Israël et L'Humanité - Le sabbat et la philosophie de l'histoire

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§. 5.

LE SABBAT ET LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE.

L'hébraïsme affirme non seulement le progrès dans l'évolution cosmique, mais encore dans l'histoire intérieure de chacun des mondes et de notre terre en particulier. Nous avons dit que les Rabbins, en commentant la première page du livre de la genèse, ont vu dans son récit une figure de l'évolution historique de l'humanité. Chaque jour de la création représente pour eux une période de l'histoire et le peuple qui, plus que les autres, en résume le caractère, Israël a naturellement aussi sa place dans le développement historique; le jour qui, dans le livre de la Genèse, correspond à son rôle dans le monde, c'est le Sabbat, jour consacré à Dieu, comme Israël lui est consacré entre toutes les nations. L'œuvre de chaque jour génésiaque répond par analogie à la nature de l'œuvre accomplie dans l'histoire par chaque peuple en particulier.

Le sabbat venu, la semaine est organisée, parce que le sabbat est le centre auquel tous les autres jours se rattachent, les créations partielles de chacun des jours qui l'ont précédé aboutissent toutes au repos sabbatique, terme et couronnement de la Création générale qui réalise en lui son unité. A l'apparition d'Israël, l'organe de la religion, qui relie tout, fait son entrée dans le monde, comme le centre qui réunit les diverses parties de la civilisation humaine, et la foule confuse des hommes et des races devient l'humanité, car il faut nécessairement à celle-ci un point central, spirituel et religieux, vers lequel viennent converger tous les rayons de la vie morale et intellectuelle des peuples, précisément [1]comme l'idée de Dieu, de l'Absolu est le centre de tout le savoir humain.

Ce rapport entre Israël et le Sabbat est exprimé par les Rabbins de bien des manières. L'âme du monde selon les Kabbalistes, porte le double nom de Schabbat et de Kenecet Israël, Eglise d'Israël, conformément d'ailleurs à la parole du Talmud: « Que l'Eglise d'Israël soit ta compagne! [2]. Israël est, comme le sabbat, séparé, mis à part et la liturgie juive fait dire au fidèle: « Béni sois-tu ô Eternel, qui sépares le saint du profane, le jour de la nuit, Israël des autres peuples et le septième jour des autres jours! » Sur ce texte de l'Ecclésiaste: « Dieu a fait chaque chose convenable en son temps [3]» les Rabbins ont brodé la parabole du champs et de son maître destinée à montrer qu'il n'y a que le maître qui sache approprier la semence et le travail à la nature des terrains et des saisons [4]. Les Kabbalistes ont aussi comparé Dieu qui fait revenir les âmes en ce monde par le moyen de la réincarnation, afin de leur donner l'occasion de s'amender et de se perfectionner, à un horticulteur qui, voyant qu'une plante ou un arbre ne prospère pas dans un terrain, les transplante dans un autre.

Peut-être toutes ces figures du Midrasch et des Kabbalistes, rentrent-elles sous cette image générale par laquelle la création entière a été comparée à un jardin de délices, soit dans le livre de la Genèse si la signification que nous avons donnée à l'Eden biblique est exacte, soit dans la théosophie qui donne le nom de gan Eden , jardin d'Eden, au malkhout au Dieu immanent, au divin dans le monde, soit enfin dans une foule de paraboles midraschiques où le paradis terrestre est pris comme image de l'univers, de la création et de la science humaine de la création.

Nous terminerons ce qui concerne cette division de la période cosmique clôturée par le Sabbat et qui est comme une ébauche de la philosophie de l'histoire selon le judaïsme, en rapportant les paroles de grands écrivains dont l'autorité mérite d'être citée. « Les Juifs, dit M. Haag, croyaient fermement qu'après une période de six mille ans à dater de la création du monde, aurait lieu le [5]grand Sabbat qui durerait mille ans et pendant lequel ils domineraient par le règne du Messie sur tous leurs ennemis. Ils basaient leurs calculs sur l'histoire de la création en six jours racontée dans le livre de la Genèse en la combinant avec ce verser des psaumes: « Car mille ans sont à tes yeux comme le jour d'hier quand il n'est plus [6]».

Renan, de son côté, ne saurait être plus affirmatif: «Cette race, dit-il en parlant du peuple juif, saisit les lignes générales des choses humaines, non comme nous par l'analyse... mais par une sorte de vue sommaire. La philosophie de l'histoire est une œuvre juive étant en un sens la dernière transformation de l'esprit prophétique [7] ». Et M. Laurent écrit qu'Eschyle inaugura la philosophie de l'histoire en montrant la main de Dieu dans les calamités qui frappent les peuples. « Nous ne savons, ajoute-t-il, si à ce titre il y a d'autres peuples anciens qui peuvent prétendre à cet honneur; ce qui est certain, c'est qu'aucun peuple ne possède ce titre même à un plus haut degré que le peuple juif. Le dogme de la Providence si caractéristique de la religion d' Israël est d'autant plus le synonyme d'un ordre idéal dans l'histoire qu'il a pour but la perfectibilité et le progrès en général, car le but de la justice elle-même soit divine, soit humaine, est l'amendement et l'amélioration du coupable [8]» Il y a même une définition de cet ordre donnée par Bitter dans laquelle semblent se confondre la Providence et la philosophie de l'histoire: «C'est, dit-il, l'expression de la conviction que toute action est dirigée par la loi universelle et sort à l'accomplissement de la fin de cette loi [9] » C'est en d'autres termes la sentence des Proverbes: « Tout ce que Dieu a fait, il l'a fait à sa propre fin [10] « Il y a beaucoup de pensées dans l'esprit de l'homme, mais c'est le dessein de Dieu qui se réalisera [11]» ou encore l'idée d'Isaïe: « Tout ce qui s'appelle de mon nom, c'est pour ma gloire que je l'ai créé, que je l'ai formé, que je l'ai fait [12]».

Enfin M. Mamiani écrit: « Ne lit-on pas dans le Zend Avesta que la lutte toujours renaissante entre le bien et le mal ira s'atténuant [13] peu à peu jusqu'au triomphe définitif et glorieux d'Ahura-Mazda? La même prévision n'échauffa-t-elle pas le cœur des Prophètes d'Israël et l'un d'eux n'a-t-il pas décrit cet âge bienheureux où couleraient des fleuves de lait et où les serpents perdraient leur venin? [14]». Quand ensuite le même auteur nous rappelle le christianisme et ses invocations pour l'avènement du règne de Dilla et l'accomplissement de la volonté divine sur la terre, il nous est impossible de ne pas voir, dans cette prédication de l'Evangile éternel, un écho transporté dans la religion chrétienne des croyances qui sont le patrimoine authentique d'Israël.


References

  1. Page 348
  2. Jalkout Schimeoni , Bereschit
  3. Ecclésiaste, II, 11.
  4. Il est curieux de rapprocher ces paroles d'Origène (const. Cels, lib. IV, 69 ): « Et sicut agricola pro diversis annis et tempestatibus diverse agros et æ agri ferunt excolit, ita Deus qui sœcula, ut ita loquar, tamquam annos regit et moderatur, facit in eorum singulis quidquid hujus universitatis bonum postulat ».
  5. Page 349
  6. Histoire des dogmes chrétiens, tome II, p. 333.
  7. Questions contemporaines, p. 344
  8. Histoire du droit des gens, tome II, p.467.
  9. Histoire de la philosophie ancienne, tome III, p. 422
  10. Proverbes, XVI, 4
  11. Prov. XIX, 21
  12. Isaïe, XLIII, 7
  13. Page 350
  14. Religion de l'avenir, p.414.