Israël et L'Humanité - L'unité de loi chez les Rabbin

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§ 2.

L'UNITIÉ DE LOI CHEZ LES RABBINS.

L'identité de la loi de l'homme avec celle de l'univers est-elle une doctrine hébraïque authentique? Il est superflu de démontrer qu'on la retrouve dans la Kabbale; chacun sait qu'elle constitue un de ses enseignements caractéristiques. Mais la théosophie est-elle d'accord en cela avec les autres sources des croyances hébraïques? Ce que nous allons dire le prouvera clairement et cette conformité, de doctrine établira une fois de plus, croyons-nous, la légitimité et l'antiquité, de la Kabbale. Il ne s'agit pas en effet de concordance accidentelle sur un point particulier, si important qu'il soit; la doctrine qui nous occupe est par elle-même d'une nature éminemment et essentiellement théosophique, soit par l'idée transcendante qu'elle nous donne de la loi et celle du Verbe ou Logos [1] créateur qui y est 'impliquée, soit par le rôle qu'elle assigne à l'observateur de la loi comme coopérateur dans l'ordre universel, soit enfin par l'importance, non plus seulement éthique ou sociale, ni même religieuse qu'elle accorde aux préceptes de la Thora, mais en quelque sorte cosmique et ontologique. Si donc tous les monuments de l'hébraïsme confirment cette doctrine, c'est la preuve qu'il est lui-même tout imprégné de théosophie.

Avant de remonter à la Bible, nous commencerons par rechercher ce que nous enseignent à ce sujet les Rabbins; notre argumentation n'en aura ainsi que plus de force. La Thora n'est pas simplement pour eux la loi civile et religieuse; elle a un sens bien plus vaste: elle est le Logos, le monde intelligible, le prototype de la création. Cette théorie de la Thora-Verbe ne saurait être formulés d'une manière plus claire que ne l'a fait le Bereschit Rabba« De même qu'un architecte ne construit un édifice qu'en consultant ses plans, ses tables, ses dessins, de même aussi, pour créer le monde, le Saint, bénit soit-Il, contemplait la Thora ». Les Rabbins nous disent encore que la Thora est l'instrument de l'art de Dieu; qu'elle s'appelle le Principe et que c'est en vertu de ce principe que le monde a été créé; enfin, que la Thora est une des sept choses qui ont précédé la création du monde [2]

Ailleurs nous les voyons mettre dans la bouche du serpent cette parole, expressive: «  Dieu a mangé de cet arbre de la science et c'est par là qu'il a créé le monde [3]» . Or nous savons que l'arbre de la vie et celui de la science du bien et du mal représentent les deux faces de la Loi, le premier celle de l'homme parfait et l'autre, celle de l'homme déchu comme ils représentent, au point de vue philosophique, l'un l'ldéal et l'autre le Réel [4].

Dans le Zohar nous trouvons cette pensée profonde que le monde et l'homme sont créés tous deux sur le modèle de la Thora. Si doute la loi du monde et celle de l'homme sont une seule et même loi, toutes les créatures même supérieures ou antérieures à l'homme, sont tenues de l'observer et c'est précisément ce que les Rabbins nous disent. Les anges, d'après une de leurs légendes, la [5]réclamaient pour eux seuls; il est vrai que Dieu leur objecte que certaines choses ne leur sont pas applicables, mais l'on a fait observer avec raison qu'une semblable prétention n'aurait pas été imaginés si, d'une manière ou d'une autre, la Loi ne les concernait point. Les créatures inférieures, les Schedim, s'y soumettent également.

Mais les Rabbins vont plus loin; ils affirment que Dieu lui-même observe la Loi. Nous savons que cette idée a été le prétexte d'une foule de protestations contre les absurdités et les blasphèmes des Pharisiens; de sages critiques se contentaient de les accuser, sans chercher à comprendre ce qu'ils voulaient dire. Certes, nous ne prétendons pas que tous les Pharisiens étaient en état d'apprécier la valeur de leur propre doctrine, d'en mesurer la profondeur et l'élévation, que tous en un mot en possédaient une conscience adéquate. Nous savons trop bien que tous les membres d'une école ou d'une Eglise ne comprennent pas de la même manière les théories ou les dogmes qui leur sont proposés. On n'aurait pas de peine à trouver de nos jours encore des juifs qui, dans le Dieu qui observe la Loi, ne voient pas autre chose qu'un très vieux rabbin perdu dans les minutieuses pratiques d'une dévotion exagérée, soit qu'ils acceptent pieusement l'idée, soit qu'ils la rejettent comme une niaiserie. C'est l'éternelle histoire décrite par Maïmonide [6]; ce qu'il dit des divers degrés d'intelligence s'applique à notre époque comme à la sienne, car l'échelle demeure à peu près invariable. Nous prétendons seulement que, pour juger sainement de la véritable valeur d'une doctrine, il faut examiner ce qu'en pensent, parmi ses partisans, les esprits les plus éclairés. Cette idée d'un Dieu observateur de la Loi, qui appartient de fait comme de droit à la Kabbale se retrouve dans le pharisaïsme talmudique, où nous voyons non seulement le principe formellement énoncé[7],« Nous apprenons par là que le Saint, béni soit-Il, observe tous les préceptes de la Loi»,mais encore de détails de nature à choquer évidemment nos conceptions modernes, car outre que Dieu accomplit tous les devoirs de la morale religieuse, il se revêt des teffilin ou phylactères, il dit sa prière en s'adressant à lui-même [8]. Mais sous ces images [9]puériles une théorie philosophique d'une haute portée ne se cache-t-elle pas? Voilà ce qu'il convient de rechercher, au lieu de repousser sans examen tout ce qui, dans la forme, ne s'accorde pas avec notre manière de penser actuelle.

Il faut se souvenir ici de ce que nous avons dit de la doctrine de la coopération de l'homme avec Dieu. Si l'homme coopère avec Dieu, c'est que la loi de l'un et de l'autre est la même. Les titres d'associé, de frères, de compagnon de Dieu que les Rabbins donnent à l'homme, se rattachent aussi bien à l'Idée d'unité de la loi qu'à celle de la coopération humaine. On a dit fort justement que l'être raisonnable qui, avec une pleine connaissance, se soumet librement à, la loi, accomplit en réalité sa propre volonté et cette pensée se retrouve dans le Talmud qui dit expressément que la loi, avant d'être apprise par l'homme, appartient à Dieu et s'appelle la loi de Dieu, mais qu'elle devient la loi de L'homme, dès qu'elle est apprise par lui. La loi étant, au sens philosophique, naturelle à l'homme, comme elle l'est à l'univers dont l'homme fait partie, et celui-ci portant en lui-même l'idéal qui n'est pas encore réalisé dans l'univers, il est clair, si nous ne nous méprenons pas sur la juste interprétation du système rabbinique, qu'une certaine égalité doit s'établir entre la loi et l'homme qui la réalise. Aussi voyons-nous les rabbins donner à l'âme humaine, et peut-être à l'homme tout entier, le nom de sepher Thora, livre de la Loi, à décider que les prescriptions légales ne doivent pas s'exécuter lorsqu'elles mettent la vie humaine en danger [10], preuve évidente qu'ils reconnaissent quelque chose de supérieur à la lettre. C'est sans doute pour la même raison qu'ils déclarent coupable celui qui ne se lève pas en présence d'un savant éminent, de même qu'il se lève en présence du livre de la Loi.

Enfin, l'unité de loi dont nous parlons est une conséquence inévitable de la doctrine déjà signalée chez les Rabbins et selon laquelle l'humanité est par rapport à notre terre ce que l'âme est pour le corps, comme aussi de celle d'après laquelle l'esprit de l'homme retourne à l'esprit de l'univers, doctrine qui se retrouve dans les paroles de Plotin mourant et dont Giordano Bruno s'est fait l'écho en disant au moment d'expirer sur le bûcher: « Je m'efforce de ramener ce qu'il y a de divin en moi à ce qu'il y a de divin dans l'univers. » [11]


References

  1. Page 413
  2. Jalkout Simmon, Mislè cap. VIII. Les Rabbins nous disent même que la Loi a précédé le monde de neuf cent soixante quatorze siècles. Serait-ce l'époque quaternaire dont notre Thora serait la Loi?
  3. J. S. Bereschit § 27.
  4. C'est le « Logos eudeithitos » et le «Logos prophoricos  » de Philon.
  5. Page 414
  6. Voir l'introduction au traité appelé les Huits Chapitres
  7. C'est dans le Talmud de Jérusalem qu'on trouve ce commentaire sur le verset du Lévitique, XVIII, 4
  8. Berakhot, cap. I.
  9. Page 415
  10. C'est la loi du Piccouah nefesch
  11. Page 416