Israël et L'Humanité - Le Tétragramme et l'unité de Dieu

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IV.

Le tétragramme et L'unité de Dieu.

L'étude que nous venons de faire des divers monuments bibliques ne nous dispense pas d'examiner plus à fond la grande preuve de monothéisme que nous fournit le tétragramme lui‑même. Nous avons dit plus haut que ce nom nous révèle l'unité de Dieu dans son essence et, comme conséquence, le monothéisme, puisque sa sublime conception de Dieu comme l'Etre absolu supprime de fait toute possibilité d'assimilation aux autres divinités. En dési‑gnant ainsi la source, de toute vie, de toute force, de toute énergie, le tétragramme est plus qu'une affirmation verbale de l'unité divine[1], il est toute une philosophie et Maïmonide a eu raison de dire que le nom demandé à Dieu par Moïse et communiqué à Israël, c'est la démonstration de l'Etre nécessaire. Si certains critiques prétendent après cela qu'il a été imaginé uniquement dans une intention de polémique contre les dieux étrangers, une telle supposition, bien qu'un peu simpliste, n'a rien à notre avis de déraisonnable. Mais se refuser ensuite à reconnaître que les adorateurs du Dieu qu'il désignait professaient le plus pur monothéisme, prétendre que malgré la confession d'unité renfermée dans ce nom auguste, ils pouvaient admettre l'existence d'autres divinités, c'est ce qui nous paraît manquer singulièrement de logique.

Les exégètes modernes s'accordent généralement pour donner au tétragramme cette signification d'Etre nécessaire et pour la faire dater de Moïse, sinon d'une époque plus reculée. D'après M. Kuenen, l'un des plus judicieux et des plus indépendants, Moïse fut le premier à appeler de ce nom le Dieu des enfants d'Israël, mais il ne l'avait point inventé et ce mot, bien qu'il ne présentât pas pour tous le même sens, était déjà en usage dans un petit cercle d'initiés quand il le choisit pour indiquer le Dieu des Hébreux. Ceci nous parait assez bien se concilier avec les déclarations de l'Exode, d'après lesquelles le nom fut communiqué à Moise comme une preuve de sa mission auprès des Israélites. Ceux ci ne l'ignoraient donc pas, puisqu'ils devaient reconnaître à ce signe la vérité du message. Comment se fait‑il cependant, qu'ils demandent à Moïse le nom du Dieu qui l'envoie comme s'ils ne le connais‑ saient point? L'observation de M. Kuenen nous paraît résoudre cette contradiction. Un petit cercle d'initiés possédait le nom sacré; il faisait partie de leurs enseignements secrets et Moïse, comme le vulgaire, ne l'avait pas appris. Dieu, comme marque de sa vocation, le lui révèle directement; désormais, ce nom ne sera plus un mystère pour personne. Nous avons là, dès cette haute antiquité, un exemple de l'évolution normale de l'hébraïsme qui consiste à publier ce qui était primitivement voilé et à rédiger successivement par écrit ce qui d'abord se transmettait oralement. Si les adversaires de la Kabbale veulent bien y prêter attention, ils se convaincront que le judaïsme, soit que l'on consente à voir en lui un caractère divin, soit qu'on le mette au même rang que les autres religions orientales, est de toute façon quelque chose de plus et de mieux que l'insuffisant théisme auquel ils prétendent arbitrairement le borner.[2]

Les critiques rationalistes, en contestant le monothéisme des Hébreux et en admettant d'autre part un fondement historique au récit de leur séjour en Egypte, ne s'aperçoivent pas qu'ils réfutent en quelque sorte eux‑mêmes leurs assertions. L'égyptologie en effet a établi d'une manière indubitable que l'Egypte antique était parvenue à la conception de l'unité universelle, soit, dans le sens du théisme, soit dans le sens du panthéisme. Elle ne manque pas non plus, nous l'avons vu, chaque fois que l'on remarque une analogie entre la religion mosaïque et la religion égyptienne, d'y signaler un emprunt fait par la première à la seconde et nous avons dit comment nous entendions cela. En présence de tels faits, est‑il possible de nier la signification que nous attribuons au tétragramme et avec elle la présence chez les anciens Juifs du plus pur monothéisme, sinon comme doctrine révélée ou croyance qu'ils possédaient en propre, du moins comme emprunt fait aux mystères égyptiens? On suivrait ainsi la méthode adoptée partout ailleurs et l'on éviterait une contradiction qui donne l'apparence d'un défaut de sens critique ou d'impartialité.

Nous signalerons encore une autre preuve que le nom de Dieu chez les Hébreux désignait bien l'Etre même, le Dieu unique, et niait par cette simple affirmation toute possibilité de polythéisme: c'est la haine plus ou moins sourde que les peuples païens nourrissaient contre eux. Ils regardaient Israël comme une nation absolument à part et Israël, de son côté, se glorifiait d'être ainsi traité. Cette idée remonte à l'époque la plus reculée de l'histoire juive et elle nous explique plus d'un fait de cette histoire. Quelle était donc la cause, de cette aversion des Gentils? Est ce parce que les Juifs n'adoraient qu'un seul dieu national, repoussaient toute divinité étrangère et professaient en somme une rigoureuse monolâtrie? Il n'y aurait pas là de motif suffisant pour justifier l'antipathie dont ils étaient l'objet, car le système de la monolâtrie n'implique pas la négation de l'existence des autres dieux, mais bien plutôt la reconnaissance de ces mêmes dieux et de la légitimité de leur empire sur les nations qui les adoraient. Mais il n'en est pas de même si la religion d'Israël était le véritable monothéisme. Un abîme séparait alors ce peuple de tous les autres; il se trouvait vraiment leur adversaire naturel par le seul fait de nier l'existence de leurs dieux, tandis que les nations païennes, bien que différant entre elles sur le choix des divinités à adorer, s'accordaient néanmoins dans la notion de polythéisme et admettaient le droit pour chaque[3] pays d'avoir ses dieux particuliers. Le nom que les Juifs donnaient à Dieu était donc une profession de foi qui, de fait, les séparait de la Gentilité, et l'éloignement que celle‑ci éprouvait pour eux avait pour cause, non la diversité des lois et des coutumes, mais une différence essentielle dans les conceptions religieuses. Sans doute les prescriptions bibliques témoignent d'une intention évidente d'isoler les Juifs de tous les autres peuples, mais ce motif de préservation ne s'explique qu'autant qu'il s'agissait de sauvegarder quelque grand principe que le contact des païens aurait pu compromettre et ce principe ne pouvait être que le monothéisme. C'est lui que le tétragramme sacré nous révèle; c'est lui qui est à la base de toute la législation mosaïque qu'il pénètre de son esprit.

Nous retrouvons le monothéisme jusque dans le sentiment de nationalité. Un grand nombre de sentences rabbiniques mettent en effet l'unité de Dieu en étroite corrélation avec l'unité d'Israël. Qu'est‑ce à dire, sinon que celle‑ci apparaissait comme la conséquence de celle‑là, en ce sens que les lois destinées à séparer Israël des autres nations et à lui maintenir son caractère absolument spécial avaient en définitive pour but de conserver le monothéisme dont ce peuple unique avait le dépôt? C'est ainsi que Moïse fait dire à Balaam en parlant des Hébreux: « C'est un peuple qui a sa demeure à part et qui ne fait point partie des nations » [4]; et dans un autre passage il dit lui‑même: « Aujourd'hui tu as fait promettre à l'Eternel (tétragramme) qu'il sera ton Dieu... et aujourd'hui l'Eternel t'a fait promettre que tu seras son peuple d'élection » [5]

Avant de terminer ce chapitre sur le tétragramme, profession de foi abrégée et sublime de l'unité de Dieu, qu'il nous soit permis de rappeler ici les services que ce dogme a rendus à la science. Sans doute nous ne sommes pas de ceux qui n'envisagent dans les propositions dogmatiques, même les plus importantes, que le côté utilitaire, en sorte que la seule valeur des croyances devrait être cherchée dans les avantages moraux et sociaux qui en découlent. Si c'est là du judaïsme, c'est un judaïsme d'esprit bien mercantile. Mais si l'intérêt pratique n'est ni l'unique raison d'être, ni le but final de la connaissance de la vérité, il en est du moins la conséquence naturelle. Nous citerons les paroles d'un savant qui[6] a signalé dans la foi monothéiste un facteur puissant pour l'étude et le culte de la vérité et rendu par là même justice à Israël, gardien séculaire de ce dogme; « L'idée d'un Dieu qui ne tolère à côté de lui aucun autre Dieu, qui n'apparaît plus comme une fiction humaine entourée de fables indignes, mais comme l'Etre suprême et absolu qui réclame pour soi toutes les aspirations morales de l'homme, et dont l'omniscience découvre toute transgression pour la punir, cette idée de Dieu transmise pendant des siècles de génération en génération, a fini par réagir sur la science même et a accoutumé l'esprit humain à la conception d'une raison unique des choses et enflammé en lui le désir de connaître cette raison » [7]

Il est très exact de faire ressortir que l'unité de la science est basée sur l'unité de Dieu, mais on peut ajouter que l'idée de science, et par conséquent la notion même de vérité, n'a pas d'autre fondement. La vérité et l'absolu scientifique, ce qui est tout un lorsqu'il 'agit de science, supposent l'absolu ontologique, l'absolu en soi, c'est‑à‑dire le Dieu Un, car l'absolu, c'est l'unité par excellence et ce ne peut être autre chose. Le polythéisme au contraire n'est que le relativisme en religion, base du relativisme dans le domaine de la science, qu'on pourrait ainsi appeler une sorte de polythéisme scientifique. Autant de vérités que de mentalités différentes, autant de dieux que d'adorateurs.

En face de l'opinion du savant que nous venons de citer, il est curieux de placer celle d'un autre auteur qui semble aboutir à des conclusions diamétralement opposées. « Au panthéisme hindou et au polythéisme grec, écrit M. Morselli, nous devons les plus belles créations de l'épopée, de même qu'au culte de la nature qui ne s'est jamais éteint dans les meurs aryens, nous sommes redevables de cette réhabilitation de la matière qui a rendu possibles les triomphes de la science moderne » [8]. Nous ne sanctions condamner ces déclarations qui contiennent aussi, à notre avis, une part de vérité. Le monothéisme exclusif est favorable à la conception d'une vérité unique et par là au culte de la science, mais il ne développe pas le sentiment de la nature au même degré que le panthéisme ou le polythéisme. Si l'on veut obtenir la foi en la vérité absolue, condition indispensable pour croire à la valeur réelle de la science, en même temps que l'on exaltera l'amour, le cult[9] de la nature, il faut la croyance au Dieu transcendant, celui du tétragramme, aussi bien que la croyance au Dieu immanent, à la Présence divine dans le monde (Schechina), conciliées toutes deux par la doctrine de l'émanatisme, c'est à dire au seul vrai Dieu que ne limite ni le temps ni l'espace, présent dans la réalité des choses et la dépassent de toute la grandeur de l'infini. Telle est, nous ne nous lasserons pas de le répéter, la foi du judaïsme intégral.[10]

References

  1. Page 92
  2. Page 93
  3. Page 94
  4. Nombres, XXIII, 9.
  5. Deutéronome, XXVI, 17,18.
  6. Page 95
  7. M.r DUBOIS RAYMOND dans la Revue Scientifique, 19 Janvier 1878, p.676.
  8. Nuova Antologia Italiana, Juin 1880, p.125
  9. Page 96
  10. Page 97