Israël et L'Humanité - Comparaisons bibliques entre le Dieu dIsraël et les dieux du paganisme

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CHAPITRE SEPTIÈME

ANTIQUITÉ DU MONOTHÉISME MOSAÏQUE

DIEU ET LES DIEUX

I.

Comparaisons bibliques entre le Dieu d'Israël et les dieux du paganisme.

Ce ne sont pas seulement les noms divins, leurs pluriels, leurs anomalies grammaticales et leur multiplicité qui ont été allégués contre l'antiquité du monothéisme mosaïque. On a encore prétendu signaler une preuve de polythéisme dans les passages de la Bible où le Dieu d'Israël se trouvant comparé avec les dieux des Gentils, ceux- ci paraissent être considérés comme ses égaux.

Nous consacrerons la première partie de ce chapitre à l'examen des textes qu'on nous oppose. Mais tout d'abord nous devons éliminer tous ceux où les comparaisons en question sont faites par les païens eux-mêmes, car il est clair que l'on n'en peut tirer un argument. Lorsque par exemple Laban dit à Jacob: « Que le Dieu d'Abraham et le Dieu de Nachor, que le Dieu de leur père soit juge entre nous! » [1]le Dieu de Nachor est égalé à celui d'Abraham; mais en admettant qu'il ne s'agisse pas du même Dieu, nommé si souvent dans la Bible le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, il faut remarquer que Laban est seul à s'exprimer ainsi; non seulement Jacob n'adopte pas ce langage, mais il a soin de ne jurer que par Celui que craignait Isaac, en sorte que ce passage est plutôt une preuve de l'existence, chez les patriarches, du [2] monothéisme, avec lequel d'ailleurs le fétichisme s'est plus d'une fois allié sans le compromettre radicalement.

Nous commencerons par l'un des textes les plus souvent cités et qui a fourni prétexte aux plus sérieuses objections. Jephté, juge d'Israël, parlant au roi des fils d'Ammon, lui dit: « Ce que ton dieu Kemosch te donne à posséder, ne le posséderais-tu pas? Et tout ce que L'Eternel, notre Dieu, mis en notre possession devant nous, nous ne le posséderions pas !» [3] Kemosch et l'Eternel ne sont-il pas ici deux dieux considérés comme égaux en puissance? Disons d'abord que dans ce passage, comme dans la plupartdes textes polythéistes, les païens y sont pour quelque chose, en ce sens que le discours leur étant adressé, l'interlocuteur se place à leur point de vue et, dans ce cas spécial, Jephté a visiblement l'intention de rappeler au roi d'Ammon l'idée païenne des dieux nationaux et de l'engager à accepter le fait accompli en respectant ce que chaque divinité a fait en faveur de sa nation respective.Si le langage des personnages bibliques était toujours irréprochablement monothéiste, l'histoire sacrée devrait être regardée comme l'œuvre d'un âge sensiblement postérieur. Telle qu'elle est au contraire, elle se teint naturellement de la couleur de l'époque. Nous ne tarderons pas à voir aussi que les Israélites fidèles pouvaient s'exprimer plus ou moins à la manière de Jephté, sans pour cela trahir leur foi unitaire, car celle-ci contenait au nombre de ses doctrines essentielles, et sans offenser en rien le pur monothéisme, la croyance aux sarim , anges protecteurs préposés par Dieu aux destinées des nations.

Mais dans le texte qui nous occupe, le langage même de Jephté ne nous paraît pas impliquer que Kemosch était dans sa pensée l'égal du Dieu d'Israël, car dans la suite du message envoyé, au roi d'Amnon nous lisons ces paroles significatives: « je ne t'ai point offensé, et tu agis mal avec moi en me faisant la guerre. Que l'Eternel le Juge, soit aujourd'hui juge entre les enfants d'Israël et les fils d'Ammon! » [4]. L'Eternel est donc pris pour l'unique et véritable juge, même quand il s'agit d'un différend entre Ammon et Israël, son empire et sa juridiction s'étendant également sur l'une et l'autre nation. Cette fin du message a un caractère si franchement monothéiste qu'il n'est guère possible en vérité d'attribuer [5]les mots du début à une autre cause qu'à la nécessité de se conformer au langage des Gentils.

Un autre fait non moins capital suffirait à éloigner tout doute à cet égard, s'il en pouvait subsister. Nous voyons Moïse, s'adressant non pas à un roi païen, mais aux Israélites, attribuer cette même possession, dont Jephté fait honneur à Kemosch, au Dieu d'Israël et à nul autre qu'à lui. On lit en effet au Deutéronome: « Tu approcheras des enfants d'Ammon. Ne les attaque pas et ne t'engage pas dans un combat avec eux; car je ne te donnerai rien à posséder dans le pays des enfants d'Ammon: c'est aux enfants de Lot, que je l'ai donné en propriété » [6]. On nous objectera, peut-être que le Deutéronome n'est pas de Moïse, que ces croyances monothéistes étaient étrangères à Jephté et à son historien et que la contradiction entre les deux textes est la meilleure preuve de la composition récente du Pentateuque. Mais il est assez difficile de croire que le Deutéronome soit moins ancien que le livre des Juges et quand cela serait, Comment supposer que l'écrivain n'aurait pas modifié ce dernier ouvrage dans son propre sens? La phrase du Deutéronome se concilie aisément avec les paroles de Jephté, lorsqu'on interprète celles-ci au point de vue monothéiste, en faisant de Kemosch un de ces El-ohieme entre lesquels le livre de Moïse lui-même nous dit que Dieu a partagé le gouvernement des nations. Or il n'est pas d'une saine critique de rejeter une solution qui non seulement fait disparaître une apparente contradiction entre deux ouvrages, mais qui encore permet de les expliquer l'un par l'autre, et cela pour s'attacher à un autre système qui n'explique rien et qui laisse subsister la contradiction tout entière.

Les critiques modernes qui prétendent que les doctrines juives elles-mêmes étaient modifiées quand il s'agissait de les présenter aux Gentils sous un jour favorable, comme c'est le cas, nous dit-on, pour Philon et Josèphe, devraient être les premiers à admettre, chez les anciens Juifs, l'adoption du langage polythéiste, lorsqu'ils s'adressaient aux païens. C'est ce que ne craint pas de reconnaître à plusieurs reprises Warburton qui voit une concession faite aux préjugés contemporains chaque fois que le Dieu d'Israël paraît considéré comme une divinité locale et tutélaire.

Ce titre même de Dieu d'Israël, rapproché des passages de la Bible où il est question du Dieu d'Ammon, du Dieu d'Edom, etc., [7]a paru à certains auteurs une preuve que les anciens Juifs admettaient l'existence de plusieurs divinités. Il faudrait plutôt voir là une preuve en faveur de l'idée d'un Dieu national et ce n'est qu'indirectement, par voie de conséquence, que l'on en pourrait tirer un argument contre le monothéisme israélite. Nous examinerons ces textes et d'autres semblables, lorsqu'il s'agira de répondre à l'accusation faite au judaïsme antique de n'avoir été qu'une religion nationale, accusation que l'on prétend pouvoir baser sur la conception hébraïque de la Divinité. Bornons-nous présentement à étudier les passages qui supposent, une certaine comparaison entre le Dieu d'Israël et les dieux du paganisme.

Moïse dit par exemple à Pharaon: « Il en sera ainsi, afin que tu saches que nul c'est semblable à l'Eternel, notre Dieu » [8]et plus loin: « Afin que tu saches que nul n'est semblable à moi sur toute la terre » [9]Dans des cas comme ceux-ci, des païens jouant le rôle d'interlocuteurs ou d'auditeurs, on a pu, nous le répétons, accommoder le langage à leurs idées. Mais les passages qui contiennent des comparaisons de ce genre faites par les personnages bibliques eux-mêmes, sans que les Gentils y soient pour rien, ne peuvent être contestés et ne doivent point surprendre ceux qui savent l'extrême extension que le concept du divin avait chez les Hébreux et tout ce que ceux-ci comprenaient spécialement sous le nom d'El-ohieme . De telles expressions apparaissent alors comme une conséquence légitime de la croyance à la présence du divin dans le monde, autrement dit à l'immanence de Dieu dans la création, à la Schechina et, par suite, à ses manifestations dans tout ce qu'on entrevoyait, sous ce nom d' El-ohieme , de grand et de fort, de beau, de bon et de vrai.

Il ne faut pas oublier non plus que, du moment que l'on admet l'existence des sarim anges protecteurs, en qualité d' El-ohieme , ou divinités des nations, tout en les subordonnant au Dieu Très-Haut, il était naturel qu'on leur comparât le vrai Dieu, pour proclamer qu'il leur était supérieur. Se bornait-on par là à lui reconnaître simplement une dignité suréminente ou voulait-on affirmer au contraire que seul Il possédait le caractère absolument divin, qu'il était l'unique Dieu digne de ce nom, non plus par participation, mais par essence, et que tous les autres n'étaient que des rayons [10]détachés de sa lumière? Nous allons voir que cette dernière hypothèse est la seule vraie, non seulement quand il s'agit de professions de foi explicites en dehors de toute idée de comparaison avec les divinités païennes, mais dans ces sortes d'assimilations elles-mêmes qui nous révèlent parfois une intention très marquée chez celui qui parle d'atténuer ce qu'elles lui paraissaient avoir de choquant dans la forme.

Ainsi dans ce texte de l'Exode que nous venons de citer Moïse, après avoir dit à Pharaon: «Nul n'est semblable à Avaya, notre Dieu », lui dit une autre fois, comme pour corriger ce langage: « Afin que tu saches que la terre est à l'Eternel » [11]. Dans le cantique d'Anne nous lisons: « Nul n'est Saint comme l'Eternel » et aussitôt après: « Il n'y a point d'autre Dieu que toi » [12]. Pareillement dans la prière de David après la visite de Nathan: « Que tu es donc grand, Eternel Dieu! car nul n'est semblable à Toi! » et immédiatement l'écrivain sacré, comme s'il se reprenait, ajoute: « et il n'y a point d'autre Dieu que toi! » [13] Peut-on raisonnablement soutenir qu'un monothéisme si absolu à la fin de la phrase n'est que relatif au commencement?

Citons encore deux textes du Deutéronome: « Fut-il jamais un peuple qui entendit la voix d'El-ohieme parlant du milieu du feu, comme tu l'as entendue, et qui soit demeuré vivant? Fut-il jamais un dieu qui essayât de venir prendre à lui une nation du milieu d'une nation? » [14]. Mais l'écrivain est si loin de vouloir comparer ici des dieux, tous également dignes de ce nom dans sa pensée, qu'il revendique expressément au verset suivant le caractère divin pour un seul: « Tu as été rendu témoin de ces choses, afin que tu saches qu'Avaya est Dieu (El-ohieme), qu'il n'y en a point d'autre! » [15].

Quelques lignes plus haut, dans ce même chapitre, nous lisons: «Quelle est en effet la grande nation qui ait des dieux auprès d'elle. comme nous avons l'Éternel, notre Dieu, toutes les fois que nous l'invoquons ? » [16] Il s'agit ici, à n'en pas douter, de dieux proprement dits; les idées de prière et d'exaucement ne permettent pas d'y voir autre chose. Est-ce donc que Moïse reconnaît [17]l'existence d'autres divinités qu'Avaya? Assurément ce passage, comme beaucoup d'autres analogues, prouve que les dieux des Gentils n'étaient point pour Moïse des êtres imaginaires, un pur néant, et qu'au contraire il leur reconnaissait une existence réelle, mais il leur attribue si peu le véritable caractère de divinité qu'il proclame que L'Eternel seul est capable d'exaucer les prières. Ce que nous savons des doctrines de Moïse sur la création nous permet d'entrevoir ce qu'il a pu comprendre sous ce nom de dieux (El-ohieme), nous voulons dire les divers corps célestes ou plutôt les anges qui les animent et dont le prophète hébreu ne songe point à faire de véritables dieux, puisqu'il nous a raconté leur genèse, en nous rapportant celle des astres dont ils sont les esprits et avec lesquels les païens les ont si souvent confondus dans leur culte [18]

Sans doute le danger des comparaisons de ce genre est de donner à entendre qu'il peut exister dans la pensée de l'écrivain une certaine égalité, sinon de dignité, du moins de nature entre le Dieu d'Israël et les divinités païennes, mais que ces difficultés apparentes puissent s'expliquer sans que le pur monothéisme en demeure le moins du monde compromis, tout ce que nous avons dit jusqu'ici de la nature et de rôle des El-ohieme nous paraît l'avoir clairement démontré.


References

  1. Genèse, XXXI, 53.
  2. Page 201
  3. Juges, XI, 24.
  4. Juges , XI, 27 .
  5. Page 202
  6. Deutéronome, II, 19.
  7. Page 203
  8. Exode, VIII, 6.
  9. Ibid., IX, 14
  10. Page 204
  11. Exode, IX, 29.
  12. I Samuel, II, 2.
  13. II Samuel, VII, 22
  14. Deutéronome, IV, 33-34
  15. Ibid., verset 35.
  16. Deutéronome, IV, 7.
  17. Page 205
  18. Ne pourrait-on pas, en généralisant cette méthode, dire que dans le récit de la création du monde physique, Moïse a sous-entendu celle du monde spirituel? Devançant de quarante siècles les conclusions de la science moderne, Moïse a vu ainsi dans l'esprit et la matière, soit au ciel, soit sur terre, un seul et même être, selon qu'il est envisage du dedans ou du dehors ou, pour employer les termes bibliques par devant ( panim) ou par derrière (ahor ), ce qui est devant ou intérieur étant la pensée, l'esprit, ce qui est derrière ou extérieur le corps, la matière. Un parallélisme des psaumes nous offre pour ce qui concerne le mot panim un exemple de synonymie avec le mot rouah, esprit: « Ou irai-je loin de ton esprit ( mèrouhécha)? Ou fuirai-je loin de ta face ( mippanécha )?» (Ps. CXXXXIX,7) Quant au mot ahor , il a peut être suivi pour le sens cette gradation: ce qui est derrière (ahor ), c'est le dos (geb) et de gab dérive évidemment ghev (corps)