Israël et L'Humanité - Contenu de la loi noachide

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V.

Contenu de la loi noachide.

§ 1.

Quel que soit le nombre des préceptes noachides, il est certain que chacun d'eux représente non pas un commandement unique, mais tout un groupe d'obligations de même nature. Il était naturel en effet de distribuer toute la loi de Noé sous des titres généraux, par analogie avec celle de Moïse dans laquelle chacun des préceptes, et ils sont infiniment plus spécialisés, renferme un nombre plus ou moins grand de dispositions particulières [1].

Nous savons d'ailleurs que les Tribunaux israélites étaient parfois chargés de l'application de la loi noachide; il fallait donc, pour qu'il y eût décision de justice, que la sentence pût être basée, non sur l'opinion arbitraire ou passagers d'un juge quelconque, mais sur un ensemble de facteurs qui devaient déterminer toute la physionomie de la législation d'une manière durable, pour un certain temps tout au moins. Le Talmud au surplus se prononce formellement sur cette question. On y discute [2] la question de la sanctification du nom de Dieu, c'est-à-dire de l'obligation de s'exposer au martyre pour confesser la vraie religion. Le Noachide y est-il tenu? On objecte que dans ce cas le nombre[3]des préceptes noachides s'éleverait à huit, tandis que la Tradition ne parle que de sept seulement. La réponse donnée est que les préceptes comprennent tout ce qui s'y rattache [4] que la sanctification du nom de Dieu s'y trouve comprise, car si le Noachide, mis en demeure d'enfreindre ces commandements ou de subir la mort, ne confessait pas sa foi, il serait dans la nécessité de violer la loi à laquelle le soumet sa conscience et par conséquent l'obligation de l'exécuter fidèlement implique tous les devoirs que comportent les circonstances.


Nous avons déjà mentionné une importante décision talmudique sur laquelle il convient de revenir ici; c'est que le Noachide, indépendamment de sa loi particulière, peut observer tels ou tels préceptes mosaïques à mon choix. « S'il désire accomplir quelqu'un des autres commandements de la Loi, dit Maïmonide, on ne l'empêchera point de l'observer selon ses règles[5]» La loi de Moïse, tout entière est donc ouverte devant le noachide; il peut en prendre ce qui lui plaît, en sorte que sa loi personnelle, tout en consistant dans un minimum d'obligations qu'il ne lui est permis de diminuer sous aucun prétexte, peut à son gré s'augmenter des diverses observances mosaïques qu'il désire pratiquer également. Il est vrai que s'il rencontre dans le commentaire de Maïmonide une autre disposition qui semble contredire celle-ci; c'est lorsque le Docteur établit comme règle générale qu'il n'y a point de milieu pour le Gentil entre la simple loi noachide et la pleine et entière observation du mosaïsme, sans qu'il soit autorisé à accepter de celui-ci une partie en refusant l'autre. Mais nous avons précédemment laissé entendre qu'à notre avis la contradiction n'existe pas. Il s'agit en effet, dans cette dernière règle, d'une acceptation systématique d'une partie de la loi mosaïque entraînent une obligation perpétuelle et par conséquent une modification de cette loi en même temps que de la loi noachide elle-même, en un mot la constitution d'une nouvelle religion. C'est ainsi que l'Israélite ne peut ajouter au mosaïsme à titre obligatoire une pratique quelconque, si méritoire qu'elle soit,[6] les Rabbins exigeant qu'elle soit soigneusement distinguée comme observance surérogatoire, afin qu'elle n'ait point l'apparence d'une addition à la Thora.[7]L'harmonie de toutes ces dispositions légales est admirable. La situation qui est faite au noachide depuis la promulgation de la loi de Moïse est exactement la même que celle des patriarches d'Israël avant l'avènement du grand législateur. Ceux-ci en effet, d'après le témoignage de l'Ecriture et de la Tradition, s'assujettissaient librement à certaines pratiques qui se retrouvent aujourd'hui dans le judaïsme et qui, facultatives à leur époque, ne sont de- venues obligatoires que depuis leur insertion dans la loi mosaïque. Ce qui n'était primitivement que des règles de perfection pour un petit nombre d'hommes pieux est actuellement la religion de tout un peuple, mais ces mêmes règles gardent encore leur caractère originel pour tous ceux qui, par la naissance ou l'affiliation volontaire, n'appartiennent pas à cette même religion.

Il résulte de ce qui précède que la loi noachide, tout indépendante qu'elle est du mosaïsme, peut cependant lui emprunter une partie de ses observances. Mais voici une autre déclaration du Talmud qui, sans préciser le nombre des préceptes noachides, éclaire cependant la question. Les Docteurs disent que dans l'énumération des sept commandements, il ne s'agit que des préceptes négatifs, les préceptes positifs restant complètement en dehors de cette liste [8].

Dans un autre passage, il est parlé de trente commandements et le Talmud ajoute aussitôt que sur ce nombre les Gentils n'en ont observé que trois. [9]. Il n'est pas indifférent de voir comment nous est expliqué la fidélité des païens aux trois préceptes en question. C'est d'abord, nous est-il dit, [10] qu'ils ne rédigent point de contrat de mariage pour le mâle; en second lieu, ils ne mettent pas sur les balances la chair humaine dans les boucheries; enfin ils rendent hommage à la loi de Moïse.

Si l'on ne considérait que nos mœurs et nos idées actuelles, on serait tenté de ne voir dans la première observation qu'une satire bien méritée. Mais en réalité le monde païen donnait le spectacle de tels débordements et le vice auquel il est fait ici allusion avait envahi à tel point toutes les classes de la société qu'il y avait encore lieu de se féliciter que la loi n'ait pas consacré comme mariages légitimes de semblables unions. Si l'on se rappelle les turpitudes de Néron et cette dépravation grecque qui a imprimé [11]sur les hommes les plus illustres une tache dont le divin Platon lui-même ne peut être lavé tout à fait, on conviendra que les Rabbins, loin de calomnier le monde gréco-romain, l'ont plutôt flatté en cette circonstance [12]

La seconde observation du Talmud a une couleur de raillerie encore plus marquée. De quelle féroce coutume entend-on parler ici? Evidemment, c'est le cannibalisme qui est visé et l'on fait un mérite aux païens de ne pas vendre publiquement la chair humaine, ce qui est une manière détournée de dire qu'ils en mangent et que leurs mœurs sont si barbares qu'on doit leur savoir gré de ne pas étaler plus impudemment leur sauvagerie. Mais c'est encore là un point sur lequel les Docteurs ont atténué la décadence effroyable du monde païen, car ce qui ne se voyait ni chez les Grecs ni chez les Romains était fréquent dans d'autres pays, et l'on en peut citer dans lesquels c'était la coutume de donner, en temps de famine, la mort aux vieillards pour faire de leurs corps la nourriture des hommes valides et même des animaux domestiques [13]


Quant à la troisième remarque des Rabbins, nous ne voyons pas très bien comment, selon eux, la société gréco-romaine, qu'ils ont spécialement en vue dans ce passage, rendait hommage à la loi de Moïse. On peut sans doute songer à quelques individualités isolées qui ont parlé avec éloge de la religion d'Israël ou bien encore aux science du prosélytisme juif dans ce même milieu, mais ces deux explications ne sont guère satisfaisantes, et en ce qui concerne en particulier le prosélyte, il est clair qu'il fait plus qu' honorer la Loi mosaïque, il l'adopte et la pratique [14] Quoi qu'il en soit, ce texte du Talmud semble indiquer que l'un des devoirs du noachide est de professer le plus grand respect pour la loi de Moïse et de la regarder comme divine.

§ 2.

Les Rabbins ont beaucoup discuté sur les additions à faire aux sept préceptes de la loi noachide dont nous parlerons plus loin en [15]détail. R. Hanania, fils de Gamaliel, ajoute la défense d'user du sang de l'animal vivant, R. Hidka, la prohibition de la castration, R. Simon, celle de la sorcellerie et R. José étend l'interdiction à toutes les pratiques comprises dans la section de la loi mosaïque qui traite ce dernier sujet, c'est-à-dire aux sacrifices humains, à la divination, aux augures et oracles et à révocation des morts [16]Toutes ces pratiques, dans le passage du Pentateuque dont il s'agit [17], sont en effet reprochées aux peuplades cananéennes que les Juifs allaient chasser du pays en punition des superstitions auxquelles elles se livraient. Or, comme il n'y a pas de punition sans avertissement préalable [18], il faut admettre que ces prohibitions font partie, elles aussi, de la loi noachide, ce qui nous persuade une fois de plus que les préceptes de cette Loi sont de nature synthétique, toutes les défenses que nous venons d'énumérer étant comprises sous le terme de sorcellerie, et aussi que le nombre de sept commandements, qui a prévalu dans la Tradition, est loin d'épuiser tout le noachisme, puisque l'Ecriture elle- même lui impose d'autres préceptes.

R. Eléazar [19] défend aux noachides le mélange de deux espèces différentes d'arbres ou d'animaux et Maïmonide tout en acceptant le nombre de sept préceptes leur fait une obligation de l'observation de cette double recommandation. Enfin, le devoir de la procréation et de la circoncision a été ajouté par certains auteurs; l'un d'eux a soin toutefois de nous avertir que ces deux commandements qui pesaient sur les Gentils jusqu'à l'époque du Sinaï ne sont plus obligatoires depuis lors que pour Israël [20]. Quelle que soit la valeur des arguments dont on étaie cette opinion, il est certain que de graves raisons ont empêché les Docteurs talmudiques de comprendre ces deux préceptes dans la loi noachide. Cela ne veut pas dire que le premier tout au moins n'ait pas une valeur universelle, à moins que l'on entende les paroles de l'Ecriture: « Croissez et multipliez » non comme un ordre, mais comme une bénédiction, ce qui d'ailleurs exprime encore une volonté de Dieu, en sorte que ce sera toujours pour l'homme une vertu que de s'y conformer.

Friedenthal ajoute aux sept préceptes de la loi de Noé le sabbat, [21]parce qu'il est écrit: « Tu ne feras aucun ouvrage … ni l'étranger qui est dans tes portes »; la cessation du travail le jour du Kippour, à cause de la parole du Lévitique: « Vous ne ferez aucun ouvrage, ni l'indigène, ni l'étranger qui séjourne au milieu de vous; la défense du sang, la prohibition de toutes les unions incestueuses énumérées dans le Pentateuque et qui ont motivé l'expulsion des Cananéens, preuve évidente qu'elles constituaient pour eux autant de prévarications, enfin l'interdiction de faire aucun sacrifice sur des autels privés [22] Ce dernier article paraît en contradiction formelle avec ce principe reçu dans le Talmud et d'après lequel il est permis non seulement aux Gentils d'élever un autel privé ou Bama mais aussi aux Israélites de les instruire et de les aider dans leur culte [23]


Parmi les divergences rabbiniques au sujet des préceptes noachides, peut-on signaler des opinions qui réduisent leur nombre comme il y en a pour l'augmenter? Il semble au premier abord qu'il en soit ainsi. R. Jehouda dit: [24] Le premier Adam n'a reçu d'autre commandement que la défense du polythéisme. R. Jehouda, fils de Betéra, dit: La défense du blasphème aussi. Il reçut encore, ajoutent les Docteurs, des lois (civiles et criminelles). En ce qui concerne l'avis de R. Jehouda, on ne peut s'empêcher de le rapprocher de celui de R. Méir que nous avons cité plus haut et d'après lequel il suffit d'abjurer l'idolâtrie pour être considéré comme gher thoschab ou prosélyte de la porte. Cette doctrine commune exclut-elle celle des sept préceptes fondamentaux? Nous ne le croyons pas. R. Jehouda ne parle que d'Adam et ce n'est pas sans intention qu'il ne mentionne pas le nom de Noé. C'est donc seulement de la loi personnelle d'Adam qu'il est question, ce qui ne contredit nullement l'établissement postérieur d'une loi plus complète dite noachide et l'opinion de R. Méir, qui n'exige du gher thoschab que la première, signifie simplement que l'observation lui en paraît suffisante pour accorder au Gentil l'hospitalité en Palestine. Les deux doctrines, selon nous, s'expliquent, et se complètent mutuellement, car c'est justement parce qu'Adam n'a pas reçu d'autre commandement que celui du monothéisme qu'on se contente de cela pour l'admission du gher toschab et c'est, d'autre part, parce que [25]cet unique précepte a été imposé à Adam que R. Méir, en l'exigeant du Gentil autorisé à résider en Terre Sainte, n'entend point nier par là l'existence des sept commandements de la loi noachide. Aussi, nous avons vu qu'il ne demande pas: « Qu'est ce que le Noachide? » mais bien: « Qu'est ce que le gher thoschab ? »

Ajoutons, pour compléter cette étude préliminaire du contenu de la loi noachide quelques observations sur les additions proposées par les Rabbins. Celle de R. Hanania, fils de Gamaliel, relative à la prohibition du sang de l'animal vivant ne doit pas être confondue avec la défense générale du sang telle qu'elle est imposée à Israël. L'Ecriture dit simplement: « Vous me mangerez pas la chair avec son âme (son sang) [26]» et le Talmud entend par là la chair vivante dont la vie est dans le sang et à plus forte raison le sang lui-même, s'il est tiré de l'animal en vie. Toutefois il est aisé de voir dans le texte une interdiction générale comme l'a fait précisément le Concile d'Antioche qui, de toute la loi mosaïque, n'a imposé aux Gentils que ce précepte avec un petit nombre d'autres. Il y a cependant une différence à faire qui regarde l'usage même de la viande. Pour l'lsraélite, et peut-être même pour certains hommes pieux à l'époque patriarcale, il fallait, pour que l'animal pût servir à la nourriture, qu'il fût jugulé selon le rite; pour les Gentils, il suffisait qu'il fût mort soit par la main de l'homme, soit de quelque autre manière, puisque nous voyons l'Israélite invité à faire don au Gentil noachide de la bête qui avait péri naturellement. [27] Ainsi pour les uns la condition requise était que le sang fût répandu, pour les autres il fallait uniquement que l'animal fût tué.

La défense de la castration ajoutée par R. Hildka [28] se fonde, semble-t-il, sur une déduction. L'Ecriture dit: « Vous n'accepterez de l'étranger aucune de ces victimes (mutilées) pour l'offrir comme aliment de votre Dieu; car elles sont mutilées, elles ont des défauts; elles ne seraient point agréées [29]. On a conclu que, puisque les animaux dont il s'agit ne pouvaient être acceptés comme victimes des Gentils, c'est qu'il est interdit à ceux-ci de pratiquer la castration. [30] R. Siméon comprend parmi les interdictions noachides la pratique de la magie et R. José, le sacrifice des enfants à Moloch. De fait, le texte du Deutéronome qui défend à Israël toutes ces pratiques ajoute ces paroles décisives pour la question qui nous occupe: « Quiconque fait ces choses est en abomination à l'Eternel, et c'est à cause de ces abominations que l'Eternel ton Dieu va chasser ces nations devant toi [31]» et le législateur avait commencé par dire: « Lorsque tu seras entré dans le pays que l'Eternel, ton Dieu, te donne, tu n'apprendras point à imiter les abominations de ces nations là [32] ». Cela paraît suffisant pour que le Talmud tire cette conclusion que puisqu'il ne saurait y avoir de punition sans prohibition préalable, il faut bien que toutes ses défenses soient mises au nombre des lois noachides [33] Les Docteurs qui ne se rangent pas à cet avis ont estimé sans doute que les sacrifices d'enfants étaient déjà interdits par la loi contre l'homicide, comme les pratiques de la magie le sont par celle qui condamne formellement toute idolâtrie.


References

  1. Maïmonide, Sepher amisvot
  2. Sanhédrin 74. 6.
  3. Page 622
  4. La glose française porte toutes choses
  5. Sanhédrin, X, 13
  6. Deutér, XIII, 1.
  7. Page 623
  8. Sanhédrin, 48 b
  9. Houllin, 92 <super> a </super>
  10. Ibid 92 <super> b </super>
  11. Page 624
  12. V. Tacite, Annales XV, 37. Havet, Le Christianisme et ses origines, p. 247.
  13. Basevi, Facultés mentales des animaux, I, 83, II, 34, 35.
  14. L'observation du Talmud fait songer à cette coutume suivie à Rome pendant plusieurs siècles, d'après laquelle on obligeait les Juifs à se présenter devant le pape avec les livres de Moïse que le pontife recevait et honorait comme livres divins. Quand un nouveau pape prenait possession du trône pontifical, les Juifs lui offraient également le rouleau de la Loi.
  15. Page 625
  16. Sanhédrin 56 b.
  17. Deutér, XVIII, 12.
  18. Raschi, dans Sanhédrin 56 b.
  19. Sanhédrin, 56b.
  20. Misné lammelech, Melachim, X, 7.
  21. Page 626
  22. Yesod addat, p. 121.
  23. R. Obada dans Zebehini, XIV, 4; Maïmonide, Maasé accorbanot, sub fine.
  24. Sanhédrin, 56 <super> b </super>.
  25. Page 627
  26. Genèse IX, 4.
  27. Deutér, XIV. 21.
  28. Sanhédrin, 56 <super> b </super>
  29. Lévitique, XXII, 25.
  30. Page 628
  31. Deutéronome, XVIII, 52.
  32. Ibid. vers. 9
  33. Sanhédrin 56b; Raschi, in loco .