Israël et L'Humanité - Unité et diversité

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CHAPITRE SEPTIÈME

LA RELIGION UNIVERSELLE

DANS LA DOCTRINE DU JUDAÏSME

LA LOI NOACHIDE

I.

Unité et diversité.

Il existe donc, d'après les enseignements du judaïsme, une loi mosaïque à laquelle Israël seul est soumis et une loi universelle, appelée par les Rabbins noachide et destinée à tout le reste de l'humanité, double aspect d'une seule et même Loi divine. C'est là ce qui résulte, croyons-nous, de toutes nos précédentes études. Mais cela n'est-il pas en contradiction avec notre conception de l'unité du genre humain? En réalité, la solution de la difficulté se trouve dans l'objection elle-même.

Qu'est-ce en effet que l'humanité? Sans doute, c'est une unité véritable comme nous l'avons démontré, mais elle offre aussi des variétés incontestables et, en conséquent, la Loi doit présenter également cette double qualité d'unité, afin de répondre à ce qu'il y a de foncièrement uniforme dans le genre humain, et de diversité, afin de satisfaire d'autre part les tendances variées que manifeste la nature humaine dans ses grandes divisions ethniques et géographiques, aussi bien que dans ses différences nationales et individuelles. Cela est si vrai que nous voyons des philosophes rationalistes confirmer notre théorie tout en partant d'autres principes que les nôtres. Cantoni, par exemple, rattache la dualité de la loi [1]commune et particulière, d'un côté à la nature universelle et consistante des hommes à laquelle correspondent, dans l'ordre des choses, certaines lois immuables, régulatrices de tous les changements, et de l'autre côté, aux variations successives de l'humanité, on pourrait ajouter aussi plus exactement aux modifications même simultanées dont celle-ci nous présente le spectacle [2]

Toutes les branches de l'activité humaine s'accordent avec les témoignages de l'histoire universelle pour nous montrer que les différentes races avec leur génie spécial, leurs aptitudes variées, et tous les groupements humains diversement conditionnés par les traditions, les besoins, les influences du milieu sont le résultat de causes préhistoriques qui ont façonné la nature physique et morale des hommes et imprimé un sceau particulier sur toutes les manifestations de la vie sociale. S'il en est ainsi, la manière de concevoir la vérité religieuse et la forme du culte doit nécessairement différer selon les temps et les lieux et, tout en demeurant invariable dans les principes fondamentaux répondant au caractère général de l'humanité, la religion doit prendre aussi chez les divers peuples de la terre les aspects qui s'harmonisent le mieux avec leur tempérament particulier. « Il y a, dit Marsile Ficin, une religion naturelle, patrimoine commun du genre humain (c'est ce que nous appelons la vraie religion catholique ou noachide) et tous les cultes ont quelque chose de bon ». Il ajoute que la diversité des religions est harmonieuse et contribue à la beauté du monde moral. Nous avons cité à ce propos les paroles non moins éloquentes d'autres écrivains et notamment celles de Symmaque qui les résument toutes: « Le mystère dont il s'agit est trop grand pour que l'homme y puisse parvenir par un seul chemin ».

Mais, nous dira-t-on non sans une apparence de raison, ce qu'on obtient ainsi, c'est la multiplicité des cultes et la religion mosaïque ne figure là et n'y peut figurer que comme une simple unité parmi tant d'autres. Enfin il n'existe entre les divers groupements religieux aucun lien d'organisation soit entre eux, soit par rapport au judaïsme, en sorte que l'on ne voit pas comment tout cela peut s'accorder avec la conception d'un culte sacerdotal propre à Israël et d'une religion laïque de l'humanité.

L'accord est cependant plus aisé qu'on ne le pense. D'abord il suffirait à la rigueur pour le but que nous nous proposons, qui [3]est de démontrer les tendances universalistes du judaïsme, il suffirait, disons-nous, que les Juifs se fussent bien réellement fait de leur propre religion l'idée que nous indiquons, quelque opinion que professe d'ailleurs à cet égard la science indépendante. En second lieu, les savants eux-mêmes sont loin de nous contredire, car ils reconnaissent aussi sous la variété des cultes un fonds commun à tous. N'est-ce pas là déjà, une dualité? Nous disons précisément que la religion d'Israël est la gardienne de ce fonds commun, qu'elle se modèle sur lui et qu'en tout cas elle sert à relier entre elles toutes les autres religions réunies ainsi au sein du judaïsme comme dans leur foyer et leur centre.

Nous avons rapporté plus haut les paroles de Philon et de Josèphe déclarant l'un et l'autre que les lois de Moise se trouvent partout et que tous les peuples y ont puisé, soit pour les dogmes, soit pour la pratique. C'est faute d'avoir saisi le sens de cette allusion que l'on a cru pouvoir reprocher à l'un et à l'autre un «excès de naïveté qui fait peu d'honneur à leur jugement [4] ». L'accusation serait fondée, si les deux philosophes avaient eu en vue le mosaïsme proprement dit, quoique à vrai dire, même dans ce sens plus restreint, on puisse retrouver, comme les découvertes modernes en font foi, des analogies aussi nombreuses que surprenantes dans les religions les plus lointaines et les plus disparates. Mais telle n'était point la prétention des deux Juifs hellénistes. Jamais un Israélite, si peu versé qu'il fût dans la connaissance de sa religion, n'aurait dit que les lois de Moïse ont été imitées partout, et encore moins qu'elles sont obligatoires pour tout le monde. La distinction entre le noachisme et le mosaïsme était élémentaire en Israël et personne n'aurait méconnu les principes du judaïsme au point d'approprier la religion noachide à la nation israélite ou d'étendre les lois mosaïques à toute la Gentilité. Le christianisme seul nous présente à ses origines l'exemple de cette double erreur qui a consommé la rupture entre l'Eglise et la Synagogue. Celle-ci au contraire a toujours maintenu fermement la distinction entre les deux lois et de leur côté, Josèphe et Philon, quelles que fussent d'ailleurs leurs idées particulières, y demeuraient l'un et l'autre fidèles. Renan a bien saisi la véritable intention des deux Juifs hellénistes: il a vu dans leurs paroles la trace de la croyance à cette religion universelle que le judaïsme enseignait sous le nom de noachisme. [5]


References

  1. Page 613
  2. Anthologie, Juin 1869, p. 277.
  3. Page 614
  4. Nicolas, Revue de l'histoire des religions, tome V, p. 323.
  5. Page 615