Israël et L'Humanité - Eden et palingénèse

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§ 4.

EDEN ET PALINGÉNÈSE.

Avant de terminer notre étude sur la notion juive du progrès cosmique dans la succession des mondes, considérons un instant le mythe du jardin d'Eden ou paradis terrestre du livre de la Genèse. [1]A propos du progrès humain, nous avons dit en parlant d'Adam qu'il y a dans ce type un mélange d'histoire et d'allégorie dont le résultat est le mythe de l'Adam biblique, symbole de l'humanité future et de son évolution historique. Nous n'avons rien à changer à ce jugement quand il s'agit de la demeure assignée au premier homme. Le jardin d'Eden est l'image anticipée du monde à venir ou, selon la croyance hébraïque, de la terre palingénésique. De même qu'Adam est le portrait du genre humain, de même l'Eden est la figure de la terre où il habite.

Que cet état de félicité doive, selon le judaïsme, se réaliser un jour, quand bien même on admettrait qu'il ait déjà existé à l'origine, c'est ce dont on ne peut douter quand on voit qu'il nous est représenté dans la Bible comme l'état normal voulu par le Créateur qui ne peut manquer d'atteindre le but qu'il a conçu. L'argument tiré de l'histoire d'Adam pour prouver la résurrection est applicable au même titre à la Palingenèse, qui n'est pas autre chose que la résurrection de la terre, en d'autres termes, l'idéal de Dieu, manifesté pour l'un et pour l'autre dans le récit biblique, nous fait présager à la fin des temps sa complète et immanquable réalisation.

Mais cette Palingënèse, du moins en ce qui concerne la terre, se déduit-elle avec certitude des textes de la Bible? On connaît la controverse qui s'est engagée à ce sujet entre Maïmonide et d'autres théologiens, [2] le premier prenant dans un sens métaphorique les passages qui semblent prédire de nouveaux cieux et une nouvelle terre, les autres les interprétant dans leur sens propre et littéral. Ce qu'on ne paraît pas avoir remarqué de part ni d'autre, c'est qu'il y a une considération supérieure qui domine les deux systèmes, aussi bien dans cette question de la palingenèse que dans celle de la résurrection qui est similaire. Lors même qu'il pourrait être démontré que les textes concernant cette double croyance ne sont que de l'allégorie pure, il faut convenir que les écrivains sacrés n'auraient jamais songé à employer ces images, s'ils n'avaient pu les puiser quelque part dans les idées populaires, car on sait que les figures elles-mêmes s'empruntent à la réalité physique ou historique, morale ou religieuse. Une image qui n'aurait nulle part aucune réalité, au lieu de donner plus de force [3] à l'expression, ne ferait qu'affaiblir le sujet. Nous comprenons très bien par exemple que Moïse pour recommander aux Israélites la pureté du cœur, ait pu leur dire : « circoncisez votre cœur! [4]» puisque la pratique de la circoncision rendait pour eux ce langage aussi intelligible qu'énergique, mais comment admettre qu'on se soit servi de la figure de la résurrection des morts, pour dépeindra le relèvement politique d'Israël, et de celle de terres et de cieux nouveaux, pour annoncer la paix universelle aux jours du Messie, si ces deux événements, la résurrection et la palingenèse, n'avaient pas été regardés comme des réalités futures, lointaines encore, mais indubitables? Si les deux faits avaient été totalement étrangers aux croyances établies, au lieu de fortifier la foi, à la régénération messianique et à la résurrection nationale, cette double image l'aurait découragée. Chacun eût alors conclu à l'impossibilité de la réalisation de ses espérances, et les écrivains sacrés auraient ainsi obtenu un résultat diamétralement opposé à celui qu'ils voulaient atteindre.

Il est bon de faire observer que cette controverse au sujet des promesses palingénésiques n'a eu lieu qu'entre les Rabbins postérieurs; les anciens Docteurs, ainsi que le Talmud en fait foi, n'ont jamais douté de la valeur littérale de ces textes, et la seule question qui les divisât était celle de savoir si la palingenèse se distinguerait de l'ère messianique dans laquelle, à l'exception de la délivrance d' Israël, tout serait dans ce cas semblable aux temps actuels, ou si au contraire les deux ères se confondraient, l'avènement du Messie devant présenter le double spectacle de la rénovation sociale et de la régénération de la terre, comme le crurent en particulier les premiers chrétiens.

Il est curieux de voit la doctrine du renouvellement des mondes surgir de points bien opposés de l'horizon. Suivant les récits de l'Edda, bientôt après l'incendie du monde amené par la victoire des géants, la Vala ou prophétesse voit la terre admirablement verte sortir une fois encore du sein des eaux. Les génies de nouveau se réunissent; ils parlent des ruines antiques, de la poussière puissante du passé. La terre délivrée de tout mal porte des moissons non semées. Balder renaît; un palais s'élève plus beau que le soleil, là vivent dans un bonheur perpétuel les vertueuses générations, [5]Le paganisme gréco-romain a eu aussi sa notion de la palingenèse, très répandue dans l'école scientifique et d'autres encore, témoin le célèbre passage de Virgile: Magnus ab integro sœculorum nascitur ordo [6]. Mais la palingenèse hébraïque différait sensiblement de l'idée païenne qui ne faisait pas une place suffisante à la régénération humaine proprement dite, comme elle diffère de la doctrine chrétienne où l'élément eschatologique, en ce qui concerne du moins la rénovation cosmique, a presque complètement disparu.


References

  1. Page 345
  2. Voir entre autres, Maïmonide: Ilchot Teshubah VIII, avec les réfutations d'Arabad; Maamar Tehiat Ammetim , le commentaire à la Mischnà Sanhédrin XI et Nachmanide Schaar Agghemul
  3. Page 346
  4. Deutéronome, X, 16
  5. Page 347
  6. Bucolica, Egloga IV, 5