Israël et L'Humanité - Le monothéisme mosaïque et la critique

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CHAPITRE CINQUIÈME

ANTIQUITÉ DU MONOTHÉISME MOSAÏQUE

LE DIEU DES DIEUX

1.

Le monothéisme mosaïque et la critique.

Nous ne nous acquitterions pas complètement de notre tâche, si nous négligions d'examiner avec attention les objections qui nous sont faites relativement à l'antiquité du monothéisme mosaïque. En admettant même que parmi les textes qu'on nous oppose il y en ait qui contredisent réellement ceux sur lesquels nous ayons cru pouvoir nous appuyer solidement, nous n'estimerions pas que cela infirme en rien notre thèse.

Lorsque deux doctrines s'excluent l'une l'autre dans une même société religieuse, c'est toujours de la plus parfaite qu'il convient de tenir compte. Il est inadmissible en effet que l'esprit une fois parvenu dans ce domaine à une certaine hauteur puisse ensuite retomber très bas et ramper péniblement. C'est en tout cas son plus haut degré d'élévation qui donne la mesure de ses forces et qui seul doit être envisagé, si l'on veut émettre un jugement impartial en pareille matière, les autres manifestations regardées comme contradictoires n'étant que les symptômes de l'impuissance de la masse à maintenir sa foi dans les régions supérieures. Burnouf a exprimé une idée analogue, en des termes que nous ne saurions mieux faire que de reproduire: « C'est, dit il, une réflexion dominant tous les faits que lorsque l'humanité s'est trouvée en possession [1]d'un principe vrai, il n'y a pas d'exemple qu'elle l'ait laissé périr ». En outre, les professions de foi monothéiste ne peuvent s'expliquer que comme un indice sérieux de développement spirituel, tandis que les restes de polythéisme trouvent une justification suffisante dans les conditions spéciales de temps, de civilisation et de langage. Il serait injuste enfin de confondre indistinctement la religion avec les croyances populaires. A notre époque même, on peut signaler dans toutes les classes sociales des superstitions, d'après lesquelles il serait injuste de juger de l'état de la religion en général; à plus forte raison lorsqu'il s'agit de la lutte entre le monothéisme et le polythéisme qui dut être nécessairement longue et difficile.

On prétend, contrairement à nos affirmations, que les anciens Juifs ont été polythéistes et que le culte hébraïque n'a été ensuite que l'adoration d'un dieu local et national. Cette double accusation, que l'on croit pouvoir baser sur des témoignages fournis par la Bible elle-même, tend à ruiner la notion d'un Dieu universel que nous considérons comme caractéristique de la religion d'Israël.

Mais d'abord qu'entend-on par ce polythéisme des anciens Juifs? Personne ne nie que ceux-ci n'aient été idolâtres à plusieurs reprises; l'histoire ne laisse aucun doute à cet égard. La question est de savoir si, nonobstant ces défaillances passagères, ils ont toujours été en possession d'me religion enseignent le pur monothéisme, si les doctrines de cette religion sont contenues dans le Pentateuque et, à supposer qu'elles s'y trouvent, s'il y a toujours eu en Israël une portion du peuple qui leur soit demeurée fidèle. Cette dernière partie de la question a son importance sans doute et il ne serait pas difficile, ainsi que d'autres l'ont fait, de la résoudre affirmativement. Renan dit quelque part que la grandeur du peuple juif est d'avoir constamment renfermé une admirable minorité. Toutefois ce problème peut à la rigueur rester en dehors de nos recherches actuelles. Ce qui importe avant tout est l'existence ancienne et permanente d'une religion monothéiste, car c'est de la religion elle-même qu'il s'agit et non point de ses adeptes. Cette existence une fois démontrée, lors même que le monothéisme officiel n'aurait compté qu'un bien petit nombre de fidèles, le caractère universaliste du judaïsme demeurerait inattaquable. S'il était même prouvé que la foi monothéiste a subi des éclipses plus ou moins totales, cela ferait ressortir davantage l'opposition entre l'état des croyances populaires et la sublimité [2] de ce principe qui regardait moins encore le présent que l'avenir.

Ceux qui nient l'existence du monothéisme primitif même en Israël soutiennent que pendant un certain temps le polythéisme domine exclusivement et qu'il ne disparut que lentement, à mesure que s'élaborèrent des conceptions plus élevées, sans que celles ci cependant aient jamais dépassé le niveau d'une monolâtrie relative, bien différente du monothéisme absolu que nous soutenons. Ils prétendent appuyer cette thèse sur les quatre premiers livres du Pentateuque lui-même, où Avaya figurerait, non comme le Dieu unique reconnu par les Hébreux, mais seulement comme une divinité supérieure aux autres, telle que Zeus ou Indra.

Il n'échappera à personne que c'est là une question capitale dont dépend en grande partie l'avenir religieux de l'humanité. Si l'objection rationaliste était fondée, il ne serait plus possible d'en appeler à l'autorité, de la révélation hébraïque; avec elle s'écrouleraient du même coup le christianisme et l'islamisme qui s'attachent tous deux au vieux tronc d'Israël et l'humanité se verrait condamnée à tout recommencer et à rallier peut-être éternellement, comme Sisyphe le poids écrasant de ses aspirations sans jamais pouvoir atteindre le sommet désiré. Mais il nous semble que nos adversaires ne tiennent pas suffisamment compte de toutes les preuves directes de monothéisme que nous avons indifféremment puisées dans tous les livres du Pentateuque; de plus les preuves extrinsèques du monothéisme mosaïque sont loin de nous manquer.

Strabon, Tacite et d'autres encore mentionnés par Josèphe, s'accordent pour reconnaître chez les anciens Juifs le monothéisme le plus absolu. Strabon pousse même cette notion d'unité jusqu'aux confins du panthéisme et il faut bien admettre qu'il a dû fonder son opinion, soit sur l'étude directe des livres mosaïques, soit sur l'idée que depuis longtemps les Gentils se faisaient de la religion d'Israël. Parmi les auteurs plus modernes nous citerons Spinoza et Salvador qui vont l'un et l'autre jusqu'à attribuer à Moïse la doctrine de l'identité absolue, du monisme panthéistique. En parlant des Juifs qu'il décrit comme étrangers aux spéculations métaphysiques de l'Inde et de la Chaldée, M. Maury nous dit: « ces pasteurs avaient retrouvé ce Dieu simple et universel que la nature nous enseigne. Le mosaïsme dota le monde de l'idée de l'unité divine, de l'unité avec une rigueur et un caractère absolu qu'on ne rencontre dans aucune autre religion de l'antiquité. Seul il enseignait [3] ce Dieu conçu purement par la pensée, être suprême et éternel qui n'a point changé, et qui ne finira pas, summum illud et æternum neque mutabile neque interiturum, comme dit Tacite commentant Renan, ces mots de l'Exode: l'Eternel régnera à perpétuité » [4]. Nombreux sont les critiques qui attribuent soit aux Sémites en général, comme Renan, soit aux Juifs en particulier, comme Munk, l'intuition primitive et originale du monothéisme. Dès lors n'est-il pas naturel d'en rechercher les traces dans les plus anciens documents religieux et d'attribuer les formes polythéistes, qui se rencontrent dans ces mêmes écrits, à une action tout extérieure des circonstances?

Disons encore, avant d'aborder l'examen détaillé des plus importantes objections de la critique, que les rationalistes modernes nous fournissent des arguments en faveur du monothéisme mosaïque par l'excès même de leurs négations. Ils affirment en effet que le Pentateuque contient à peine un embryon d'angélologie, ce qui établirait d'ailleurs contre eux l'antiquité et l'authenticité des livres de Moïse, antérieure par conséquent à l'époque des contacts assyrien, babylonien et persan qui introduisirent, nous dit-on, dans l'hébraïsme la doctrine des anges. Mais de plus cette absence ou cet état rudimentaire de l'angélologie supposerait à cette époque un règne si paisible et si absolu du pur monothéisme qu'il n'y aurait pas eu la moindre place pour l'idée d'êtres surnaturels remplissant le rôle de divinités inférieures, tandis que le polythéisme au contraire est éminemment favorable à cette conception. La contradiction est particulièrement frappante, lorsque la critique conteste au judaïsme primitif l'idée de Satan, l'ange malfaisant, car il est incontestable que la distinction entre le principe bon et le principe mauvais, le dieu du bien et le dieu du mal, est l'une des premières formes que revêt naturellement le polythéisme. Au contraire le monothéisme rigoureux, tend à supprimer ou laisser dans l'ombre toute idée de puissance qui pourrait rivaliser avec le Dieu un et nous avons dit qu'Isaïe pousse si loin l'esprit du monothéisme mosaïque que, dans ses paroles à l'adresse du dualisme persan, il a la sainte témérité d'appeler Dieu l'auteur du malheur.

Ainsi certaines critiques des rationalistes nous fournissent des preuves en faveur de notre thèse. Voyons maintenant ce que valent leurs principales objections. [5]

References

  1. Page 153
  2. Page 155
  3. Page 155
  4. Religions de la Grèce, tome III, p. 482.
  5. Page 156