Israël et L'Humanité - Dispositions particulières de la Tradition

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§ 2.

DISPOSITIONS PARTICULIÈRES DE LA TRADITION.

Sur le chapitre de l'homicide involontaire nous voyons que les Rabbins appliquent logiquement le principe qui régit toute la loi noachide et d'après lequel le noachide est puni pour n'avoir point appris ce qu'il devait apprendre, c'est-à-dire en d'autres termes qu'il ne peut alléguer pour sa justification l'ignorance de la loi.

Ce principe diffère essentiellement de la législation mosaïque, puisque suivant celle-ci, il faut, pour qu'il y ait délit, que la loi ait été portée à la connaissance du coupable par les témoins à charge. Quand il s'agit du gentil, elle reconnaît bien comme motif d'acquittement l'ignorance du fait: c'est ainsi qu'elle absout celui qui cohabiterait avec une foraine mariée qu'il croyait libre, mais en droit elle condamne celui qui en pareil cas déclarerait pour se justifier qu'il ignorait que l'adultère fût un crime. Pour l'Israélite[1] au contraire l'atraha ou avertissement est indispensable pour qu'il soit constitué coupable. Il n'y a rien dans cette différence qui ne découle naturellement de l'économie respective des deux lois. La loi noachide a un caractère tout rationnel; elle est le verbe qui éclaire tous ceux qui viennent en ce monde et que chacun peut et doit trouver comme règle de vie au fond de sa propre conscience. La nature du mosaïsme est tout autre; c'est la loi sacerdotale promulguée non point seulement pour ce mondes mais encore pour le ciel, c'est-à-dire en langage philosophique en vue des rapports de la terre avec l'univers matériel et spirituel. La pratique du vrai et du bien, qui est le but de la loi noachide dans la mesure qu'exigent les intérêts de l'individu et de la société acquiert dans le judaïsme toute l'ampleur que comporte l'ordre universel lui-même. La loi mosaïque surpasse donc l'intelligence actuelle de l'homme qui n'embrasse qu'une sphère plus restreinte des choses et ses préceptes ont ainsi une signification beaucoup plus vaste; c'est l'univers qui s'impose à l'homme sous forme de révélation comme il s'impose à l'animal sous forme d'instinct et l'on peut dire que la révélation n'est que l'instinct d' un ordre supérieur qui met l'homme en harmonie avec l'ordre universel et unit, par le moyen d'Israël, l'humanité et la terre tout entière. Aussi l'israélite est- il présumé ignorer la loi, tant qu'il n'en a pas été instruit formellement, tandis que cette excuse n'est point admise pour le noachide dont la loi éminemment, exclusivement rationnelle s'impose d'elle-même à la conscience humaine.

Les décisions rabbiniques à ce propos sont très explicites. « Le fils de Noé est puni de la peine capitale pour n'avoir pas appris ce qu'il devait apprendre [2]. Il n'a besoin, pour être passible de jugement, ni de Sanhédrin, ni de témoins comme les Juifs, ni d'atraha ou avertissement. La prescription qui lui est faite étant du domaine purement moral implique sa condamnation en cas d'infraction.

Nous allons voir que ce caractère essentiellement rationnel, qui est propre à la loi noachide, produit une conséquence qui surprend au premier abord, mais qui cependant en découle très naturellement. Les Rabbins que l'on accuse si communément de servilité et d'étroitesse d'esprit se sont posé un problème aussi insolite que grave qui n'a peut-être été soulevé dans le droit criminel d'aucun [3]pays et qu'en tout cas aucun législateur, si respectueux qu'on le suppose des droits de la raison et de la liberté de conscience, n'a jamais étudié sérieusement. Si l'ignorance n'est point admise comme excuse légitime pour le noachide, que doit-on penser de celui qui nie la loi, qui ne reconnaît ni son autorité ni sa justice et dont la raison se refuse à l'acceptation de ses commandements ? Faut-il le regarder comme coupable ou le tenir pour innocent? Nous lisons dans le Talmud: « Celui qui croit en son cœur que l'homicide est une chose licite, qu'il n'a jamais été défendu, est considéré par Raba comme fort semblable à l'homicide volontaire (mézid) [4]»

Maïmonide [5]partage ce sentiment, mais ce qui est bien fait pour étonner ceux qui méconnaissent l'élévation d'esprit de ces Pharisiens si décriés, c'est que deux docteurs du Talmud, Rab Hasda et Abayé, sont d'un avis contraire à celui de Raba. « Celui qui est convaincu que l'homicide est une chose permise, disent-ils en propres termes, cède à une force majeure [6] ». Voilà certes toute une théorie moderne, fort radicale même, que l'on ne s'attendait pas à voir apparaître à une époque si reculée et dans un tel milieu. Sans examiner ici dans quelle mesure son application peut être compatible avec l'ordre social, il est permis du moins de dire qu'une telle largeur d'esprit a nécessairement dû porter, dans d'autres domaines, des fruits de tolérance et de liberté.

Nous ne serions pas fidèles aux règles d'une critique impartiale, si nous passions sous silence une disposition qui semble empreinte d'un tout autre esprit et qu'il vaut la peine d'examiner dans ses sources. Selon Maïmonide [7] le noachide qui aurait tué involontairement un Israélite, au lieu d'être relégué dans une ville de refuge, comme ce serait le cas pour le juif, aurait à subir la peine de mort. Cette décision s'appuie sur un texte d'ailleurs fort obscur du Sifré [8] et en présence d'une rigueur si excessive et d'une telle inégalité de traitement, les commentateurs se sont efforcés de trouver une explication acceptable. L'un d'eux prétend que Maïmonide, parlant dans un autre passage du fils de Noé qui, dit-il, n'encourt aucune peine pour la transgression involontaire de l'un des préceptes auxquels il est soumis, « sauf pour l'homicide »,[9] s'occupe en réalité non du gentil converti à la loi noachide, mais d'un simple païen qui aurait tué par mégarde un autre païen comme lui. Mais il est inadmissible que le gentil pur et simple ait, d'après le judaïsme, un statut personnel distinct à la fois de la loi noachide et de la loi de Moïse et le terme de fils de Noé employé par Maïmonide est tout à fait impropre pour désigner le gentil idolâtre. Il nous semble que la solution de la difficulté nous est fournis par le mot schogheg lui-même que la loi mosaïque applique à deux formes bien distinctes d'homicides involontaires: la première est le meurtre commis par ignorance, le coupable n'ayant pas reçu l'avertissement légal ou atraha; la seconde est l'accident pur et simple dont les circonstances suffisent pour dégager nettement l'auteur de toute responsabilité morale: un poids qui tombe par mégarde sur la tête d'un passant, un trait lancé contre un animal et qui va blesser un homme, en un mot tous les faits que nos lois elles- mêmes qualifient d'homicides par imprudence, alors que ceux de la première catégorie ne sont considérés comme tels que par la loi d'Israël.

C'est apparemment cette premiers forme d'homicide involontaire qui n'a, nous le répétons, ce caractère qu'aux yeux de la loi juive seulement, que Maïmonide a en vue quand il déclare digne de mort le noachide qui s'en rendrait coupable vis-à-vis d'un Israélite. Cette hypothèse déjà fort vraisemblable acquiert une plus grande probabilité encore par l'étude du contexte. L'écrivain explique en effet immédiatement le motif qui justifie à son avis une semblable disposition. « Bien que schogheg, dit-il, le noachide est cependant toujours en état d'avertissement légal ». Et il ajoute, pour éclaircir encore la question: « Il en est de même du gher toschab qui en tue un autre en s'imaginant que c'est chose licite; cela ressemble beaucoup à l'homicide volontaire et le coupable est passible de mort, puisqu'il a eu l'intention de tuer ». Cela revient à dire que pour le noachide l'avertissement préalable n'est nullement indispensable comme pour l'Israélite dans le domaine de sa religion particulière et que l'acte criminel suppose une telle déformation de conscience qu'on lui chercherait vainement une circonstance atténuante.

Nous trouvons dans Raschi une autre déclaration formelle. Sur ce texte du Talmud: « Les prosélytes et les gentils qui auront tué subiront la mort », il fait ce commentaire: « Ces paroles se rapportent aux sept préceptes imposés aux fils de Noé; il est de [10]règle que le rappel à la loi ( azhara ) suffit pour condamner à la peine capitale même l'homicide involontaire, car les noachides n'ont pas besoin d'avertissement préalable comme nous avons dit au traité Sanhédrin » [11].

Une obscurité subsiste dans ces dispositions traditionnelles de la loi noachide sur l'homicide. Nous voulons parler de la règle sanctionnée par Maïmonide et d'après laquelle celui qui aurait commis un homicide involontaire pourrait être lui-même tué par le vengeur de la victime, sans que ce dernier à son tour encourût de ce chef la peine de mort. Mais la distinction que nous avons établie plus haut dans le sens à donner au mot schogheg éclaircit cette difficulté. Maïmonide veut simplement dire que lorsque l'homicide rentre dans la catégorie des actes que la loi ne punit point, le coupable involontaire n'encourt pas moins le risque d'être tué par le parent de la victime, ce qui n'est qu'une conséquence de la liberté qu'on lui laisse. Mais ce qu'on s'explique moins aisément, c'est que celui qui le tuerait par vengeance ne soit pas, selon Maïmonide, réputé commettre un homicide. Il faut toutefois considérer que l'homicide involontaire a toujours l'apparence d'un délit, puisqu'il entraîne pour l'israélite la peine de la relégation. En outre, la négligence de l'auteur de l'accident engage dans une certaine mesure sa responsabilité. Ajoutons enfin que l'opinion de Maïmonide a été jugée sur ce point en contradiction avec le Talmud et même avec d'autres passages du même écrivain.

Quant à la possibilité pour le coupable involontaire de se faire accueillir dans une ville de refuge, il faut distinguer entre l'homicide d'un Israélite, qui expose l'auteur à la vengeance de ses proches, et celui d'un autre noachide dans lequel l'imprudence étant constatée par la loi noachide elle-même, on applique la peine de la relégation qui garantit du moins contre la vengeance éventuelle des parents. En un mot le schogheg passible de relégation est un homicide par imprudence à la manière des noachides, c'est-à-dire un homme dont la part de responsabilité est beaucoup plus grande que chez le schogheg de la loi mosaïque. Il est naturel en effet de penser que de même que la loi de Noé diffère de celle de Moïse au sujet de l'homicide volontaire, du témoignage et d'autres points [12]importants du droit pénal, elle s'en écarte également dans la définition de l'homicide involontaire et qu'entre le meurtre absolument caractérisé et le simple accident mortel que la loi ne punit pas, il y a place comme dans le mosaïsme, mais à un autre titre, pour un homicide par imprudence qui engage suffisamment la responsabilité de l'auteur pour que celui-ci soit condamné à la relégation. Il nous semble que si l'établissement des villes de refuge peut être justement regardé comme un moyen de salut offert au meurtrier involontaire, on peut aisément prouver qu'il constitue également dans certains cas un châtiment légal.


References

  1. Page 687
  2. Maccot, 9 b; Maïmonide, Melachim, X, 1.
  3. Page 688
  4. Maccot 9<super> a</super>
  5. Rozeach uschmirat nefesh,V, 4.
  6. Maccot, 9 <super> a </super>
  7. Passage cité
  8. Nombres, XXXV, 15.
  9. Page 689
  10. Page 690
  11. Maccot, 9 <super> a </super>
  12. Page 691