Israël et L'Humanité - La prière et les sacrifices

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III.

La prière et les sacrifices.

§ 1.

A la question du monothéisme se rattache naturellement celle du genre de culte que l'on doit rendre à Dieu et notamment de la prière et des sacrifices. Nous voyons là une nouvelle preuve, s'il en était encore besoin, que les Docteurs, en parlant des Sept commandements noachides, ont simplement voulu indiquer sept [1]classes principales de préceptes ou idées générales comprenant chacune un nombre plus ou moins grand de détails tous également obligatoires.

A toute époque de son histoire l'humanité a prié. La prière a donc dû être avant Moïse, comme depuis l'avènement du législateur hébreu, un devoir religieux tantôt soumis à des règles déterminées, tantôt abandonné à l'inspiration de chacun. Il est certain cependant qu'il y a des moments de la journée où la nature semble plus particulièrement inviter l'homme à adresser son culte au Créateur. D'autre part, comme il est probable que chez tous les peuples, au moins en certaines occasions, la prière était faite en commun, on ne pouvait guère se passer alors de rites établis à l'avance et de formules généralement adoptées. Il est inadmissible aussi que l'on n'ait pas prié en famille et que, dans ce culte domestique, chacun ait prié à sa guise sans suivre aucune règle. On a dû tôt ou tard se conformer aux usages fixés pour la prière en commun. Nous trouvons d'ailleurs dans l'Ecriture des noms sous lesquels on invoquait la Divinité et qui évidemment devaient exprimer les croyances populaires. C'est ainsi que nous lisons à propos du séjour d'Abraham à Beer-Schéba: « Et là il invoqua le nom du Seigneur, Dieu de l'éternité (El olamlois) [2]».

Les formes du culte étaient donc beaucoup moins abandonnées à la fantaisie individuelle qu'on ne serait tenté de le croire. Si certains actes, certains gestes étaient prescrits, comme par exemple celui qui accompagne le serment d'Eliézer [3] ou comme l'ablution à laquelle Job fait allusion [4], il est fort probable qu'il existait également des formules obligatoires pour la prière. En cela les Sémites n'étaient point différents des Aryens des Védas qui, dès la plus haute antiquité, chantaient des hymnes en l'honneur de leurs dieux.

Nous n'avons pas à revenir sur ce que nous avons dit précédemment des sacrifices des Gentils et de la loi qui prescrivait aux Israélites de recevoir leurs offrandes et déterminait la forme sous laquelle elles devaient être présentées à l'autel de Jérusalem. Il y a cependant une particularité fort curieuse et déjà signalée qui mérite d'attirer de nouveau notre attention. C'est que tandis que [5]l'apostat israélite n'était point admis à offrir des sacrifices à Jérusalem, ceux des Gentils étaient toujours reçus et de plus il était prescrit de ne faire pour les noachides aucune distinction entre les fidèles et les hérétiques. Cette disposition singulière et assez énigmatique se trouve contenue dans une Baraïtaqui s'exprime ainsi: « Il est écrit, (Lévitique, I, 2,) à propos du sacrifice israélite: « Entre vous » [6] et non pas « entre vous tous »; c'est que ces mots « entre vous » excluent l'apostat et cela signifie: Je distingue entre vous, tandis que je ne fais aucune distinction entre les Gentils ». Quel est le sens de cette Baraïta? Raschi se charge de nous l'apprendre: « Je distingue entre vous, dit-il, pour exclure l'apostat, mais je ne distingue point entre les Gentils, car les hérétiques eux- mêmes sont admis ».

Evidemment il s'agit ici d'hérétiques gentils. Il existe donc, d'après l'hébraïsme, des hérétiques parmi les Gentils ou noachides et des infidèles à côté des croyants. Mais qu'est-ce qu'un hérétique noachide? On serait tenté de croire qu'il s'agit du gentil qui n'observe pas la loi noachide et qui, comme nous l'avons déjà dit, était cependant admis à offrir des sacrifices à Jérusalem. Si tel est le sens, à la rigueur acceptable, de ce texte de la Baraïta, il ne nous apprend rien de nouveau. Ce qui rend toutefois cette interprétation douteuse, c'est le mot min employé pour désigner cet hérétique noachide. On peut d'autant moins songer à prendre ce terme comme synonyme de goï ou simple païen qu'il se trouve mis en parallèle avec celui de moumar par lequel on indique l'lsraélite apostat et qui aurait parfaitement pu être appliqué à la place du mot min, ou noachide renégat. Nous n'ignorons pas qu'un passage talmudique [7] où il est question du livre de la Loi, écrit soit par un goï, soit par un min, semble confondre les deux appellations, mais il n'est nullement certain que ce texte vise spécialement l'infidèle noachide, plutôt qu'un païen quelconque, au prêtre par exemple, consacré plus complètement au culte polythéiste. Nous croyons, quant à nous, que la Baraïta qui nous occupe en ce moment date d'une époque où le monde comptait déjà de nombreux chrétiens ordinairement désignés sous le nom de [8]; ce serait donc aux chrétiens, soit juifs de naissance, soit païens d'origine que ce texte accorderait la faveur de pouvoir célébrer des sacrifices au nom du vrai Dieu selon le rite noachide.[9]Cette explication soulève, il est vrai, une objection sérieuse. Le Juif de naissance devenu chrétien serait considéré dans ce système comme un simple insoluble. Or c'est là précisément ce qui est en contradiction formelle avec les principes les plus incontestés du judaïsme, d'après lesquels l'Israélite ne peut jamais perdre son caractère particulier, ni devenir un simple noachide, tandis que ce dernier au contraire a le pouvoir d'acquérir la qualité de véritable israélite. On pourrait sans doute limiter la signification du mot au chrétien d'origine païenne, mais alors la difficulté ne fait que changer de nature, car quel besoin chrétien là aurait-il d'une autorisation spéciale, puisqu'il n'est israélite à aucun titre? L'objection, à notre avis, n'est pourtant pas décisive. Il est certain que le chrétien qu'on a en vue n'est pas israélite au sens du judaïsme traditionnel, mais par le seul fait d'être chrétien, il se croit cependant israélite et même seul véritable israélite. Cela n'est guère douteux, si l'on songe à l'état de transition et d'imprécision que présentait alors la foi chrétienne. La Baraïta nous enseignerait donc justement qu'il ne faut nullement le regarder comme un prosélyte de justice, c'est-à-dire comme un israélite d'adoption à qui il est interdit de sacrifier en dehors de Jérusalem et autrement que selon le rite mosaïque, et qu'en outre, le fait d'appartenir à une secte d'Israélites apostats, comme l'était aux yeux des Juifs l'Eglise chrétienne, ne devait point constituer pour lui un obstacle à l'exercice des droits que lui reconnaissait le judaïsme, puisqu'il était païen de naissance et n'avait jamais été régulièrement converti.

Les conditions imposées étaient dans ce cas plus rigoureuses que lorsque le Gentil sacrifiait pour son propre compte et sur son propre autel; l'animal en effet devait être exempt de tous les défauts qui le rendaient impropre au sacrifice israélite, tandis que lorsque le noachide immolait directement la victime selon son rite particulier, la seule cause d'empêchement, d'après la doctrine juive, était le mehussar eber , c'est-à-dire la privation d'un membre. On lit dans le Talmud: « Pour les Gentils il n'y a pas d'autre défaut reconnu pour la victime que la privation d'un membre. R. Eléazar disait: D'où apprenons-nous que l'absence d'un membre rend l'animal impropre au sacrifice chez les Noachides? De ce verset: « De tout animal vivant, de toute chair [10] ». La Loi veut dire: tout animal dont les membres sont sains ». Et Raschi dit de son [11] côté: Les Gentils, dans leurs sacrifices aux idoles, suivent la coutume qu'observaient leurs pères dans leurs sacrifices au vrai Dieu [12]». Ces paroles sont précieuses, parce qu'elles constituent un jugement d'une haute impartialité à l'égard du culte polythéiste qui se trouve considéré comme une image de l'ancien et aussi parce qu'elles offrent une source d'informations sur les traces que le polythéisme conservait du culte noachide primitif.

Ce n'est pas à dire que le paganisme postérieur ait gardé intacte au moins la forme du culte antique et que la tradition israélite n'ait rien à nous apprendre, sur ce chapitre, des qualités requises pour les victimes dans les sacrifices noachides. Une des conditions les plus remarquables était la distinction qui devait être faite entre les animaux purs et les animaux impurs, car les Gentils, qui pouvaient se nourrir librement de la chair de n'importe quel animal, sans avoir à observer aucune loi alimentaire, en vertu de cette parole de la Genèse IX, 3: «Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture », devaient au contraire choisir les victimes de leurs sacrifices parmi les animaux purs. Ainsi les dispositions qui réglementaient leur culte étaient précisément celles qui réglaient la nourriture des Israélites, ces prêtres de l'humanité. On aurait tort de voir là une législation imaginée postérieurement pour donner aux distinctions mosaïques le cachet d'une haute antiquité. Une pareille intention n'apparaît nulle part dans le Pentateuque. En outre, la critique qui soutiendrait une telle affirmation commettrait un choquant anachronisme en transportant à une époque et dans un milieu qui n'en sont point susceptibles, des idées, qui ne s'expliquent que chez les esprits orthodoxes de notre temps. Autant ceux-ci en effet aspirent naturellement à retrouver à toute époque dans leur religion la tendance universaliste, autant la mentalité de l'ancien Juif devait être étrangère, antipathique même à ces sortes d'assimilations qui plaçaient au même rang les Israélites et les Gentils.

Si l'écrivain sacré avait obéi aux préoccupations que l'on suppose n'aurait-il pas d'ailleurs cherché à faire concorder de point en point la loi mosaïque avec celle qui l'a précédée, au lieu de laisser subsister au milieu des frappantes analogies qu'elles présentent, des différences non moins sensibles? Il y a là une preuve manifeste que ce n'est pas un esprit systématique qui a présidé [13]à de tels arrangements. En ce qui concerne par exemple cette question du choix des victimes, tous les animaux purs, qui pouvaient figurer sur la table israélite et que les Gentils étaient admis à immoler sur leurs autels, n'étaient point reçus, tant s'en faut, pour les sacrifices mosaïques, seules certaines espèces privilégiées pouvaient être choisies comme victimes chez les Juifs. On ne saurait donc, encore une fois, concilier nos diverses dispositions avec l'hypothèse d'un système préétabli.

§ 2.

Nous avons dit que les avis sont partagés sur la question de savoir s'il faut voir dans le sacrifice noachide un holocauste, un sacrifice d'actions de grâces ou une offrande expiatoire. Cette question se rattache apparemment à celle qui est débattue dans le Bereschit Rabba [14] et dans le Talmud [15] à propos de l'histoire de Caïn et d'Abel. On se demande quelle fut avant Moïse la forme du sacrifice noachide. L'opinion de ceux qui prétendent que les holocaustes seuls étaient connus des anciens se trouve confirmée par certains historiens et l'on sait que, d'après Hésiode, ce fut Prométhée qui obtint de Jupiter la faculté de ne consumer qu'une partie seulement de la victime pour éviter une dépense excessive. Cette doctrine représentée dans le Talmud par R. Akiba contre R. José le Galiléen, qui, au contraire permettait au gentil d'offrir à Jérusalem tous les sacrifices pouvant former l'objet d'un vœu ou une oblation, a prévalu par la suite, au moins chez Maïmonide [16]

Il est très remarquable que, tandis que toute espèce de sacrifice était rigoureusement interdite à l'Israélite en dehors de Jérusalem, et de son temple, le noachide, tout en ayant la faculté de sacrifier a Jérusalem, pouvait également, comme nous l'avons déjà établi, offrir ses sacrifices en quelque lieu que ce fût [17].Ainsi le judaïsme, plus de mille ans avant l'avènement du christianisme, avait déjà réalisé, pour le compte de la gentilité, cet idéal d'universalisme religieux dont on voulut voir, bien à tort, le premier fondement dans le discours de Jésus à la Samaritaine [18]. Seulement le catholicisme[19] des Pharisiens, très différent en cela de celui de Jésus, ne sacrifie pas l'idée de patrie à celle d'humanité, d'autant moins que cette patrie juive qu'ils aimaient était à leurs yeux la métropole religieuse de l'humanité. Jérusalem et son temple étaient ouverts à tous les peuples aussi bien qu'aux Israélites, mais aucun lieu particulier, pas même cette Jérusalem si vénérée, n'était imposé aux Gentils pour la célébration de leur culte. Voici, sur cette question, un texte décisif de la Baraïta: « Il est prescrit aux enfants d'Israël de ne point offrir de sacrifices en dehors du temple de Jérusalem, mais aux Gentils il n'a rien été commandé de semblable. c'est pourquoi tout gentil peut élever un autel pour son propre usage et y sacrifier les victimes de son choix ». Et le Talmud, à propos de l'état religieux des Hébreux avant la loi mosaïque, ajoute: La situation des non-juifs aujourd'hui encore est la même, c'est-à-dire qu'ils peuvent faire tout ce qui était permis aux Israélites avant l'érection du tabernacle, alors qu'ils sacrifiaient partout où ils voulaient [20] » . « En effet, dit Raschi, les autel, privés (bamot) ne leur ont point été interdits ».

Nous ferons observer en passant que si la position des Gentils est la même que celle d'Israël avant la construction du tabernacle, ce sont les premiers-nés qui devaient être chez eux, comme chez les anciens Hébreux, investis des fonctions sacerdotales.

Cette catholicité du culte noachide, le croirait-on? date de la Bible. Le passage célèbre de Malachie suffit pour nous en instruire. Les faits antérieurs ou postérieurs à Moïse que relatent les Ecritures en témoigneraient déjà au besoin, Mais la proclamation du principe, dans la forme qu'elle revêt chez le dernier des prophètes, a quelque chose de frappant. Malachie qui, par la perpétuelle sanction de la loi mosaïque établit définitivement le particularisme juif, consacre en même temps l'universalisme d'Israël en sanctionnant en termes admirables la légitimité du culte noachide: « Car, dit il, depuis l'Orient jusqu'à l'Occident, mon nom est grand parmi les Gentils; en tout lieu on brûle de l'encens en l'honneur de mon nom et l'on présente des offrandes pures, car mon nom est grand parmi les nations, dit l'Eternel Zebaot [21] ».

En ce qui concerne la célébration du culte universel ou noachide, il est important d'observer que le judaïsme se croyait en [22] possession des règles qui devaient être suivies. Bien qu'il fût défendu à l'israélite de participer au sacrifice du noachide, à cause de la diversité des législations rituelles auxquelles ils étaient respectivement soumis, le Talmud autorise néanmoins expressément l'israélite à diriger le non juif dans la célébration de son culte et à lui enseigner les lois particulières de sacrifies noachide. Nous avons cité dans un précédent chapitre l'exemple rapporté par le Talmud, de la mère de Sapor, roi de Perse, qui envoya à Raba une victime pour qu'il l'immolât en son mon au vrai Dieu et nous avons vu comment le docteur délégua deux autres rabbins, Rab Saphra et Rab Ahu, fils de Rab Unna, chargés de régler les détails de l'exécution du sacrifice [23]. Il nous semble que cette occasion, qui se renouvela peut être assez fréquemment, marqua un instant solennel dans les destinées du judaïsme, qui prit alors un caractère d'universalité ineffaçable. En présence de ce fait capital, les circonstances particulières n'ont plus qu'une importance secondaire. Cependant il est intéressent de noter que la pureté, l'éloignement de tout contact ou mélange idolâtrique est l'idée dominante, rien de ce qui était utilisé pour le sacrifice ne devant avoir servi précédemment à un autre usage. Nous retrouvons cette idée dans la conduite des Philistins au moment où ils renvoient l'arche d'alliance qu'ils avaient capturée. [24]

La Bible nous fournit d'ailleurs d'autres exemples de la connaissance des rites mosaïques qui se conservait chez les païens et celui de Balaam est l'un des plus saillants [25]. En tout cas, nous croyons avoir établi les liens qui rattachent les rites noachides à la religion mosaïque et démontré, contrairement à l'opinion généralement répandue, qu'Israël n'a jamais cru être seul à pratiquer un culte agréable à Dieu.


References

  1. Page 674
  2. Genèse, XXI, 33.
  3. Ibid XXIV, 2.
  4. Job, IX, 30.
  5. Page 675
  6. Houllin 5 <super> a </super>; 13 <super> b </super>
  7. Ghittin, 45 <super> b </super>
  8. minim
  9. Page 676
  10. Genèse, VI, 19
  11. Page 677
  12. Aboda Zara, 5 <super> b </super>
  13. Page 678
  14. XXXII, § 9.
  15. Zebahim , 116 a
  16. Maasé accorbanot, III, 3.
  17. Zebahim, 115 <super> b </super>
  18. Jean, IV, 21-24.
  19. Page 679
  20. Zebahim 115 b.
  21. Samuel, VI, 7 sqq.
  22. Page 680
  23. Nombres, XXIII, I.
  24. Nazir 62 <super> a</super>; Aboda zara, 5 b.
  25. Malachie, I, II.