choix de cette ville comme métropole religieuse et politique d'Israël, le siège du monothéisme juif fixé dans un lieu précédemment consacré par le culte des gentils, et cela sans que le fondateur du mosaïsme ou les rédacteurs de ses écrits sacrés, quels qu'ils soient d'ailleurs, aient éprouvé aucune répugnance, quel argument en faveur de l'universalisme israélite !

Et quel est donc ce « Dieu Très Haut » dont Melchisédek est le pontife? Sans aucun doute c'est celui qu'Abraham adore en cette circonstance, c'est celui de Moïse qui raconte le fait, c'est le Dieu d'Israël que les écrivains de tous les temps ont désigné sous le même nom. Aussi ne semble-t-il pas que Moïse appelle intentionnellement ainsi le Dieu des Gentils dans ce passage du Deutéronome: « Quand le Très-Haut [27] donna un héritage aux nations, quand il sépara les enfants des hommes, il fixa les limites des peuples d'après le nombre des enfants d'Israël[28]»? De même au psaume LXXXII, 6: « J'avais dit vous êtes des dieux; vous êtes tous des fils du Très-Haut [29] ».

La dignité dont Melchisédek est revêtu est si haute et si légitime qu'Abraham, honoré pourtant des révélations divines la reconnaît et qu'il offre la dîme à ce pontife dont il reçoit la bénédiction. Nous verrons que, d'après les rabbins, Abraham a même reçu de Melchisédek, comme nous le disions plus haut, la consécration sacerdotale. Et certes, qui donc méritait mieux le sacerdoce universel que celui qui plaçait ainsi la dignité de l'humanité au dessus de la gloire particulière de sa race!

Les patriarches eux-mêmes ne craignaient pas de s'adresser aux oracles des gentils, comme c'est le cas pour Rébecca qui, dans [30] un milieu exclusivement païen alla, « consulter l'Eternel [31] ». Et si les patriarches rendent hommage à ces oracles en les consultant, Moïse en garantit la véracité, lorsqu'il ajoute au verset suivant: « Et l'Eternel lui dit: Deux nations, etc. ». D'ailleurs, d'après ce que la Bible nous raconte d'Abimélech, de Laban, de Pharaon, etc., nous voyous qu'on admettait formellement que les païens étaient l'objet de manifestations divines et les voyants d'Israël ont annoncé, pour la fin des temps, des visions et des révélations communes à tout le genre humain: « Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair[32]», ce qui montre que, pour l'hébraïsme, l'universalisme présagé par les origines de l'humanité est le but final auquel il tend.

References

  1. Genèse, XIX, 14.
  2. Ibid, XX, 4.
  3. Page 102
  4. Ibid, XX, 11, 13. Le verbe התעו est au pluriel.
  5. Bible, trad., vol. I, p.54
  6. Page 103
  7. Genèse, XXIV, 31.
  8. Ibid. XXXIV, 50.
  9. Exode, XVIII, 10, 11.
  10. Nombres, XXII, 18.
  11. Page 104
  12. Nombres, XXIII, 1.
  13. Ibid. XXXIII, 19.
  14. L'auteur, d'après la prescription religieuse de ne pas prononcer le véritable nom de Dieu et suivant l'usage des Rabbins du Talmud, indique par Avaya (tire du verbe être), le nom tétragramme de Dieu - YKVK – que, selon les voyelles du textes massorétique, on lit le plus souvent Adonaï , quelquefois Elohim , que la libre critique lit </i>nnnnnn</i> ou autrement et que l'on traduit habituellement Eternel ou même Seigneur. (Note des éditeurs).
  15. יהא שמה רבה מברך
  16. Chap. XIX, V, 18.
  17. Page 105
  18. Exode, V. 2.
  19. II, Chroniques, XXXVI, 4.
  20. Page 106
  21. Il s'agit dans ce passage du verset 4 du 6e chap. du Deutéronome qui est devenu, comme on sait, la profession de foi israélite.
  22. I Sam. XXIX, 6
  23. II Chron. II, 12.
  24. Page 107
  25. Genèse
  26. Jérémie, XXIIII, 6.
  27. Littéralement: quand Elion - עליון- donna.
  28. Deutéronome, XXXII, 8
  29. Littéralement: Fils d'Elion, ובני עליון כלכם
  30. Page 108
  31. Genèse, XXV, 22.
  32. Joël, II, 28