Israël et L'Humanité - Astrolâtrie et angélologie

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CHAPITRE NEUVIÈME

L'IDÈE DES "SARIM" OU ANGES GARDIENS

DANS LE MONOTHÉISME JUIF

I.

Astrolâtrie et Angélologie.

Nous avons vu précédemment que les dieux du paganisme n'étaient, au point de vue juif, que des aspects partiels, des attributs particuliers de la Divinité et qu'ils formaient ainsi autant d'éléments constitutifs de l'Unité ou synthèse suprême adorée par Israël. Il ne paraît pas douteux que ces divinités païennes s'identifiaient pour les Juifs avec les anges, qui sont fréquemment nommés, dans la Bible les El-ohieme , le même mot servant à désigner également les dieux des Gentils. Il est peu vraisemblable de soutenir que si les anges portent souvent ce nom d'El-ohieme, dieux, c'est qu'ils étaient aux yeux des Hébreux de véritables divinités; l'équivoque résultant d'appellations telles que celle-ci semble plutôt avoir occasionné leur divinisation postérieure.

Quoi qu'il en soit, les critiques modernes reconnaissent eux-mêmes cette identité des anges et des dieux. M. Havet nous dit à propos des traces de monothéisme existant chez les païens: « Il est vrai qu'au-dessous de ce dieu, ils en reconnaissaient d'autres, mais ces dieux inférieurs n'entraient pas en comparaison avec leur père et leur maître. Ils n'étaient que des ministres ou plutôt des manifestations de ce qu'un appelait d'un nom unique, la divinité. En un mot, c'étaient des anges. Ce n'est pas moi qui parle; c'est un père de l'Eglise, Augustin, qui nous dit en propres termes: les dieux que nous, nous appelons des anges d'un nom moins [1]haut, deos quos nos familiarius angelos dicimus[2] Si telle a été chez les païens la manière de comprendre leurs dieux, à plus forte raison, dut-il en être ainsi pour les Juifs chez qui le sens unitaire beaucoup plus développé et plus fort facilitait naturellement l'assimilation.

Mais les anges et les sarim de la Bible sont-ils une seule et même chose? Si ce dernier mot ne désignait que les principautés célestes et non pas les anges indistinctement, nous ne lirions pas dans les Psaumes: « J'avais dit: Vous êtes des El-ohieme , vous êtes tous les fils d'Elion, cependant vous mourrez comme les hommes, vous tomberez comme n'importe lequel des sarim [3]. Le rôle de gardien, manifestement attribué aux anges dans les Ecritures, rapproche incontestablement leur fonction de celle des sarim préposés précisément par Dieu à la garde de chaque nation. « Il est écrit, dit le Zohar: Quiconque maudira ses dieux portera la peine de son pêché [4]. C'est que, bien qu'il s'agisse des dieux étrangers, c'est Dieu qui les a chargés du gouvernement du monde » [5]

La façon uniforme dont les écrivains sacrés confondent les dieux, les anges et les sarim doit nous convaincre que ces noms divers expriment pour eux une conception unique. Il nous montrent en effet l'Eternel exerçant sa justice tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre des sarim ,en même temps que sur le peuple auquel ils président. Les dieux de l'Egypte par exemple sont châtiés aussi bien que la nation persécutrice. Dans la Prophétie d'Isaïe les rois de la terre et l'armée des cieux sont visités par Dieu simultanément et Daniel, de son coté, nous dit que les peuples luttent, triomphent ou succombent sur la terre, tandis que les puissances angéliques en font autant dans le ciel.

Qu'est-ce donc exactement que les sarim d'après les conceptions bibliques? Le nom même d'El-ohieme que portent les anges dans le Pentateuque laisse supposer qu'ils ont un rôle divin à remplir chez le peuple confié à leur garde et n'est-ce pas pour cette raison qu'ils sont même appelés parfois du nom incommunicable d'Avaya qu'ils représentent en vertu du mandat dont ils sont investis? Ce n'est pas tout. Nous trouvons dans le Pentateuque un texte extrêmement important: « Veille sur ton âme, de peur que, levant tes [6]yeux vers le ciel, et voyant le soleil, la lune et les étoiles, tu ne sois entraîné à te prosterner devant eux et à adorer ceux que l'Eternel, ton Dieu, a distribués à tous les peuples qui sont sous tous les cieux [7]. Il est ici question des astres et nulle mention n'est faite des anges qui nous occupent présentement. Mais de même qu'il est hors de doute que Moïse et les Israélites ont cru à l'existence des esprits angéliques, il semble impossible de nier que ceux-ci se trouvent sous entendus dans ce passage. Moïse qui prévoit les aberrations idolâtriques auxquelles l'astrologie pouvait donner naissance, n'aurait-il pas, à plus forte raison, prémuni son peuple contre le culte des anges ou la démonolâtrie, si tout cela c'était compris dans les recommandations que nous venons de citer? Toute obscurité cesse dès l'instant que l'on admet que, sous les corps célestes dont il parle, se cachent pour le législateur hébreu les anges ou esprits préposés chacun à la garde d'un peuple de la terre, autrement dit ces attributs ou forces suprêmes du Dieu unique et universel qui, dans chaque partie comme dans tout l'ensemble, est l'âme de la création. Et il en déroule cette conséquence que dans la pensée de Moïse, l'Eternel est pour le cosmos tout entier ce que chaque ange est pour l'astre qu'il gouverne et anime.

Cette manière de concevoir la vie des astres est si peu absurde que nous la retrouvons chez Aristote et même chez les philosophes modernes. « Les corps célestes, dit Hartmann, sont en réalité des organismes. Lorsqu'ils meurent, l'individualité disparaît en eux comme chez les animaux et les plantes »[8] Gœthe avait déjà dit, dissimulant sous une image gracieuse une idée théologique plus profonde: « Je ne serais nullement étonné si, dans la suite des siècles, je rencontrais Wieland monade d'un autre monde, étoile de première grandeur; éclairant tout ce qui l'entoure d'un jour aimable. De telles âmes prennent part aux jouissances des dieux en s'associant à la félicité qu'ils goûtent comme forces créatrices. A elles est confiée l'œuvre perpétuellement nouvelle de toute création ». La même idée, que l'on peut signaler également chez Socrate et chez Pythagore a été rajeunie et présentée sous une forme rationnelle par un penseur moderne qui écrit: « Je suis quelquefois hanté de l'idée que chaque globe possède une vertu spéciale de création, qu'il a sa puissance et son génie, lesquels éclatent à sa [9] surface en une série d'existences et d'êtres divers. Chaque monde recélerait ainsi une sorte de divinité » V. Havet, Le Christianisme et ses origines , vol. I, p. 148. </ref>

Ces théories sur la vie des astres, sur l'âme de la terre, sans avoir la valeur des démonstrations rigoureusement scientifiques, sont cependant tout autre chose qu'un produit exclusif de l'imagination. Il faut y voir les rayons convergents des différentes sciences, physique, chimie, biologie, astronomie, qui ont amené les esprits à concevoir, comme couronnement du majestueux édifice des connaissances humaines, cette suprême analogie dans laquelle se révèle la loi de l'unité de plan pour toutes les parties de l'univers matériel et du monde spirituel. Or Moïse a eu la sublime intuition des conclusions de la science lorsque, entrevoyant des forces divines sous les astres du firmament, il a affirmé le principe essentiel de l'angélologie en même temps qu'il prémunissait son peuple contre les dangers de l'astrolâtrie: « De peur que, levant tes yeux vers le ciel, et voyant le soleil, la lune et les étoiles, tu ne sois entraîné, à te prosterner devant eux et à adorer ceux que l'Eternel, ton Dieu a distribués à tous les peuples qui sont sons les cieux ».

Ce sont là, en effet des paroles très significatives et soit que l'on veuille reconnaître dans cette idée de distribution providentielle des astres, des anges ou des dieux, il est remarquable qu'au lieu de dire que les peuples leur sont donnés en partage, selon une expression très fréquente du langage biblique, le texte affirme au contraire qu'ils sont eux-mêmes distribués aux divers peuples; ainsi le dieu ou l'ange est la possession de chaque nation plutôt que la nation elle-même la possession de l'ange ou du dieu. Il n'y a rien là qui doive surprendre si l'on veut bien se souvenir que, d'après la conception hébraïque, la notion complète du vrai Dieu se trouve distribuée, nous l'avons dit, d'une manière fragmentaire, à l'adoration des différents peuples et que, par conséquent, ce sont des conceptions variées et incomplètes de la Divinité que représentent les dieux des Gentils.

Le sens de ce passage du Deutéronome nous paraît indirectement confirmé par ces paroles de Moïse aux Israélites qui suivent immédiatement: « Mais quant à vous, l'Eternel vous a pris et vous a fait sortir de la fournaise de fer, de L'Egypte, afin que vous fussiez un peuple qui lui appartînt en propre, comme vous l'êtes aujourd'hui [10]». Qu'est-ce à dire? Faut-il voir là une justification [11]des critiques rationalistes qui font d'Avaya le dieu exclusivement national des Hébreux? Ceux qui le supposeraient un instant ne pourraient garder longtemps cette illusion; en effet, de même que les autres nations ont une divinité tutélaire spéciale, les Israélites ont pour Dieu unique Avaya qui, en les délivrant de la servitude d'Egypte, se les est attachés d'une manière toute particulière, mais c'est Avaya lui-même , il ne faut pas l'oublier, qui distribue aux autres peuples leurs divinités nationales, en sorte que son souverain empire se trouve affirmé sans contestation possible au moment même où l'on croyait pouvoir le nier.

Un autre texte qui appartient également au Deutéronome mérite d'être cité à l'appui de cette théorie des anges ou dieux nationaux. Nous le trouvons au chapitre du renouvellement de l'alliance en ces termes: « Les générations à venir, vos enfants qui naîtront après vous et l'étranger qui viendra d'une terre lointaine, à la vue des plaies et des maladies dont l'Eternel aura frappé ce pays, toutes les nations diront: Pourquoi l'Eternel a-t-il ainsi traité ce pays? pourquoi cette ardente, cette grande colère? Et l'on répondra: C'est parce qu'ils ont abandonné l'alliance contractée avec eux par l'Eternel, le Dieu de leurs pères; c'est parce qu'ils sont allés servir d'autres dieux et se prosterner devant eux, des dieux qu'ils ne connaissaient point et que l'Eternel ne leur avait point donnés en partage » [12]. Quoi donc! l'étranger, le païen est censé parler ici comme le ferait l'israélite lui-même . Il reconnaît ainsi qu'il existe un Dieu Suprême, l'Eternel; adoré par Israël et que les divinités subalternes que lui-même adore gouvernent par l'ordre de ce Dieu les autres nations.

Ce passage ne laisse subsister aucun doute, sur le sens du précédent où il était question des astres, car le même mot est employé dans l'un et dans l'autre pour désigner la distribution [13]Ceux qui comprennent l'hébreu saisiront mieux l'évidente analogie des deux textes faite par Dieu aux Gentils des sarim , anges gardiens, où nous croyons pouvoir distinguer les diverses nations de la Divinité.[14]


References

  1. Page 239
  2. Le Christianisme et ses origines, tome II, p. 313.
  3. Psaume LXXXII, 6-7
  4. Levitique, XXIV, 15
  5. Zohar, 3, 106.
  6. Page 240
  7. Deutéronome, IV, 19.
  8. Philosophie de l'inconscient, vol II, p. 183.
  9. Page 241
  10. Deutéronome , IV, 20.
  11. Page 242
  12. Deutéronome, XXXIX, 22-25.
  13. Au chap. IV, vers. 14 on lit: ועברתם אשר חלק י-----י א-ל---קיך אתם XXXIX, et au chap.XXXIX, vers. 25: א-ל---ו—קים אשר לא ידעם ולא חלק להם
  14. Page 243