Israël et L'Humanité - Le progrès dans la créature

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VII.

Le progrès dans la créature.

Le mot par lequel l'hébraïsme désigne le progrès dans la créature elle-même , ce qui s'appelle en langage scientifique la transformation de l'être inférieur en l'être supérieur, le mot illouï [1]est très caractéristique de la doctrine juive, car il réunit à la fois les deux idées de mouvement et d'élévation. C'est quelque chose de plus que le terme d'évolution partout adopté aujourd'hui, car celui-ci n'indique pas le second élément de modification pourtant si précieux. Le illouï au contraire est une ascension.

Ce vocable appartient à la théosophie hébraïque précisément dans le sens que nous lui donnons, mais la formule elle-même et la doctrine qui en découle ne se retrouvent pas chez les Kabbalistes seulement. C'est le patrimoine du judaïsme rabbinique tout entier, ou pour mieux dire la Kabbale sur ce point comme sur tant d'autres représente fidèlement les idées judéo-rabbiniques. Un penseur éminent doublé d'un grand écrivain semble paraphraser admirablement l'enseignement du illouï, quand il écrit des paroles comme celles-ci: «  Eprise de la beauté [2] la nature monte d'un continuel élan vers elle et de plus en plus s'en approche dans ses formes. L'univers est donc un être immense qui se soulève sans cesse vers une fin plus haute qu'il a préparée par tous ses efforts antérieurs prouvant [3]à la fois et son immense désir du bien et sa merveilleuse industrie ».En lisant ces mots, nous nous sommes répété ce que nous avions constaté bien des fois, c'est que chaque fois qu'un philosophe tant soit peu idéaliste élève l'expression de sa pensée, il nous semble entendre un Kabbaliste qui raisonne, preuve évidente que nous ne sommes pas le jouet d'une illusion en cherchant à interpréter les uns par les autres.

Pour la Kabbale, comme pour la réalité physique, le minéral se transforme en végétal, le végétal en animal et l'animal en l'homme. Dans l'homme même, ce qui est d'abord physique devient psychique par l'acte de nutrition. Voilà pourquoi l'alimentation a une si grande importance dans ce système, car on lui attribue justement le rôle de transformer l'être corporel en être spirituel, de servir d'intermédiaire entre l'un et l'autre, en sorte que, lorsque la religion y préside, elle est considérée comme aussi sainte et aussi méritoire que l'acte même du sacrifice.

Ecoutons le langage de la science contemporaine si semblable à ces idées: « Outre ce travail extérieur visible à tous, il se fait en lui (en l'animal par l'alimentation) un travail tout intérieur dont lui seul a connaissance. Cle travail, bien qu'il puisse être aussi accompagné d'une dépense de force, aboutit à un résultat tout diffèrent, à une accumulation de force. La mémoire et l'espérance, la défiance ou la familiarité, la ruse ou le courage qui en sont la suite, la science, le génie des découvertes et le perfectionnement de l'humanité, voilà dans des ordres d'idées différents des exemples saisissants d'accumulation des forces. L'emploi métaphorique du mot apprendre, qui étymologiquement signifie s'annexer en prenant, est fondé sur le sentiment instinctif et profond de la réalité, savoir c'est avoir appris... L'alimentation sert donc à deux fins, elle répare des forces physiques, elle accumule des forces psychiques [4]»

Si l'on vent pousser plus loin la recherche, on peut se demander en quoi l'homme lui-même se transforme. La réponse ne se fera pas attendre. On nous dira qu'il se transforme en un être supérieur qui en fait pour ainsi dire sa nourriture. Seulement cet acte prend le noble nom et la forme sainte d'un sacrifice. « Michaël, le grand pontife céleste, nous disent les Rabbins, célèbre le sacrifice des âmes d'Israël [5] Un passage du Lévitique présente au fond la [6]même idée. Il est dit à propos de la mort des deux fils d'Aaron: «  Or le feu sortit de devant l'Eternel et les dévora [7] » , sur quoi le commentaire rabbinique explique que le corps restant intact, ce fut leur âme que le feu divin consuma.

La mort du juste se consomme dans un baiser [8] par lequel deux esprits s'unissent. Le but suprême de tout le culte juif soit intérieur, soit extérieur est, pour la Kabbale, le ihoud, l'unification du réel et de l'idéal, du Dieu immanent, Schechina, et du Dieu transcendant, Tipheret, Par le moyen de l'homme, de son âme et de ses œuvres. Au lieu de voir dans les sacrifices humains l'instinct ou la croyance traditionnelle qu'un homme devait s'immoler pour tout le genre humain, ce qui n'est au fond que transporter artificiellement sur le terrain de la réalité une certaine idée théologique, il serait, semble-t-il, plus simple et plus exact d'y reconnaître le désir de continuer l'œuvre de la nature par l'immolation nécessaire de l'être inférieur à l'être supérieur.

On a fait remarquer avec raison que bien que le cannibalisme moderne n'ait pas toujours des motifs religieux, une certaine idée superstitieuse y reste cependant toujours attachée, celle par exemple de s'approprier la force ou les qualités de l'ennemi que l'on dévore. Dans la Bible même nous avons une terminologie qui porte l'empreinte de ces idées primitives: vaincre des peuples, les soumettre, cela s'appelle les manger. « Et tu dévoreras tous les peuples que L'Eternel, ton Dieu, te livre [9] ». Et dans le livre de Josué: « Quant à vous ne craignez pas le peuple de ce pays, car il sera notre nourriture ». Même s'il y avait là une réminiscence de l'ancienne anthropophagie, il faudrait encore reconnaître que celle-ci, de matérielle et brutale qu'elle était au début, se spiritualise toujours davantage, et les hommes se nourrissent de leurs semblables au moral, comme l'anthropophage au physique, un peuple plus développé intellectuellement ayant une faculté plus grande de s'assimiler tout ce qu'il y a de bon chez les autres. « Dans la nature comme en nous, écrit l'éminent penseur déjà cité, ce qui vaut moins est la condition de ce qui vaut mieux. Ce qui est, est la matière de ce qui sera, est le meilleur de ce qui doit [10]être. Que nous considérions la succession des êtres dans le temps ou leur coexistence dans l'espace, nous voyons toujours la même loi observée; l'inférieur prépare le supérieur et lui est sacrifié dès qu'il est apparu ». Peut-être serait-il plus exact de dire que ce sacrifice est la condition même de son apparition, Et le même auteur, après avoir fait remarquer que la nature procède toujours avec unité, d'un mouvement continu, sans interruptions ni reprises, conclut: « C'est de la vie même qu'elle fait sortir la vie supérieure; c'est sur la réalité qu'elle fait fleurir l'idéal [11] »

Il n'aura certainement pas échappé au lecteur que cette loi du progrès dans la créature présente une analogie frappante avec celle qui, selon nous, préside à l'assimilation des vérités éparses dans le paganisme par le monothélisme hébraïque, celui-ci possédant la faculté de s'agréger à tout ce qu'il y a de vrai dans les religions avec lesquelles il se trouve en contact et de se l'incorporer en repoussant le reste.

Au fond, c'est là une seule et même loi. Loin de détruire l'identité de l'être, elle la consacre et ce n'est pas à tort qu'on a pu voir le fondement du droit de propriété dans cette capacité à la fois expansive et attractive par laquelle les choses deviennent une partie de nous-mêmes. C'est ce qui justifie les Rabbins d'avoir parfois donné la même valeur à la propriété et à la vie, en jugeant aussi sévèrement les attentats contre l'une et contre l'autre, car la tendance naturelle du Moi est d'absorber pour croître. [12]


References

  1. עלוי de la racine עלה monter
  2. M. Renan dans la Revue philosophique, Oct. 1878, p. 372. Il faut se rappeler que dans le langage Kabbalistique, l'idéal, le Logos, porte le nom de tipheret, la beauté.
  3. Page 351
  4. Ribot-Delbœuf, Revue philosophique, fév. 1880, p. 163.
  5. Tosaphot sur Menahot 109.»
  6. Page 352
  7. Lévitique, X, 2
  8. C'est la belle idée exprimée par la Kabbale qui appelle la mort du juste neschika , le baiser
  9. Deutéronome, VI, 16
  10. Page 353
  11. Revue Philosophique, Oct. 1878.
  12. Page 354