Israël et L'Humanité - Choix de Jérusalem comme contre religieux du monde

From Hareidi English
Jump to: navigation, search

III.

Choix de Jérusalem comme centre religieux du monde.

§ 1.

Il reste donc établi que la présence d'une loi universelle, au soin de l'hébraïsme, est un phénomène religieux unique dans l'histoire et qu'aucune autre nation n'a reconnu, comme Israël, l'existence légale d'une classe de citoyens parfaitement en règle avec la religion officielle sans être cependant nullement soumis à ses ordonnances. Mais les lois mosaïques elles-mêmes, qui ne concernent ainsi que les seuls Israélites, portent-elles également l'empreinte de cet esprit universel que nous attribuons à l'hébraïsme en général? Voilà ce qu'il importe de rechercher maintenant.

Avant d'étudier en détail le culte juif, examinons tout d'abord le siège de ce culte, Jérusalem, et voyons ce que cette ville a été [1]avant de devenir la capitale d'Israël et ce qu'elle fut ensuite après la constitution du royaume. Ce qui s'applique à la ville sainte en particulier peut parfaitement se généraliser et s'étendre ainsi à la Palestine tout entière représentée par son centre politique et religieux. Il est clair par exemple que la position centrale attribuée à Jérusalem dans le monde et la signification qu'on lui donne au point de vue religieux conviennent également à toute la patrie israélite. Les Rabbins, à propos des trente et un rois qui se partageaient la Palestine au temps de Josué, nous disent que c'étaient là de puissants monarques dominant sur de vastes contrées de l'Asie, mais que les plus grands rois de la terre ne croient pas avoir assez fait pour tour gloire tant qu'ils ne se sont pas rendus possesseurs de quelques arpents de terrain dans la métropole juive. C'est ainsi que de nos jours encore nous voyons les grandes puissances représentant les religions bibliques, catholiques, protestantes et musulmanes, s'efforcer de se ménager une influence clans les Lieux saints, tellement les Docteurs avaient eu une exacte intuition des destinées futures de Jérusalem!

C'est pareillement à Jérusalem et à la Palestine que s'applique la paraphrase rabbinique sur ces paroles de Moise: « C'est un Pays dont l'Eternel, ton Dieu prend soin et sur lequel l'Eternel ton Dieu, a continuellement les yeux [2]». Est-ce à dire, demandent les commentateurs, que Dieu ne s'occupe que de ce seul coin de terre ? Non, répondent-ils, c'est que grâce au soin spécial qu'il prend de la Terre Sainte, Dieu exerce sa providence envers tous les autres pays. L'idée éminemment universaliste que le texte en apparence si exclusif du Pentateuque suggère aux Docteurs caractérise admirablement, à notre avis, le véritable esprit du judaïsme. Et nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que cette idée d'un pays, qui n'est nullement privilégié au mépris des autres, mais qui se trouve choisi au contraire comme un moyen de grâce, de bénédiction pour le monde entier, est la pensée dominante de toute la Loi, écrite et orale, en commençant par Abraham en qui doivent être bénies toutes les races, pour finir par le Messie qui apportera, en même temps que la délivrance à Israël, la connaissance de la vérité à tous les Peuples.

Dans le choix qu'Israël a fait de Jérusalem comme capitale, il faut assurément distinguer l'histoire de la simple légende, bien [3]que celle-ci soit loin d'être dépourvue de valeur au point de vue de l'idée universaliste, puisqu'elle prouve au contraire que l'esprit juif s'est ingénié à construire tout un passé merveilleux dans lequel il pouvait retrouver les éléments de ses aspirations. Il y a tout d'abord un fait qui frappe par son importance autant que par sa singularité; c'est que, dans tout le Pentateuque, on ne rencontre aucune mention explicite de Jérusalem comme siège futur du sanctuaire. Ce siège est simplement indiqué d'une manière générale comme «le lieu que l'Eternel choisira [4] ». Mais ces mots prouvent déjà que le choix de ce lieu n'est pas indifférent, puisqu'il n'est pas abandonné au hasard ou à la volonté des hommes, mais confié à l'élection divine, les dispositions humaines devant du moins rentrer dans les vues providentielles comme il arrive si fréquemment dans les récits de la Bible.

Le texte sacré ne semble-t-il pas prouver cependant qu'on ignorait ou que l'on méconnaissait l'histoire de Jérusalem et les titres que cette ville pouvait posséder pour devenir le centre religieux d'Israël? Il n'en est rien, car en dehors même de toute inspiration prophétique, il était naturel de prévoir que durant toute la période fort longue de la conquête, le siège du culte national ne pouvait être établi à Jérusalem, mais bien dans les localités que les circonstances devaient désigner tour à tour. L'écrivain sacré devait donc nécessairement employer une expression qui consacrât plus tard la légitimité du culte dans la capitale définitive d'Israël, en même temps qu'elle sauvegardait la vénération due aux lieux où le tabernacle devait être provisoirement dressé. C'est là, croyons-nous, une raison assez plausible du silence observé par Moïse sur les destinées futures de Jérusalem. Maïmonide en signale encore quelques autres dont la meilleure est qu'il importait d'éviter tout ce qui pouvait être un prétexte à jalousie entre les tribus d'Israël à une époque où il devenait plus que jamais nécessaire de maintenir entre elles la bonne harmonie.

Mais le silence de la part de Moïse est-il complet et les Juifs étaient-ils dans l'ignorance totale de l'avenir religieux de Jérusalem? Cela est inadmissible, car dans cette hypothèse les faits, les allusions qui, dans le Pentateuque, font présager l'élection de la ville sainte resteraient sans aucune explication. Il est plus vraisemblable de supposer que la tradition avait déjà désigné Jérusalem comme la [5]ville la plus digne de ce choix éminent et que Moïse avait donné des instructions en ce sens à ses plus intimes confidents, comme il y a tout lieu de croire qu'il le fit pour beaucoup d'autres questions. C'est ainsi que nous lisons dans l'Exode après la victoire remportée à Rephidim sur Amalek. « Ecris cela dans le livre pour que le souvenir s'en conserve et confie à l'oreille de Josué que j'effacerai la mémoire d'Amalek de dessous les cieux [6]». Ecrire dans le livre et confier à l'oreille de Josué semblent deux choses parfaitement distinctes. Ce qui devait être écrit dans le livre, c'était soit le récit des événements, soit même le sort réservé à Amalek, mais les prescriptions à ce sujet devaient faire l'objet d'un enseignement particulier réservé naturellement à celui à qui l'exécution du décret divin allait être confiée. Ainsi faut-il entendre selon toute probabilité les paroles relatives au « lieu que l'Eternel choisira ».

Ne voyons-nous pas d'ailleurs que la Bible observe le même silence à propos de la Terre Sainte en généra1 dans les promesses faites à Abraham? « Va, lui dit le Seigneur dans le pays que je te montrerai ». Et Abraham se dirige aussitôt vers Canaan, bien que dans l'ordre qu'il reçoit de Dieu, tel du moins que le rapporte l'Ecriture, aucune mention expresse ne soit faite de cette rentrée. Le même fait se reproduit au moment du sacrifice que Dieu demande au patriarche pour le mettre à l'épreuve. « Prends ton fils, dit le texte, va-t-en au pays de Moria, et offre le en holocauste sur l'une des montagnes que je te dirai [7]». Cependant Abraham, sans recevoir apparemment aucune autre instruction, reconnaît de loin la montagne sur laquelle il doit conduire Isaac. Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'étonner de voir Salomon, dans sa magnifique prière, parler de Jérusalem dans le passé, de la même manière que le Pentateuque lorsqu'il est question du lieu mystérieux destiné à devenir le siège du culte divin, comme si le choix de cette ville avait été arrêté de tout temps.

Mais ce qui est plus remarquable encore et confirme nos prévisions, c'est que dans les livres de Moïse eux-mêmes la secrète désignation de Jérusalem et du Temple n'est pas toujours au futur. N'est-on pas frappé par ces paroles du Cantique de l'Exode: « Tu les amèneras et tu les établiras sur la montagne de ton héritage, au lieu que tu as préparé pour ta demeure, ô Eternel! au sanctuaire [8] que tes mains ont fondé Exode, XX, 17. </ref> »? Si l'on objecte qu'il faut voir là une image poétique, nous rappellerons cet autre passage du même livre: « Voici, j'envoie un ange devant toi, pour te protéger en chemin, et pour te faire arriver au lieu que j'ai préparé [9]».

Ce n'est donc nullement le hasard ou un choix arbitraire qui a présidé à l'élection de Jérusalem comme centre religieux; c'est la volonté divine intervenant directement quand cela devint nécessaire, ou bien une ancienne tradition qui, d'avance, consacrait ce choix.

§ 2.


Si l'on cherche vainement dans le Pentateuque une mention explicite de Jérusalem comme future capitale, tout démontre cependant, à notre avis, que cette ville était destinée depuis longtemps dans la pensée des anciens Hébreux à jouer ce rôle grandiose.

Elle nous est décrire en effet comme le siège du culte du vrai Dieu, debout, avant l'apparition d'Israël, au milieu des ruines morales et religieuses que le paganisme avait accumulées de toutes parts. Les Juifs croyaient que leur personnage le plus illustre avant Moïse, leur premier ancêtre et le père des fidèles, Abraham, avait reconnu la légitimité du culte célébré à Jérusalem et lui avait rendu hommage en honorant la personne de son grand prêtre et en invoquant Dieu avec celui-ci sous le nom même dont on se servait en ce lieu, celui d'El Elion, Dieu très haut, titre qui était si bien attaché à ce culte antique qu'on ne le voit plus employé dans aucun autre endroit du Pentateuque. Ils croyaient également que ce grand prêtre était de leur race et, selon les Rabbins, Sem lui-même, ce qui prouverait que la Terre sainte appartenait primitivement aux Sémites, que les Cananéens y étaient par conséquent des intrus et que l'élection d'Israël n'est que l'élection même des Sémites et son prolongement, ou si l'on veut, une différenciation dans un même groupe à la façon dont procèdent toutes les évolutions soit physiques, soit morales. Renan, en parlant des anciens habitants de la Palestine, reconnaît qu'Abraham, lorsqu'il y pénétra, ne se trouva pas le premier de sa race, puisqu'il y rencontra un chef sémite et monothéiste comme lui, Melchisédek, avec lequel il fit alliance.[10]Quoi qu'il en soit de cette question, il est certain que l'Ecriture nous présente Jérusalem appartenant encore aux Gentils comme siège du culte véritable. Loin de supporter à contrecœur cette donnée biblique peu faite pour flatter l'amour-propre israélite comme ce serait le cas si la tradition était un produit de leur temps, les Rabbins qui s'en font les interprètes renchérissent au contraire avec une pieuse et incroyable hardiesse sur la sainteté de la Jérusalem des Gentils et sur la connaissance que ceux-ci avaient de ses glorieuses destinées. « Salem, dit Nahmanide dans un remarquable passage, c'est Jérusalem. Car il est écrit: Son tabernacle était à Salem, et son roi est appelé même au temps de Josué Adoni Tsédek, car dès cette époque les Gentils savaient que ce lieu était le plus auguste de tous, qu'il se trouvait au centre de la terre habitée et la tradition leur avait appris qu'il correspond ici-bas au Temple céleste où réside la majesté divine appelée Tsédek Cite error: Closing </ref> missing for <ref> tag».

Ainsi, d'après l'étymologie proposée par les Rabbins, on retrouve dans Jérusalem le Jiré d'Abraham et le Salem de Melchisédek et de ce double élément, l'un appartient à la Gentilité et l'autre à Israël. Dans cette coopération d'Israël et de l'humanité, l'idée d'une religion universelle, dont la ville sainte doit être le siège, apparaît déjà d'une manière admirable. «Abraham, disent les Docteurs qui insistent sur ce point avec complaisance, a appelé cette ville Jiré, et Sem, le fil de Noé, l'a nommée Salem. Le Saint, béni soit-Il, a dit: Je l'appellerai des noms qu'ils lui ont donnés tous les deux, c'est-à-dire Jiré-Salem » [11]

Nous devons signaler, pour les lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec la langue hébraïque, que la prononciation du nom de Jérusalem dans le texte sacré, Jeruschalaïm, est celle du duel, bien [12]que l'orthographe soit celle du singulier. Dans certains autres noms de localités dont la forme écrite est du moins plus conforme à la prononciation comme, Kirjathaïm [13], Mahanaïm [14]le duel grammatical répond à une dualité historique. S'il en est de même pour Jérusalem, nous demandons à quelle dualité ce nom correspond à son tour. Peut-être la question historique est-elle insoluble en ce qui concerne la ville sainte, mais la raison religieuse qui résulte du double élément, gentil et juif, entrant dans la composition de son nom, garde toute sa valeur et sa haute portée.

Ce qu'il y a de certain, c'est que le nom du roi de Jérusalem au temps de Josué était Adoni- Tsédek qui n'est autre que le nom du pontife Melchisédek, roi de Salem, sauf la substitution d'Adon à Mélek, au fond synonymes. Or, nous savons par Isaïe que le nom futur du Messie sera Adonaï-Tsidkénou, ou même encore simplement Tsidkénou (notre justice), soit Tsédek avec l'addition du pronom. Ce texte, rapproché d'un autre passage où il est prédit que Jérusalem sera appelée la cité juste, achève du nous persuader que ses rois, depuis Melchitsédek jusqu'au Messie, prennent un titre que renfermait le nom de la ville elle-même, Tsédek (justice). Ne voyons-nous pas d'ailleurs le prophète Jérémie appeler Jérusalem de ce même nom qu'Isaïe annonce pour son roi à venir: « Voici comment on l'appellera: Adonaï Tsidkénou (l'Eternel, notre justice) [15] »? Ce nom de Tsédek apparaît donc comme une sorte de titre dynastique pour tous les rois de Jérusalem, précisément comme Pharaon en Egypte et Abimélek chez les Philistins, et cela au temps d'Abraham comme à l'époque de David.

L'identité de Salem et de Jérusalem ressort également de déclarations presque formelles de l'Ecriture. Ainsi nous lisons au psaume LXXVI: « Dieu est connu en Juda, son nom est grand en Israël; son tabernacle est à Salem et sa demeure à Sion ». Le parallélisme hébraïque identifie évidemment ici ces deux derniers noms. Ailleurs il est dit à propos de l'exil de Juda: « Juda est emmené captif tout entier, Selomim est emmenée captive [16] ». Selomim, mot qui dérive de Salem ou Salom (la pacifique, la paix), ne peut désigner autre chose que Jérusalem et ce pluriel rappelle à n'en pas douter le duel de la prononciation usuelle, Jeruschalaïm. [17]Comparons enfin le nom de l'épouse du Cantique, Sulamit, avec celui de l'époux, Salomon (Selomo). On sait l'explication que l'Ecriture donne du nom du fils de David: « Il te naîtra un fils, qui sera un homme de repos, et à qui je donnerai du repos en le délivrant de tous ses ennemis, car Salomon sera son nom, et je ferai venir sur Israël la paix et la tranquillité pendant sa vie [18] ». N'est-il pas naturel de supposer que l'on a voulu exprimer la même idée par le nom de Sulamit donné à l'épouse du Cantique et qui se rapporte évidemment à Jérusalem? Tsédek et Salem, la justice et la paix, sont deux mots et deux choses qui s'associent volontiers dans le langage de la Bible: « La justice et la paix s'embrassent » dit le Psalmiste [19].

Puisque Salem et Jérusalem ne sont qu'une seule et même ville, il est impossible que les Israélites, sachant que le culte du vrai Dieu s'y était perpétué avant l'apparition d'Abraham et que leur ancêtre avait rendu hommage à ce culte et à son grand prêtre, Melchisédek, ne se soient pas attendus à la voir choisie comme le siège du culte mosaïque, précisément à cause des anciens titres qui la désignait pour ce rôle glorieux. Et s'il en est ainsi, comment méconnaître la preuve d'universalisme qui en résulte pour le judaïsme, puisque la désignation de la cité qui en devait être le centre puise sa raison d'être dans l'histoire de cette même ville comme siège du monothéisme de la Gentilité? Ainsi les deux religions se fondent en une seule; le monothéisme mosaïque se présente comme une simple continuation du monothéisme antérieur et Israël, en faisant de Jérusalem sa capitale religieuse, a maintenu le culte divin dans son centre traditionnel.


References

  1. Page 510
  2. Deutéronome , XI, 12.
  3. Page 511
  4. Deuter. XII, 5. 11. 14.
  5. Page 512
  6. Exode, XVII, 18
  7. Genèse XXII, 2.
  8. Page 513
  9. Exode , XXIII, 20.
  10. Page 514
  11. Bereschit Rabba , 36.
  12. Page 515
  13. Genèse, XIV, 5.
  14. Ibid. XXXII, 2.
  15. Jérémie, XXXIII, 16.
  16. Jérémie, XIII, 19.
  17. Page 516
  18. I Chroniques, XXII, 9.
  19. Psaume LXXXXV, 11.