Israël et L'Humanité - Balaam

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§ 2.

BALAAM.

Cette figure de Balaam mérite de nous arrêter quelques instants. Elle appartient en effet aux deux époques: celle où l'inspiration divine se trouve encore dans la Gentilité et celle où elle a disparu. Le fils de Beor marque la séparation. Il commence par être prophète et finit par devenir devin [1]. Mais sa qualité première de véritable prophète ne saurait être mise en doute. Elle s'imposait avec une telle force aux Juifs eux-mêmes que dans leur amour-propre national ils ne craignaient pas, pour expliquer ces faveurs de Dieu pour les autres peuples, de les comparer à un amour clandestin qui se cache dans les ténèbres: « L'Esprit Saint ne visitait Balaam que durant la nuit, ainsi que tous les prophètes des Gentils, comme Laban à propos duquel il est écrit: Dieu apparut la nuit, en songe, à Laban, l'Araméen, et lui dit: Ainsi en est-il d'un homme qui se cache pour faire infidélité à son épouse » .

Mais néanmoins l'inspiration de Balaam est exaltée ailleurs par les commentateurs beaucoup plus que ne le fait l'Ecriture elle-même : « Moïse, dit le Jalcut, possédait trois choses qui manquaient à Balaam, mais Balaam avait trois qualités dont Moïse était privé ». C'est déjà beaucoup, mais ce n'est pas assez encore. Le Sifrè, avec une complaisance visible, énumère ce que Balaam, avant sa déchéance, possédait de supérieur à Moïse. Il fait remarquer tout d'abord que la Thora ne dit pas d'une manière formelle qu'il n'y a jamais eu au monde de prophète supérieur à Moïse; elle déclare seulement qu'il n'en a pas existé en Israël. Et les Rabbins tirent de là cette conséquence de nature certainement à effrayer toute autre orthodoxie que la leur, que chez les peuples gentils il y en a en, par exemple Balaam, fils de Beor. Voici, ajoutent-ils, en quoi celui-ci surpassait Moïse. Moïse ne savait pas ce que Dieu lui disait, tandis que Balaam le savait. Moïse ignorait quand Dieu devait lui parler, Balaam en était instruit. Moïse ne recevait les communications de Dieu que debout, Balaam en était favorisé quand il était couché.

Il ne faut pas croire d'ailleurs que la fierté juive a toujours accepté cette haggada dans le sens qu'elle présente tout naturellement.[2] C'est ainsi que Nahmanide s'est efforcé de lui donner une signification toute différente, en alléguant que l'attitude de Balaam marque en réalité son infériorité vis-à-vis de Moïse qui, pendant les révélations divines, se tenait debout comme le serviteur, le ministre du Seigneur. Il est facile de répondre à cela que cette différence peut tout aussi bien être interprétée en faveur d'une supériorité de Balaam, comme l'exige au surplus sans aucun doute le contexte. Dans ce cas comment concilier cette supériorité avec la mission de Moïse et l'excellence de sa doctrine? Les Rabbins, dans cette légende, ont pu avoir en vue simplement la forme de la révélation, indépendamment de son contenu. Il s'agit peut-être aussi d'un degré subalterne que Balaam aurait occupé et où il aurait par conséquent connu des choses dont n'avaient point à se préoccuper des prophètes d'un rang spirituel plus élevé. C'est ce que semble indiquer la comparaison par laquelle se termine cette haggadaà propos de Balaam. «Ainsi en est-il, dit-elle, de celui qui a le soin de la table du roi; il sait dire exactement ce que le roi dépense chaque jour » .

Quant à une égalité entre Moïse et Balaam qui semble être dans l'esprit des Docteurs, on peut l'entendre d'une manière très raisonnable comme l'ont fait certains commentateurs, c'est-à- dire que pour eux Balaam remplit chez les Gentils le rôle et occupa la même place que Moïse en Israël.


References

  1. V. Talmud, traité Sanhédrin, XI, 106.
  2. Page 450